Légende d'hiver
Il y a fort, fort longtemps, dans un royaume du Nord, vivait une petite ondine. C'était l'époque bénie où les humains étaient encore capables de percevoir les esprits de la Nature. Les divinités étaient honorées et l'ordre naturel respecté...
La chanson de la Terre résonnait au fil des saisons et les hommes portaient la voix de la Grande Déesse dans leur coeur.
La jolie ondine s'était endormie, un beau matin d'automne, dans une petite grotte tapissée de mousse verte, un petit terrier chaleureux, non loin de sa source. Elle avait dormi, dormi, dormi... et ne s'était pas réveillée quand le froid implacable avait étendu son large manteau de neige.
Seule la langue râpeuse et tiède d'un renard blanc parvint à la tirer du monde des rêves... Elle s'étira longuement et constata que le paysage autour d'elle était d'une blancheur aveuglante. Elle sortit de sa grotte en hâte, inquiéte du silence ouaté qui pesait sur le monde et étouffait les bruits des vivants... Et sa source ! La mélodie de son eau s'était tue... sa source avait gelé ! Le cri désespéré, qu'elle lança dans la forêt, fit fuir le jeune renard.
Elle resta seule face à la sculpture glacée que les eaux prisonnières dessinaient entre les rochers noirs.
Alors, elle courut, courut, courut jusqu'au grand lac dans lequel son ruisseau s'écoulait d'ordinaire. Arrivée sur ses berges, elle eut le souffle coupé devant ce large miroir qui resplendissait sous les faibles rayons du soleil.
Où étaient ses sœurs, les autres nymphes aquatiques ?
Elle appela, appela, appela... Mais seul l'écho triste lui répondit.
Chaque hiver, ses sœurs et elle se laissaient glisser jusqu'au grand lac et, emprisonnées dans un écrin glacial, elles hibernaient jusqu'au retour du printemps rieur. Mais la petite ondine avait manqué l'appel annuel car elle avait trop dormi. Ses sœurs étaient captives de leur sommeil de glace dans les profondeurs du grand miroir... Ses plaintes ne pouvaient pas les atteindre.
La malheureuse ondine s'en alla dans les bois... Ses petits pieds laissaient des empreintes légères dans la neige fraîche. Elle retourna dans sa grotte, bien décidée à attendre le réveil de la Nature.
Mais plus les jours passaient, plus elle s'affaiblissait.
Une ondine a besoin de lumière et de son eau pour se régénérer. Or, notre pauvre héroïne était privée des deux...
Le jour le plus court de l'année arriva bientôt et avec lui le début véritable de l'hiver. Ce jour de solstice fut cruel pour notre ondine... Quand vint la nuit, elle crut qu'elle vivait ses derniers moments. Elle n'avait pas reçu assez de lumière ! La journée avait été si courte !
Ses longs cheveux bleus pendait tristement autour de son visage blême. Assise sur la pierre froide, elle avait entouré ses genoux de ses bras diaphanes.
Elle pleurait.
Elle pleurait des larmes d'eau douce qui gelaient sur ses joues, scintillant comme de petits diamants bruts.
Elle pleurait sa solitude et la mort de la lumière.
Elle prit alors une décision incongrue pour un esprit de la Nature. Elle se leva avec peine et marcha en direction du village des hommes pour chercher du réconfort auprès d'eux.
A l'entrée du hameau, une petite bergerie montait la garde et veillait sur les autres habitations. Elle n'était pas bien grande mais elle paraissait si confortable et si accueillante avec sa douce lumière qui filtrait entre les volets.
Grelottante, la petite ondine frappa à la porte en bois et la bergère vint lui ouvrir malgré l'heure tardive.
C'était une jeune fille magnifique, aimée de tous. Une grande bienveillance irradiait de son visage, éclairait ses immenses yeux marron. Cette jolie bergère, que ses parents avaient nommée Mélissa car elle avait la douceur du miel, prit aussitôt dans ses bras la petite déesse chancelante. Elle l'entraina auprès du feu et couvrit sa nudité d'une couverture moelleuse, confectionnée avec la laine de ses moutons.
Elle la réchauffa comme elle le put et écouta son histoire, entrecoupée de ses pleurs.
La malheureuse ondine, qui ne connaissait pas le solstice d'hiver, était persuadée que la lumière avait disparu à tout jamais et qu'elle ne reviendrait plus. Inconsolable, elle pleurait la perte du soleil.
Mélissa lui expliqua que c'était normal et que, dès le lendemain, les jours s'allongeraient de nouveau jusqu'au retour du printemps insouciant. Mais la nymphe ne la croyait pas car l'obscurité rongeait sa chair, son cœur, son âme.
Alors, Mélissa alluma des bougies dans toute sa maison... Des dizaines et des dizaines de bougies pour rallumer la joie de l'ondine et lui offrir la lumière. Des bougies, symboles du retour de la chaleur et de l'été... Le petit visage triste s'éclaira à la vue de toutes ces lumières qui dansaient dans la bergerie.
Un sourire s'étira petit à petit sur ses lèvres bleues et une lueur brilla enfin dans ses yeux sombres. Elle sentit ses forces revenir et elle retrouva l'espoir d'un monde plus chaleureux.
Elle passa le reste de la nuit en compagnie de Mélissa, à boire du lait frais et à chanter de vieux airs de transhumance. Les lumières féériques des bougies et l'odeur apaisante du sapin, que la jeune bergère gardait dans un grand pot au milieu du salon, berçaient l'esprit de la déesse. Elle avait l'impression d'être choyée et de se prélasser dans un cocon tout doux...
Le lendemain, la petite fée des eaux prit congé de sa nouvelle amie. Mélissa avait insisté pour qu'elle passe le reste de l'hiver au chaud en sa compagnie. Mais un esprit de la Nature dépérit s'il reste trop éloigné du lieu auquel il est rattaché.
Quelques jours plus tard, cependant, la jolie bergère eut la surprise de trouver la petite ondine sur le pas de sa porte. Elle avait ramassé des bouts de bois et les avait disposé en forme d'étoile. Puis, elle avait recouvert cette sculpture d'une épaisse couche de glace : son pouvoir avait fait jaillir de l'eau qu'elle avait transformée en glace éternelle.
Quelle étoile sublime ! Si pure !
Elle brillait dans le soleil hivernal sous les yeux émerveillés de Mélissa.
La petite ondine lui offrit l'étoile pour la remercier de sa gentillesse. La jeune bergère, émue, alla la placer au sommet de son sapin.
Mélissa raconta cette histoire aux autres habitants et ceux-ci décidèrent que chaque année, le 25 au matin, ils s'offriraient des cadeaux pour honorer l'esprit de l'ondine et la gentillesse de la bergère.
Chaque année, ces cadeaux montraient qu'au plus froid de l'hiver, qu'à l'heure la plus obscure de la nuit, une main amicale, une maison accueillante et la chaleur d'une bougie apportaient la lumière au cœur le plus solitaire.
Car les brumes de l'Hiver ne sont pas éternelles et le Printemps joyeux revient toujours.
FIN
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