De l'autre côté du miroir
« La socialisation est un processus de mise en relation des différents espaces mondiaux par l'intermédiaire de flux. »
« Émile Durkheim, éminent philosophe du Vème siècle avant J.-C. ... »
« ... car la censure social est bloqué. »
Après quatre heures à corriger les contrôles de Sociologie, Paul Durand désespère sérieusement. Il décortique chaque copie, dans l'espoir de dénicher une réponse prétextant un demi point supplémentaire, histoire d'éviter un maximum de 0/20, 1/20 ou 2/20...
Il a horreur de mettre de mauvaises notes à ses élèves. Non pas parce-que ça l'empêche de satisfaire son ego de professeur, mais parce que cela décourage plus qu'autre chose les lycéens. Surtout que la plupart souffrent d'un manque d'encadrement familial et auraient les capacités de réussir, si on les y motivait un peu plus.
M. Durand fait partie de ces professeurs qui se battent pour organiser des voyages scolaires, maintenir les heures de soutien, adapter les méthodes de travail... En revanche, cet acharnement est chronophage et M. Durand doit faire face à son entourage, qui lui reproche de « prendre son boulot trop à cœur » ainsi qu'à la fatigue, contrecoup des courtes nuits de sommeil.
Pendant un temps, il a fait la sourde oreille. Il était hors de question d'abandonner ses élèves par facilité, sous le simple prétexte qu'ils étaient inadaptés au système scolaire. Il a été persuadé de pouvoir les aider.
Mais depuis quelques mois, il commence à se demander si, quoi qu'il fasse, il est possible de repêcher les élèves ayant complètement décroché.
M. Durand soupire.
Parmi ses terminales, seuls trois de ses élèves tirent les notes de la classe vers le haut, un tiers environ passe difficilement la barre des 10 de moyenne et une quinzaine d'autres ne l'atteint pas.
Ces derniers temps, le professeur se remet sans cesse en question, retourne le problème dans tous les sens pour trouver ce qui ne va pas. Est-ce de sa faute ? Enseigne-t-il de la bonne manière ? Il a l'impression d'avoir tout essayé. Il passe beaucoup de temps à approfondir les points difficiles de ses cours, les simplifier, mettre à disposition un maximum d'outils de soutien, adapter ses explications à chacun... Que faire de plus ?
Toutefois, quand il lit des réponses comme « la censure social est bloqué » au lieu de « l'ascenseur social est bloqué », M. Durand est désemparé. La lutte des classes est pourtant une thématique d'actualité, touchant la majorité de ses élèves issus pour la plupart de quartiers populaires ! Sans parler des médias qui ne cessent d'aborder le sujet en long, en large et en travers !
Fatigué de se démener pour finalement obtenir des résultats si faibles, M. Durand s'endort sur ses copies en pestant contre les réseaux sociaux qui transforment les jeunes en décérébrés irrespectueux.
Le lendemain, à la fin du cours de Sociologie, le professeur est surpris par la petite voix de Claire.
- Euh... Monsieur Durand ?
Il n'a pas entendu la jeune fille s'approcher de son bureau, le bruit léger de ses pas ayant été couverts par le brouhaha des élèves sortant de la salle de classe.
- Oui, Claire ? Tu as une question à propos du cours ?
M. Durand est très étonné. Pendant les deux années où il a eu Claire comme élève, jamais il n'a entendu le son de sa voix en dehors des exposés. Et encore...
- Euh... C'est-à-dire que... vous m'avez mise avec Louis pour l'exposé et... euh...
Les yeux de la jeune fille sont fuyants.
- Je voulais savoir si... si vous pouviez me mettre avec quelqu'un d'autre...
La surprise se lit sur le visage du professeur.
- Oui, bien sûr... Ça te convient si je te mets avec Léna et Axelle ? Je mettrai Louis avec Alice et Hélène. Tant pis, ça fera des groupes de trois mais ce n'est pas grave.
Claire semble immédiatement déchargée d'un poids immense.
- Oui c'est parfait, merci beaucoup... Bonne journée !
- Bonne journée, Claire.
L'adolescente sort de la classe à pas feutrés, laissant M. Durand plongé dans ses pensées. La requête de la jeune fille l'a déstabilisé.
Qu'est-ce qui peut bien pousser une élève si timide et réservée, qui ne rechigne jamais quelle que soit la tâche qu'on lui confie, à demander un changement de groupe ? Le professeur songe à Louis, l'aimable jeune homme qui fait rougir toutes les filles du lycée.
Nombreux sont les potins en salle des profs à son sujet, les paris fusent sur qui sera la prochaine petite amie du jeune homme. Celui-ci s'est créé une véritable réputation de « vétéran de la drague », comme dirait Mme Valenton, la plus commère de tous les professeurs. M. Durand désapprouve totalement ces jeux immatures concernant les élèves.
C'est vrai que, maintenant qu'il y pense, Louis se fait de plus en plus discret... M. Latino a même fait remarqué plusieurs absences récurrentes le lundi matin, lors des conseils de classe.
Oh, et puis après tout, ce sont certainement des histoires sentimentales d'adolescents. Sa femme a raison, il faut qu'il arrête de se torturer l'esprit avec ce qui ne le regarde pas.
A peine arrivé en salle des professeurs, M. Durand est assailli par la prof d'Anglais.
- Ah, Paul !
Ce dernier soupire intérieurement en posant son sac de cours. Les autres professeurs sont partis déjeuner, il est seul avec sa collègue. Personne n'est là pour le sortir de ses interminables commérages...
Mme Valenton brandit son téléphone sous son nez, un onglet ouvert sur une page Twitter.
- Lis un peu ça !
Il s'agit sans aucun doute d'un énième ragot sur le principal du lycée, ou de rumeurs sur la date de retour toujours repoussée de Mme Isonneau séjournant depuis des mois à l'hôpital, pour un soi-disant problème de cheville... M. Durand s'exécute à contrecœur.
« J'ai gardé ça pour moi ces derniers mois, mais comme je vois que la parole commence à se libérer autour de Louis et ce qu'il a fait, j'ai enfin le courage d'en parler. »
La première phrase du message a suffit à retenir toute son attention. Il fronce les sourcils et prend le téléphone des mains de sa collègue.
« Il y a quatre mois, j'ai été invitée à une soirée. Bien sûr, on y proposait de l'alcool, et c'est bien normal. On ne peut pas reprocher aux gens de vouloir s'amuser à une fête.
Louis y était. »
Le visage du professeur prend un air sérieux au fur et à mesure de sa lecture.
« En fin de soirée, il est venu me voir. Pile au moment où je me retrouvais seule, après que mes amis soient partis. Il était souriant, chaleureux en apparence, en bref l'image du mec super cool qu'il sait si bien faire miroiter.
Au début, il a commencé par me complimenter sur mes yeux, mes cheveux... Jusqu'ici, ça allait. Mais ensuite il s'est fait plus insistant. Jusqu'à faire des allusions très osées, à propos de mes fesses, de ma poitrine... Je n'étais pas rassurée. Alors j'ai voulu me réfugier à la lumière, me rapprocher d'un groupe de personnes pour me sentir plus en sécurité, mais il ne m'en a pas laissé le temps. Il m'a poussée dans un couloir en me bâillonnant avec sa main, puis traînée dans une chambre. Il m'a menacé de représailles si je me débattais ou si j'alertais qui que ce soit. Louis avait bien préparé son coup. Il a fermé la porte à clef derrière nous, et il n'y avait personne pour me venir en aide.
Je ne détaillerai pas la suite de ce qui s'est passé, je pense que vous comprenez que c'est déjà assez difficile pour moi de confier cette histoire. »
Le portable tremble dans les mains moites de M. Durand. Il refuse de croire à cette histoire abominable... Il est surtout terrifié à l'idée que cela puisse être vrai.
Comment Louis, même s'il a l'habitude de fréquenter les filles, a-t-il pu faire une chose si abominable ? Le professeur termine avec difficulté la lecture du message.
« Louis n'est qu'un rapace à recherche d'une proie à se mettre sous la dent, incapable de ressentir la moindre émotion pour ses victimes. S'il-vous-plaît, faîtes attention à vous. Transmettez ce message à vos amies, à vos sœurs, à tout le monde. Qu'elles se méfient de Louis Chauvin. C'est un jeune homme brun aux yeux bleus, d'environ 1m80, élève de terminale ES. Faites en sorte de ne pas le croiser.
Enfin, sachez que ç'a été vraiment difficile pour moi de partager ça. Je l'ai fait pour vous, avant qu'il ne fasse d'autres victimes, car je sais qu'il ne s'arrêtera pas là. Pour faire cesser ces agressions, il faut que les victimes témoignent. J'espère de tout cœur que les agissements de ce monstre cesseront, et qu'il paiera pour ce qu'il a fait. Merci de votre soutien. ».
Le hashtag #metoo est accolé au message. Cette lecture laisse M. Durand interdit.
- Louis Chauvin, c'est bien un de tes élèves ? s'enquiert Mme Valenton. Le Don Juan qui enchaîne les conquêtes ?
M. Durand hoche lentement la tête en lui rendant son téléphone, sans relever que la précision « le Don Juan qui enchaîne les conquêtes » n'était pas indispensable. La description ne laisse aucun doute, il s'agit bien de Louis Chauvin, l'un de ses élèves de terminale.
Le professeur songe à Claire avec une certaine inquiétude.
- Qui est l'auteur de ce message ?
- C'est une certaine « Celestia », répond Mme Valenton. C'est un pseudo, mais je pense savoir qui c'est.
Elle marque une pause, comme si elle se délectait du suspens que sa remarque a pu engendrer. Comme si elle prenait tout cela pour un jeu palpitant, sans réaliser à quel point les révélations de ce message n'étaient pas à prendre à la légère.
Résistant à l'envie d'être vulgaire, M. Durand l'incite à continuer :
- Qui est cette « Celestia » ??
- J'ai réussi à glaner quelques infos et je crois qu'il s'agit de Romane Chassan, une petite jeunette de première L. Mignonne comme tout, d'ailleurs, jolie comme un cœur !
Puis, un peu plus sérieuse :
- Et c'est pas tout. Regarde, Paul, il y a au moins six commentaires qui témoignent de faits similaires. Il est toujours question de jeunes filles agressées par ce Louis Chauvin, qui n'avaient jamais osé en parler avant. Certains faits semblent remonter à un an, et d'autres sont tous récents !
M. Durand est sévèrement troublé. Cela le fait retourner une vingtaine d'années en arrière, quand sa meilleure amie lui avait appris deux ans après les faits qu'un camarade de collège l'avait harcelé durant toute une année scolaire. Il s'en voulait toujours voulu de n'avoir rien vu.
Dire que cela pourrait arriver à ses filles, un jour. Il en a l'estomac retourné. Il serre les poings.
D'habitude, il se méfie des réseaux sociaux, mais là... Il pourrait bien avoir trouvé l'explication au comportement de Claire. Et de la mise à l'écart de Louis ces derniers temps.
Paul est rentré chez lui pour manger, comme tous les midis, puisqu'il habite à deux pas du lycée où il travaille. Comme ses filles sont scolarisées tout près, elles reviennent également déjeuner chez eux.
- « Ainsi font, font, font, les petites marionnettes, ainsi font, font, font, trois p'tits tours et puis s'en vont ! »
Tandis qu'il prépare à manger, Paul observe avec tendresse ses deux filles qui chantent dans le salon. Leur insouciance lui réchauffe le cœur. Savoir ses enfants heureux est son plus grand bonheur.
Sa propre insouciance lui semble loin, à présent. Il y a tellement de choses à penser en tant qu'adulte... Il donnerait beaucoup pour retrouver ne serait-ce qu'un soupçon d'apaisement, se libérer des pensées nuisibles qui le tourmentent et dont il n'avait pas se préoccuper enfant.
L'eau qui déborde de la casserole le tire de sa rêverie. En voulant éteindre le gaz à la hâte, il se brûle et percute un pichet, qui s'écrase par terre avec un fracas assourdissant.
Il soupire. Décidément, il est loin, le temps de l'insouciance...
M. Durand marche rapidement le long du trottoir, en direction du lycée. Il aimerait arriver une vingtaine de minutes avant la sonnerie, afin d'informer le directeur de ces histoires d'agressions. Elles ont pris des proportions trop importantes pour être ignorées.
Le professeur espère que le principal sera dans son bureau à cette heure-ci, ce qui n'est pas gagné. Il y a de fortes chances qu'il soit encore en train de déjeuner, comme la majorité des lycéens et des enseignants.
Tous ces messages... Non, le doute n'est plus permis. Il faut convoquer Louis immédiatement.
M. Durand passe le seuil de la grille. Et là, juste au moment où il lève les yeux...
Il voit Louis.
Louis, le harceleur.
Le jeune homme longe le bâtiment des labos de Sciences de l'autre côté de la cour, avant de disparaître derrière.
Le message de la jeune fille relatant l'agression resurgit aussitôt dans l'esprit de M. Durand.
Celui-ci ne réfléchit pas. Il bifurque dans la direction où a disparu le jeune homme, accélérant encore le pas. Il veut lui-même entendre la version de Louis. Le jeune homme va devoir s'expliquer.
Quand il arrive à l'intersection entre les labos de Sciences et les bâtiments de Langues, plus aucune trace de l'élève. A-t-il tourné à droite ? A gauche ?
M. Durand tente à droite. A cette heure-là, il y a peu de lycéens dans l'enceinte de l'établissement, presque tous sont partis manger ou sortis faire un tour. Personne ne peut lui indiquer la direction prise par l'adolescent.
Il poursuit sa marche rapide jusqu'au bout du dernier couloir, qui se termine par une impasse. Ce serait étonnant que Louis ait emprunté l'issue de secours. M. Durand fait demi-tour, frustré.
A croire que le harceleur sait qu'on le cherche... et qu'il essaye de s'échapper.
Le professeur court presque. Une rage sourde bouillonne au fond de lui. Elle s'est manifestée d'un seul coup, sans prévenir.
C'est un mélange entre un sentiment d'injustice, de révolte, de dégoût à l'égard des monstres comme Louis.
Et surtout, de la culpabilité à l'égard de lui-même. Jamais il ne s'était pardonné de ne pas avoir vu ce que subissait sa meilleure amie au collège.
Un grand fracas provenant des toilettes des garçons le stoppe net dans sa course. Il reste un moment interdit, fébrile.
Puis il s'approche du bâtiment avec appréhension. Le bruit lui a immédiatement évoqué un corps qui se cogne contre une porte. Il déglutit. Son imagination lui joue des tours, il ne peut en être autrement !...
En entrant dans le bâtiment, il croise son reflet dans le miroir. La peur déforme tellement ses traits qu'il croirait voir un autre. Un terrible pressentiment lui tord le ventre. Il se détourne de cette image déformée de lui-même.
Au premier abord, rien ne lui semble anormal.
Et c'est là qu'il voit le sang sur le carrelage.
Du sang, rouge écarlate, qui s'insinue silencieusement dans les rainures du sol, partant de la porte du fond.
M. Durand est en train de vivre un cauchemar. Il reste tétanisé, à observer ce sang qui s'écoule, lentement, suivant la ligne droite du carrelage, puis se divisant en trois branches à l'intersection des carreaux.
Il sort soudain de cette paralysie, et se précipite vers la fameuse porte, la boule au ventre.
Il tente de l'ouvrir.
Elle est fermée de l'intérieur.
- Ouvrez ! crie-t-il.
Bien sûr, personne ne lui répond.
Il s'accroupit alors pour regarder sous la porte, terrifié de ce qu'il va découvrir.
Et voit Louis. Écroulé sur le sol. Les poignets lacérés. Et une paire de ciseaux gisant à côté de lui.
Mais l'image qui hantera à jamais les nuits du professeur, c'est celle du grand sourire sanglant que Louis a peint sur son visage.
Ce n'est qu'une semaine après le drame que Paul Durand se résout à ouvrir le message de Mme Valenton. Tout du moins le fantôme de Paul Durand, si l'on veut être le plus proche de la réalité. Car tout ce qui faisait de lui Paul Durand, professeur, collègue, père, époux, ami, tout ce qui le caractérisait n'a plus semblé exister à la seconde où il a découvert le corps inerte de Louis dans les toilettes.
A partir de là, tout s'est enchaîné à une vitesse folle, mais lui ne sait même pas d'où il a tiré le courage de bouger, encore moins de composer le 15, d'exposer la situation aux médecins, puis d'accompagner Louis jusqu'à l'hôpital.
Dans l'ambulance, il s'est surpris à ne plus rien ressentir.
Ou peut-être à tellement ressentir qu'il en a été anesthésié, il n'a pas su dire. Il ne sait toujours pas.
Si Louis n'avait pas encore totalement succombé quand il l'a découvert inconscient, il n'a pas survécu de ses blessures. Il est mort dans l'ambulance.
Lorsque la nouvelle du décès de Louis s'est répandue, les médias qui se sont rapidement emparés de l'affaire. A la une des journaux ont lisait : « avant de se suicider, un harceleur assailli de remords poste un message atomique sur Twitter ». A la radio, on surnommait Louis « la victime de #metoo ». A la télé, on interviewait ses camarades de qui le décrivaient tantôt comme « un manipulateur perfide », tantôt comme « une victime des réseaux sociaux ».
Depuis, Paul Durand est cloîtré dans sa maison. Le directeur lui a permis de prendre congé quelques semaines, il a accepté. Il déambule comme un robot dans les couloirs de sa maison, évite même sa femme et ses filles. On lui a proposé d'être accompagné par un psychologue, il a refusé, bien qu'il soit jour et nuit hanté par les mêmes questions.
Qui était réellement Louis ? Avait-il réellement agressé des jeunes filles ?
Paul Durand s'est éloigné autant qu'il a pu de tous ces médias, ces images, ces rumeurs contradictoires. Il ne voulait plus entendre parler de Louis, même qu'il n'arrivait pas à déconnecter son cerveau de ce qui s'était produit. Il ne dormait plus, et passait des nuits entières à fixer la messagerie de son téléphone. Il n'osait pas appuyer sur le message envoyé par Mme Valenton intitulé « capture d'écran message Louis Twitter ».
Car Louis avait effectivement choisi de diffuser un dernier message sur son compte Twitter, et bien que l'original ait rapidement été effacé, les captures d'écran avaient déjà voyagé sur trop de téléphones pour que l'affaire soit passée sous silence.
C'est donc une semaine après le suicide de Louis que Paul Durand, n'y tenant plus, ouvre le message de Mme Valenton. Après avoir pris une grande inspiration, il clique sur la pièce jointe, une capture d'écran faite par Mme Valenton avant que le message de Louis ne soit officiellement supprimé.
« Accusez notre chère société, sensée permettre la cohésion entre ses membres. Accusez nos chers réseaux sociaux, qui ont pour but de renforcer ces liens. Ou n'accusez personne.
L'abîme qui a dévoré mon cœur, celle qui m'a poussée à un tel acte, n'est pas l'œuvre d'un inconnu solitaire : c'est celle de la collectivité qui m'a vu grandir. Elle n'est pas née d'un claquement de doigts : elle s'est longuement nourrie de tous ces regards. Si elle était invisible aux yeux des autres, c'est parce-qu'elle me rongeait insidieusement de l'intérieur, ne laissant que douleur et désespoir sur son passage.
Je ne vous demande pas de comprendre mon choix. Ni de le respecter. Cette putain de vie aura au moins le mérite de m'avoir appris une chose : le regard de l'autre est bien le pire poison qui puisse exister. C'est ce regard qui crée les masques, qui est à l'origine de ce berceau d'illusions qu'est notre société.
« Louis est un lâche. »
« Louis est un imbécile. »
« Louis est un pervers. »
« Louis est un égoïste. »
« Louis est un salaud. »
Dites bien ce que vous voulez de « Louis ». Choisissez donc l'image qui vous arrangera, moi, je serai trop loin pour vous entendre ce ramassis de conneries. Enfin en paix.
Au moins, mon suicide apportera une certaine vérité : « les gens » parleront sur quelque chose que j'ai vraiment fait, et non sur une invention créée de toute pièce. L'hypocrisie ne viendra que par la suite, construite autour des rumeurs et des mensonges.
Vous vous demandez certainement pour quelle raison je diffuse ce dernier message sur Twitter. Je ne sais même pas pourquoi vous vous posez la question. Je ne fais que déposer mes dernières pensées sur ma tombe.
A celles et ceux qui ont construit mon cercueil, à coup de messages haineux, de regards écœurés, de rires malsains ; à celles et ceux qui ont malmené le hashtag #metoo sensé sauver des vies par la vérité et non en détruire par le mensonge : j'espère au moins que tout cela vous fera réfléchir. Si ce n'est pas le cas, je quitte ce monde pourri sans aucun regret. Ce monde pourri et ces putains de réseaux sociaux qui alimentent cette société de paraître. Bercez-vous d'illusions. Croyez en ce qui vous arrange. Continuez à voguer au gré des préjugés. Je ne veux plus me battre.
Je suis épuisé. La vie, trop cruelle, m'a épuisé. Je ne suis plus capable de porter ce masque, qui vous satisfait, mais qui me coûte.
J'espère emporter avec moi ce maudit masque souriant. Même si je doute qu'il puisse un jour se briser complètement. Car une fois que je ne serai plus là, il ira se reconstituer sur un autre visage.
C'est un cercle vicieux. Il y aura toujours des harceleurs et des harcelés, il n'en n'est pas possible autrement. C'est une loi inscrite dans la nature même de l'être humain.
Pardon Maman. Pardon Papa. Pardon Iris. J'ai bien vu que je vous causais beaucoup d'ennuis. Vous ne méritiez pas ça. En m'ôtant ainsi la vie, je vous libère d'un poids, celui qui était de vivre avec le doute quant à la véritable identité de « Louis ». Vous pouvez néanmoins être sûrs d'une chose : je n'ai jamais voulu faire de mal à quiconque, je n'ai jamais agressé personne. Si j'ai blessé, ce n'était pas volontaire. Pardon.
Enfin, pardon à celui qui prendra ma place. Pardon au prochain harcelé, à la prochaine victime de ce foutu système. Je n'ai pas su arrêter la spirale infernale de ce fléau. J'ai été trop faible. Je n'ai pas su résister à la tentation de trouver un monde meilleur, car le monde qui s'offrira à moi après ma mort sera forcément meilleur que celui que je fuis.
La Mort est absence de mensonges, absence de douleur. A quoi bon continuer à souffrir, quand la Mort peut nous délivrer de tout ce qui nous empoisonne ? A quoi bon s'accrocher à la vie quand on peut se libérer de l'emprise de son regard destructeur ?
« Louis » »
Texte de C1oown (C1oown)
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