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77-

La chaleur du bar réchauffa immédiatement mon visage gelé alors qu'à l'extérieur tombait une pluie fine et verglacée en ce mois de novembre. Je retirai mon bonnet tandis que la serveuse s'inclinait pour me souhaiter la bienvenue, puis ébouriffai mes cheveux nouvellement blonds.

Cela faisait une éternité que je ne les avais pas décolorés. Cette fois, c'était une idée de Kai lorsque je lui avais appris que j'avais décroché le rôle du « Petit Prince », il y a un mois.

Il avait débarqué chez moi avec Taemin hyung, armé de produits décolorants. Si Kai n'avait pas tout à fait réussi à restituer de mémoire Yoongi hyung, Taemin hyung, lui, avait plutôt été relativement froid durant toute la soirée. Néanmoins la bonne humeur contagieuse de notre ami et sa bêtise avait réussi à détendre l'atmosphère. J'avais donc fini blond.

Malheureusement j'allais devoir entretenir ma couleur jusqu'à la fin du mois, date du spectacle.

— Jimin !

Je tournai la tête en retirant mes gants avant que mon visage ne se fende d'un grand sourire et que j'avance jusqu'à lui.

Namjoon se leva de son siège pour me saluer et on se fixa, un peu amusés, un peu gênés avant de s'offrir une accolade brève qui voulait dire tant de choses. Comme si par ce biais, nous ramenions au présent notre histoire passée.

Je m'assis en défaisant ma veste, un bomber noir épais que hyung ne cessait de me piquer à l'appartement en stipulant qu'il « n'avait rien à se mettre ».

Conneries.

— Comment tu vas ?

On avait parlé en même temps et je me mis à pouffer, gêné, et lui se frotta distraitement la nuque.

— Vas-y je t'en prie, hyung, l'autorisai-je.

— Tu es superbe.

Je sentis mes joues me brûler et me mordis la lèvre en détournant les yeux.

— C'est gentil.

Mes yeux parcourent lentement son visage et son buste. Voilà presque cinq ans que je ne l'avais pas vu et pourtant, rien qu'en le regardant aujourd'hui, j'osais encore admettre à quel point il correspondait totalement et physiquement à mon idéal de beauté.

Namjoon était superbe, les cheveux un peu plus longs qu'il y a quelques années, colorés dans un gris plutôt doux, il portait des vêtements sombres, basiques mais très chics. Ce hyung m'avait plu dès l'instant où je l'avais vu. Physiquement, j'aimais les hommes assez grands, bien bâtis, aux proportions dignes de mannequins mais au visage mignon.

Même après cinq ans, le magnétisme et l'élégance qu'il dégageait me faisaient un petit quelque chose.

— Je t'avoue que recevoir un message de ta part m'a surpris, m'annonça-t-il en hélant la serveuse.

— Que je te recontacte, tu veux dire ? l'interrogeai-je en montrant ma commande sur la carte.

Je préférais montrer le cocktail que je désirais plutôt que le dire à voix haute.

Sérieusement, pourquoi les meilleurs cocktails devaient-ils tous être aussi gênants à dire à haute voix ? Je n'osais même pas imaginer prononcer : « Je vais prendre un Sexy Porn Star, s'il vous plaît ».

Enfin si.

Mais non.

Enfin, bref.

— D'avoir de tes nouvelles, reprit-il, mais aussi de savoir que tu étais avec hyung.

Namjoon croisa les bras, ses yeux pétillants me fixaient avec curiosité :

— Alors toi et Yoongi hyung vous...

— Êtes colocs, terminai-je à sa place.

— Colocs ? répéta-t-il vraiment surpris. C'est un nouveau terme à la mode pour dire que vous... ?

— On est juste colocs.

Cette fois-ci, ma voix avait été plus nette et ferme.

— Ne t'imagine pas quoi que ce soit, nous partageons uniquement le même appartement.

— Donc vous n'êtes ni des plans culs, ni des amis, ni des petits-amis ? interrogea-t-il.

— C'est ça, on est juste des colocataires.

Et c'était déjà beaucoup de choses en soit.

J'attendis que mon cocktail soit servi, agrémenté d'une paille en bambou, alors que hyung se contentait d'une simple pinte de bière brune.

— Je me suis permis de te contacter car je ne savais pas à qui d'autre demander ça.

— J'ai déjà anticipé ce que tu allais me proposer, me répondit-il en faisant trinquer nos verres.

Je pris une gorgée, fermant les yeux et adorant sincèrement le mélange de jus de fruits, d'alcool et de sucre sous mes papilles.

— Hyung m'a dit que tu avais rejoint une agence de musique, lançai-je.

— Ce n'est pas un label très connu, répondit-t-il avec modestie. Je suis surpris que Yoongi hyung t'ait parlé de moi.

— Il n'en parle pas ou très peu, disons que je pose des questions et qu'une fois sur deux il me répond. Je lui ai demandé ça il y a quelques semaines parce que j'ai voulu lui acheter un synthétiseur... À l'endroit où je travaille il y avait une annonce pour vendre du matériel d'occasion.

— Et il a voulu que tu en achètes un ? me demanda sincèrement Namjoon, très intéressé par la conversation.

— Il m'a envoyé chier.

On se mit à rire mais je repris la parole, après une nouvelle gorgée de ce délicieux cocktail au nom vraiment gênant :

— Est-ce que tu penses que tu pourrais faire entrer hyung dans ta compagnie ?

Cette fois-ci Namjoon grimaça sans pour autant paraître surpris. Dans cette atmosphère assez intimiste au milieu de ce bar aux tons sombres, il ressemblait au propriétaire des lieux tant sa prestance et ses vêtements lui donnaient l'air d'un jeune milliardaire sortant d'une école privée.

Il fallait que j'arrête de fantasmer.

— Je savais que tu allais me demander ça... marmonna-t-il.

— Hyung, je sais que ça te parait directif mais je pense sincèrement que pour que Yoongi hyung aille mieux, il faut remettre la musique dans sa vie.

Il ne répondit pas mais j'insistai :

— Tu le connais depuis longtemps, tu connais aussi son amour pour la musique, sa capacité, son talent et son potentiel...

— Je connais aussi ses comportements destructeurs, sa tendance à tomber dans la drogue et l'alcool.

Je baissai la tête sans réussir à ajouter quoi que ce soit.

— Je ne sais pas Jimin, avoua-t-il d'un air désolé.

— Qu'est-ce que tu ne sais pas ?

— Hyung et moi on est fâchés.

— Fâchés pour quoi ?

Il évita mon regard avant de marmonner :

— Je ne sais plus... Disons qu'à un moment j'ai voulu l'aider mais il était tellement défoncé tout le temps que j'ai fini par ne plus le supporter...

Il souffla, les yeux dans le vague. J'allais insister, développer mes arguments durement répétés durant la journée, mais la serveuse nous interrompit en posant l'addition sur la table :

— Voilà votre addiction pour une pinte de bière brune et un Sexy Porn Star.

À l'entente du nom du cocktail, j'eus envie de l'insulter de tout mon soûl.

Hyung parut très amusé de ma réaction et je détournai le regard, gêné, avant de chercher mon portefeuille.

— Laisse, je t'invite, m'annonça-t-il.

J'eus beau refuser, il paya rapidement et la serveuse disparut derrière le comptoir.

— Il est bon au moins ?

— De qui ?

Il éclata de rire, faisant agrandir ses fossettes :

— Ton cocktail.

Il fallait que j'arrête immédiatement de me ridiculiser.

Son regard pétillant croisa le mien et il murmura d'un ton assez grave :

— Tu n'as pas changé.

— Toi non plus, répliquai-je.

Je savais qu'on filtrait mais je ne pouvais pas m'en empêcher, c'était comme si tout mon corps réagissait en miroir de ce que je voyais et étonnement, jouer ce jeu me plaisait, me faisait sentir bien.

Néanmoins Namjoon reprit son sérieux :

— Je vais essayer, je ne te garantis rien, je ne sais même pas si j'arriverai à convaincre les gens de l'agence mais... peut-être qu'ils voudront le mettre à l'essai.

J'eus soudain envie de me lever, les deux poings en l'air, et hurler « YES ! » mais me retins en buvant une gorgée de ma boisson.

— Merci beaucoup hyung, tu n'étais pas obligé.

— En réalité, merci à toi.

Il joua avec le dessous de son verre posé sur le bois du comptoir et je me mis à craindre que la bière ne soit renversée avant la fin de la soirée. Heureusement, il semblait connaître ses limites et sa maladresse légendaire en s'interrompant :

— En un an et demi je n'ai jamais osé prendre des nouvelles de hyung... Parfois je culpabilisais, me demandant ce qu'il devenait, s'il... s'il était mort...

Ses yeux se relevèrent vers les miens :

— J'ai mis ça à distance, j'ai eu beau essayer de l'aider ça me coûtait beaucoup trop. C'était difficile, épuisant, stressant... J'ai été assez lâche en fin de compte.

— Tu n'as pas été lâche, assurai-je.

— Si, je l'ai été. Je m'en suis un peu voulu mais je savais aussi que c'était une défense, une protection pour ne pas me retrouver enseveli, à porter à bout de bras quelque chose que je n'étais pas capable de faire. Mais toi tu l'as carrément fait sortir de l'hôpital psychiatrique pour le prendre chez toi.

— Faut être cinglé, hein ? ironisai-je.

— Il faut être courageux.

Puis il ajouta :

— Je n'imagine pas à quel point ça a dû être difficile pour toi...

Je détournai le regard, frottant mes mains sur mon pantalon. Je me revoyais encore, au début, être sans cesse stressé, inquiet, tétanisé, effrayé... Jusqu'à l'épuisement. Puis je nous revoyais récemment partager le canapé, les bières, rester ensemble, commenter les matchs de baseball, s'organiser sur les tâches ménagères, parler un peu et se chamailler beaucoup...

— Ce n'est plus aussi difficile... avouai-je. C'est même assez cool maintenant qu'on a dépassé ce cap-là.

— Je ne sais pas quoi te dire, Jimin, avoua-t-il. J'ai bien du mal à comprendre votre relation de « colocataires ».

— Ce n'est pas une « relation », répondis-je. On vit ensemble, chacun dans sa chambre, parfois on est comme deux inconnus, parfois on a besoin de s'engueuler pour se faire comprendre, on a besoin de se faire des crasses aussi mais j'ai davantage l'impression que c'est plus amical que malveillant...

Je me mis à sourire :

— Il m'a énervé hier soir, j'ai coupé l'eau chaude quand il prenait sa douche.

Les sourcils de Namjoon se relevèrent d'amusement.

— Il l'a mal pris je suppose ?

— Très mal pris, mais ça a été assez drôle de le voir sortir à moitié à poil, trempé et gelé jusqu'à l'os pour me courir après dans le salon.

On commença à rire avant que je ne reprenne :

— Il s'est vengé, ce matin impossible de mettre la main sur ma brosse à dent et je crains que d'autres de mes affaires finissent dans la cuvette des toilettes... C'est puéril, hein ?

— C'est amusant. Il sait qu'on se voit ?

— Non... il ne sait pas non plus ce que je te demande, marmonnai-je en détournant encore les yeux.

Cette fois, Namjoon fit la grimace :

— Ça, ça ne va pas lui plaire...

— Je trouverai un moyen. Je craignais qu'en l'informant dès maintenant il se mette réellement en colère ou pire, qu'il fasse une crise d'angoisse... Il a du mal à gérer les émotions fortes et il aurait tout fait pour que je ne fasse rien quitte à flinguer ses propres chances.

Je me figeai brusquement, une pensée me traversant rapidement, instantanément, et sans réfléchir davantage je prononçai :

— Hyung, Hoseok va se marier.

Une fois encore Namjoon fut surpris mais cette fois ses bras se décroisèrent et il se cala contre le siège :

— Eh bien tant mieux pour lui.

Mon esprit fit plusieurs connexions et je repris, soudainement :

— Tu m'avais bien dit, à l'époque, que tu avais été ami avec lui ?

— Oui et non, on a été dans le même lycée, hyung, Hoseok et moi. De là à dire qu'on était des amis... répondit-il dans un geste évasif de la main.

— Hoseok va se marier et ça a ébranlé Yoongi hyung, avouai-je, le mariage approche et je sens que ça a un effet sur lui et sur son moral.

— Je ne suis pas surpris.

Je me mordis la lèvre avant de décroiser mes jambes :

— Ils étaient ensemble, lui et Hoseok, n'est-ce pas ?

Namjoon bougea un peu :

— Je ne crois pas, du moins je n'aurais pas appelé ça un « couple » à proprement parler. Ils couchaient ensemble, ça je m'en rappelle très bien puisque je les ai surpris une fois.

Il se massa les paupières comme pour faire disparaître l'image sur sa rétine.

— Mais de là à dire qu'ils étaient ensemble, je ne pense pas. Hyung suivait Hoseok partout, il se dévouait à lui, il aurait pu tout faire pour lui.

— Et Hoseok se servait de lui ?

Cette fois mon interlocuteur à la peau légèrement dorée fronça les sourcils :

— Je ne pense pas que tu cernes bien qui était Hoseok. C'était vraiment la personne la plus populaire du lycée, excellent élève, excellents résultats, excellente capacité sportive, sociable, aimable, serviable, enthousiaste... De notre lycée il était la star, il parlait à tous et à tout le monde, même à moi, le geek du fond de la classe qui écrivait des textes dans mon coin. Il y avait beaucoup de gens qui ne juraient que par lui, qui se souciaient de lui mais jamais il ne m'a paru malveillant.

— C'était peut-être un masque, éludai-je.

— Pourquoi veux-tu qu'il soit si méchant ?

Je détournai le regard.

— Hoseok était ambitieux et il l'est toujours je suppose. Je suis sûr qu'il entrera en politique un jour. La seule chose qu'on peut lui reprocher c'est qu'il s'éparpillait, à force de fréquenter tout le monde, de parler et de donner de l'attention à tous un tas de personnes. Il y avait finalement peu de gens sur lesquels il pouvait compter.

— Pourquoi tu n'étais pas son ami alors ?

— On l'a été, du moins à mes yeux. Mais à la fin du lycée il s'était déjà projeté loin dans le futur et il commençait à se rapprocher des personnes qui pouvaient potentiellement le faire grimper dans les échelons de la société.

— Donc il se servait des gens et ils les jetaient quand il n'avait plus besoin d'eux ? grognai-je.

— Le monde ne fonctionne-t-il pas comme ça ? Pour réussir dans certains milieux il faut avoir un réseau, des contacts... Avait-il le choix ? Jimin, chaque personne fonctionne différemment et chaque personne interprète les relations sociales humaines à sa guise. Hoseok n'est pas une mauvaise personne, à moins que tu stipules que tous les gens ambitieux le sont. Il a dû faire des choix, qu'ils soient professionnels ou sociaux. Mais s'il y a eu une histoire entre lui et Yoongi hyung, il n'y a qu'eux qui peuvent en parler.

— Pourtant beaucoup de choses ont l'air de dépendre de l'amour qu'Hoseok portait ou non à hyung ?

— C'est lui qui t'a dit ça ?

J'acquiesçai doucement.

Namjoon se mordit la lèvre :

— Ça date le lycée maintenant, mais je me souviens que Yoongi hyung était très effacé, très mal dans sa peau. Il avait un an de retard et on disait de lui que c'était un mec placé en famille d'accueil et je n'ai su que bien plus tard que c'était vrai. Il collait Hoseok tout le temps, le suivait comme son ombre et ne supportait pas que quelqu'un d'autre l'approche, c'était un peu flippant parfois... On est devenus amis plus tard, quand il a commencé à s'émanciper et à écrire et s'intéresser à la musique. Pour le reste, je ne sais rien de plus... J'ai longtemps cru que Yoongi hyung avait fini par vivre indépendamment d'Hoseok, notamment à la fac mais si, comme tu le dis, l'annonce du mariage l'a ébranlé c'est qu'au final peu de choses ont changé avec le temps.

Il m'envoya un regard sévère :

— Est-ce vraiment si important de parler d'Hoseok et de hyung ? Ça les regarde après tout...

Je haussai simplement les épaules pour passer ma gêne.

J'avais réellement envie de savoir le fin mot de cette histoire.

— Parle-moi plutôt de toi, tu ne m'en as pas dit assez au téléphone. Tu as réussi à monter sur scène alors ?

— J'ai auditionné et j'ai été pris pour un rôle principal dans l'adaptation du « Petit Prince ». C'est juste un petit spectacle, hasardai-je, on a un contrat avec quatre petites salles de spectacle réparties sur le mois. On n'attend pas grand monde...

J'avais beau essayer de rester objectif, mon sourire ne faisait que se renforcer et je décoiffai mes cheveux d'une main :

— Mais je suis heureux, même si ça peut paraître un peu ridicule comme situation, je vais pouvoir danser sur scène.

— Je viendrai te voir.

On se renvoya un sourire et je sentis un doux étau invisible m'encercler.

— Merci hyung... Ramène des amis, ta famille, n'importe qui... Après tout je doute que la salle soit remplie, la compagnie n'a pas assez de moyens pour faire de la pub, on n'a pas beaucoup de décor ni de costumes...

— Je suis sûr que les gens vont venir, tu as du talent Jimin, assura-t-il.

J'essuyai le compliment sans y croire et l'apostrophai :

— Et toi, alors ? La musique ? L'album ? La carrière ? Les fans ?

— Doucement, m'arrêta-t-il en riant, je pense sortir une mixtape d'ici le début d'année et si c'est bien reçu par le public, m'attaquer ensuite au premier album. L'agence me laisse vraiment écrire des paroles et composer moi-même. J'ai énormément d'idées.

— Je suis sûr que tu y arriveras aussi... Deviens vite riche et connu comme ça je pourrai crâner devant mes amis d'être sorti avec toi par le passé.

On se mit à rire puis la soirée se poursuivit.

On parla de choses diverses, de la vie de Tae qui partait pour le Yémen dans une semaine, au travail de Yeri, en passant par la fascination qu'on éprouvait pour la carrière incroyable de Jungkook jusqu'à la rencontre de Namjoon hyung avec Jackson dans une soirée et le coup de foudre amical qui avait eu lieu.

Mon ancien colocataire hongkongais était dans la musique aussi mais dans une autre agence, néanmoins j'avais été très surpris d'entendre qu'il s'investissait dans le mouvement LGBT+ sans s'inquiéter des retombées ni de la haine à son encontre.

Comme quoi, les gens pouvaient vraiment changer.

En tout cas, j'allais pendre Bambam par la peau des couilles. Ce dernier nous cachait visiblement qu'il avait revu Jackson et apparemment plusieurs fois dans des situations où ils n'avaient pas besoin de vêtements, selon les dires de Namjoon.

Le sale petit cachottier.

Quand ce fut l'heure de se quitter, je me sentis étrange, nerveux et apaisé en même temps, désireux de continuer d'échanger tout en sachant très bien apercevoir la limite qui s'était naturellement imposée entre nous.

Notre propre histoire flottait autour de nous dans un nuage de non-dits mais elle n'était pas lourde à ressentir. Il n'y avait pas vraiment de regret, ni de négativité, seulement beaucoup de réminiscences de ce que nous avions été et ce que nous n'avions pas été ensemble.

À l'extérieur, sur le trottoir, dans le froid hivernal des rues éclairées par des néons, on se faisait face.

— Bon... eh bien... Bonne soirée Jimin.

— Toi aussi, hyung. Ça m'a fait plaisir de te voir.

— Moi aussi, faudra qu'on refasse ça un de ces jours.

C'était gênant et maladroit mais vraiment amusant et on ne cessait de pouffer comme deux adolescents. On avait beau approcher plus de la trentaine que de la vingtaine, on se comportait comme deux gamins. Je fis un mouvement de main et il me répondit. On s'éloigna doucement, prêts à s'enfoncer dans la nuit à la recherche d'un taxi.

Je me figeai, me retournant après avoir enfilé mes gants, à quelques pas, Namjoon avait lui aussi pivoté et, pris d'une pulsion, je partis en avant, m'avançant vers lui alors qu'il faisait pareil de son côté. On se rapprocha mutuellement avant de se serrer affectueusement dans les bras.

Je me mis à humer son odeur parfumée en fermant mes bras autour de sa taille, heureux et réconforté par un câlin.

C'était ce dont j'avais besoin.

De juste un peu de chaleur, un peu de quelque chose de beau et de bienveillant dans cette ambiguïté.

De la tendresse.

— Au revoir hyung.

— À bientôt Jimin.

On s'éloigna pour de bon cette fois, la tête pleine de souvenirs et le cœur plein de ressentis, ni amoureux, ni trop amicaux, ni trop charnels, un entre deux qui me plaisait vraiment.

Qui faisait taire ma solitude et réchauffait un peu mon cœur de pierre.

*******

Je sortis du réfrigérateur un pack de glace avant de faire claquer la porte et de claudiquer bon gré mal gré jusqu'au canapé de l'appartement. Lentement, je posai le sac glacé sur mon genou et soufflai de bonheur.

La première du spectacle était dans dix jours.

Dix jours seulement et j'avais un peu trop forcé sur les entraînements.

Tout était prêt ou presque.

Le problème était la présence constante de Seongwha, le fameux danseur dont j'avais été persuadé, au départ, qui serait celui qui aurait le rôle.

Et à qui je plaisais, accessoirement.

Seongwha avait eu des rôles secondaires, celui de l'aviateur et du renard. On travaillait souvent ensemble et même s'il ne me faisait pas de remarque, je voyais bien ses regards qui s'attardaient beaucoup sur mon corps.

Néanmoins il était très doué, plus doué que moi à la fois au théâtre et dans la danse, et ça me mettait continuellement la pression, je m'efforçais alors de m'entraîner plus durement.

Trop durement.

Mon genou me faisait mal et le chorégraphe avait dit qu'il fallait que je me ménage.

J'étais stressé.

Mais je ne pensais pas que ma journée serait plus stressante encore, si seulement la porte d'entrée ne s'était pas ouverte à la volée, telle une furie et que Yoongi hyung était rentré.

Il ne prit pas la peine d'enlever ses chaussures, grimpa l'unique marche de séparation entre le perron et le reste de l'appartement et avança à grands pas dans ma direction alors que je tentais toujours de maintenir le sac de glaçons sur mon genou douloureux. Le corps de mon aîné était tendu, ses yeux écarquillés et son visage semblaient traversé par une colère sourde.

Il respirait fort comme s'il essayait de se contenir et sa voix vibra tandis qu'il se mettait à crier :

— Putain de Park de mes couilles ! Mais pour qui tu te prends, au juste ?

— De ? fis-je mine de ne pas savoir.

— Ne joue pas à ça avec moi !

Je le fixai, debout devant moi alors qu'il semblait peiner de toute sa volonté à garder le contrôle, à tenter de gérer ses émotions.

Son corps tremblait et je ne savais pas s'il voulait se jeter sur moi pour me frapper ou se frapper lui-même.

— Tu as vu Namjoon ? hasardai-je d'une petite voix.

Il prit une grande inspiration erratique avant de pointer un doigt accusateur vers moi :

— Ne franchis pas la ligne, Park. Ne franchis pas cette putain de ligne ! On a fixé les limites !

— Je ne franchis rien du tout. Hyung, écoute-moi...

— Va te faire foutre !

Mais il fit volte-face et j'entendis la porte de sa chambre claquer à en faire trembler les murs. Le reste des minutes s'écoula dans un boucan infernal.

J'attendis, longtemps, m'occupant de mon genou avant que la porte ne se rouvre.

— On peut parler ? proposai-je.

— Ta gueule.

Je soupirai bruyamment en le regardant s'agiter dans la cuisine, ouvrir les portes de placard durement, chercher un verre d'eau, arracher son médicament de sa plaquette, verser l'eau du pichet puis boire.

Il resta debout, les bras tendus sur le rebord de l'évier et je me levai doucement, ma douleur au genou commençait à passer.

— Je sais que j'aurais dû te prévenir, commençai-je.

— Ferm...

— Je suis désolé d'avoir agi de la sorte. Mais je sais aussi que ni toi ni Namjoon hyung n'auriez fait un pas vers l'autre si j'avais essayé de vous mettre en contact autrement.

— Mêle-toi de ton cul, Park, c'est la dernière fois que je le dis.

— Hyung écoute-moi, murmurai-je doucement, je pense que tu as besoin de la musique dans ta vie. Tu es fait pour ça, tu as envie de ça... ça met du sens à ton quotidien, n'est-ce pas ce que la psy t'a demandé de trouver ?

Il ne répondit pas, les bras toujours tendus devant lui, le corps incliné, les cheveux en bataille.

Il faisait peine à voir.

— J'avais envie de t'aider mais la décision te revient et puis c'était aussi un désir égoïste de ma part de vouloir revoir Namjoon hyung...

Il ne bougea pas, ce fut comme si le temps s'était figé et je me mordis la lèvre :

— Je ne franchirai pas la ligne, je veux juste qu'on s'encourage et qu'on s'aide mutuellement dans nos choix de vie.

Puis j'ajoutai lentement :

— Je veux que toi aussi tu sois grandiose, hyung.

Cette fois-ci, il fit un mouvement, son visage pâle marquant la surprise et ses yeux foudroyèrent les miens sans que je ne parvienne à y lire quoi que ce soit. Il se releva et marcha jusqu'à sa chambre avant de s'y enfermer.

Il ne resta plus que le silence, moi et mon genou défectueux.

Il y avait du progrès.

*******

Mes yeux s'écarquillèrent de stupeur, mon cœur s'emballa, mon souffle se coupa et je me relevai de mon lit, un pyjama débraillé sur le dos, pour traverser le couloir qui séparait ma chambre de la sienne et sans même frapper je surgis à l'intérieur dans la pénombre.

— Hyung !

Il était à demi allongé dans son lit, envahi par les oreillers, et il releva la tête, les yeux plissés, tandis que des écouteurs pendaient à ses oreilles. Je me précipitai sur son lit et il se releva en crachant comme un chat sauvage :

— Park, qu'est-ce que tu fous sur mon lit ? Dégage-de là, bordel !

— Hyung, regarde ça ! Regarde !

Je lui plantai mon téléphone sous les yeux et il fit la grise mine avant d'y jeter un coup d'œil apathique.

— Bah quoi ?

— Il y a 12 000 vues, 12 000 !

Nos regards se croisèrent et il leva un seul sourcil :

— Et ?

— Hyung, cet extrait vidéo du spectacle où je danse a été vu par douze mille personnes, non mais tu te rends compte ?! m'emportai-je.

— Ouais... cool pour toi... marmonna-t-il platement. Tu peux dégager de mon lit maintenant ?

Je m'assis sur mes cuisses pour lui faire face, j'avais l'air échevelé après une journée de travail en plus des répétitions, en plus des courses, et à l'approche de minuit j'avais consulté la vidéo que Kai avait filmé trois semaines auparavant.

Évidemment, notre petit spectacle n'avait pas attiré les foules, il y avait eu pas moins d'une trentaine de personnes le premier soir, principalement des amis et des collègues, puis vingt-deux le deuxième ; le week-end suivant et samedi dernier seulement dix personnes. Il nous restait encore une date dans deux jours mais pour les quelques danseurs que nous étions c'était assez démotivant tout en étant stressant.

Pour ma part, je m'accrochai à l'idée que je m'y étais préparé, je ne dansais pas pour rencontrer le succès en priorité mais bien pour être sur scène, interpréter quelque chose, vivre ce sentiment extraordinaire de sortir des coulisses, d'arriver sous les projecteurs et de sentir le regard des personnes sur soi.

Je voulais davantage les impressionner et les fasciner que me faire aimer.

Mais voilà, la réalité était bien différente. Nous avions signé un contrat pour quatre spectacles et ça allait prendre fin dans deux jours. La directrice de casting m'appréciait, elle venait souvent nous voir aux répétitions et j'espérais qu'elle puisse bientôt me trouver de prochaines auditions à passer.

On avait peu de public et pourtant depuis quasiment un mois je me sentais bien, épanoui, moi aussi j'avais besoin de sens dans ma vie et là j'en trouvais. Pas à la hauteur de mes exigences, mais c'était suffisant.

Taemin hyung et Kai étaient venus m'encourager, mes dongsaeng étaient aussi venus le premier soir. Ten m'avait félicité à la fin et j'avais senti qu'il n'y avait plus vraiment d'animosité entre nous.

Jin hyung et Dasom allaient venir après demain soir, hyung m'avait envoyé un message peu après qu'il ait affiché sur notre groupe de discussion une photo de Dasom portant une bague de fiançailles.

Ça avait été la débandade dans les commentaires sur la conversation de groupe, même si Tae avait eu la nouvelle avec retard, les débordements de joie de Yeri et de Bambam avaient suffi à me faire rire.

C'était impressionnant comment le temps passait, comment les choses évoluaient. Jin hyung allait se marier d'ici un an, Sehun avait à présent un bras recouvert de tatouages et avait décidé d'ouvrir un salon sur Paris avec un ami français qu'il avait rencontré sur place il y a quelques mois. Yeri était une psychiatre épanouie mais débordée par la pénurie de ce type de professionnels sur la capitale française, Bambam travaillait toujours comme chirurgien plastique dans une clinique en Thaïlande mais se disait toujours prêt à revenir en Corée. Il m'avait même avoué qu'il était prêt à demander à son père de payer une partie d'un investissement pour ouvrir sa propre clinique sur Gangnam. Mon jeune dongsaeng thaïlandais ne parlait pas beaucoup de sa relation avec Jackson, il s'était fait incroyablement taquiner sur notre groupe de discussion, mais visiblement leur couple était tempétueux et compliqué.

Ce n'était pas vraiment rassurant.

Nous n'avions toujours aucune nouvelle de Jungkook. Il n'avait plus été actif sur le groupe depuis plusieurs années maintenant. Son visage, quant à lui, s'étalait même sur les magazines de mode à présent, il faisait partie du top 5 des personnalités les plus appréciées des coréens, du top 3 des hommes les plus en vue de la capitale et du top 10 des sportifs les mieux payés du pays. Les magazines à potins déversaient leurs articles à propos de rumeurs et de scandales sur sa jolie frimousse. Un tissu de mensonges. Ça n'enlevait rien à son talent et ses prouesses en baseball. Yoongi hyung était le seul à avoir des nouvelles mais il ne les partageait pas avec moi.

Ça me rassurait juste qu'ils se recontactent à nouveau, comme avant.

Tae, lui, était enfin arrivé au Yémen, il postait souvent des photos de paysage nous racontant les différentes boulettes et autres anecdotes maladroites qu'il faisait. On aurait pu en faire un livre tellement il lui arrivait toujours des choses improbables, comme se réveiller avec une vache dans sa tente par exemple... En tout cas, il semblait s'être trouvé un nouveau hobby dans la photo, utilisant à bon escient l'appareil qu'on lui avait offert avant son départ. Parfois je recevais des cartes postales qu'il faisait lui-même sur les villes qu'il voyait. J'avais commencé à toutes les accrocher sur un pan de mur du salon de la même manière que Yeri l'avait fait. On s'envoyait régulièrement des photos de nos décorations respectives et je lui piquais des idées tandis qu'elle copiait les miennes.

Bref, Kai avait filmé un bout du spectacle lors de ma dernière prestation et, sans me demander mon avis bien évidemment, avait décidé de la mettre sur YouTube et de la partager avec ses contacts. Monsieur faisant partie d'un crew professionnel, j'avais rougi de gêne en l'imaginant radoter et dire à tout son groupe de danseurs d'aller regarder « sa fleur des îles » incarner le Petit Prince.

Ma danse n'était pas encore suffisamment parfaite pour ça.

Yoongi hyung, lui, n'était pas venu me voir. Du moins pas encore. Monsieur travaillant les soirs et les nuits, il ne s'était pas libéré pour venir.

Je ne lui en voulais pas, le contraire m'aurait davantage étonné.

— Lis les commentaires, intimai-je. Regarde, ils disent des choses si gentilles...

— J'ai autre chose à foutre, Park.

— Comme ?

— Comme dormir par exemple.

— Ça va te prendre trente secondes ! insistai-je.

Hyung avait toujours son air circonspect, calé contre sa tête de lit, il finit par soupirer bruyamment :

— Un, deux, trois...

Il compta jusqu'à trente en faisant défiler les quelques commentaires. Lorsque son timing fut atteint, il lâcha :

— J'ai lu, bonne nuit.

— Tu ne trouves pas ça, incroyable ? m'écriai-je. T'imagines l'effet que ça fait de recevoir des compliments, des retours sur sa danse, d'être flatté par...

— J'ai compris. Maintenant dégage de mon lit.

Je m'allongeai directement sur son matelas et continuai de lire et relire les commentaires sans me préoccuper des râlements insultants que hyung avait envers moi.

« Il danse vraiment bien, c'est quel spectacle ? »

« Il est beau. »

« On dirait carrément le petit prince... »

« Il n'est pas un peu trop maigre ? Mais sinon j'adore ce qu'il fait. »

« C'est carrément mon type de mec. Quelqu'un sait qui il est ? »

« Franchement j'adore sa manière de danser, il a du potentiel. Où est-ce qu'on peut aller le voir ? »

Hyung avait fini de râler et s'était calé dans un coin de son lit. Le silence s'éternisa tandis que mes yeux parcouraient chaque mot. Puis je laissai tomber mon téléphone sur mon torse et en observant le plafond marmonnai :

— Hyung ?

Un grognement désagréable me prouva qu'il ne dormait pas encore.

— Tu crois... hésitai-je, tu crois que ça veut dire quelque chose ? Que c'est positif pour la suite et le spectacle ? Ou c'est juste du vent et qu'il ne faut pas que je m'emballe ?

Il ne me répondit pas et on s'endormit comme ça dans la pénombre, sans dire un mot.

*******

Je tremblais, de tout mon corps, de toute mon âme.

Mes cuisses bougeaient sans interruption et assis, le corps penché en avant, le visage dans les mains, je tentais de reprendre ma respiration.

Je retenais mes dents de claquer tant j'étais gelé par la peur.

Assis dans un coin des coulisses, je tentais de me préparer, en vain.

Un salarié de la salle de spectacle passa pour ouvrir la porte de l'unique loge :

— La salle est quasiment pleine.

Ça n'allait pas le faire.

Comment en étais-je arrivé là déjà ?

Comment de la petite salle de théâtre mal entretenue avec à peine une dizaine de personnes on avait pu remplir cette fois une salle de deux cents personnes ?

Trois mois s'étaient écoulés depuis que j'avais lu pour la première fois des commentaires en dessous de la vidéo YouTube de moi que Kai avait postée. Une nouvelle année avait débuté sous la neige. Je n'étais pas rentré chez mes parents pour le nouvel An comme la tradition l'exigeait, j'étais resté avec Yoongi hyung. On avait convenu sans trop en parler d'aller dîner quelque part, un restaurant pas cher tenu par une ahjumma et on avait bu pas mal de soju.

C'est ronds comme des queues de pelles qu'on était rentré à l'appartement. On avait pour une fois passé un bon moment, beaucoup ri, calés devant un feuilleton de fin d'année romantique et on n'avait pas arrêté de faire des commentaires moqueurs et puérils avant d'aller se coucher.

Depuis un mois, hyung, lui, était à l'essai dans le label musical dans lequel se trouvait Namjoon. Si au départ ça avait été difficile pour lui, ça se passait à présent mieux même s'il ne m'en parlait jamais. Les retours que j'en avais venaient de Namjoon hyung car nous nous contactions assez souvent. Néanmoins, je voyais un Yoongi hyung transformé et sans cesse en train d'écrire dans un carnet diverses choses. Il avait même investi dans du matériel de mixage. On avait reçu des tas de colis de chez Amazon et ça avait eu l'air de ressembler au Noël des étrangers.

Il n'avait manqué que le sapin.

Évidemment on se disputait toujours, mais il n'avait fait qu'une seule crise d'angoisse le mois dernier.

Malgré tous ces changements ces trois derniers mois, la colocation continuait de fonctionner. Nous arrivions à trouver une manière de vivre et de s'accorder sans perfection.

Je n'aurais jamais cru que les choses puissent aller si vite avec les réseaux sociaux. J'en utilisais pourtant, régulièrement, mais le vivre était une autre expérience. De ce fait je n'aurais jamais imaginé qu'une simple vidéo puisse devenir virale.

Nous avions terminé les quatre spectacles dans les petites salles sans grand succès. La compagnie avait tout de même payé un dîner aux quelques danseurs que nous étions et j'avais passé le reste de la nuit avec Seonghwa.

Mais rien ne laissait entendre qu'une semaine plus tard on nous rappellerait pour nous proposer de rejouer le spectacle dans une salle plus grande.

Et pourtant ce fut le cas, cinq fois de suite.

Rapidement les choses s'étaient enchaînées, le public aussi, les réseaux sociaux nous servaient de pub et de bouche à oreille, les retours sur notre prestation s'étaient étendus de plus en plus pendant trois mois.

Jusqu'à ce soir.

C'était le dernier spectacle et cette fois-ci il n'y en aurait pas d'autre.

La semaine dernière, la directrice de casting était venue me voir pour me proposer un nouveau projet. Un projet pour lequel je n'aurais pas à passer des auditions.

« C'est toi qu'ils veulent en rôle principal, mon trésor. » avait-elle dit.

Je détestais ce surnom de merde mais elle avait ajouté :

« Jimin, je vais faire de toi une étoile. »

Alors on en était là.

J'avais toujours insulté le karma de manière plutôt vulgaire mais je ne pensais pas qu'un jour il m'aurait à la bonne.

Et pourtant je restais là, tétanisé en coulisse deux minutes avant le lancement du spectacle. Mon genou me faisait un peu mal, mes épaules étaient tendues et j'étais mort de trouille.

J'avais toujours été stressé avant de monter sur scène mais là c'était pire. J'avais l'impression que quelque chose se terminait.

Et je n'étais pas doué avec ce genre de choses, les ruptures ça avait toujours été l'enfer pour moi. Or ici, il s'agissait d'une rupture avec ce rôle, avec cette petite pièce qui, mine de rien, avait fini par grandir de manière inespérée.

Je ne savais pas ce qui m'attendait après, beaucoup de choses, trop de choses. J'avais peur de tout ça.

J'avais peur de ne pas être à la hauteur.

Je reniflai, sentant mes yeux me piquer sans comprendre la raison pour laquelle j'avais envie de pleurer.

Et si je me plantais ?

— Deux minutes, m'informa la danseuse jouant le rôle de la rose non loin de moi.

Je relissai les plis de mon costume en prenant une grande inspiration tremblante.

Je sortis mon téléphone de ma poche pour aller le déposer près de mon sac, des messages sur le groupe clignotaient.

Tae : « J'espère que quelqu'un te filmera, je veux te voir ! Tu me manques. »

Bambam : « Hyung tu vas niquer la game ! »

Sehun : « N'oublie jamais tout ce dont tu es capable. »

Bambam : « Ok donc ma phrase vient de tomber à l'eau en fait... pourquoi vous écrivez des trucs aussi cool, aussi ? »

Sehun : « Parce que je suis cool. »

Bambam : « Fais gaffe à tes chevilles hyung tout de même. »

Jin : « Fighting Jimin ! »

Yeri : « Tu n'échoueras jamais, on a hâte de revenir en Corée te voir, concentre-toi sur le positif pas sur le négatif et trouve les mots qui apaiseront ton stress. »

Mes yeux écorchèrent la phrase en la relisant et mon cœur s'emballa tandis que Seongwha m'appelait, pour qu'on se mette en place avant le lever de rideau.

Je fis défiler mes contacts dans mon répertoire, en proie à l'angoisse, avant d'appuyer sur la touche d'appel et d'attendre que mon interlocuteur décroche.

« Quoi ? »

— Hyung, soufflai-je, dis-moi que je vais y arriver.

« Tu es pénible » râla Yoongi hyung. « Pourquoi tu me fais le coup à chaque spectacle au juste ? »

— S'il te plaît.

Je l'entendis souffler la fumée, probablement de sa clope.

« Tu seras grandiose, Jimin. »

Mon visage se fendit d'un sourire tandis que la voix pétrie de stress de Seongwha devenait insistante dans mon dos.

— Merci hyung.

Je raccrochai pour me mettre en place dans les coulisses, le cœur plus léger.

Cette phrase était mon mantra et je m'accrochais à ce sentiment, aux mots de hyung et ceux de mes amis. À tous ceux qui avaient confiance en moi.

Les rideaux s'ouvrirent et mes yeux se fermèrent.

J'avançai dans le noir, mes pieds foulant le sol silencieusement, je sentais la pression, les regards sur moi, la chaleur de la salle.

Le bruit du silence.

Cet espace-temps juste avant de commencer un spectacle.

La lumière se fit et ma tête se releva, mes mouvements se lancèrent, fluides, contrôlés et le Park Jimin que j'étais disparut au profit du Petit Prince.

Et l'inspiration que ça me donnait, m'emportait, me faisait voler, danser et raconter une histoire aux spectateurs.

Nous avions beau répéter les mêmes scènes, les mêmes dialogues, la même danse, chaque soir était différent, chaque ressenti l'était tout autant. Il y avait des milliers d'histoires dans une seule.

Et ce soir je voulais me laisser entraîner par la poésie, la philosophie de cette œuvre, par la musique aussi, pour faire en sorte que ce rôle puisse exister à jamais à l'intérieur de moi, comme un souvenir délicat et agréable auquel je voudrais toujours me rappeler.

Car toute l'histoire commençait avec lui et se terminerait ici avant qu'une nouvelle page ne se tourne.

Puis il y eut ce moment où la pièce prit fin, où les lumières s'éteignirent pour de bon et l'émotion me gagna un peu alors que les applaudissements éclataient. Il ne suffisait pas d'être beaucoup pour que ce son transperce notre âme d'un pouvoir chaleureux. Je sentis la main de Seongwha glisser dans la mienne pour pouvoir saluer le public et alors que le rideau se fermait, que nous nous inclinions encore une fois, je l'entendis murmurer à mon oreille :

— Tu as été vraiment extraordinaire ce soir.

Nos regards se croisèrent et je lâchai un sourire avant de l'embrasser sur la joue.

— Merci.

Je lâchai sa main et le laissai là au milieu de cette scène parmi toutes les histoires, toutes les heures d'entraînement et me dirigeai vers la loge. Dans les coulisses, on se félicita tous, certains pleuraient un peu, d'autres râlaient encore sur leurs prestations pas assez bonnes à leur goût. On s'enlaça, on se serra la main et mon sourire ne me quitta pas jusqu'à ce que j'atteigne mon sac.

Je portais encore les lentilles bleues, le maquillage et la coiffure pour la scène mais je n'avais pas envie d'enlever tout cela pour l'instant. C'était trop tôt.

Je voulais encore être un peu lui avant de redevenir Park Jimin.

Un message de Kai apparut sur mon écran :

« C'était d'enfer ma fleur des îles, tu as encore scotché les membres du crew ce soir. »

Il avait glissé un smiley au sourire pervers pour conclure sa phrase.

« On se rejoint au pub comme d'hab, il faut fêter ça ! »

Je confirmai par message avant de transférer les vidéos qu'il avait prises directement sur le groupe où Yeri, Sehun, Tae, Bambam et Jin hyung les verraient.

Les allers et venues ne cessaient pas dans la loge, tout le monde ramassait ses affaires, prenait le temps de discuter, de se démaquiller, certains membres de leurs familles ou leurs amis les rejoignaient et moi je restais à vérifier mes messages, observer les réseaux sociaux comme si je tentais de me reconnecter à la réalité.

Puis sans que je ne comprenne vraiment, ma tête se releva pour apercevoir, dans l'entrebâillement de la porte, la silhouette de Yoongi hyung. La surprise marqua mes traits et je remis rapidement mon téléphone dans mon sac pour m'avancer vers lui.

— Hyung ? Tu... tu es venu.

— Ouais...

Nos regards se croisèrent sans pouvoir se décrocher l'un de l'autre et mon cœur tambourina, se réveillant doucement tandis que coulait en moi une avalanche d'émotions.

De la joie, à l'euphorie, à l'adrénaline, aux regrets, à l'insatisfaction qui faisait pulser mon sang dans mes veines et à tout ce qui me composait et que j'avais donné ce soir aux yeux de tous, offert aux regards, j'avais rendu mes failles visibles, caché derrière un rôle.

J'avais dansé sous la lumière avec la peur au ventre et le cœur en pierre.

L'émotion me gagna et il s'avança à son tour, sa main se porta délicatement et automatiquement à mon cou tandis que je fermais les paupières, me laissant aller à ce geste alors qu'une larme glissait sur ma joue. Il la récupéra délicatement. Ce geste trop tendre, trop délicat pour nous deux me fit sursauter et nos yeux se cherchèrent. Sans pouvoir me contrôler, je fondis dans ses bras et il me serra contre lui.

Tout devenait si inhabituel, si embrouillé en un instant et pourtant je me sentais gonfler de bien-être.

— J'ai été grandiose, hein ?

Il me recula, gardant mon visage en coupe :

— Tu as été bien que plus que ça...

Ça faisait trop à encaisser, à comprendre, à retenir et nos yeux se perdirent, vaquant sur le visage de l'un et de l'autre et il ramassa une énième larme tandis que je m'accrochais à ses avant-bras.

L'ambiguïté venait d'enfler, de nous prendre tous les deux à la gorge et on jouait avec la limite.

On jouait avec quelque chose que nous ne savions pas contrôler.

Alors je l'embrassai.

Rapidement sous le coup de la pulsion, sans arrière-pensée, sans désir sexuel, juste ce besoin d'être embrassé et d'embrasser quelqu'un, ce besoin de se sentir important, de donner de la tendresse à ce moment.

D'être en vie.

Je m'écartai doucement et ses bras retombèrent le long de son corps, j'y vis une nouvelle bienveillance dans son regard puis arriva la suite.

Je pouvais à présent construire et suivre toutes ses pensées, voir toutes ses émotions changer, du bien-être instantané qu'avait provoqué mon baiser, jusqu'à l'incompréhension, puis l'inquiétude, celle d'avoir franchi une limite, celle de me laisser plus de place que je ne devrais en avoir. Arriva la peur ensuite.

Puis la terreur.

La terreur de quelque chose de fondamental à lui-même que jamais je n'atteindrais.

Mais avant d'avoir pu dire quoi que ce soit, Yoongi hyung recula, ses yeux s'écarquillant, une crise venant, l'Angoisse avec un grand A majuscule était là, réduisant tout sur son passage, rendant chaotique la plupart de ses pensées.

Nous marchions sur un fil.

L'un et l'autre nous nous tenions la main au-dessus du vide, moi avec plus de prise et d'équilibre et lui qui ne cessait jamais de pencher d'un côté et de l'autre.

Je savais que nous pouvions tomber ensemble.

Mais je n'avais jamais imaginé que l'on puisse se pousser à la chute.

— Hyung, je...

— Jimin, mon trésor ?

Mme Bang, la directrice de casting venait d'arriver avec ses grosses lunettes aux montures noires et épaisses sur le nez, ses cheveux épais parsemés de films d'argents et son visage marqué par le tabac et le maquillage.

— J'ai une excellente nouvelle pour...

Yoongi hyung venait de s'enfuir sans demander son reste et je restai planté là, tétanisé, au milieu de la pièce.

J'avais franchi la ligne.

J'écoutai d'une oreille distraite ce qu'elle me disait tandis que le froid et le vide s'insinuaient dans mon cœur.

Il fallait que nous parlions.

Je ne l'avais pas embrassé pour qu'il m'aime, ou que nous commencions une relation amoureuse, ni même dans un désir de coucher avec lui. Je l'avais embrassé car ça m'était apparu comme la chose à faire sur le moment mais c'était un désir égoïste pour lequel je n'avais pas suffisamment réfléchi aux conséquences.

Je souhaitais simplement satisfaire ce manque de tendresse au moment où, pour la première fois, hyung m'avait paru solide et avenant.

Il avait fait attention à moi, il était venu, malgré tout ce qu'il racontait et les inepties qu'il déblatérait parfois.

Cet équilibre entre nous je le voyais comme ça.

Une colocation.

— Je dois y aller, excusez-moi.

Je me changeai rapidement et enfilai un manteau alors que je quittai la salle de spectacle par la porte de derrière, sans prendre le temps de m'arrêter pour la regarder. J'évitai la foule encore présente devant la salle qui fumait les dernières cigarettes malgré le froid.

Je hélai un taxi alors qu'un couple d'une trentaine d'années me reconnaissait et l'homme marmonna :

— Mec, c'était incroyable ! Franchement.

— Oui, nous avons passé un agréable moment.

— Merci beaucoup, marmonnai-je du bout des lèvres avant de m'engouffrer dans le véhicule chauffé.

Je n'avais pas les moyens de me payer une course aussi longue mais il fallait que je rentre. Je tentai d'appeler hyung sur le trajet tandis que Taemin hyung m'écrivait :

« Tu passes au pub bientôt ? Tout le monde t'attend. On a même commandé du champagne !»

J'allais venir, j'allais arriver mais après avoir désamorcé cette bombe que j'avais activée.

Le taxi se gara et je payai la course sans ciller avant de courir dans les escaliers. La porte était entrouverte et je m'engouffrai rapidement, ressentant cette impression de déjà-vu qui ne me disait rien qui vaille.

Étais-je dans le déni ?

Avais-je encore minimisé les choses ?

Mais l'appartement était intact, seule la chambre de hyung était éclairée et je m'avançai, essoufflé de ma course, le battant se poussa sans un bruit et au centre de la pièce Yoongi hyung balançait ses affaires dans une valise.

— Où est-ce tu vas ?

Ma voix était étranglée et il releva la tête, les yeux fous, le teint plus pâle que jamais.

— Je m'en vais.

— Non.

— Si, Park, je m'en vais.

Sa voix à lui, était franche, vibrante d'émotions.

— Hyung, calme-toi, ne prends pas des décisions inconsidérées...

Il ramassa la boîte noire sur son bureau dont le contenu, des photos vieillies, des bibelots sans valeur disparurent de ma vue et il ferma la valise violemment.

— Hyung, ce n'est pas grave ce qu'il vient de se passer, marmonnai-je.

— C'est moi qui ai franchi la ligne.

— On s'en fout de cette ligne ! clamai-je brusquement en lui bloquant le passage. Écoute-moi, je ne suis pas amoureux de toi.

Il me fixa, ses yeux sombres était saisissants dans le décor.

— Ce n'est pas de l'amour romantique. Mais l'attachement que j'ai pour toi est réel et je sais que c'est aussi ton cas. On est des adultes, on sait où on va. Moi je sais où j'en suis, ce baiser ne voulait rien dire...

L'émotion me gagna encore, comme si j'avais laissé la porte de mon cœur ouverte trop longtemps.

— Justement.

Il était essoufflé, transpirant d'une sueur sûrement glacée et angoissée.

— Rien ne va changer, assurai-je.

— Tout est en train de changer, Park, et j'ai été trop con pour ne pas m'en apercevoir avant !

Il rajouta, d'une voix sifflante :

— Mon monde tourne autour d'Hoseok, Park, pas de toi. Et il en sera toujours ainsi.

— Je sais, soufflai-je, mais ton monde devrait tourner autour de toi-même, non de quelqu'un d'autre.

— Ne commence pas à me faire la morale !

— Ne pars pas, chuchotai-je, je t'en prie. Laissons ça reposer dans un coin et parlons-en à un moment où on sera plus calmes.

Les larmes me gagnèrent :

— Ne gâche pas tout, une fois dehors... tout va se détruire, tous les efforts qu'on a faits.

— Je te l'ai dit... que j'allais un jour partir, ce jour est arrivé.

— Il n'est pas arrivé, c'est simplement que tu t'enfuis parce que tu as la trouille ! criai-je soudainement.

Il sembla comme frappé, brusqué par mon cri.

— Tu as la frousse, crachai-je plus fort en avançant. Tu as peur d'être heureux ! Tu as peur de moi ! Tu me mets tout sur le dos mais tu as autant besoin que moi de cette colocation ! Tu as besoin autant que moi de ce qui se passe entre nous deux mais ça te fout les jetons d'exister loin d'Hoseok, indépendamment de lui.

— Rien de tout ça n'est stable, Park, rétorqua-t-il violemment. Rien de tout ça n'est bien, on est juste en latence, en attente de tomber dans le vide. Cette colocation est une vaste farce !

— Cesse de mentir, bordel ! Cette colocation est l'ultime recours qu'on a trouvé, toi et moi et ça fait un an que ça tient, envers et contre tout. Je pensais qu'on avait enfin trouvé un équilibre, j'ai cru qu'on se comprenait enfin, mais si on ne se fait pas confiance alors on continuera de croire qu'on peut briser l'autre.

Nos rôles s'inversaient et je me prenais en pleine gueule les cinq années d'écart suite à notre dernière altercation.

Notre dernière rupture.

Notre dernier au revoir.

Tout se mélangeait maintenant.

— On peut construire quelque chose avec nos règles, notre manière de faire, personne ne comprendra rien mais on s'en fout.

— On ne construira rien, Park, on est incapables de construire quoi que ce soit. On tente de faire avec ce qu'on est mais tu vois bien que si on franchit la ligne tout se détruit. C'est trop fragile, on est trop tentés. Tout ce qu'on sait faire, c'est de faire semblant que ça marche. On est mauvais l'un pour l'autre, tu le sais, je le sais et cette colocation n'est qu'une vaste blague pour faire semblant que ce n'est pas le cas !

— Ce n'est pas vrai et toi-même tu le sais, tu te voiles la face, maugréai-je. Parce que c'est plus facile d'être lâche que d'affronter ses problèmes, parce que c'est plus facile pour toi de rester accroché à un type que tu ne côtoies même plus de peur que les choses changent. C'est ça ton problème, hyung, tu as peur du changement !

Mais il secoua la tête négativement plusieurs fois de suite sans réussir à se contrôler.

— Ça ne marche pas comme ça. Ça ne marchera pas. Tu prends trop de place dans ma vie, Park, tu en mets trop, de la vie.

— Et ça c'est mal ? je reniflai, m'essuyant les yeux.

— Je ne mérite pas ça.

— Je m'en fous de ce que tu crois mériter !

On se fixa mais il raffermit sa prise sur sa valise :

— Je m'en vais.

Une larme glissa encore.

— Ne fais pas ça, ne détruis pas tout ça...

— Park, je passerai ma vie à tout détruire et il en sera toujours ainsi. Pousse-toi maintenant.

Je me décalai et lorsqu'il passa le seuil, ma voix chevrotante se brisa :

— Quoi qu'il arrive, ne meurs pas.

La porte d'entrée claqua et mes sanglots arrivèrent. Je m'étais leurré, trompé encore une fois.

L'équilibre n'était plus.

On était des bons à rien, incapables de se comprendre.

Incapables de s'aider.

Mon cœur me fit mal et je me laissai glisser contre le mur. J'avais cru trouver un allié, un accompagnateur de vie.

Un colocataire.

J'avais cru qu'on pouvait faire avec le nœud dans lequel le karma nous avait fichus mais tout était terminé à présent.

*******

4 ans plus tard

La notification de mon téléphone me tira de mon sommeil brutalement. J'ouvris un œil timidement avant d'attraper l'appareil près de mon oreiller.

La notification de mon manager s'afficha :

« Le taxi est commandé, rendez-vous dans trente minutes en bas de l'hôtel. J'espère que ta valise est prête. »

Mon bras retomba et je fourrai mon visage dans l'oreiller.

Merde.

Je me levai dans un grognement audible avant de quitter les draps. Ma chambre d'hôtel était dans un désastre où mes affaires étaient éparpillées aux quatre coins de la pièce. Mon avancée jusqu'à la salle de bain fut périlleuse mais une fois le visage lavé et la brosse à dents dans la bouche, je m'activai à tout mettre dans ma valise.

Tant pis si ça n'était pas plié correctement.

Je fus prêt à l'heure et quittai sans mal l'hôtel du centre de Tokyo, mon manager, Beomgyun, chargea la valise dans le coffre du taxi et je pris place à l'arrière, enroulé dans ma grosse veste molletonnée, un masque noir posé sur la moitié de mon visage.

— Bien dormi ? s'enquit-il.

Je me frottai les yeux sans répondre et il s'arracha un sourire amusé :

— Gueule de bois ?

Il fallait dire que j'avais fait la fête hier soir, après la dernière représentation de mon spectacle sur les Trois Mousquetaires.

Tout en observant la ville défiler à travers la vitre, mon téléphone sonna plusieurs fois mais je l'ignorai superbement.

Voilà deux ans que j'habitais plus ou moins sur Tokyo, après que Mme Bang m'ait permis de décrocher des castings dans la capitale nippone. J'avais énormément appris dans une compagnie importante, tous les danseurs venaient des quatre coins de l'Asie et j'en avais même retrouvé certains sur diverses représentations.

La vie tokyoïte me sciait à merveille mais la Corée me manquait. Mme Bang avait insisté pour que je reste ici, sur le sol japonais, car ma réputation et ma popularité étaient excellentes, du moins pour un danseur contemporain, mais j'aspirais à de nouvelles choses.

Et ces nouvelles choses se trouvaient à Séoul.

L'embarcation à l'aéroport ne fut pas longue et durant l'unique heure d'avion, je me permis de somnoler quelque peu.

Beomgyun, assis à côté de moi, marmonna au moment de l'atterrissage :

— Je dépose tes valises à l'hôtel, ton déjeuner professionnel est à treize heures et ton rendez-vous avec les directeurs de casting et Mme Bang, à 17h. On se rejoindra là-bas.

— Entendu.

Je m'étirai de tout mon soûl et détachai mon masque avant de quitter rapidement l'aéroport.

Je mourrais de faim.

Ce fut qu'une fois installé dans un nouveau taxi que je pris le temps de consulter mes messages, faisant défiler les différents mots que mes anciens collègues de danse sur Tokyo m'avaient envoyés. J'avais interprété pendant presque un an le rôle de d'Artagnan, et j'avais tissé des liens amicaux avec le reste de mes collègues. Visiblement, eux étaient en train de s'éveiller après notre dernière soirée arrosée.

Takeru : « Ton corps me manque déjà, appelle-moi quand tu reviens. »

Je soupirai longuement en verrouillant mon écran, ma cuisse tressauta quelque peu. J'étais un peu angoissé à l'idée de ce déjeuner.

Le projet que je m'apprêtais à lancer n'avait rien à voir avec ce que j'avais fait auparavant.

C'était comme un grand saut dans le vide.

Le taxi déposa Beomgyun devant l'hôtel, ce dernier me salua en me donnant ses dernières recommandations de manière très paternaliste, mais depuis ces trois dernières années à travailler pour moi, j'avais fini par m'habituer.

Le taxi reprit sa course jusqu'à mon lieu de rendez-vous. Je payai la note finale et descendis rapidement du véhicule. Devant moi se tenait un building de plusieurs étages à l'allure très moderne, au rez-de-chaussée derrière de grandes baies vitrées se trouvait un restaurant populaire dont presque toutes les tables étaient prises.

Je passai le seuil et un serveur vint m'accoster directement.

— Bonjour, marmonnai-je, j'ai rendez-vous pour le déjeuner avec Mr Kim Namjoon.

L'homme me répondit poliment, en souriant :

— Bien entendu, suivez-moi.

On traversa la salle jusqu'à ce que le serveur m'indique un couloir dans lequel se trouvait une suite de pièces privées, il fit coulisser l'un des battants et m'invita à rentrer.

— Installez-vous, Mr Kim ne devrait pas tarder. Voulez-vous un rafraîchissement en attendant ?

Je répondis dans un hochement de tête et retirai ma veste. La baie vitrée donnait sur un jardin luxueux et la table était dressée avec goût et esthétisme. J'allais reprendre mon téléphone lorsque le battant coulissa encore et mon visage se barra d'un sourire.

Namjoon ouvrit les bras et on s'offrit une accolade sincère.

Ça faisait si longtemps.

— Tu es superbe, me lança-t-il.

— Ne raconte pas n'importe quoi, râlai-je en m'installant. Je sors de l'avion, j'ai la gueule de bois et j'ai enfilé les premières fringues propres qui traînaient...

Il se mit à rire.

— Par contre toi, tu respires la haute couture. C'est du Yves Saint Laurent ?

— Parce que tu es capable de distinguer quel couturier a fait cette veste ? s'étonna-t-il en s'asseyant à son tour.

— C'est une de mes qualités, mais mon banquier ne me remercie pas pour ce détail de ma vie.

Cette fois-ci je le rejoignis dans son rire.

— Je suis content de te revoir, marmonnai-je plus calmement.

— Moi aussi.

Il darda sur moi un regard amusé et où étincelait toujours une malice et une intelligence particulière :

— Tu es impatient, hein ?

— Je meurs de trouille oui...

Il se mit encore à rire et le serveur revint avec les menus et une carafe d'eau pétillante. Namjoon passa commande et je fis les mêmes choix que lui mais en refusant le verre de vin.

Trop d'alcool tuait l'alcool.

Alors que le serveur repartait, je m'adossai au dossier du fauteuil :

— Le grand RM est enfin devant moi... Je suis parti de la Corée tu n'avais pas encore sorti ton premier album, je rentre et tu es disque de platine et l'un des rappeurs les plus connus de la Corée...

— C'est toi qui m'as dit de devenir rapidement célèbre, me fit-il remarquer d'un air moqueur.

— Je ne plaisantais qu'à moitié ce jour-là.

Namjoon avait sorti son premier album un an et demi après sa mixtape qui avait fait pas mal de bruit. Les ventes de son album avaient battu un record et la chanson titre « Stalker », qui était une belle lettre d'excuses puissante et émotionnelle d'un adolescent maladroit et instable à sa victime et qui mettait en garde de manière honnête et psychologique contre les dérives de ce comportement, était restée en tête des charts pendant une année. L'espace d'un instant Namjoon était passé d'un simple petit rappeur tentant de se faire connaître, à un artiste à part entière, son agence s'était enrichie et sa carrière s'était envolée.

Mais malgré tout, il semblait être resté le même. Dans les quelques messages que nous échangions parfois, il était resté fidèle à lui-même avec son coté mignon et modeste qui faisait ressortir ses fossettes.

— Tu ne t'es pas trop mal débrouillé, monsieur la vedette des spectacles contemporains.

— Mais moi on ne me suit pas dans la rue et on ne me remet pas de prix, insistai-je.

— Ça viendra.

Mon sourire redescendit rapidement et ma cuisse reprit ses soubresauts.

— Ne plaisante pas avec ça, je suis suffisamment stressé.

— Jimin, je suis confiant, je connais aussi tes capacités, ce featuring sera incroyable.

Je soupirai un peu jusqu'à ce que les plats commandés arrivent mais devant mon assiette fumante je me mordis la lèvre :

— Je ne sais pas dans quoi je mets les pieds hyung, j'ai envie de chanter et je suis plus que touché que tu aies pensé à moi pour un featuring, une chorégraphie et une apparition dans un MV mais...

— C'est normal que ça te fasse peur, me coupa-t-il doucement. Mais tu seras à la hauteur.

Je n'étais pas certain, de ça, justement.

Néanmoins, on déjeuna tranquillement, s'échangeant des anecdotes sur nos vies quotidiennes d'un pays à l'autre. Namjoon râlant comme un gros ourson en peluche qu'il ne pouvait plus faire ses courses tranquillement et que les ahjummas de son quartier le poursuivait pour prendre des selfies.

Il parla aussi de Jackson qui avait débuté sa carrière une année après lui. Il en parla même beaucoup et je fus pris d'un doute concernant réellement leur relation. Même si les deux s'affichaient comme étant de bons amis, et ce même devant les médias, la façon dont mon aîné parlait du hongkongais me laissait perplexe.

D'autant plus que, de source sûre, c'est à dire de Bambam lui-même, lui et Jackson étaient toujours ensemble et ce malgré les hauts et les bas de leur relation.

En clair, ils se séparaient à peu près tous les deux mois. Un véritable drama où à chaque fois Bambam finissait en pleurs et faisait appel aux compétences de psychologue de Yeri.

— Parle-moi de tes amis, comment vont-ils ?

Je dégustais mon cheesecake avec appétit et, la cuillère entre les lèvres, je marmonnai :

— Tae habite à Los Angeles depuis deux ans, il travaille dans un centre de soins palliatifs pédiatriques. Quand il me parle de son travail je pleure toutes les larmes de mon corps tellement c'est puissant, il est épanoui dans ce domaine. Cette année il a même donné des cours aux infirmières et dans un institut où il était conférencier. Sehun et Yeri ont quitté la France et sont allés en Espagne, ils envisagent de rentrer en Corée d'ici deux ans. Jin hyung et Dasom se sont mariés et ils ont eu une fille il y a deux ans. Et comme tu le sais, Bambam a ouvert son cabinet de chirurgie esthétique à Bangkok et revient tout le temps en Corée pour voir Jackson. Je pense qu'il finira réellement par ouvrir sa clinique en Corée d'ici deux ans.

Le repas prenait fin et il sirotait son café.

— Je vois, tout le monde a plutôt bien réussi. Tu as rendez-vous à quelle heure ? On peut visiter le studio si tu veux, même si tu viens demain, on peut déjà...

— Allons-y, lançai-je en me levant. Je préfère voir les studios, ça me déstressera peut-être pour demain...

Il acquiesça en reposant sa tasse.

— Tu es venu en voiture ou on prend un taxi ? l'interrogeai-je.

— Pour la survie du pays, mon agence m'interdit de conduire.

Je me mis à glousser.

— Pourquoi, tu as passé ton permis ? s'étonna-t-il.

— Oui et je l'ai eu sans problème.

— Je me sens seul maintenant, bouda-t-il.

Il enfila son masque tandis qu'à l'extérieur du restaurant, je hélai un taxi.

On rentra ensemble dans le véhicule et durant le trajet, je finis par poser la question qui me taraudait l'esprit depuis le début du repas :

— Yoongi hyung sera là, au studio ?

Namjoon m'envoya un coup d'œil avant d'acquiescer doucement :

— Normalement oui.

Mon regard se perdit à travers la vitre :

— Il va bien ?

— Tu lui demanderas toi-même.

Je me mis à ricaner :

— Parce qu'il sait que je viens ?

— Jimin, c'est lui qui a écrit et composé l'entièreté du morceau qu'on va interpréter.

Ma tête pivota brusquement pour le fixer, les yeux écarquillés :

— Quoi ?

Le visage de Namjoon prit une étrange figure, à la fois douce et triste, presque compatissante.

— Je lui ai dit de te contacter pour te le dire, mais il est buté.

— Oui et il fait chier !

L'aîné eut un petit rire mais je fronçai les sourcils :

— Il a écrit et composé ce morceau, tu veux dire qu'il s'est occupé de ce feat entre toi et moi ?

— Mieux, c'est lui qui en a eu l'idée.

Mon cœur se serra douloureusement et je détournai les yeux.

— Je vais te dire ce qu'il ne te dira jamais : il a écrit et composé cette chanson uniquement pour toi.

Namjoon haussa les épaules :

— Il n'est pas doué pour les excuses, de toute façon.

— Et si j'ai pas envie de le voir ? grognai-je méchamment. Et si je n'ai pas envie de bosser avec lui ?

Le rappeur leva les sourcils avant de soupirer :

— Ça va être difficile de le louper, c'est lui qui va t'enregistrer.

Mais avant que je n'aie pu ajouter autre chose, il reprit, tentant de changer de sujet :

— Tu as trouvé un appartement sur Séoul ou pas encore ?

— Pas encore, murmurai-je, je suis à l'hôtel pour l'instant.

Les écrans devant nous, insérés dans les fauteuils, diffusaient des pubs et des replays de certains matchs. On y voyait des séquences des Nexen, entre les moments de doute, de peur, d'impatience, de course, de lancers et la foule en délire lorsque les joueurs déboulaient sur le terrain pour soulever un Jungkook victorieux à la fin d'un match.

Je me mis à sourire en l'observant à travers l'écran.

Peu importe ce que tu deviens, Kookie-bien-cuit, j'espère juste que tu vas bien.

— C'était un sacré match, commenta Namjoon en suivant mon regard, dommage que les Nexen aient perdu, l'absence de leur capitaine blessé a beaucoup contribué à désorganiser l'équipe.

— Je n'ai pas suivi le match mais j'en ai entendu parler, l'informai-je. Ils reprendront leur titre de champions l'année prochaine.

Le taxi se gara et la porte s'ouvrit.

— Tu sais que je l'ai vu, le Golden Maknae, on s'est croisés à une avant-première.

Je tournai la tête vers lui, surpris, avant de contourner le véhicule :

— Vraiment ? Il va bien ?

— On n'a pas vraiment eu le temps de parler mais oui, il avait l'air d'aller bien...

Puis il ajouta :

— Il était en compagnie de la miss Corée de cette année, une superbe femme.

Je m'arrêtai en grinçant :

— Je ne veux rien entendre, les journalistes et les magazines à cancans en parlent suffisamment...

— Je te dis juste qu'il était son cavalier, c'est tout. Pourquoi ça te met en rogne ?

— Parce que.

Parce que c'était difficile pour moi de ne pas le dire à Tae.

— Personnellement, je crois en cette rumeur de mariage qui court sur eux deux...

— Hyung ! l'arrêtai-je.

Il prit une mine de chien battu en levant les mains.

— C'est le meilleur joueur du pays, je lui souhaite du bonheur.

J'aurais voulu débattre là-dessus mais au moment où je passai les portes de la compagnie de musique de mon aîné, mon stress monta d'un cran. Les gens s'inclinaient devant Namjoon et je suivais à petits pas ses grandes enjambées. Mais plus les portes des studios se rapprochaient, plus je me sentais mourir sous la pression.

Namjoon ouvrit une porte en lançant :

— Prêt à rentrer dans l'antre des producteurs et des compositeurs ?

Pas vraiment.

Le battant s'ouvrit et les trois individus présents tournèrent la tête dans notre direction, leurs visages s'éclairèrent en voyant Namjoon.

Mais mon regard à moi ne se fixa que dans ceux, sombres, du plus pâle de tous.

Assis derrière une table de mixage gigantesque, le visage de Yoongi hyung n'eut aucune réaction en ma présence.

Comme d'habitude.

Il n'avait pas vieilli du tout, c'était à la fois impressionnant et flippant.

Pour quelqu'un dans la trentaine, il semblait avoir gardé son visage de bébé, le même style de vêtements et la même mine affable.

Je repris contact avec la réalité quand Namjoon me présenta aux deux autres producteurs et je m'inclinai respectueusement devant eux.

— Tu es donc la petite perle que notre Joonie ne cesse de complimenter ?

Le surnommé rougit brusquement et je levai les sourcils. Visiblement, ces aînés avaient l'air d'avoir envie de le taquiner.

— Oh vraiment ? m'étonnai-je, un brin ironique. J'ignorais être une perle...

Namjoon toussa pour passer sa gêne.

— Je ne l'ai dit qu'une seule fois et j'avais bu, ça ne compte pas.

— On a entendu parler de toi pendant des mois, heureux de te rencontrer.

— Ne lui racontez pas de conneries ! râla Namjoon.

L'entente entre eux avait l'air bonne.

— Joon, tu lui as présenté le chorégraphe de l'agence ? demanda un des aînés à la barbe mal rasée.

— J'allais le présenter, mais je voulais qu'il vous rencontre avant...

Et il marmonna dans sa barbe inexistante :

— Mais je n'aurais pas dû.

— Yoongi, tu ne viens pas saluer le nouvel arrivant ? demanda l'autre producteur.

— Je connais déjà Park.

Et ce fut tout.

Et ça me fit chier.

J'avais la rancune facile.

— En effet, repris-je un poil sarcastique, malheureusement on se connait.

Le reste de l'après-midi fut une suite de rencontres, de salutations plus ou moins respectueuses en fonction des grades, de tentatives de retenir tous les noms et les fonctions de chacun dans la compagnie, en vain.

Tous semblaient avoir beaucoup d'attente pour la chanson que nous devions enregistrer dans la semaine. La chorégraphe qui me fut présentée semblait particulièrement timide et c'était gênée et intimidée qu'elle avait tenté de m'expliquer ses idées. Néanmoins, elle semblait avoir parfaitement capté ma manière de danser et j'espérais pouvoir travailler avec elle et le reste des danseurs sur une chorégraphie.

On me parla de différentes choses allant du directeur artistique du MV, aux idées de tenues et de tout un tas d'éléments dans un vocabulaire que je peinais à maîtriser, n'étant pas dans le milieu de la musique.

J'avais clairement mis les pieds dans un nouveau monde.

En sortant de la salle de réunion, j'avais le cerveau en compote et mon stress était encore plus terrible.

— Je ne vais jamais y arriver...

— Tu seras grandiose, lança Namjoon en riant.

Je me figeai d'un coup et dardai sur lui un regard perdu et choqué :

— Quoi ?

Il eut l'air étonné de ma réaction et resta coi, dans l'incompréhension pendant quelques secondes.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

— Que tu seras grandiose, marmonna-t-il rapidement toujours sans comprendre.

— Qui dit ça ? Toi ou quelqu'un d'autre ?

Cette fois Namjoon comprit et il se passa une main dans les cheveux en poussant un soupir sonore :

— J'en peux plus de vous deux, réglez vos comptes.

Mon téléphone sonna, nous interrompant et je fermai les paupières après avoir lu le message qui s'affichait sur l'écran.

— Je suis en retard...

Comme d'habitude.

— Un nouveau spectacle à venir ? s'enquit Namjoon.

— Une nouvelle comédie musicale, murmurai-je en coupant le son de mon smartphone.

Mon aîné acquiesça avant de marmonner :

— On se voit demain Jimin, bonne soirée.

Je le saluai doucement tandis qu'à l'extérieur Beomgyun m'attendait avec un véhicule loué, il râla sur mon perpétuel retard mais je haussai simplement les épaules.

Rien ne serait plus important que ce que j'étais en train de préparer maintenant.

Et puis surtout, j'étais rentré au pays.

*******

« Recommence. »

« Encore une fois. »

« Non, c'est mauvais. »

« Recommence encore. »

« Tu forces trop sur ta voix. »

J'allais l'encastrer contre un mur.

Je pris une grande inspiration. Debout, un casque sur les oreilles, ma feuille de texte sous les yeux, la bouche près du micro, je tentais de garder mon calme tandis que la voix rocailleuse mais complètement apathique de Yoongi hyung résonnait dans mes oreilles après chacune de mes interprétations.

De l'autre côté de la vitre, il se tenait là dans un de ses tee-shirts trop larges tandis que debout, les bras croisés, Namjoon observait la scène ainsi qu'un autre producteur. Je fermai les yeux quelques secondes.

Se détendre... Inspirer, expirer.

« Recommence. »

— Ça te tuerait d'être aimable deux secondes ? cinglai-je.

Ah, raté.

« Non. Recommence. »

J'allais péter un câble mais alors que je faisais volte-face pour le tuer du regard à travers la vitre, Namjoon avança jusqu'au micro et murmura :

« Jimin, fais une pause. »

J'arrachai le casque et quittai la pièce isolée sans un regard envers ce hyung à la mine affable, sortis rapidement du studio et avançai d'un pas colérique jusqu'à la machine à café. J'entendis plus que je ne vis Namjoon suivre mes pas.

— Il faut que tu te détendes, commença-t-il.

— Je suis parfaitement calme ! rétorquai-je soudainement.

Voilà des heures qu'on enregistrait et je n'en pouvais plus. Je devais sans cesse recommencer, chaque phrase, chaque mot, chaque note. Rien n'était assez bien pour Mr Min Yoongi.

— Tu as vu comment il me parle ? m'emportai-je.

— Il parle comme ça à tous les artistes, répondit distraitement le rappeur.

— Il croit quoi ? continuai-je de grogner sans l'écouter. Que je ne me rends pas compte que c'est stressant ? Je fais de mon mieux, je ne suis pas un chanteur à la base, qu'est-ce qu'il attend de moi, bordel ?

J'appuyai violemment sur le bouton de la machine pour lancer la préparation d'un café au lait.

— Je comprends Jimin, chuchota mon aîné.

Il chercha à me poser une main sur l'épaule mais je le rejetai avec agacement.

— Il faut que tu saches, insista-t-il tout de même, que....

— Que tu peux faire mieux que ça.

La voix qui venait de prononcer cette phrase me figea d'un coup et je ne pris pas le temps d'attraper mon gobelet de café que je me retournais déjà.

Namjoon fit quelques pas en arrière avant de dire :

— Je vous laisse, je retourne au studio.

Ainsi, seuls au milieu de la salle de pause, je foudroyai Yoongi hyung du regard.

— Je n'ai même pas envie que tu me parles.

— Tu ne trouves pas que tu es dans l'excès, là ? me toisa-t-il.

Tu vas voir où je te le mets ton « excès ».

Je m'avançai vers lui pour le fixer droit dans les yeux :

— Tu t'es barré du jour au lendemain et je n'ai plus jamais eu de nouvelles, si Namjoon hyung ne m'en avait pas envoyées je serais mort d'inquiétude. Pas un message, pas un appel pendant quatre putain d'années et tu réapparais comme une fleur, et on m'annonce qu'en fait cette chanson, c'est ton idée, ta création et ta manière de « t'excuser » ? Et là tu me parles comme si j'étais un chien sans la moindre considération pour ma personne ? Putain, porte tes couilles et présente tes excuses autrement.

Les sourcils de Yoongi se froncèrent :

— Je n'ai jamais dit que ce travail serait une excuse, ne prends pas au pied de la lettre les interprétations de Namjoon.

Mais avant que je ne m'emporte pour de bon, il reprit en croisant les bras :

— Tu refuses de t'approprier cette chanson parce que c'est moi qui l'ai faite ? Alors fais abstraction de ça, agis comme un professionnel, pas comme un gamin.

Non mais il se foutait de ma gueule ?

— On est ici pour travailler, Park, poursuivit-il platement. Tu es ici parce que tu as du potentiel non seulement en danse mais aussi en chant, ta voix a quelque chose de spécial et c'est cette voix que je veux entendre. C'est ta manière naturelle de chanter qui fera le charme de cette chanson, ta voix se marie à merveille avec celle de Namjoon.

Pendant quelques secondes, ma colère, toujours aussi démesurée et ingérable même après toutes ses années, laissa place à la surprise sous les compliments.

— On est ici pour bosser, on réglera nos problèmes une autre fois.

— Parce que tu ne vas pas prendre la fuite, cette fois ? ironisai-je.

J'étais gêné d'être rappelé ainsi à l'ordre et honteux de m'être emporté.

Il avait raison, j'avais du mal à faire la part des choses entre ma situation professionnelle et nos conflits personnels.

— Non, pas cette fois.

Puis il tourna les talons pour retourner au studio, je laissai mon corps s'affaler à demi contre la machine à café avant de prendre mon gobelet.

Il me faisait toujours autant chier.

Mais il m'avait manqué.

*******

Je me levai brusquement, quittant l'étroite chaleur du corps nu, endormi et allongé dans le lit près de moi.

Mes pas me guidèrent jusqu'à la fenêtre où j'entrebâillai le rideau pour apercevoir Séoul s'éveiller aux premières lueurs du jour.

Il faisait froid.

Où était-ce la froideur de mon cœur de pierre qui commençait à contaminer le reste de mes organes ?

Je me passai une main sur le visage, excédé, et mon regard s'attarda sur le corps de mon amant d'une nuit, endormi dans les draps.

Je détestais quand ils restaient dormir, tous autant qu'ils étaient.

Pris d'une pulsion soudaine, j'enfilai un caleçon, un pantalon et un pull et sans faire de bruit, mon téléphone dans ma poche, mes chaussures dans une main, je quittai la chambre. Il n'était pas plus de six heures du matin et j'appuyai sur le bouton du rez-de-chaussée de l'ascenseur de l'hôtel.

Il était grand temps que je trouve un appartement.

Une fois à l'extérieur, dans les rues encore un peu fraiches mais sombres de cette matinée automnale, mes pas me guidèrent sans but, simplement parce que je ressentais le besoin de marcher.

D'abord, mes pensées n'arrêtèrent pas de tourner. J'avais tant de choses à faire et si peu de temps.

Deux mois étaient passés depuis mon retour à Séoul. Mme Bang m'avait trouvé un nouveau spectacle dans lequel participer. La promo s'affichait partout sur les murs du métro. Une des idoles faisait partie du spectacle, ce qui garantissait un certain nombre de spectateurs au préalable.

L'histoire de cette nouvelle comédie musicale se basait sur la mythologie ancienne et le folklore coréen, les rapports entre les humains, les dieux et les démons. J'étais immédiatement tombé amoureux du script, des décors et des costumes à couper le souffle. Mme Bang aurait voulu que je rejoigne une compagnie plus grande sur la très attendue nouvelle adaptation de Roméo et Juliette mais j'avais porté mon choix sur ce spectacle-là. J'aimais énormément l'ambiance poétique qui se dégageait des chorégraphies et j'étais véritablement fan de l'univers du chorégraphe. Son travail était remarquable et danser pour lui, un honneur.

Il devait encore dormir dans mon lit, en ce moment même.

Mes yeux étaient secs et mes mains froides, je poursuivis mon chemin, les mains dans les poches.

Je me notai mentalement de rappeler Taemin hyung, dont les dates de spectacle tomberaient en même temps que les miennes. Lui avait accepté de participer à la nouvelle adaptation de Roméo et Juliette, il y tenait le rôle de Mercucio. Ça nous amusait d'être devenus rivaux et ça nous donnait envie d'impressionner l'autre. Kai et son crew de danse étaient en festival aux États-Unis en ce moment, mais ça ne l'empêchait pas de me harceler de messages.

J'y répondais le plus souvent, depuis que son divorce avait été prononcé je le sentais plus mélancolique et morose qu'il ne l'avait jamais été.

Tae avait essayé de me joindre hier, en vain, je devais aussi prendre des nouvelles de Yeri et Sehun. Jin hyung avait posté la photo de sa fille au visage incroyablement magnifique sur le groupe, visiblement Dasom était de nouveau enceinte et Bambam rentrait en Corée demain pour un passage express.

Entre ça, les entraînements pour le spectacle à venir, les semaines que j'avais passées au label de musique de Namjoon pour à la fois enregistrer, finaliser la chorégraphie pour le MV et négocier pour savoir si oui ou non j'apparaîtrai sur scène avec Namjoon lors de la diffusion de la chanson sur les différents plateaux de télévision... Je ne savais plus où donner de la tête.

Ma vie avait pris un virage à quatre-vingt-dix degrés dès l'instant où j'avais été embauché pour le rôle du Petit Prince, mon tout premier spectacle, et je me souvenais encore avec précision de mes émotions, de mon premier public, des premiers retours.

Depuis, tout était allé crescendo et quatre années s'étaient déroulées à la vitesse de la lumière.

J'avais tout ce que j'avais toujours voulu à présent : un travail, la scène, la reconnaissance, un petit succès et la promesse de réaliser mes projets les plus fous.

Comme celui de chanter.

J'avais le soutien de mes amis, ma famille semblait moins désintéressée de ma personne qu'elle ne l'avait été, ma sœur s'était, enfin, casée avec un bon gars.

La vie filait et je me demandais ce qu'elle me réservait encore.

Le temps avait beau passer, j'étais toujours le même, avec mes failles, mes problèmes, ma colère incontrôlable, mes pulsions qui me poussaient à une vie sexuelle débridée et ma difficulté à m'aimer.

Mais il y avait du mieux.

Ne restaient que le vide dans mon cœur, la froideur de mes sentiments et mon incapacité à tomber amoureux.

Mais ma vie était ainsi, imparfaite, et j'avais appris à faire avec.

À accepter que ça serait toujours ainsi.

Puis il y avait Yoongi hyung.

On ne s'était pas adressé un mot depuis la fin de l'enregistrement du morceau.

Cette fois, c'était moi qui avais été lâche, je n'avais pas voulu me retrouver dans une nouvelle conversation houleuse. J'avais eu beau lui demander de prendre son courage à deux mains, c'était moi qui n'avais pas réussi à affronter la situation.

Mes pas se figèrent devant une vitrine proposant différentes offres d'appartement.

Dans le fond, je vivais toujours à l'hôtel parce que j'avais peur de me poser et de revivre dans cette ville à nouveau.

Elle m'avait manqué et en même temps elle me ramenait aussi à ce que j'avais été.

Être à l'étranger me donnait ce sentiment d'être à la fois un touriste et un profiteur de l'opportunité.

Vive à Séoul sans colocation m'était d'une difficulté extrême.

J'avais été certain de toucher du bout des doigts le meilleur et le peu d'équilibre de la seule relation stable de ma vie, mais cette paix intérieure avait été balayée comme un coup de vent.

Parce que je savais que j'étais condamné à finir seul, à ne jamais avoir de relation romantique et amoureuse qui me transporterait comme dans ces bouquins à l'eau de rose vendus par centaines dans les libraires. J'avais accepté ça et je concevais que c'était mieux ainsi. Je préférais être seul que de devoir mentir et me mentir en jouant le rôle d'un petit ami qui ne me convenait pas. Je ne voulais pas me mettre dans une relation simplement par peur de la solitude sans même aimer mon partenaire. Je trouvais ça cruel et hypocrite.

J'avais répété que je préférais être mal accompagné que seul, mais les années avaient fait que j'avais finalement inversé cette expression.

Mais il existait une vérité infime et inhabituelle.

Hyung avait été mon accompagnateur de vie, il y a quatre ans, simplement, platoniquement et ça avait été salvateur pour moi même si ça s'était avéré fragile.

La notification d'un message me tira de mes pensées et je m'interrompis dans mon observation des différentes locations. Un message de Namjoon s'afficha : « Le MV sera tourné après-demain et sortira ensuite la semaine prochaine selon les dernières infos qu'on m'a données. ».

Mon stress empira brusquement.

Est-ce que j'étais vraiment prêt pour cette vie ? À m'exposer ainsi aux yeux du monde ?

J'avais envie.

J'avais hâte.

J'avais peur.

Mais je ne pouvais plus revenir en arrière.

Je relevai la tête vers le ciel qui s'éclaircissait.

J'étais prêt pour le grand plongeon.

*******

Les flashs des appareils me brûlaient les yeux mais je maintenais un sourire sur mon visage maquillé. Devant moi, une horde de photographes activaient leurs appareils en rafales, me demandant de prendre telle ou telle pose, de regarder à tel endroit, de me rapprocher de Namjoon, de poser une main sur son épaule et bien d'autres demandes dans le genre.

Cela ne dura que quelques minutes, mais en quittant le podium je me sentis fatigué comme si ça m'avait bouffé toute mon énergie.

— Ça va ? s'enquit Namjoon.

Il était superbe dans un smoking gris de toute beauté, ses cheveux blonds avaient été coiffés à la manière d'un dandy, son visage légèrement maquillé lui donnait un côté plus sexy que jamais et il respirait une classe incroyable. J'acquiesçai, la gorgée nouée.

— On va aller en coulisses se reposer un peu avant le début de la cérémonie.

La course de ma vie ne s'était pas arrêtée à la sortie du second album de RM, ni à mon featuring et encore moins au MV qui avait suivi.

Au contraire.

À la sortie de la chanson, cette dernière avait fait un All-kill dans les charts, les vues sur YouTube étaient rapidement passées au million, l'album, lui, était rentré au Billboard à la dixième place. Namjoon avait été flatté de toutes parts, des articles sur l'album et la chanson étaient sortis dans la foulée.

On soulignait son charisme, on célébrait son talent, on félicitait son génie.

Moi, je m'étais retrouvé projeté sur le devant de la scène devant une popularité que je n'imaginais pas aussi grande.

J'avais continué de tenir mon rôle dans la comédie musicale mythologique mais certains m'avaient soufflé le fait que je faisais de l'ombre à l'idole qui tenait le premier rôle et que ça ne plaisait pas à ce dernier.

J'avais reçu des demandes d'interview par centaines, des propositions pour poser dans les magazines, des demandes d'autres featuring, des promesses d'embauche pour divers spectacles plus grands les uns que les autres. Mon agence croulait sous les demandes et j'en étais encore à me demander comment tout cela était possible.

Le succès était quelque chose d'étrange.

De difficile à comprendre.

Ça enflait, ça envahissait, ça faisait perdre la tête puis ça disparaissait aussi vite que c'était venu.

Moi, j'avais l'impression que ça arrivait à un autre.

À l'autre Park Jimin, beau, gracieux, aimé, doué, et valorisé.

Au masque que je portais.

Néanmoins, j'étais là, confronté à la popularité, accompagné de mon hyung à cette remise de prix de fin d'année.

Une nouvelle scène pour un autre public.

Je me voyais mourir d'angoisse.

— Jimin, détends-toi, me souffla Namjoon alors qu'on nous ouvrait la porte d'une salle de repos loin des bruits des photographes, de la foule et des journalistes.

Est-ce que j'allais être capable de chanter et de danser en même temps devant vingt mille personnes plus les milliers d'autres derrière leurs écrans ?

Clairement pas.

Les messages d'encouragements que je recevais à la fois sur mes réseaux sociaux et sur ma messagerie personnelle me faisaient chaud au cœur.

Visiblement, même avec le décalage horaire Tae, Yeri et Sehun étaient devant leurs écrans, prêts à me regarder ce soir en direct depuis chez eux. Ils n'arrêtaient pas de faire des commentaires sur la discussion.

— Essaye de manger quelque chose, m'avertit Namjoon, on va rejoindre les sièges d'artistes d'ici dix minutes.

J'avais l'estomac noué rien que d'y penser.

Soudain, la porte s'ouvrit sur Jackson, dans un costume vert original et séduisant et il fit une sorte de salut aristocratique faussement raté pour me saluer ce qui me détendit légèrement.

— Ravi de te revoir Jimin, ça fait un bail.

Puis il se décala sur le côté :

— Je t'ai amené un antistress naturel.

Je n'étais pas certain de comprendre ce qu'il voulait dire mais c'est alors que, passant le seuil de la porte, dans un costume rouge pétant faisant ressortir ses cheveux bruns, apparut Bambam dont les poignets et le cou étaient couverts de bijoux. Il se mit à crier avant de me sauter dans les bras.

Mes yeux s'écarquillèrent sous le choc.

— Mais comment tu as fait pour entrer ? m'étonnais-je tandis qu'il m'emportait dans une danse délurée.

— Je me suis faufilé dans le coffre de la voiture.

Mes yeux s'écarquillèrent encore plus et Jackson maugréa :

— Il a été tellement insupportable que j'ai dû l'emmener. Il aurait pu s'accrocher aux roues de la voiture pour venir.

— Hyung, je ne pouvais pas louper ton show de ce soir et les autres m'ont missionné pour t'encourager et te faire un massage qui te détende avant de monter sur scène.

— Pas de massage, merci.

Les massages thaïlandais étaient horriblement douloureux.

Visiblement, mon dongsaeng thaïlandais et Jackson s'étaient remis ensemble, du moins pour la soirée.

Je n'arrivais toujours pas à suivre leur relation.

— Tu peux boire aussi, m'informa le hongkongais en débouchant une bouteille et en présentant un verre à Namjoon qui refusa poliment.

L'arrivée de Bambam avait refroidi le rappeur.

— Non, assurai-je. Je veux avoir toutes mes capacités pour danser ce soir.

Les doigts du thaïlandais tentaient de détendre mes muscles malgré tout et Bambam parlait à toute vitesse, de son dernier appel à Tae, des conseils de sa mère pour calmer l'anxiété, du fait qu'il avait supplié son père de lui payer une place V.I.P pour s'installer ce soir aux premières loges mais que ce dernier avait refusé et de multiples autres détails insignifiants que je ne pris pas le temps d'écouter.

Je n'arrivais pas à me concentrer, même si nous passions à la fin de la cérémonie, ma tension était haute, mon stress palpable.

Je ne me sentais pas à l'aise.

Ce n'était pas mon monde, j'avais voulu flirter avec la musique, tenter quelque chose de nouveau, réaliser un fantasme, mais je ne pensais pas que ça irait si loin.

Certes, ce succès était éphémère, mais il était suffisamment impressionnant pour me glacer de terreur.

Mais je comptais bien en profiter. Car pour être tout à fait honnête, cette chanson méritait le succès qu'elle rencontrait. Yoongi hyung avait du talent, c'était certain.

La suite de la soirée se passa comme dans un rêve, j'étais bien trop déconcerté pour suivre les autres performances des artistes présents. Lorsqu'il fallait saluer les autres, je me levai davantage par automatisme que par véritable politesse.

C'était long, terriblement long d'attendre.

Je ne réussis à me reconcentrer que dans les moments où Namjoon remportait des prix. Notre chanson avait gagné dans deux catégories et son album dans une autre. Ma voix trembla quelque peu lorsque je reçus entre les mains le trophée de métal.

Contempler ainsi la foule, les flashs, les lumières, les caméras me donna encore ce sentiment que cette vie n'était pas la mienne mais je réussis à trouver les mots pour dire ce que j'avais sur le cœur.

J'imaginais déjà Tae et Yeri crier derrière leurs écrans pour m'encourager, Sehun faire mine d'essuyer une larme de fierté invisible tandis que Jin serait en train de coucher sa fille alors que Dasom crierait devant la télévision « Jimin est en train de parler, viens vite ! ».

Bambam devait être en train de gesticuler dans tous les sens en coulisses, Jackson, lui, devait sourire, Taemin hyung et le reste des dongsaeng devaient être calés dans l'appartement de l'un d'entre eux à manger des cochonneries, boire des bières en regardant les performances tandis qu'à des kilomètres d'ici, Kai devait beugler à qui pouvait l'entendre que sa « fleur des îles préférée » venait de gagner un prix.

Ma sœur devait tweeter à la vitesse de la lumière les résultats tandis que ma mère hochait la tête en écoutant mon discours tout en commentant ma tenue de ce soir : « il aurait dû mettre le costume bleu, plutôt que le violet, j'avais prévu qu'il mette le bleu », alors que mon père, lui, acquiescerait à tout ce que je disais en marmonnant, « c'est notre fils » et ça voudrait à la fois tout et ne rien dire.

J'imaginais presque Jungkook me regarder, un léger sourire sur ses lèvres et ses yeux se voilant de souvenirs en repensant à ce que nous avions partagé, en termes d'amitié, à une époque différente ou ni lui ni moi n'étions ce que nous étions.

Mais en souriant à Namjoon, gardant le trophée serré contre moi, je me mis à imaginer la réaction de Yoongi hyung.

Est-ce qu'il me regardait ?

Il avait beau faire le désintéressé en permanence, le fait que sa propre chanson puisse gagner autant de prix devait l'emplir de joie et de fierté. On félicitait les artistes mais rarement les producteurs, les compositeurs et les paroliers, ceux qui étaient derrière la scène, dans l'ombre.

C'était comme si hyung avait voulu me pousser en pleine lumière sur la plus grande scène du monde.

« Tu seras grandiose, Park ».

Le disait-il encore ?

Le pensait-il toujours ?

Nous quittâmes la scène pour les coulisses, un sunbaenim qui avait présenté les prix félicitait Namjoon.

Mais déjà mon euphorie se barrait en courant car l'heure avait tourné et à présent arrivait le moment de la performance.

— Prêt ? me questionna mon manager.

— Pas du tout.

J'avais encore le trophée dans les bras, ce n'était pas un prix très important comme ceux qui allaient arriver en fin de soirée mais j'aimais sentir le poids de cette récompense entre mes mains.

On passa à travers les différentes pièces et les couloirs pour arriver à notre loge où, une fois rentrés, le staff de Namjoon s'affaira à préparer nos tenues, à nous maquiller et nous coiffer pour la suite des festivités. Les back-danseurs s'échauffaient dans un coin et moi j'étais glacé de terreur.

Mais mon regard se bloqua sur la silhouette pâle prêt d'un fauteuil et sans réfléchir mes pieds s'avancèrent vers lui.

Je tendis le trophée et il s'en empara, son visage changea, quelque chose passa dans son regard éternellement blasé et je sus qu'il était touché par mon geste.

On resta ainsi à se fixer.

— Pourquoi tu es venu ? l'interrogeai-je. Namjoon a dit que toute l'équipe attendrait après la cérémonie pour un repas et une soirée.

— J'étais inquiet.

Le temps tournait, me filait entre les doigts, me rapprochant inexorablement de la scène, tentatrice et effrayante, mais je n'osais couper le contact entre nous pour rien au monde.

Car peu importe combien de fois on s'échappait, on fuyait, on s'égratignait, le fil de nos vies nous ramènerait inéluctablement en face-à-face.

Nous étions un nœud impossible à défaire.

Je pris sa main brûlante pour la poser contre mon cou, ses pupilles s'ouvrirent légèrement sous la surprise.

Je tremblais sous ses doigts, l'angoisse m'étouffait.

— As-tu écrit cette chanson pour moi ?

— Oui.

— Dans le but de t'excuser ?

— Je ne suis pas Namjoon, je n'utiliserais pas la musique pour ce genre de choses. De toute façon tu m'accuserais encore de lâcheté.

— En effet. Alors pourquoi avoir composé cette chanson-là ?

— Pour que tu sois exactement à la place où tu dois être maintenant. Sur la scène, sous la lumière.

L'émotion me prit et je m'accrochai à son poignet tandis que son pouce caressait distraitement la peau de ma gorge.

C'était comme si les quatre dernières années n'avaient jamais eu lieu. Comme si nous avions traversé l'espace-temps.

— Je ne suis pas sûr que ce soit la vie qu'il me faut, ça me fout les jetons, soufflai-je.

— Tu seras bien plus que grandiose, Jimin.

Le frisson me prit et je fermai les yeux.

On m'appela et je rouvris les paupières, détachai son poignet et je reculai doucement.

— Après... Après la performance on doit parler.

Il acquiesça doucement, si légèrement que je ne fus pas sûr d'avoir bien vu.

Les stylistes et les coiffeuses arrivèrent rapidement pour réarranger ma tenue et les retouches de maquillage de dernière minute. J'entrepris d'enfiler la dernière partie de mon costume. Je fis rouler plusieurs fois mes épaules avant de m'échauffer.

Dans les coulisses, plusieurs minutes plus tard, on m'installa le micro et Namjoon me tendit la main pour que je puisse la serrer.

Comme une promesse.

— Amusons-nous, cette scène est notre. Je suis vraiment heureux de pouvoir la partager avec toi. Éblouis-les.

Je me mis à sourire, un peu flatté et un peu amusé.

Puis proche de la scène, dans l'ombre des coulisses, son visage à fossettes se métamorphosa. Namjoon devint RM.

À mon tour de devenir ce quelqu'un d'autre que je voulais grandiose, sous la lumière.

Je gravis les marches, m'avançai vers le centre de la scène, pris place dans la pénombre sous les cris d'un public qui avait du mal à être silencieux. Ça me changeait des salles de théâtre.

Ça me plaisait.

Je m'accroupis, effleurant du bout des doigts le sol.

Le spectacle pouvait commencer.

*******

Je pouffai de rire en lisant les commentaires sur le groupe de discussion. Visiblement Yeri et Tae avaient du mal à se remettre de la performance de ce soir. Le visage encore maquillé, les cheveux coiffés comme jamais je ne pourrais les coiffer par moi-même, j'avais troqué mon costume haute-couture pour une tenue plus adéquate, un slim noir et un hoodie bordeaux, qui jurait avec l'aspect ténébreux qu'ils m'avaient donné en me maquillant.

La cérémonie était terminée depuis un moment et j'avais dîné avec tout le staff, les back-danseurs ainsi que Jackson et Bambam en compagnie de Namjoon et Yoongi hyung dans un restaurant local pour fêter la victoire et les deux daesang remportés ce soir.

La fête battait son plein et j'étais assez étonné du nombre de back-danseurs et autres manageurs de nos deux compagnies confondues qui ne savaient pas tenir l'alcool.

Ou alors c'était moi qui y tenais trop bien ?

La nuit était bien avancée et visiblement éméchés, certains commençaient à rentrer à l'hôtel alors que d'autres finissaient les bouteilles, dont Jackson et Namjoon par exemple actuellement en profond débat.

Bambam faisait la gueule dans un coin, visiblement lui et le hongkongais s'étaient disputés pour je ne sais quelle raison et mon ami thaïlandais avait fini par déserter en disant aller se coucher.

On se promit de se voir demain, seuls, pour le petit-déjeuner. Pour moi aussi, la fatigue tombait, le stress de la soirée s'était enfin relâché me faisant somnoler debout et en sortant à l'air libre, je m'accoudai contre le mur où hyung fumait sa clope.

Il me toisa dans un regard en coin et on resta ainsi, à observer la rue déserte où quelque rares taxis passaient par moments. Il finit par écraser son mégot dans un cendrier de poche avant de dire :

— J'ai quelque chose à te montrer.

Je plissai des yeux :

— Ça peut attendre demain ? Je suis claqué...

— Non.

— Tu fais chier.

— Ne pique pas mes répliques, Park.

Je m'arrachai un sourire alors qu'il profitait de l'arrivée d'un taxi pour lui faire signe de se garer. Je m'engouffrai dans l'habitacle et laissai ma tête reposer contre la fenêtre.

— J'ai vraiment sommeil, l'avertis-je.

Il ne répondit pas et j'entrouvris un œil pour observer son profil. Je revoyais encore son visage émerveillé comme un enfant lorsque Namjoon lui avait fait porter tous les trophées de la soirée entre les bras. Il avait eu du mal à les quitter ensuite.

Peut-être que s'ils avaient été plus petits, il les aurait mis dans sa boîte noire, qui contenait d'autres trophées, ceux des souvenirs de sa vie.

Je me demandais ce que ces récompenses musicales représentaient pour lui et ce à quoi il pensait en les tenant dans ses bras.

On arriva devant un petit immeuble moderne dans un quartier calme entouré d'un parc, et hyung tapa sur le digicode pour déverrouiller la porte de l'immeuble. On traversa le hall vide et impeccable, la rangée de boîtes aux lettres noires jusqu'à l'ascenseur. Au cinquième étage, il s'arrêta devant la troisième porte sur la droite.

Il posa son pouce sur le système de verrouillage électronique et la porte s'ouvrit dans un déclic. Je rentrai alors dans un grand appartement, spacieux, et probablement lumineux vu la taille des fenêtres. Il y avait peu de mobilier, tout était épuré, même trop d'ailleurs, on aurait dit un salon de magazine de décoration.

Je hochai la tête de manière impressionnée :

— Ça c'est un grand appartement, ça a dû te coûter une fortune.

— C'est une location, je n'ai pas encore prévu de l'acheter mais ça viendra.

— Et tu voulais me montrer où tu habitais pour que je calcule ce qu'il y a sur ton compte en banque ?

Il me toisa alors que je croisais les bras sur mon torse l'air blasé ; lui, il observa à son tour les lieux avant de marmonner :

— Il y a trois chambres, un salon, deux salles de bain, deux dressings, une cuisine à l'américaine et une vue sur le quartier avec un parc et des magasins aux alentours.

— Tant mieux pour toi.

Il roula des yeux :

— Ne fais pas mine de ne pas comprendre.

— Je vais faire mine de ne pas comprendre, arguai-je brutalement. Ça fait quatre années que j'attends des excuses.

— Je veux que nous cohabitions à nouveau.

Je soufflai bruyamment et fis quelques pas dans cette imposante pièce principale. Une pièce de vie sans la moindre trace de vie pourtant.

— Non, pas question.

— Je savais que tu dirais ça.

— Alors pourquoi me l'avoir demandé ?

Il ne bougea pas, pas d'un iota, avant de marmonner :

— Qu'est-ce que tu attends que je te dise ?

— Tout.

Je me retournai brutalement pour le fixer :

— Absolument tout.

— Il y a des choses que je n'arriverai jamais à te dire et des histoires que je ne pourrai jamais vraiment te raconter.

— Fais un effort, insistai-je de mauvaise humeur.

— Tu me fais chier, Park. En quatre ans tu as adopté un sale caractère.

— Alors là, c'est vraiment la poêle qui se fout du chaudron, rétorquai-je soudainement.

— Lequel de nous deux est le chaudron ?

Je m'arrachai un sourire avant d'avancer jusqu'au canapé et de m'y laisser tomber.

Il se servit un verre d'eau puis m'en ramena un qu'il disposa devant moi sur la table basse transparente.

— Je veux que nous refassions une colocation.

— Pourquoi ? l'agressai-je directement. Je te trouve bien calme pour quelqu'un qui m'a asséné que rien n'était possible, que c'était une mauvaise idée, que ce n'était que du vent...

Il hésita et je le vis boire une gorgée avant de souffler :

— Parce que c'est la meilleure des choses qui puisse nous arriver.

Je reposai mon verre qui tinta sur la table basse et m'enfonçai dans le canapé.

Je le trouvais trop calme.

— Tu prends toujours ton traitement ? marmonnai-je doucement.

— Oui... Je le prendrai à vie. Et tu le sais.

— Et ta psy, tu la vois toujours ?

— Non, je vois un autre psy, un homme cette fois, et ça va beaucoup mieux.

— C'est à vie ça aussi ?

— Très probablement.

Je le toisai, observant son comportement avant de murmurer :

— Quand tu es parti... est-ce que tu as replongé ?

— J'ai failli...

— Qui t'en a empêché ?

— Jungkook.

Il but à nouveau avant de reprendre :

— Je n'ai pas vraiment envie de parler de ça, Park.

Je me redressai un peu :

— Tu n'as pas supporté ça, n'est-ce pas ? Que Jungkook puisse te venir en aide ? Qu'il te découvre sous ton pire jour ?

— J'ai haï cette situation.

Je m'arrachai un sourire compatissant.

— Ça m'a au moins remis les pendules à l'heure, j'ai appelé Namjoon et je lui ai demandé de m'héberger, la suite il a sûrement du te la raconter.

— Oui, il l'a fait.

Nos regards se croisèrent et je murmurai :

— Si tout est stable pour toi maintenant, hyung, marmonnai-je, pourquoi vouloir d'une nouvelle colocation ?

— Pour la même raison que tu ne t'es toujours pas décidé à trouver un appartement.

La surprise marqua mes traits alors que mes lèvres s'entrouvraient de stupeur.

J'avais oublié à quel point il était direct.

— Le vide...

— Oui, le vide, répéta-t-il dans un souffle. Cette chose impossible à combler qui nous bouffe, qui fait qu'on cherche un sens à nos existences.

Le silence flotta comme une délicate musique autour de nous et j'étais suspendu à ses lèvres, plongé dans une discussion où chaque mot avait son importance.

— Le vide sera toujours là, hyung, murmurai-je.

— Bien évidemment.

— Comment tu as fait, ces quatre dernières années ?

— Je me suis noyé dans la musique et quand ce n'était pas suffisant j'ai demandé au psychiatre de monter mon traitement. Et toi ?

— J'ai fait comme d'habitude. J'ai dansé, j'ai couché et j'ai fait la fête.

À nouveau ce silence étrange mais réconfortant.

— Et Hoseok ?

Il ne cilla même pas et pour la première fois rien ne passa dans son regard.

— Hoseok s'est marié et il fera partie des listes électorales pour la prochaine élection de maire de la ville.

— Tu l'as revu ?

— Non.

— Ton monde tourne-t-il toujours autour de lui ? l'interrogeai-je.

— Je n'arriverai pas à répondre à cette question.

— Même avec ton psy ?

— Même avec lui, répondit-il.

Je baissai les yeux quelques secondes avant de chuchoter :

— Ce soir, j'ai eu l'impression que grâce à cette chanson, tu m'avais poussé en pleine lumière, jeté sous les projecteurs. Tu as dit que j'étais à la place où je devais être. Est-ce que c'est ça que tu as fait pour Hoseok à une autre époque ? Le pousser pour qu'il grimpe les échelons ? Qu'il se retrouve en pleine lumière ?

— Non.

Cette fois il y eut de l'émotion, un peu de froncement de sourcil et trois grammes de difficulté pour formuler une phrase :

— Hoseok n'a jamais eu besoin de moi pour faire ça.

Alors quelle place avais-tu, hyung, dans son monde à lui ?

— C'est toi qui devrais être en pleine lumière, soufflai-je, pour ton génie, pour ta musique.

— Je ne pourrai jamais l'être, je serais incapable de me confronter au public.

— Alors tu m'as jeté dans la cage aux lions à ta place ? ironisai-je légèrement.

— C'est mieux ainsi Park, toi tu as besoin de la scène.

— Hyung.

Il releva la tête comme s'il s'était déconnecté de la situation quelques secondes.

— Je ne veux pas être Hoseok.

— Rassure-toi, Park, tu ne le seras jamais.

— Mais j'ai l'impression que ce jeu d'ombre et de lumière est la répétition de quelque chose...

— C'est différent.

— En quoi ? l'interrogeai-je en fronçant les sourcils.

— Toi tu sais danser avec les ombres.

L'émotion me prit d'un coup sans que je ne m'y attende. Ça arriva de manière puissante et sans me prévenir.

— J'ai réfléchi à cette colocation, Park, à ce que tu m'as dit ce soir-là avant que je ne m'en aille.

— Dis-moi.

Ça ressemblait à une supplication, mais l'atmosphère de la pièce m'étouffait et ça faisait si longtemps que mon cœur de pierre ne s'était pas réchauffé que j'avais mal à la poitrine.

— Toi et moi ça n'a pas de sens.

Je relevai la tête et il bougea ses doigts comme un pianiste s'apprêtant à jouer de son instrument.

— Fondamentalement on ne fonctionne pas ensemble.

— Je sais, avouai-je.

— Mais tu as été grandiose au moment où je ne m'y attendais pas. Tu as fait en sorte que ça fonctionne alors que je n'étais qu'un déchet, qu'un amas de souffrance et de misère. Hoseok m'a empêché de me noyer, mais toi tu m'as sauvé.

Il me fixa dans les yeux et son regard me foudroya.

— Une part de moi a besoin de vivre avec toi pour être en vie et je sais que c'est aussi ton cas.

Je m'arrachai un sourire :

— Mais cette part ne sera jamais romantique ni sexuelle.

— Non, Park, jamais.

— On restera des êtres pulsionnels, hyung, moi le premier. Cette ligne on l'a franchie une fois, qui dit qu'on ne la refranchira pas ?

— C'est là toute la difficulté, avoua-t-il dans un murmure, là est tout le défi. Là, est la partie d'ombre de nos vies.

— Est-ce que tu t'enfuiras encore une fois ?

— Pas cette fois.

— Menteur, chuchotai-je en gloussant.

Puis j'ajoutai après quelques secondes :

— Cette conversation ne semble avoir aucun sens.

— C'est nous qui n'avons aucun sens.

— Aussi...

Alors que je me calais contre le dossier du canapé, recroquevillé, le sommeil me gagnant, je chuchotai :

— Tu m'as manqué.

— Je sais.

— Fais gaffe à tes chevilles, elles enflent là, je crois.

— Va chier, Park.

Je me mis à rire et il s'arracha un sourire.

— Personne ne comprendra jamais rien à notre colocation.

— On s'en fout des autres, argua-t-il brutalement.

Je fermai les yeux quelque peu :

— On reste ensemble alors ?

— Oui, Jimin. Jusqu'à ce que toi et moi soyons suffisamment réparés pour vivre heureux, chacun de notre côté.

— Et si ce jour n'arrive jamais ?

— Alors on vieillira ensemble.

— Tu es déjà vieux dans ta tête hyung, et tu marches comme un grand-père.

— Va chier, Park.

— Tu te répètes, gloussai-je.

— Viens.

Je rouvris les yeux alors qu'il se levait et je m'arrachai un grognement avant de quitter le canapé confortable.

— J'ai pas encore installé de matelas dans l'une des deux chambres restantes. Ils n'ont pas été foutus de me le livrer à temps.

Il ouvrit la porte de sa propre chambre et je restai béat d'admiration devant la taille de son lit. Il était démesuré et j'aurais pu me rouler cinq fois dans les couvertures sans même tomber du matelas.

— Ne sa...

Je pris mon élan et me jetai sur le matelas tandis que hyung terminait sa phrase d'un air blasé :

— ... ute pas sur le lit. Pourquoi tu fais tout le temps ça au juste ?

— Parce que c'est que du bonheur. Tu devrais essayer.

— Plutôt crever.

Il ouvrit son placard et me jeta sans ménagement un pyjama avant de se diriger vers la salle de bain adjacente à sa chambre.

Je me changeai rapidement et me précipitai sous les draps et dans les innombrables oreillers.

Le confort du matelas me fit pousser un soupir de contentement.

C'était du pur bonheur.

— Demain tu dors dans ton lit, lança-t-il en se faufilant sous la couette à son tour.

L'espace entre nos deux corps était si grand sur ce matelas qu'on aurait pu croire qu'il existait un décalage horaire entre son emplacement et le mien.

— Certainement pas, arguai-je, je suis sûr de ne pas avoir les moyens de me payer pareil matelas.

— Je te préviens si tu...

— Bonne nuit hyung, lâchai-je en appuyant brutalement sur l'interrupteur, nous plongeant dans le noir.

Il râla bruyamment et ça me fit pouffer de rire.

Je cherchai une position adéquate, pouvant m'étaler en étoile de mer sans même toucher son corps. Je roulai puis me déroulai dans la couette jusqu'à ce qu'il m'engueule brutalement.

Allongé sur le dos, les yeux rivés sur le plafond dans le noir le plus absolu, je me mis à sourire en repensant à cette journée entière et à cette conclusion.

Il m'aura fallu la moitié de ma vie pour réussir à trouver un sens à mon existence.

Un sens imparfait.

Une histoire compliquée.

Nous n'allions pas ensemble et pourtant on allait y arriver, à faire sens, à trouver du sens à notre relation même si ça resterait bancal, instable, toujours prêt à s'effondrer, loin des contes de fées et des romans à l'eau de rose.

Loin de l'amour et de la sexualité. Juste ainsi, à être l'un avec l'autre, l'un à côté de l'autre.

Colocataires.

Accompagnateurs de vie.

Je voulais marcher avec lui à mes côtés, toujours sur le fil, prêt à tomber d'un côté ou de l'autre. Et pourtant...

Hyung bougea et je cherchai sa main pour la serrer dans la mienne, il me laissa faire et ses doigts brûlants contre ma peau gelée me firent du bien. Mon sourire s'élargit alors que le sommeil me gagnait.

Et pourtant j'en étais certain, c'était ce qui nous conviendrait le mieux.

Nous allions être heureux.



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