La vague des haines
Dès le premier pas posé sur les escaliers du lycée, Iris sent une sensation déplaisante la parcourir. Un frisson dans la nuque qui s'étire et fait dresser tous les poils de son corps face à une menace invisible mais pourtant bien réelle. Une impression qui la traverse parfois, sans prévenir, comme une alerte qui se déclenche pour l'avertir. Iris a déjà ressenti ce malaise juste avant que sa mère ne se casse la jambe, un an auparavant. Ce « don de prémonition » comme elle le surnomme n'annonce jamais des bonnes nouvelles et c'est avec une inquiétude croissante qu'elle parcourt les couloirs. Quelques minutes plus tard, son intuition ne l'a pas trompée, elle trouve une ambiance particulièrement électrique dans sa classe. Pas que ca soit la joie d'habitude, mais là c'est pire, pense-t-elle avec une grimace intérieure. La jeune fille pose son sac et attache ses cheveux en un chignon lâche - ces temps-ci la chaleur attaquait dès les premières rayons de soleil - avant de prêter l'oreille aux rumeurs de sa classe. Les élèves, réunis en petits groupes, discutent sur qui semble être un sujet bien palpitant et Iris, en s'approchant ne tarde pas à en connaître l'origine par Thomas, un camarade qui la met dans la confidence :
— Tu as vu sur insta la vidéo de Sarah qui dit des trucs sales sur Louis ?
La jeune fille lève un sourcil interloqué et jette un regard dans la salle, pas de trace de l'intéressé qui séchait parfois les cours le lundi matin, atteint d'insomnies.
— Je n'ai pas Twitter, et alors, il s'est passé quoi ? réplique-t-elle.
— Attends, je vais te montrer le screen, ce sera plus parlant, déclare l'adolescent avec un soupir théâtral.
Il sort son téléphone et lui montre un message que le fameux Louis aurait envoyé : lourd et même carrément misogyne. Iris lit avec consternation et reste un moment interdite devant le témoignages de cette fille qu'elle croise parfois dans les couloirs. Elle admet bien que Louis est un Dom Juan sur les bords mais quand même... Peut-être bien. Mais elle secoue la tête. Non impossible, Louis ne ferait jamais une chose pareille.
— Tu n'y crois pas hein ? Mais y'a les screens, Louis ne prend que la gifle qu'il aurait dû se prendre depuis le temps, pointe le jeune homme.
— On en a entendu des rumeurs sur lui depuis la troisième, et ca s'oubliait toujours au bout de quelques jours. Il est beau, il attire les regards et la jalousie, c'est tout, s'exclame-t-elle.
Mais cela n'expliquait pas la preuve des messages envoyés. L'adolescente se dit sans vraiment y croire qu'il avait dû envoyer ça quand il était bourré, on ne comptait plus les fêtes qu'il organisait chez lui. Iris y allait parfois mais plus pour faire plaisir à ses amis que par goût de l'alcool.
Son interlocuteur hausse les épaules et reprend sa conversation avec ses amis. Iris, quant à elle cherche Hélène des yeux et la trouve entourée d'autres filles, à l'autre bout de la classe. Elle s'apprête à les rejoindre mais l'arrivée du professeur la force à s'asseoir sur sa chaise. Son regard dérive sur la place vide de Louis, qui n'arrivera sûrement qu'à la troisième heure. J'espère qu'il ne verra pas ses notifications sur les réseaux au réveil, pense-t-elle avec espoir. Mais le nombre de partages, de commentaires et de réactions sur Insta qu'elle a vu n'échapperait pas à l'attention de Louis, elle en est sûre. S'il n'était pas déjà au courant, dans deux heures tout au plus, il serait assailli de regards en coin dans le lycée et des ricanements. Mais Iris sait qu'il s'en ficherait de ses regards, qu'il arriverait dans la classe tout sourire, lui ferait la bise et embrasserait Hélène. Ah non ! ils ne sont plus ensemble, c'est vrai...se rappelle-t-elle soudain.
La jeune femme soupire, les doigts qui jouent avec un stylo, sans prêter attention au cours d'histoire. Elle a oublié que son amie a quitté Louis depuis trois jours. La chose n'avait pas semblé ébranler le jeune homme mais Iris avait bien remarqué la douceur et l'amour dans les yeux de Louis quand il était avec elle. Cette rupture l'a vraiment affecté, elle le sait. C'était différent des autres fois, avait-elle pensé, mais peut-être s'était-elle fait des illusions parce-qu' Hélène était son amie. A vrai dire, avant que son amie ne sorte avec Louis, il y'a peut-être six ou sept mois, elle connaissait le tombeur de loin, entendait juste les rumeurs, les jugeait ridicules et regardait de coin l'Apollon. Dire à Thomas que Louis était beau était un euphémisme. En vérité, il répondait à tous les canons de la beauté actuelle : Grand, svelte et large d'épaule. Des cheveux noirs, un brin bouclés qui encadraient une gueule d'ange un peu trop malicieux et des yeux bleus. Des yeux bleu mer, comme les appelait Iris, des yeux qui lui rappelaient son enfance sur un bateau avec ses parents et son frère, à parcourir l'océan et à accoster quelque fois sur la terre ferme. Ces années passées loin de tout lui reviennent parfois et l'éloignent des humains, comme aujourd'hui.
Iris plonge sa tête dans ses mains et baille avant de prêter enfin attention au cours et noter les dates au tableau. Comme elle l'avait prévu, Louis entre dans la classe au bout de la troisième heure et s'assoit à sa place. Personne ne vient lui parler et un silence gênant plane. Iris jette un regard presque dédaigneux aux élèves et donne un baiser bien bruyant sur la joue de son ami qui lui sourit avec reconnaissance.
— Tu as vu sur insta ? demande-t-elle.
— Depuis quand les réseaux sociaux t'intéressent ? la raille-t-il.
— Depuis qu'on y insulte mon meilleur ami, lâche-t-elle avec humeur.
Le jeune homme reste interdit quelques secondes avant de se passer une main dans ses cheveux et de déclarer :
— Ils vont arrêter au bout de quelques jours, comme d'habitude. Mais ce qui m'ennuie, c'est que ce n'est pas moi qui ai envoyé ce message.
La professeure de philosophie fait savoir sa présence à l'aide d'un claquement de mains et Louis lance alors :
— Je te raconte ca à midi. Enfin, si je ne suis pas mort par tous ces yeux revolvers avant.
Comme il l'a bien dit, de nombreux regards lui sont lancés dans la classe, mais Sarah n'est pas dans la salle, heureusement pour lui.
A la pause du midi, Iris et Louis s'installent dans un coin de la cafétéria bondée, des sandwichs en main et tandis que le jeune homme ouvre sa canette de soda, il reprend la conversation là où il l'avait arrêtée :
— Je n'ai pas envoyé ce message, j'en suis sûr et je n'ai pas bu une goutte d'alcool depuis un mois si c'est ta question.
Il avale d'une traite son soda et continue :
— Et puis si j'avais voulu draguer cette fille, je m'y serais pris d'une manière plus subtile. Surtout qu'à ce moment...Hélène et moi on était encore ensemble.
Louis avait perdu de son assurance dans les derniers mots, comme s'il n'avait pas encore pris l'habitude de sa situation.
Iris hoche la tête et les yeux dans le vague, réfléchit à une explication. Elle croit le jeune homme quand il assure ne pas être l'auteur de ça D'ailleurs, elle a même oublié qu'il était encore en couple quand ces contenus avaient été envoyés. L'adolescente comprend encore mieux ce qu'on pouvait lui reprocher. Elle fronce le nez, elle n'a encore pas pu parler à son amie ce matin, toujours entourée des mêmes filles et Hélène n'avait pas l'air de vouloir s'entretenir avec elle d'ailleurs.
— Tu aurais pu être piraté ?interroge la jeune femme.
— Oui, c'est ce que j'ai pensé et j'ai changé mes mots de passe. Mais bon, aucune idée de qui ça a pu être, s'exclame-t-il avec un soupir.
— Et puis il y'a beaucoup de candidats potentiels, pointe-t-elle.
Louis prend une grande bouchée de son sandwich et lui répond par un vague assentiment et par un signe de la main, indiquant qu'il va parlera dès qu'il aura avalé.
— Ne t'en fais pas, dans trois jours on en discutera plus et boum affaire classée.
Alors même qu'il finit cette déclaration qui semble pardonner l'auteur du complot, un liquide glacé se déverse sur ses cheveux, glaçons compris et il se retourne, ahuri.
Sarah se tient derrière lui, un verre à la main, un sourire vengeur. Elle n'avait plus du tout l'air de la gentille et innocente petite chose qui pleurait sur sa vidéo réaction au message. Elle lui jette le gobelet en plastique à la figure et s'en va dans la foule silencieuse, le regard sur la scène. A quelques pas d'elle se trouve une ado avec un portable fixé sur le jeune homme qui commente la situation :
— C'est pour calmer tes ardeurs de mec beauf et misogyne Louis, j'espère que la douche glacée plait à Monsieur !
Un garçon joueur rajoute avec un cri :
— Rajoute l'hashtag metoo ça va cartonner, Sarah ! Bien fait pour ce salaud !
Une série de rires fusent de la salle remplie de lycéens et Louis reste un instant interdit, la bouche entrouverte, sous le choc de l'humiliation qu'il vient de subir. Iris lui prend le bras et l'entraîne à l'extérieur sans mal : la foule s'écarte pour profiter du visage démis du plus beau mec du lycée. Louis dégage presque avec violence son bras et s'éloigne vers les toilettes avec un vague merci en direction de son amie.
Iris n'ose pas le suivre et l'observe, les bras ballants rejoindre un lavabo pour tenter de réparer les dégâts. Surprise passée, elle ressent une vague de rage la traverser et elle serre les poings. De quel droit cette pétasse se venge de cette manière et en le filmant ? Elle savait que la vidéo allait se retrouver sur les réseaux et que tout le lycée allait se faire une joie de liker et partager. Comme un groupe de hyènes hystériques qui se serait jeté sur une seule proie en position de faiblesse. La colère aurait pu se résorber mais les yeux d'Iris tombent sur la concernée et l'autre fille entourées de gens les félicitant. Ses jambes semblent bouger d'elles-mêmes et elle rejoint le groupe dans un état second. Par contre c'est avec une conscience aigue et une volupté délicieuse qu'elle gifle Sarah et qu'elle se lance dans une diatribe endiablée :
— Putain mais t'as conscience de ce que t'as fait ? Tu ne lui as pas laissé un instant pour s'expliquer, s'excuser ou dire quoi que ce soit ! ce que t'as fait, c'était juste un putain de procès arbitraire en le condamnant à mort sans véritables preuves ! Et si ce n'était pas lui qui avait écrit ça, que c'était un pote à lui en volant son tel ou quelqu'un qui lui aurait volé son compte ?
— Je vois que Louis s'est trouvé une nouvelle chienne, tant mieux pour lui, lâche alors la fille en se tenant la joue.
Ses amis éclatent de rire et Iris ne peut s'empêcher de lui faire un doigt d'honneur avant de partir. Une partie en elle aurait voulu lui balancer un autre coup de poing et peut-être la mitrailler même mais l'autre partie, méprisante et pleine de pitié se dit que cette gourde est trop idiote pour réfléchir trente secondes à ce qu'elle faisait. Elle se retient de se retourner et de lui balancer une insulte : elle venait de voir qu'un surveillant avait tourné les yeux vers elles et que malgré son regard bienveillant sur ce qu'il lui semblait peut-être des enfantillages, il allait intervenir si Iris se jetait sur Sarah..
Alors la jeune femme ravale sa rage à moitié étanchée et rejoint sa classe. Louis y est déjà, le visage fermé, installé à sa place, les cheveux et son sweat trempé. L'adolescente s'assoit en silence et plonge la tête dans ses bras, excédée contre-elle-même. Elle n'aurait jamais dû faire ça, crier sur cette pauvre fille qui avait tort mais ne le savait pas. Qu'est ce qui lui a pris, bon sang de faire ça ? Elle ne s'énerve pourtant jamais d'habitude... Comme Louis semble ne pas vouloir parler, Iris ne raconte pas l'action gênante qu'elle vient d'accomplir et elle espère que le jeune homme n'a pas vu cette scène.
Elle n'ose pas lui adresser la parole et la classe se remplit peu à peu dans les minutes qui suivent et chaque élève qui passe la porte jette un regard éloquent en direction de Louis, resté stoïque.
A la fin de la journée, il s'enfuit sans un au revoir. Iris sent une pointe d'angoisse la traverser : si d'ordinaire son ami n'est jamais affecté des rumeurs débiles qui le concernaient, aujourd'hui est particulier.
Les jours d'après, les gens continuent de répandre des infâmies mais sans aller jusqu'à faire comme Sarah et sa copine. Le samedi, assise dans son lit, Iris décide de se créer un compte insta et facebook pour suivre l'évolution de la vidéo et des messages qui avaient gagné très vite en notoriété et recueillaient des centaines de soutien de la part d'inconnus sur tous les réseaux sociaux. Sur son téléphone, elle voit aussi défiler des insultes à l'encontre de Louis sans grande surprise mais avec une lassitude croissante. Des nouveaux messages étaient apparus, assurance d'autres filles que Louis les avait abordés par message, il y'avait parfois un ou deux ans. Tous des fakes. Finalement, elle tombe sur un message plutôt long d'une fille dans le lycée, qui avait tenté de draguer Louis sans succès il y'avait de cela quelques mois :
J'ai gardé ça pour moi ces derniers mois mais comme je vois que la parole commence à se libérer autour de Louis et ce qu'il l'a fait, j'ai enfin le courage d'en parler.
Iris n'en croit pas ses yeux. Elle survole les lignes, puis les relit, une, deux puis trois fois. Cette fille affirmait haut et fort que Louis l'avait forcé à coucher avec lui.
Le message est tout frais, à peine une dizaine de minutes et il pue la vengeance à plein nez. La jeune femme sent comme de la bile lui remonter dans la gorge et elle ferme les yeux jusqu'à ce que des formes scintillantes apparaissent au travers de ses paupières. Elle est sûre que c'est un mensonge, il n'aurait jamais fait ça de sa vie entière. Mais Iris sait que le doute s'insinuera parmi tous, surtout chez les gens qui le connaissent de loin. Elle sait qu'il est toujours difficile de démentir ce genre d'infos. Cette idiote venait de balancer cette bombe sur facebook, avec le fameux hashtag metoo, et venait par la même occasion de détruire tous les témoignages de ces femmes qui avaient été réellement abusées. Mais une petite voix lui murmure dans sa tête : et si c'était vrai, depuis le début ? Que Louis te ment, que c'est un bon manipulateur et qu'il profite de toi ? Si tu te faisais mener en bateau, que c'est vraiment un salaud ? Tu ne le connais bien que depuis six mois, c'est court six mois... Il se peut même que tu ne le connaisses pas du tout, murmure-t-elle.
— La ferme ! hurle-t-elle, seule dans sa chambre.
Crier lui fait un bien fou et la petite voix se tait dans son esprit. Elle avait décidé de le croire, elle le ferait jusqu'au bout.
Iris ne peut pas s'en empêcher, elle envoie un message à Louis. Puis au bout de quelques heures, ne recevant aucune réponse, elle l'appelle. Rien.
Elle ne prend plus la peine de réfléchir, attrape sa veste d'une main et saute dans la rue puis dans le bus. Dehors, il fait grand soleil et les gens profitent de la clémence du temps de cette fin d'Avril pour sortir. Comme si le monde entier se fiche d'elle, lui envoie un énorme doigt d'honneur avec ce soleil, bien jaune et ce ciel si bleu qui semble crier « Tout va bien ». Mais non, tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes.
Iris arrive enfin devant la maison de Louis. Elle sonne, appuie même comme une dératée sur la sonnette.
Mais il ne répond pas. Elle sait pourtant qu'il est là.
Son téléphone vibre et elle le sort, c'est Louis : Pars. Laisse-moi tranquille.
Alors, comme Lundi, Iris ressent ce grand frisson lui parcourir l'échine. Elle tourne les talons, mais elle est déterminée à trouver la personne à l'origine des messages, avec ou sans le soutien de son ami.
Texte de Pandikoe (Pandikoe)
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