73-
3 ans plus tard.
Quelque chose me tira de mon lourd sommeil brutalement.
Une affreuse sonnerie retentissait, me rendant confus alors que j'ouvrais les yeux dans la pénombre. Mon esprit perturbé eut du mal à comprendre ce qu'il m'arrivait, mais la lourdeur de mes paupières m'indiquait qu'il était bien trop tôt pour que mon réveil sonne.
Le cœur tambourinant, torturé par ce réveil brutal, je me relevai à demi et avisai mon téléphone qui sonnait avant de plisser des yeux en lisant le numéro de téléphone inconnu.
Je décrochai d'une voix rauque et ensommeillée.
« Monsieur Park Jimin ? »
— Oui... ?
Je me frottai les yeux en avisant mon réveil à la lumière bleue.
5h24 du matin.
Putain.
« Bonjour, excusez-moi de vous réveiller, je suis l'infirmière coordonnatrice de l'hôpital de Daegu. »
Mes yeux clignèrent plusieurs fois pour imprimer l'information. La voix était douce, parfaitement réveillée, elle, et surtout très professionnelle.
— Euh... oui... bonjour...
« Je me permets de vous contacter car vous faites partie des noms figurant sur la liste des personnes à prévenir en cas d'urgence pour le patient qui vient d'arriver chez nous. »
— Le patient ?
Mon esprit sembla s'allumer et bêtement je me mis à craindre pour la vie de Tae. Mais c'était tout bonnement impossible parce qu'il se trouvait actuellement en Afrique à des milliers de kilomètres d'ici. C'était comme si ce coup de fil m'avait brusquement ramené des années en arrière.
« Oui, Mr Min Yoongi a été interné d'urgence dans nos services. »
— Pardon ?
Min Yoongi.
Ce nom...
Ce nom je ne l'avais pas entendu depuis trois ans.
Mes yeux s'écarquillèrent et je me redressai complètement.
— Quoi ? Attendez...
« Oui, Mr Min est actuellement dans notre service de réanimation après une overdose. »
J'eus une pensée fugace, sarcastique presque.
Min Yoongi et overdose ? Pourquoi ces deux mots associés ne me surprenaient pas ?
— Écoutez je... ne sais même pas pourquoi vous m'appelez, moi. Il doit y avoir une erreur. Je ne suis pas de sa famille, ni son ami ou quoi que ce soit... Ça fait des années qu'il ne...
« Je suis désolée Mr Park, mais vous faites partie de la liste des personnes à prévenir en cas d'urgence. Parmi les individus sur cette liste vous êtes le seul qui, jusqu'alors, a répondu à nos appels. »
Je poussai une exclamation étouffée, trop choqué par cette nouvelle, avant de tenter de me reconcentrer à nouveau. Perturbé, je me passai une main désabusée dans mes cheveux sombres et décoiffés.
— Co... comment ça ? C'est quoi cette liste ? Qui d'autre y figure ? Je... ne comprends pas bien...
Je ne comprenais rien du tout, en vérité.
« Parmi les personnes à contacter en cas d'urgence, Mr Min a renseigné le numéro de sa mère mais son numéro n'existe plus. Il y a aussi un certain Jung Hoseok. »
— C'est lui qu'il faut appeler, pas moi, je ne sais pas ce que je fiche sur votre liste mais je vous assure que c'est une erreur !
« Mr Jung Hoseok ne répond pas à nos appels. Ce n'est pas la première fois que Mr Min est dans notre service mais cette personne n'a jamais rappelé, ni répondu au téléphone, ni même aux courriers que nous lui avons adressés. »
J'eus à peine le temps de cligner des yeux qu'elle reprit, d'un ton se voulant plus conciliant.
Tout s'enchaînait à toute vitesse, je n'avais pas le temps de réfléchir.
« Je suis désolée Mr Park. Mr Min n'a pas d'autres personnes à contacter à part vous et nous avons absolument besoin d'avoir un garant pour signer les papiers. »
— D'un garant ? Pour signer les papiers ? Attendez... Il peut très bien signer lui-même, non ?
« Non. Le médecin et le psychologue souhaitent le faire hospitaliser de manière intensive dans un centre de désintoxication la semaine prochaine. Mr Min refuse de s'y rendre et nous avons besoin de l'accord et de la signature d'un garant pour cela. C'est la troisième overdose en quelques mois et nous avions convenu, avec Mr Min, son médecin et son psychologue, qu'à la prochaine il serait directement envoyé en centre. »
— Et... vous voulez que ce soit moi qui vienne signer votre papier ?
C'était du délire.
Dur pur délire.
Je devais rêver.
Ou cauchemarder.
« En effet. Nous avons besoin d'un garant, ça n'implique qu'une signature et de régler des frais d'hôpitaux. »
Je sortis du lit, posant mes deux pieds au sol comme pour me convaincre que ce que j'entendais était réel.
On me demandait à moi, à moi de faire tout ça ?
De me porter garant de lui ?
C'était une blague ou quoi ?
« Écoutez. », tenta-t-elle encore en voyant bien que mon manque de réaction semblait sonner comme la fin de notre conversation. « Je comprends tout à fait que cette situation ne vous plaise pas mais pour être tout à fait honnête avec vous, nous sommes aussi dans une situation compliquée. »
— Comment ça ?
« Il n'a personne d'autre. »
Personne d'autre ?
— Personne n'est venu le voir ? Sa famille ? Des amis ? Vous n'avez réussi à joindre personne ?
« Personne. »
J'eus un pincement au cœur et je sentis venir un élan de pitié et de tristesse qui ne me disait rien qui vaille.
Dans mon cerveau, c'était la panique totale, un rush catastrophique pour trouver une réponse cohérente et sensée à tout ça.
« Est-ce que vous pouvez venir directement à l'hôpital Mr Park ? »
Je me sentis pris sur le fait et ma première réponse fut de dire :
— Euh... oui...
Et je regrettai presque immédiatement d'avoir dit cela.
« Merci beaucoup Mr Park. Nous vous attendons. »
Elle raccrocha et je laissai retomber mollement mon bras contre le matelas. Dans la pénombre de ma chambre, éclairée par mon écran de téléphone encore allumé, je fixai le décor, estomaqué.
Mon cerveau à peine réveillé fourmillait de centaines de pensées, de questions. Je me sentais presque forcé, embarqué, brinquebalé sans avoir pu me défendre ou réfuter quoi que ce soit.
Les regrets arrivèrent et je me mordis les lèvres, prêt à rappeler et dire que je ne voulais pas venir. Mais je me figeai, les doigts sur les touches de mon téléphone, avant de passer une main dans mes cheveux.
Min Yoongi venait de faire un retour dans ma vie, après trois ans d'inexistence. Un retour fracassant, quasiment violent, à l'image de ce qu'il avait été. Brut, sauvage, sans pincettes, sans douceur.
Et comme un con, je me retrouvais encore embarqué par ce qu'il provoquait.
Encore.
*******
Quatre heures et demie plus tard, j'étais l'un des premiers visiteurs de l'hôpital de Daegu.
Je m'étais fait violence, hésitant à maintes reprises avant de prendre le train.
Ma situation était tellement ridicule que j'avais presque eu un fou rire nerveux. Moi, venir voir Min Yoongi à l'hôpital à quatre heures de chez moi ?
Je devais être taré.
Je ne savais même pas pourquoi je faisais tout ça mais ma bonne conscience me poussait à prendre ma responsabilité après avoir assuré à la femme au téléphone que je viendrais.
Dans le train, je n'avais pas réussi à me rendormir, et à l'arrivée c'est une migraine qui m'attendait. J'avais ensuite avalé un petit déjeuner médiocre à la gare, avant de faire le trajet en taxi jusqu'à l'hôpital.
Il était trop tard pour reculer maintenant.
Je n'arrêtais pas d'essayer de me rassurer. Ça ne marchait pas vraiment.
Je sentais que je faisais une énorme connerie.
J'hésitais à envoyer un message à Tae, voir même à Yeri et Sehun, mais avec leurs décalages horaires respectifs, personne ne me répondrait immédiatement.
Mais surtout je me doutais qu'aucun d'entre eux ne serait ravi de savoir que j'allais rendre visite à mon ex petit-ami.
Enfin, je ne savais pas si le mot ex petit-ami valait le coup.
Ex plan-cul ?
Ex-amant ?
À croire que Min Yoongi ne pouvait rentrer dans aucune catégorie.
La fameuse infirmière qui m'avait appelé m'accueillit avec une émotion visible de soulagement. Elle me fit entrer dans son bureau pour me présenter au médecin de garde.
Leur comportement m'intriguait.
C'était comme si j'arrivais comme le messie.
Le médecin m'expliqua alors la gravité de la situation.
Les mots tournèrent longtemps dans ma tête alors que je me dirigeais jusqu'à la chambre de mon ancien hyung.
Je crois que cette infirmière avait réussi à me prendre par les sentiments. Elle semblait vraiment inquiète pour lui. Presque rassurée que quelqu'un vienne le voir.
Et moi, trop naïf, trop bon, trop con, je l'avais écoutée en me laissant convaincre.
« Monsieur Min est gravement malade, il est diagnostiqué comme maniaco-dépressif. Il a un traitement qu'il refuse de prendre. Il ne reste jamais longtemps à l'hôpital et refuse d'être envoyé en cure de désintoxication. C'est la troisième overdose en quelques mois, à ce rythme-là il va réellement finir par se tuer. »
Et évidemment, j'avais stupidement dit que j'allais aller le voir dans sa chambre.
Et je me retrouvais dans ce merdier avec un sentiment de colère et d'injustice.
Pourquoi ça devait être sur moi que ça tombe ?
Putain.
« Il n'a personne d'autre. »
J'étais vraiment trop con.
J'étais là juste à cause de cette foutue phrase, en fait.
Je devais vraiment arrêter de prendre les choses à cœur, de nourrir de l'empathie pour mon prochain et de m'inquiéter inutilement pour des choses qui ne le méritaient pas.
Mais il était trop tard pour reculer maintenant. Je m'arrêtai à la porte de la chambre 3345 en prenant une grande inspiration.
Est-ce que j'allais vraiment faire ça ?
Je devais être maso, dans mon genre.
Je toquai et n'entendis pas de réponse, je finis par pousser le battant. Mon cœur tambourina d'angoisse en passant le seuil de la chambre. La pièce était minuscule, une salle de bain, des placards, un mobilier classique de chambre d'hôpital.
Yoongi se tenait face à la fenêtre, une baie vitrée qui embrassait l'horizon et le ciel sombre et maussade de ce mois de février.
Il avait changé.
La lumière grise du ciel renvoyait une image de lui plus pâle et malade que jamais, le corps amaigri dans ce pyjama d'hôpital ridicule.
Les souvenirs d'il y a trois ans me revinrent en pleine face.
Violemment.
Sa tête se tourna vers moi avec cette apathie qui le caractérisait tant, mais sa figure afficha une expression d'horreur et de surprise qui me donna envie de ricaner.
Je m'attendais à quoi, au juste ?
— Pas la peine de me saluer, je ne reste pas, le toisai-je sur un ton froid qui cachait mon angoisse.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
Sa voix était aussi rauque qu'avant et j'en voulus à mon corps d'en ressentir encore des frissons.
— On m'a appelé.
— Comment ça, on t'a appelé ?
Son ton était agressif et je tiquai malgré tout.
Comment pouvait-il lui-même ignorer m'avoir écrit sur sa foutue fiche de contact ?
Je soufflai par le nez. Il fallait que je me ressaisisse. Je n'étais plus le Jimin d'il y a trois ans.
J'avais beau être stupide de m'être laissé avoir par cette infirmière, ça n'empêchait que je l'avais quand même mauvaise.
Débarquer dans ma vie à nouveau, me foutre sur sa liste, m'envoyer le voir à Daegu à quatre heures en train de Séoul et il avait le culot de faire l'innocent ?
— Creuse tes méninges, tu veux. Tu m'aurais inscrit parmi la liste des personnes à contacter en cas d'urgence.
— Je n'ai pas...
Mais il s'interrompit, ses yeux s'écarquillant comme s'il se souvenait avec horreur avoir réellement fait ça et il pivota de nouveau la tête pour faire face à la fenêtre.
— Et merde, jura-t-il.
— À qui le dis-tu, soupirai-je avec une nonchalance feinte.
— Tu aurais pu leur raccrocher au nez, ne pas te pointer...
— J'aurais dû, en effet... Tu sais qu'ils veulent me faire signer des papiers pour que tu ailles en cure de désintox ?
— Je n'irai pas.
Je soupirai :
— Et il faut aussi régler les frais d'hôpitaux.
— J'ai du cash pour ça. Ce n'est pas un problème.
— C'est un problème pour eux, t'as un paquet d'impayés pour d'autres séjours à l'hôpital !
Il se retourna à demi, me toisant d'un air sombre :
— Qu'est-ce que ça peut te foutre et qu'est-ce que tu fous encore là, Park, hein ? Pourquoi t'es venu ?
— Et toi alors ? rétorquai-je sur le même ton. Pourquoi toi, tu es là ?
— Mêle-toi de tes affaires.
J'eus un rire froid avant de rétorquer méchamment :
— Dans ce cas-là, il ne fallait pas m'inscrire sur cette foutue liste !
— Ignore ça et casse-toi.
— Comment veux-tu que je fasse ça ? m'emportai-je. À part moi, il n'y a personne d'autre, non ?
Il ne bougea pas, pas d'un poil, toujours avec cette immobilité apathique et glaciale.
Il avait changé.
Je ne saurais pas dire exactement comment, mais le fait même qu'il n'ait rien à me répliquer était étrange. Ses traits étaient tirés, il semblait malade même s'il ne semblait pas avoir vieilli, son visage de poupée trompeur avait l'air tout de même mal en point.
— Pourquoi Hoseok ne répond pas au téléphone quand ils tentent de le joindre ?
Yoongi ne répondit pas et je m'avançai vers cette fenêtre.
— Et Namjoon hyung ?
— On ne se parle plus.
— Et Jungkook ?
— Jungkook doit rester en dehors de tout ça...
— Et pas moi ?
Sa mâchoire se contracta et je le fixai droit dans les yeux.
Je ressentais un certain plaisir à faire ça, à me confronter à lui avec une force que je n'avais pas eue avant.
Je n'étais plus le même comparé à lui.
J'étais fier de la personne que j'étais aujourd'hui, trois ans plus tard.
Allez, regarde-moi hyung. Constate tout ce que je suis devenu.
— Tu as inscrit mon nom sur la liste des personnes à contacter en cas d'urgence ! m'indignai-je.
— C'était une erreur, répondit-il avec un ton qui voulait couper court à la conversation.
Pas de bol, moi j'avais envie d'en parler.
— Ça c'est sûr que c'était une erreur. Ça n'empêche que je suis le seul qui soit venu.
Ses yeux auraient pu me tuer s'ils le pouvaient. Ils étaient si sombres, si rageurs, si effrayants.
Malgré moi, je me sentais nerveux, angoissé. Pourtant je ne voulais rien laisser paraître, je ne voulais pas lui donner l'opportunité de voir une de mes failles.
— Si je signe ce papier ils vont t'envoyer dans un centre de désintox.
— J'ai dit que je n'irai pas, tu es sourd ou quoi ?
— Ce n'est pas ton avis qui compte si j'ai bien compris. C'est le mien ! insistai-je.
Il eut un ricanement et ses lèvres s'ouvrirent dans un sourire malfaisant et destructeur.
— Je vois. C'est pour ça que tu es là. Tu dois être venu pour ta vengeance personnelle. Satisfait, Park ?
Je fronçai les sourcils et il pencha la tête dans un mouvement qui aurait pu être mignon dans un autre contexte.
— Tu dois te sentir fier d'avoir soudain ce pouvoir sur moi. De me voir réduit à écrire ton nom sur un bout de papier comme si tu étais important.
Il avait vraiment toujours été doué pour être désagréable et blessant.
Ça, ça n'avait pas changé.
Mais ça ne marcherait pas cette fois.
— En effet.
Yoongi rigola, d'un rire dénué d'humour.
— Descends de ton piédestal, Park. J'étais défoncé quand j'ai écrit ce torchon... J'y ai même mis le nom de ma mère, fallait bien que je sois complètement mal en point pour écrire autant de merde.
— Visiblement.
Il me toisa avec son sourire dégueulasse qui lui donnait toujours autant une bouille adorable, tranchante avec ce charisme et cette aura dominante qu'il avait en permanence.
Il avait beau avoir une sale mine, être amaigri dans une tenue de d'hôpital minable, il restait encore toujours aussi magnétique que trois ans auparavant.
Mais je connaissais toutes ses ruses et ses tactiques.
— Rigole si tu veux, ça n'empêche que je vais signer ce papier, déclarai-je d'un ton sans appel.
Son sourire dégringola et il s'avança, menaçant.
— Ça va très mal aller pour toi, Park, si tu fais ça.
— Ah oui ? Et tu me feras quoi ?
Moi aussi je m'avançai avec force jusqu'à lui :
— Tu me feras du mal ? susurrai-je. Désolé de te décevoir, hyung, mais jamais tu ne me détruiras autant qu'il y a trois ans.
Il se figea, le regard plus noir que jamais.
— Je n'ai pas peur de toi, le toisai-je avec ce que j'avais de courage. Tu veux savoir pourquoi ?
— Vas-y, lâche-toi, ironisa-t-il, tu en meurs d'envie de toute façon.
— Parce que j'ai pitié de toi. Regarde ce que tu es devenu. Des années sont passées et rien n'a changé. Tu en es toujours au même point, aussi instable, aussi défoncé, et le même connard qu'autrefois !
Il leva un sourcil sarcastique comme si ça ne l'atteignait pas.
— Ah si, repris-je en me sentant devenir étonnement méchant. Une chose a changé.
Ses prunelles me fixaient comme s'il était surpris, moi-même je ne me reconnaissais pas.
Je pensais qu'il ne me restait plus de rage, ni de colère à son encontre. Ce n'était pas le cas.
Mais j'avais enfin le loisir de vider mon sac.
Peut-être que j'étais là pour ça, finalement. C'était ça et uniquement ça qui m'avait fait prendre le train depuis Séoul. Pour le confronter à ma colère, à ma rancœur et lui prouver que je n'étais plus celui que j'avais été.
Mais je me sentais tellement immature d'agir ainsi.
— Hoseok n'est plus là, terminai-je.
Quelque chose passa dans son regard alors même que son visage ne changea pas d'expression.
Je relevai le menton avant de lâcher un léger sourire méprisant :
— Tu es tellement seul que c'est moi qu'on appelle pour te venir en aide ? C'est pitoyable.
— Park Jimin, le héros, grinça-t-il. Ton grand fantasme.
— Je ne suis pas venu te sauver, repris-je, légèrement perturbé par sa phrase.
— Oui, je vois, tu es venu te moquer et te montrer arrogant ? ironisa-t-il. Quelle chance j'ai.
— Crois-tu ?
Je sentais que j'en avais déjà trop dit.
Moi, ma vie bien menée, mes études enfin terminées, mon diplôme en poche, mes projets, mes auditions, mes débuts en tant que professeur.
Ma vie avait été bien remplie depuis la dernière fois que je l'avais vu. J'avais arrêté de me chercher, de franchir les limites qui me détruisaient.
Je m'étais reconstruit, je travaillais, j'essayais de gagner ma vie, je rêvais de devenir le danseur principal d'un opéra ou d'une comédie musicale. Je sortais avec mes amis, j'appelais Tae lors de ses jours de congés tout comme Yeri, Sehun et Bambam aussi souvent que je le pouvais.
Je passais des auditions par dizaines.
Ma vie était précaire en terme professionnel mais j'étais plutôt fier de moi et j'étais heureux.
Mais cette connasse de vie, ce fichu karma de mes couilles, décidait de remettre sur ma route : Min Yoongi.
J'avais beau être venu cracher ma rancœur, lui prouver mes dires, ça n'empêchait que je ne me sentais ni heureux ni soulagé pour autant.
Alors qu'on en finisse.
— Tu veux que je te dise ? repris-je d'un ton plus calme. Je m'en veux d'être là. Je regrette d'avoir pris cet appel. Mais si tu penses que j'allais raccrocher et faire comme si je n'avais rien entendu, c'est très mal me connaître. Et s'il y a bien une chose que je te reconnais c'est ta capacité à cerner les gens. Tu savais. Tu savais qu'en mettant mon nom sur ta foutue liste je me sentirais obligé de venir t'aider ! Parce que j'aurais pitié de toi. Parce que c'est comme ça que je suis et ça, ça n'a jamais changé. Trop bon, trop con, n'est-ce pas ce que tu disais ? Tu as raison, mais j'ai appris à l'accepter. Je suis trop con et trop gentil, surtout après tout ce que tu m'as fait, mais je suis quand même là.
Je le toisai droit dans les yeux tandis que quelque chose se décomposait sur son visage. C'était imperceptible mais je l'avais vu.
— Tu as écrit mon nom parce que je suis la seule personne de ta vie qui peut te tendre la main. Tu n'as plus que moi. Il y a trois ans ça m'aurait empli de joie, aujourd'hui c'est un fardeau.
Je lâchai un petit soupir fatigué :
— Mais moi, contrairement à toi, je sais prendre mes responsabilités. J'ai pris cet appel et je suis venu.
Il y eut un silence, un silence qui me fit du bien.
J'avais enfin le sentiment que mon cœur était apaisé d'anciens tourments.
J'avais dit tout ce que j'avais à dire, et c'était la vérité.
Il n'avait plus rien, plus d'armes à retourner contre moi.
Je le voyais à sa mine légèrement surprise et à ses yeux inquiets.
Il me fixait et je voyais ses pupilles bouger, il devait réfléchir à toute vitesse mais il n'y avait plus de failles. Je n'avais plus rien à cacher.
Lentement, il bougea ses doigts dans un tic nerveux, son fameux réflexe de pianiste, et se tourna vers la baie vitrée.
Rien ne bougea, ni nous, ni le ciel.
Et tout restait gris et fade dans cette chambre.
Dire qu'avant je ne supportais pas ses silences car ils me mettaient mal à l'aise. Des années en arrière, je voulais à tout prix savoir ce qu'il pensait, ce qu'il faisait, ce qu'il éprouvait. Ça m'angoissait d'être dans cet entre-deux, d'être en attente, de découvrir s'il m'aimait ou non.
Aujourd'hui, ses silences, je les trouvais reposants et réconfortants.
— Fais ce que tu veux.
Ma tête se releva de surprise mais il n'avait pourtant pas bougé.
Il ne me regardait pas mais moi je le fixais. Jamais le Yoongi que je connaissais aurait prononcé ces mots-là. Il avait encore plus changé que je ne l'imaginais et c'était lui à présent qui avait l'air d'être rempli de failles, visibles et gigantesques.
Ce mot avait sonné comme un lâché prise, comme s'il avait abandonné les armes.
Cette phrase voulait tout et ne rien dire, mais j'avais l'impression que c'était sa réponse la plus sincère depuis des années.
C'était sa manière de répondre à la main que je lui tendais.
Sauf que ça impliquait aussi que je devais régler les frais d'hôpitaux et que je devais signer le document pour le centre de désintox.
— Je suis peut-être trop bon, trop con, mais pas riche à ce point. Tu te rends compte de la somme de tes...
— Va chez moi. Dans la bibliothèque, vide les livres. S'il n'y a pas assez, vide les flacons de médocs et les paquets de croquettes pour chat. Regarde dans le système de la chasse d'eau aussi et prends la boîte noire que tu trouveras en bas de l'armoire de la chambre fermée à clef.
Je clignai des yeux face à cette tirade directive ressemblant presque à un ordre sans appel et pourtant la seule chose qui me fit tiquer fut la présence d'un animal de compagnie.
— Tu as un chat ? m'étonnai-je.
— Non.
Il ne me regardait toujours pas mais je vis son dos se tendre.
Il y avait quelque chose de bizarre.
Je soupirai, réfutant toutes mes théories, ne voulant pas me pencher sur la question.
— Très bien, acquiesçai-je. Je vais chez toi, je reviens, je paye et je rentre à Séoul.
— Oui. Inutile de revenir là.
— Comme tu dis, acquiesçai-je. Inutile de revenir là. C'est la première et la dernière fois.
Son silence fut équivoque.
Outre le fait que j'avais galéré à trouver son logement, une fois à destination je dû me confronter à bien plus que ce que je n'avais prévu.
Déjà, il y avait assez de liquide dans son appartement pour penser qu'il avait dévalisé une banque.
Et il y avait assez de drogue pour penser qu'il tenait un cartel.
Je n'osais même pas imaginer dans quoi il trempait.
Son logement était un taudis insalubre, plus proche du squat que de l'appartement confortable de ville. Des camés complètement défoncés s'entassaient dans les pièces. Tout le monde dormait plus ou moins, la journée ne faisait que débuter, laissant les cadavres des bouteilles de la nuit à la lumière de la réalité.
De la poudre blanche, des pilules, des seringues, il y en avait partout. Des cendriers s'entassaient et une odeur de beuh flottait dans tout l'appartement. C'était un vrai bordel, mais personne ne fit attention à moi comme si n'importe qui pouvait aller et venir chez lui.
J'entendis même des gens baiser dans une chambre et constatai qu'il y avait des capotes usagées ou non dans presque toutes les pièces.
J'allais attraper une fichue IST rien qu'en restant là.
Mais dans le fond, tout ça me rendait insensible. Comme si je m'y étais attendu.
Ce n'est pas comme si je n'avais pas déjà été dans des soirées similaires à l'université, ni que j'avais suivi Yoongi dans ses combines trois ans auparavant.
J'étais plus fort que ça maintenant.
Et puis notre conversation m'avait rempli d'un grand sentiment de vide, comme si tout avait été dit.
J'avais réussi. Réussi à lui fermer le clapet, à prendre le dessus, à lui prouver ce que je valais.
Pourquoi je n'en étais pas vraiment heureux ?
Qu'importe.
Cette journée ne serait qu'un moment de perdition, une ellipse dans ma vie. Un clignement de paupière.
Dans quelques mois, j'aurais oublié.
Je l'aidais une fois, une seule fois, et je partais.
Et cette histoire aurait enfin un point final.
J'entrepris de vider les livres, fouiller les coins et les recoins. Je n'avais jamais tenu dans mes mains autant d'argent.
J'avais tout refourgué dans un sac trouvé dans sa chambre, pris ses fringues dans le placard, des produits de toilette et sa fameuse boite noire.
Elle était tout au fond du placard, si loin que j'eus du mal à la trouver.
C'était une petite boite de chaussures noire un peu vieille.
J'avais hésité mais finalement je ne l'avais pas ouverte.
Qu'importe.
Une heure plus tard, j'étais de retour à l'hôpital. Je réglai les impayés, les frais actuels de l'établissement et laissai le reste du liquide et la boîte dans le sac.
Enfin, après une légère hésitation et beaucoup d'insistance de la part de l'infirmière, je signai la décharge indiquant une hospitalisation à son encontre au centre de désintoxication à Gwangju.
Les dés étaient jetés.
Je laissai une aide-soignante lui emmener son sac et m'en allai. L'infirmière responsable de ma présence s'inclina pour me remercier. Je la fixai en me demandant s'il elle croyait réellement que Min Yoongi irait docilement en centre de désintox....
Bien sûr que non.
La matinée était terminée, laissant place à un après-midi tout aussi sombre et gris. J'hésitai vraiment à partir en ville pour manger ou aller directement vers la gare et je refermai mon manteau en mettant mes gants alors que le froid hivernal s'insinuait dans mon cou.
J'attendis le taxi, checkant les futurs trains pour rentrer sur mon téléphone.
Je me sentis soudain assailli de quelque chose. Ma tête pivota en direction des fenêtres de l'hôpital.
Et mes yeux tombèrent sur lui. Sa chambre était éclairée et il me regardait.
Son visage pâle sans aucune émotion me fixait de là où il se trouvait.
Il était loin et je ne voyais pas vraiment bien. Pourtant je crus voir sa bouche articuler un mot.
Est-ce que ça voulait dire Merci ?
Est-ce que ça voulait dire Adieu ?
Est-ce que ça voulait dire quelque chose ou était-ce mon esprit qui l'imaginait ?
Mon cœur se serra et un poids me tomba dans la poitrine, me faisant soudain frissonner sans que ce ne soit la température extérieure qui en soit la cause.
C'était sûrement la dernière fois que je le voyais.
Il allait disparaître de ma vie, peut-être même de toutes les vies.
Nos chemins se recroisaient et chacun de nous reprenait sa route. Le sien me paraissait si sombre et si dangereux que je me demandai s'il arriverait un jour au bout.
J'avais pris une décision pour lui et pourtant je lui avais laissé de quoi s'échapper avec cet argent dans le sac. Je ne voulais pas être garant de son existence, je la lui laissais et je ne doutais pas un instant qu'il s'enfuirait dans la nuit malgré toutes les recommandations et insistances médicales à son encontre.
Peut-être que c'était mal, peut-être que c'était bien.
Peut-être que c'était une erreur, tout ça.
Qu'est-ce que j'en savais ?
Mais je faisais un choix différent d'il y a trois ans.
Avant, j'avais voulu l'aider et ça m'avait coûté.
Aujourd'hui, je refusais tout ça.
Même si le prix à payer était de ne sûrement plus jamais le revoir.
Alors, avant de rentrer dans le taxi, je levai encore la tête. Il me fixait toujours sans bouger et ma bouche articula distinctement mes derniers mots.
Adieu, hyung.
*******
1 an plus tard.
Quelque chose me tira de mon lourd sommeil brutalement.
Une affreuse sonnerie retentissait, me rendant confus alors que j'ouvrais les yeux dans la pénombre. Mon esprit, perturbé, eut du mal à comprendre ce qu'il m'arrivait mais la lourdeur de mes paupières m'indiquait qu'il était bien trop tôt pour que mon réveil sonne.
Le cœur tambourinant, torturé par ce réveil brutal, je me relevai à demi et avisai mon téléphone qui sonnait avant de plisser des yeux en lisant un numéro de téléphone inconnu.
Je décrochai d'une voix rauque et ensommeillée.
« Monsieur Park Jimin ? »
— Oui... ?
Mon cerveau se paralysa d'un coup et mon esprit se ralluma à toute vitesse.
J'avais déjà vécu cette scène, à l'identique, il y avait presque un an.
« Bonjour je suis le médecin de la section psychiatrique de l'hôpital de Séoul. Excusez-moi de vous tirer du lit aussi tôt. »
— Qu'est-ce qu'il se passe ? m'exclamai-je en me relevant davantage.
La personne endormie à côté de moi bougea en se réveillant et je me levai pour quitter la chambre.
« Je vous contacte concernant un de nos patients, Mr Min Yoongi. »
— Pardon ? m'exclamai-je.
Dites-moi que ce n'est pas vrai, putain.
Oh non...
Oh non. Certainement pas !
Je sentis une colère sourde me monter à la gorge.
Il n'avait pas osé ?
Oh le con...
J'eus un tel excès de rage que j'agrippai le dossier du fauteuil en cuir pour le serrer de toutes mes forces.
Bordel de putain, de merde.
« Mr Min Yoongi vient d'être hospitalisé dans notre service après avoir essayé de mettre fin à ses jours. »
Mes yeux s'écarquillèrent, la pression retomba d'un coup en me coupant le souffle et ma main agrippa cette fois le fauteuil pour me maintenir debout.
— Quoi ?
« Mr Min est actuellement en soins intensifs mais ses jours ne sont plus en danger. »
Je clignai des yeux, incapable de penser.
Incapable de réfléchir.
Est-ce que j'étais à nouveau dans un cauchemar ?
Incapable de rester debout, je me laissai glisser contre le dos du fauteuil jusqu'au sol.
« Je comprends que c'est une nouvelle difficile à encaisser mais nous vous contactons car... »
— Vous avez eu mon numéro sur la liste des personnes à prévenir en cas d'urgence, coupai-je d'une voix atone.
« Exactement. Nous... »
— Appelez les autres personnes de la liste, soufflai-je presque désespéré. Appelez Jung Hoseok. S'il vous plaît. Je ne peux pas faire ça, je ne veux pas vous aider...
J'avais envie de le supplier.
J'avais envie de raccrocher.
J'avais envie que cette conversation n'existe pas.
Ce n'était pas comme la dernière fois, je le sentais.
Mais mon cœur, ce traître, battait à vive allure, de peur, d'inquiétude, d'empathie...
« Je suis désolé Mr Park, mais il n'y a personne d'autre sur la liste. Vous êtes la seule personne de son dossier à figurer dans les numéros à prévenir en cas d'urgence. »
Mes yeux s'écarquillèrent et je me recroquevillai en frissonnant, mon corps était frigorifié car je ne portais aucun vêtement. Mais il ne faisait pas froid dans mon appartement, c'était moi qui me mettais à geler soudainement.
J'avais froid comme si la mort avait posé ses mains sur moi.
L'enfoiré.
— Qu'est-ce que vous attendez de moi ? demandai-je en sentant mes dents claquer.
« Vous êtes indiqué comme garant de Mr Min. »
— Je ne suis pas son garant !
« Il vous a indiqué comme tel sur son dossier médical après sa dernière hospitalisation dans notre service il y a quatre mois. Nous avons besoin de vous rencontrer concernant les raisons de cette tentative de suicide et la démarche à suivre pour la suite des soins. Parce que Mr Min a tenté de mettre fin à ses jours et compte tenu de son dossier et ses antécédents, il peut être dangereux pour lui et pour les autres. Et sans un garant il ne peut plus sortir de l'hôpital. »
— Et si je refuse d'être son garant ?
Mon interlocuteur resta silencieux à l'autre bout avant de dire :
« Alors nous devons demander la mise en place d'une mesure juridique. Il devra passer un examen psychiatrique indépendant de notre service, pour juger s'il est ou non suffisamment stable pour s'occuper de lui-même. Dans l'état actuel des choses je ne vous cache pas que, compte tenu de son passé avec les drogues, il sera jugé inapte. De ce fait il dépendra entièrement d'une tutelle. »
— Et ensuite ?
« Mr Min sera envoyé dans une structure psychiatrique extérieure. »
— Et ensuite ? répétai-je.
Il y eut un raclement de gorge et le médecin reprit :
« Je pense que vous ne comprenez pas bien la situation. La mesure juridique est un acte ultime acté par un juge, on ne peut pas revenir en arrière. Mr Min ne sera plus responsable de ses actes, ce sera à un tuteur de décider à sa place. Compte tenu de son état psychologique, je doute qu'il puisse vivre en dehors d'une structure le restant de ses jours. »
— Vous... vous voulez dire qu'il va être interné à vie et qu'il n'aura... plus moyen de décider de lui-même ? Qu'il sera privé... de liberté ?
« Il sera hospitalisé à vie en structure psychiatrique, oui, c'est ce que je dis. »
Ma bouche s'ouvrit et je plaquai une main dessus.
« C'est une mesure extrême, Mr Park. Je pense que nous serions plus à même de trouver une solution tous ensemble, entre vous, la psychologue du service, l'assistance sociale et moi-même. »
— Je...
Je tremblais beaucoup et je me sentais mal. Horriblement mal.
Mon esprit était déchiré entre la colère et la rage qui me répétaient que Min Yoongi méritait d'être traité ainsi, d'être envoyé en psychiatrie pour le restant de ses jours. Après tout le mal qu'il avait fait, qu'il se faisait aussi, il n'était clairement pas en état de se prendre en charge correctement. Mais une autre part de moi, plus empathique, me soufflait à quel point cette décision était terrible.
— Je... j'ai besoin de réfléchir...
« Pouvons-nous vous appeler dès qu'il sera réveillé et conscient ? »
— Oui...
« Entendu, Mr Park. Merci. »
Le téléphone tomba sur le sol et mes mains se mirent à trembler avec force.
Mon esprit saturait d'informations que je ne désirais pas voir.
Pourquoi il me faisait ça ?
N'avais-je pas déjà assez souffert à cause de lui ?
N'avais-je pas déjà tout réglé la fois dernière ?
Je restai un moment allongé sur le sol, frigorifié, les lèvres violettes jusqu'à ce, pris d'une pulsion soudaine, je me relève.
Je cherchai dans mon répertoire le numéro de Jin hyung et lui envoyai un message.
Il devait encore avoir le numéro d'Hoseok et il fallait urgemment que je lui parle.
*******
Quatre jours plus tard, je recevais un nouvel appel du service de psychiatrie de l'hôpital de Séoul, m'informant que Yoongi s'était réveillé.
Cet appel m'avait pris de court alors que je me rendais à une audition de danse.
J'avais été si décontenancé et énervé que je l'avais raté.
En réalité, j'étais en colère depuis quatre jours.
Le genre de colère que je n'avais plus ressenti depuis longtemps.
Le genre de colère que je n'arrivais pas à gérer.
J'avais la haine, j'avais la rage.
Ça inquiétait mes amis, évidemment. J'étais à fleur de peau, agressif, infecte, acerbe et désagréable. Je réussissais à peine à me contrôler en donnant cours aux enfants dans le centre de danse dans lequel je travaillais à temps partiel.
Et ce fut toujours dans ce même état de colère et sans réussir à m'apaiser que j'avais déboulé à l'hôpital pour voir la personne qui me torturait l'esprit. L'infirmière avait voulu planifier un rendez-vous commun entre moi, le médecin, la psy et l'assistante sociale et j'avais été odieux avec elle.
Pourquoi moi, hein ?
Pourquoi devais-je subir ça ?
Qu'est-ce que j'avais fait de mal, bordel de merde, pour que ça me tombe dessus ?
J'eus un vague élan de culpabilité, alors que je marchais d'un pas décisif vers la chambre 5582, et je réussis à me dire qu'il faudrait que j'aille m'excuser auprès d'elle avant de partir.
J'avais l'impression de perdre subitement le contrôle de mes émotions et maintenant que je me tenais là, devant la chambre, j'avais à la fois envie de faire demi-tour et de tout casser.
Yoongi hyung méritait vraiment que je lui casse la gueule.
J'avais l'impression, injuste, qu'on m'avait refilé ce que je n'avais jamais demandé d'avoir.
J'avais l'impression, injuste, qu'il avait fait ça pour se venger de la dernière fois.
J'étais comme une bombe sur le point d'exploser.
Et si j'explosais, il allait en payer les frais.
Je pris une grande inspiration incontrôlable avant d'ouvrir la porte violemment.
Il était tard et la soirée avait déjà commencé. La chambre n'était éclairée que par un néon de couleur blanche au-dessus du lit donnant à la pièce une luminosité dégueulasse, presque grise.
Mes pas foulèrent le sol de manière brutale mais plus la distance entre le lit et la porte me rapprochait de lui, plus les informations parvenaient difficilement à mon cerveau intoxiqué par la rage.
Yoongi hyung se trouvait là, allongé, branché.
Mon corps se figea devant ce lit et mes yeux parcoururent avec stupeur tous ces tuyaux qui étaient plantés dans ses avant-bras, rattachés à des machines.
Et puis soudain, ma colère mourût d'un coup.
Je clignai plusieurs fois des paupières, hébété, comme frappé par la réalité. Puis mes pupilles s'écarquillèrent d'horreur en voyant son visage.
Il avait changé.
Il n'était que l'ombre de lui-même, tellement amaigri, tellement décharné. La présence des sangles autour de ses poignets m'avait été expliquée par le médecin, après son énième message sur mon répondeur, comme contention pour le maintenir au lit sans quoi il avait essayé plus d'une fois de se faire du mal.
Il ne bougeait pas, semblant avoir vieilli de mille ans, allongé comme ça.
Sa peau était blanche mais malade, ses cernes violacés.
La présence de la mort flottait dans la pièce, je pouvais presque la sentir.
Il semblait mort et vivant à la fois.
Il ressemblait à ceux qui avaient tenté de mettre fin à leur jour sans réussir.
Et puis soudain, mon cœur se mit à souffrir devant cette vision.
Ça me prit le cœur puissamment, le torturant d'une horrible manière.
C'était comme si ce genre de scènes ne faisait que me hanter, toute ma vie.
L'espace d'un instant je revis Tae dans un même lit, dans une chambre identique, dans le même état et même si les raisons étaient différentes, ma place était la même. Je n'étais que simple spectateur de la violence inouïe qu'on peut infliger sur un corps, spectateur inutile de la détresse et de la mort.
De la mort.
Contre toute attente, je m'avançai et pris sa main dans la mienne. Elle était gelée. Je sentis ma poitrine tressauter et la tristesse m'envahir.
La colère m'abandonna, mon corps lâcha des émotions en pagaille dont je ne savais pas quoi faire et je me mis à pleurer.
Mes sanglots empirèrent, inarrêtables.
Je ne savais pas trop pourquoi.
Je ne savais pas trop comment.
Sa main serra la mienne et ses paupières s'ouvrirent. Je ne réussis pas à m'arrêter de pleurer. J'avais beau essayer de me cacher, c'était trop tard, mais sa main resserra la mienne, plus fort.
Ses poignets étaient violacés à force d'être serrés dans ces sangles.
— Ne pleure pas pour moi...
Sa phrase rauque et maladroite me coupa le souffle et je me remis à pleurer à nouveau alors que ses doigts caressaient la paume de ma main.
— Je te déteste, hoquetai-je. Je te hais ! Tu n'avais pas le droit, hyung ! ... Pas le droit... de...
Je me repris en reniflant, essuyant rageusement mes larmes mais sans bouger ma main prisonnière de la sienne.
J'avais l'impression d'un grand vide, d'avoir reçu une grande claque, celle de la réalité.
Je tirai un tabouret pour m'asseoir, quittant sa main avec une étrange impression électrique au bout des doigts.
— Ouvre grand tes oreilles et écoute bien, le toisai-je avec ce qu'il me restait de self contrôle.
Je lui répétai alors ce qu'avait dit l'infirmière, ce que le médecin m'avait expliqué et la rencontre entre lui, la psy, l'assistante sociale et moi. Le risque de la mise sous tutelle juridique, l'hospitalisation en psychiatrie pendant des années, le traitement d'anti-dépresseurs à vie, la promesse de thérapies dites systémiques auxquelles je n'avais rien compris.
Il m'avait écouté sans bouger, comme à son habitude, et je n'arrivais pas à regarder ailleurs que sur tous les fils qui sortaient de son corps.
— Tu comprends ? clamai-je à la fin de mon discours. Il n'y a pas de porte de sortie et c'est à moi, à moi de prendre cette décision pour toi !
Il ne répondit pas. J'eus presque la sensation qu'il allait me dire : « Je sais ».
Mais parce qu'il m'offrait le silence, ça m'agaça, alors la colère se remit à galoper dans mon cœur :
— Pas question ! Hors de question ! Tu m'entends ?! Je ne veux pas !
Je le toisai en tremblant légèrement :
— La dernière fois, si je t'ai aidé, c'est parce que c'était exceptionnel ! C'est parce qu'il y avait eu une erreur sur la liste, mais pourquoi il a fallu que tu refasses la même connerie deux fois ?! M'inscrire encore ? Mais tu es complètement con, ma parole !
Il ne répondit pas à nouveau.
Je m'attendais pourtant à une de ses phrases fétiches, vulgaire et violente, loin d'être aimable, mais il resta silencieux.
Pas glacial, pas froid, juste figé.
Comme s'il était en bout de course, au bout du rouleau.
Comme s'il n'était plus rien qu'une ombre.
Mon esprit balisa face à ce comportement tout sauf ressemblant à sa personne. Mon esprit paniqua, m'emportant dans un nouveau tourbillon d'émotions.
Je poussai un cri de rage, mon corps se tendit comme si j'allais frapper quelque chose.
Ou quelqu'un.
— Ça, c'est trop facile ! lui hurlai-je. C'est dégueulasse de me laisser cette responsabilité ! Je ne referai pas la même chose que la dernière fois ! Pas question ! Tu n'as pas le droit, bordel !
Je le fixai, ma colère jaillissante et cognant contre les murs de la chambre :
— C'est ta vengeance pour ce que j'ai fait la dernière fois ? C'est ça ? Tu me refourgues la responsabilité de ton futur et je vais devoir passer ma vie à vivre avec ça ? À vivre avec ce poids de t'avoir retiré toute liberté et t'avoir envoyé à l'asile ?
Ses pupilles croisèrent les miennes avec ce même vide dans ses prunelles et j'eus envie de le frapper de toutes mes forces.
Je préférais encore quand il n'était pas aimable.
Je préférais encore quand il était méchant.
Là, il n'était rien et c'était terrible d'être spectateur de ça.
— VA TE FAIRE FOUTRE ! m'égosillai-je.
Je sortis en trombe de la chambre en claquant la porte, je tombai directement sur des membres du personnel alertés par mes cris mais je les ignorai, les dépassant sans attendre pour quitter cet endroit.
Je me sentais bouillonnant d'une fureur ingérable.
Une fois dehors, incapable de me contrôler, je me mis à courir de tout mon soûl.
Une vague de violence et de rancœur me bouffait le cœur et il fallut un long moment pour que je parvienne à me calmer.
C'est essoufflé, la transpiration me dégoulinant le long du visage que je tenais baissé, plié en deux et les mains sur mes genoux, que la sonnerie de mon téléphone me sortit de ma transe colérique.
J'aperçus le numéro et la photo moche de Kai sur l'écran et je décrochai à la dernière seconde avant le déclenchement de mon répondeur.
« Yo gros cul, c'est moi. »
— Ce n'est pas le moment-là...
«... je te manque trop, c'est ça ? Je savais que tu ne pouvais pas vivre sans moi, ma fleur des îles. »
— Non. Kai, ce n'est vraiment pas le moment.
J'entendis un long silence avant que d'une voix plus sérieuse mon interlocuteur ne reprenne :
«... Ça ne va pas ? Tu veux que je passe chez toi ? Qu'on aille faire un billard ? Que je te ramène les dvd de high school musical ? »
— Non. Je veux me bourrer la gueule.
« Nice ! J'appelle les autres, on se rejoint au bar ? »
— Et Kai ?
« Oui, ma fleur des îles ? »
— Arrête avec tes dvd de high school musical... soupirai-je.
« Mais... mais... Ces films sont des chefs d'œuvres ! »
— Non, toujours pas, j'en ai marre de te le rappeler...
« C'est ça, et fais semblant de pas kiffer Zach Efron, je te connais gros cul... tu fantasmes de fou. »
— Je vais raccrocher, annonçai-je en commençant à avoir l'ombre d'un sourire.
« On se rejoint au bar dans 30 minutes ! »
En regardant mon téléphone, je me rendis compte qu'il était assez tard et que j'avais sauté le repas du soir.
Tant pis.
Mais j'entendis presque la voix de Yeri, avec son ton maternel, me rappeler qu'il ne fallait pas sauter de repas et je soupirai bruyamment.
J'hélai un taxi et me rendis directement dans notre bar habituel. Il s'agissait d'un pub irlandais implanté à Hongdae avec des serveurs et des propriétaires pas plus irlandais que n'importe quel coréen. Néanmoins, la bière venait bien de là-bas et l'ambiance et la musique aussi.
La bande et moi-même venions souvent et, à force, nous avons appris à connaître les proprios. Après plusieurs secondes d'hésitation, je finis par commander une barquette de frites et un burger et m'accoudai sur une chaise haute au bar.
En attendant ma commande, j'écrivis un message à Yeri en lui demandant de me rappeler urgemment.
— Et un cheeseburger avec frites, lança le barman.
— Merci, Kihyun.
— Tu veux boire quoi avec ?
— Mets-moi une pinte de Kilkenny, s'il te plaît.
En grignotant, je pianotai sur mon téléphone rapidement et me mis à relire ma dernière conversation avec Tae, datant d'il y a plus de six jours.
Malgré la distance et le décalage horaire, nous parvenions souvent à échanger. C'était, par contre, plus difficile de s'appeler mais notre amitié se poursuivait sans grande difficulté. Tae s'épanouissait dans son travail, malgré la difficulté de celui-ci. Il m'impressionnait : plus les années passaient, plus je le trouvais, fort, mature et solide.
De même que pour Sehun et Yeri, j'avais assez souvent des nouvelles, ces derniers allaient bientôt déménager sur Paris pour le travail de Yeri et Sehun affichait déjà plusieurs tatouages sur son bras gauche depuis la dernière fois que l'avais vu. J'avais, par contre, peu de nouvelles de Jin hyung, on s'envoyait quelques messages de temps en temps. À présent, notre aîné se formait pour devenir médecin généraliste et avait été envoyé dans une petite ville à l'extérieur de la capitale. Pour lui aussi les choses se passaient bien, et il habitait avec Dasom depuis l'année dernière. Ensuite, et pas des moindres, Bambam était rentré l'année dernière en Thaïlande, il poursuivait sa spécialité en chirurgie plastique et réparatrice dans son pays d'origine mais faisait très souvent les allers-retours en Corée où il squattait mon appartement pendant plusieurs jours. Lui, n'avait pas changé du tout.
Le temps était passé, notre amitié était restée la même, même si elle se déroulait différemment d'il y a quatre ans. Notre groupe de discussion s'activait parfois pour informer les uns et les autres de divers événements importants mais chacun de nous poursuivait sa route, ses rêves et ses projets de son côté. Mais le contrat de Tae tirait sur sa fin et nous nourrissions le projet que lorsqu'il rentrerait en Corée, les choses redeviendraient exactement comme elles l'étaient avant.
Néanmoins, en cet instant, je ne savais pas si appeler mon meilleur ami était une bonne idée.
Devais-je lui dire ?
Tae était rarement objectif quand il s'agissait de Yoongi. Et puis Yoongi était le hyung de Jungkook. Est-ce que ça n'allait pas retourner le couteau dans la plaie ?
Ils avaient eu beau se revoir il y un an, ça n'empêchait que pour eux aussi le temps passait et les choses évoluaient.
Le visage et le nom de Jungkook s'affichaient à présent sur tous les magazines de sport, d'actualités et même sur celui des potins et des rumeurs. Les journalistes se l'arrachait. Le Golden Maknae faisait parler. C'était la nouvelle star de baseball et sa popularité devenait de plus en plus grande chaque année. Je suivais sa carrière via les journaux et les magazines car avoir de ses nouvelles où réussir à le contacter était devenu difficile.
Jungkook devenait plus inatteignable à chaque victoire de son équipe. Il allait devenir le meilleur sportif de l'année, ça, je n'en doutais pas un instant.
En faisant défiler mes notifications, mon cœur s'emballa en m'apercevant que Jin hyung m'avait répondu.
« Bonjour Jimin, Comment vas-tu ? Ça fait longtemps. J'ai le numéro d'Hoseok comme tu me l'as demandé. Je ne suis plus vraiment en contact avec lui depuis la fin de l'université alors je ne sais pas s'il fonctionne encore, tiens-moi au courant si jamais. Bonne soirée. Jin. »
J'eus une seconde d'hésitation, le temps de prendre une autre bouchée avant d'appuyer sur le numéro donné.
J'attendis.
J'attendis jusqu'au répondeur avant de dire :
— Bonsoir, c'est Park Jimin. Je suis désolé de t'appeler ainsi, mais il faut qu'on parle de Yoongi hyung, c'est très important. Rappelle-moi, merci.
Je raccrochai avec la certitude que ça n'avait servi à rien.
Si un hôpital, il y a un an, n'avait pas réussi à le joindre, je doutais de réussir à mon tour.
Je continuai mon repas en soupirant par moment sous le regard un peu étonné de Kihyun.
Ce connard de Yoongi était vraiment cruel.
Horriblement cruel sur ce coup.
« Ne pleure pas pour moi. »
Connard.
Je frottai ma main qu'il avait serrée sur mon pantalon.
Ne te laisse pas attendrir, Jimin.
— Yo, gros cul.
Bras dessus bras dessous, Kai tenait la taille de Jenny, sa copine depuis quelques mois. À côté se tenait Momo qui n'avait pas l'air d'avoir envie d'être là, il y avait ensuite Hoshi, Ten et Haechan, mes dongsaeang de l'université, Wonwu et Joshua.
— Où est Taeming hyung ? demandai-je.
— Avec sa copine, je crois bien, il a décliné pour ce soir. Alors, gros fessier, on veut se bourrer la gueule ?
Je le fixai dans les yeux, voulant lui transmettre tout mon sérieux face à cet énoncé et il leva les sourcils :
— Ah oui, quand même.
Puis il clama la phrase que j'attendais tant :
— C'est ma tournée !
Ce soir, il fallait que je me sorte tout ça de la tête, que j'oublie cette vision de Yoongi dans ce lit d'hôpital.
Que j'oublie que ma vie venait de prendre un virage imprévu.
Que j'oublie qu'on m'avait donné les clefs de son destin.
Que j'oublie l'angoisse de me retrouver au pied du mur.
Si je laissais les choses se faire, Yoongi allait sûrement s'enfuir, sombrer dans sa dépression, et réussir à se tuer une bonne fois pour toute.
Ou alors, il serait admis en hôpital psychiatrique pour le restant de ces jours perdant ses droits et sa liberté à tout jamais.
Et que ce soit l'une ou l'autre solution, ce serait moi qui serais à jamais responsable de son destin.
Était-ce ça qu'il voulait ?
M'emporter dans sa chute pour ne pas être seul ?
C'était cruel.
Mais il avait toujours été cruel avec moi.
*******
Allongé sur mon lit, je tentais de me remettre de la violente gueule de bois qui me bousillait le crâne.
J'avais comaté la journée entière.
Cette cuite de la veille n'avait servi à rien. Pire, durant la soirée j'avais déprimé comme pas deux, dansé comme un strip-teaseur, aux dires de Kai mais je ne me fiais pas trop à son avis en général moyennement objectif, j'avais vidé des fonds de bouteilles, fait des mélanges, vomi, re-dansé et j'avais même embrassé Ten.
Et voilà, que je me noyais sous la quantité de regrets qui m'assommait.
Jamais plus je n'allais pouvoir regarder Ten correctement. Quand je pense qu'avant ce soir il ne savait même pas que j'étais gay...
Bordel.
Mon téléphone abandonné près de mon oreiller sonna mais je ne répondis pas.
Ça faisait trois fois que l'hôpital essayait de me joindre. D'après le message qu'ils avaient laissé sur mon répondeur, Yoongi hyung refusait son traitement, s'était montré violent et agressif envers le personnel et lui-même, et qu'il avait été sédaté de force, temporairement.
Qu'est-ce que je devais faire ?
Peut-être que dans le fond cette cuite n'avait pas été si inutile, je me sentais moins colérique et surtout je pouvais me l'avouer, j'avais déjà pris ma décision.
Le seul problème c'était que ma tête et mon cœur ne s'accordaient pas.
L'un voulait se débarrasser de cette responsabilité comme la dernière fois mais l'autre n'arrivait pas à se résoudre à laisser Yoongi seul dans cette situation-là.
Je ne voulais surtout pas laisser s'emmêler des émotions et des affects, mais c'était fichu.
Mais je pense que j'avais déjà pris ma décision dès l'instant où je l'avais vu sur ce lit d'hôpital, mais qu'à ce moment-là je n'avais pas voulu l'admettre.
Peut-être parce que ça faisait trop écho avec l'image de Tae, lui-même dans cette position, que je me sentais comme ça. Peut-être était-elle là, ma place, mon éternelle place. Être l'aidant.
Faire quelque chose.
J'imaginais déjà la réaction de Yeri et Sehun mais je craignais surtout celle de Tae. Je ne pouvais pas leur dire.
Pas encore.
J'assumerai seul cette connerie.
Parce que oui, c'était une connerie et je ne pouvais pas le nier.
Je me doutais que d'une manière ou d'une autre, ça finirait par se retourner contre moi et j'allais souffrir, encore.
Comme d'habitude.
J'étais vraiment maso, en fait.
Mais cette fois c'était mon choix.
Je me redressai de ma position allongée et me levai pour m'habiller, enfilant une veste et les premiers vêtements venus ainsi que mes chaussures avant de claquer la porte de mon appartement.
Je fis quelques pas avant d'attendre le bus qui me mènerait à l'hôpital.
Assis sur mon siège, regardant défiler les rues, mes pensées étaient obsédantes et ininterrompues mais mon esprit fut coupé par la sonnerie de mon téléphone.
Teamin hyung m'appelait.
« Jimin, ça va ? »
Son inquiétude me fit tiquer.
— Pourquoi tu demandes ça ?
« Cet abrutit de Kai n'a pas arrêté de m'envoyer des messages hier soir durant votre soirée et il avait l'air inquiet pour toi. »
— Donc il joue les mecs stupides mais il ne l'est pas, on nous aurait trompés... plaisantai-je.
« À qui le dis-tu. Toutes ces années de mensonge, tu te rends compte ? Le pire, il pourrait même avoir un cerveau ! », ironisa-t-il.
J'éclatai de rire en me sentant soudain beaucoup mieux et je repris :
— Merci hyung, ça m'a fait du bien de rire.
« Plus sérieusement. Kai était anormalement inquiet. Qu'est-ce qui se passe ? »
— Je m'en vais faire une belle connerie je crois...
« Mais ? »
— Mais si je ne la fais pas, je le regretterai sûrement toute ma vie.
Mon hyung ne répondit pas tout de suite.
« Sois un peu plus clair. Quel genre de connerie tu t'apprêtes à faire ? »
— Celle où tu sais que ça va te mettre dans la merde mais que tu dois sauter à pieds joints dedans quand même, parce que tu veux à tout prix aider quelqu'un d'autre.
« Cette personne le mérite-t-elle seulement ? »
Je soupirai :
— Non...
« Jimin. Je ne vais pas te dire ce que tu dois faire ou non, mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? »
— Je ne sais pas, hyung, avouai-je. Mais si je ne le fais pas, je ne sais pas comment je pourrais faire pour vivre avec ça, vivre avec cette lâcheté...
« Ce n'est pas toujours de la lâcheté », me fit-il remarquer, « parfois c'est du courage, car pour mettre à distance des gens qui nous enfoncent plus qu'ils nous relèvent il faut de la volonté. C'est une décision difficile à prendre. »
Je ne répondis pas tout de suite, observant le trafic de la ville à travers la fenêtre du bus.
— Je n'y peux rien, hyung, je crois que c'est dans ma nature de vouloir me sacrifier quitte à souffrir pour autrui.
« Même si cette personne ne le mérite pas ? »
— Hyung, hasardai-je. Si tu devais aller à l'hôpital et voir cette personne alitée, au bord de la mort, branchée, seule... terriblement seule, qu'est-ce que tu ferais ?
« Je pense que je voudrais l'aider », avoua-t-il. « Mais tu as appelé ça une connerie, non ? C'est qu'il doit y avoir une couille dans le pâté, non ? »
— Oui... Parce que clairement cette personne ne me remerciera jamais, ne m'aimera jamais, ne me sera jamais redevable.
« Alors pourquoi tu t'entêtes ? »
— Parce qu'il n'a que moi...
Je l'entendis soupirer bruyamment :
« Je t'aurais prévenu... »
— Je sais, je ne viendrai pas me plaindre après.
« Va sauver ta princesse en détresse et rappelle-moi dans la semaine, ok ? »
— Entendu.
« Fais attention à toi. »
— Oui, hyung, merci.
Sauver ma princesse en détresse ? L'image me fit sourire alors que je raccrochais mais les coins de ma bouche redescendirent.
Je me mis soudain à prendre conscience d'une vérité.
Peut-être que Yoongi hyung voulait inconsciemment que quelqu'un le sauve, en dernier espoir, en dernier recours. Et moi je voulais être un héros, j'avais besoin d'être important, nécessaire, unique et vital pour quelqu'un.
Dans le fond, il m'avait bien choisi, et moi, comme un con, je sautais à pieds joints dans ce piège.
J'avais peut-être besoin, pour moi-même, de sauter dans ce piège ?
Je m'embrouillais.
Une fois le bus arrivé à destination, je m'arrêtai devant le bâtiment gigantesque de l'hôpital pour prendre une grande inspiration.
Je bifurquai dans le hall pour éviter de croiser les infirmières et filai directement vers la chambre de Yoongi.
Je toquai et entrai sans même avoir obtenu de réponse.
Il n'avait pas bougé, encore attaché aux sangles du lit, mais son visage était plus terrible encore. Comme s'il était au seuil de la mort, effrayante et sidérante.
Mes yeux ne cillèrent pas alors que je m'approchai de son lit.
Ses iris noires se calèrent avec froideur dans les miennes.
Je restai debout et le toisai :
— Je vais aller voir le médecin, la psy et tous les autres et je vais signer les documents.
Il y eut un éclair imperceptible dans ses yeux, un petit éclat noyé dans son apathie habituelle.
Je croisai les bras :
— Ce sera une décharge de sortie.
La lueur revint, restant vivace plus longtemps.
— Mais je ne te laisserai pas retourner dans la nature pour que tu ailles te jeter du haut d'un pont dans la minute, ou pire... Pas question non plus qu'on joue à ce jeu de l'hospitalisation où on m'appelle au beau milieu de la nuit tous les quatre matins...
J'avais toute son attention et ça devait lui demander un effort immense à cause des médicaments qu'ils avaient dû lui faire ingurgiter.
— Je suis ton garant, non ? J'ai donc une responsabilité sur toi...
Ses sourcils se froncèrent légèrement et je me sentis idiot mais incroyablement heureux de pouvoir me délecter de ce suspense ridicule en observant ses expressions sur sa figure.
Je devais lâcher cette bombe, même si c'était la pire idée du siècle.
— Tu vas venir vivre avec moi, chez moi.
— Tu as perdu la tête...
Sa voix était tremblante, éraillée, détruite.
Il semblait accuser le coup de la surprise avec une légère moquerie, habituelle pourtant. Et je revis les coins de sa bouche se plisser avec cette arrogance connue.
— Je prends la responsabilité que tu m'as filée à ma manière, avec mes règles et mes conditions.
— Et tu crois... sincèrement... que je... vais m'y plier ?
— On va faire un deal parce d'une manière ou d'une autre ta mort je vais l'avoir sur la conscience.
Il me relança un coup d'œil.
— Par cruauté, par vengeance, je m'en fous de savoir les raisons pour lesquelles tu me fais ça. Mais prends tes responsabilités, je suis là parce que tu l'as voulu. J'ai les deux pieds dans la merde et il est hors de question que je reste sans rien faire.
— Te revoilà... en héros... maintenant...
— N'est-ce pas ce que tu attends de moi, hyung ? m'exclamai-je subitement.
— Tu... te surestimes...
— Alors pourquoi moi ? Pourquoi m'appeler moi ? M'inscrire comme garant ? Pourquoi tu me fais ça ? écriai-je.
Il ne répondit pas.
— Je t'explique mon idée. Ouvre grand tes oreilles, crachai-je contrarié par son manque de réponse. J'ai un appartement avec deux chambres, mon coloc est parti il y a dix jours en Australie pour suivre la mutation professionnelle de sa copine. J'ai une chambre de libre, tu la prends. Et là ne me fais pas dire que ce n'est pas mieux que de déambuler dehors, trouver des squats ou te faire envoyer à l'hôpital psychiatrique.
Il ne répondit pas, semblant attendre que je termine.
Il avait cette mine concentrée et ce regard intense qui me mettait mal à l'aise mais il n'était pas question que je détourne les yeux.
— Ma condition, c'est que tu te fasses soigner, tu suis un psy, tu prends ton traitement et tu ne te drogues plus.
Il y eut un silence, ce fameux silence si caractéristique de lui. Mais ce jour, ce n'était qu'une bataille muette entre nos deux regards.
— Je t'aiderai.
Il n'aima pas ce mot car son expression se fit grimaçante mais j'insistai :
— Pour tes crises, ta désintox, ta vie... je t'aiderai. Plus la peine de me mettre garant, je serai toujours là.
Je m'avançai, me penchant presque sur son lit :
— Je te tends la main hyung, une dernière fois. Fais taire ta putain de fierté mal placée et accepte. On se retrouve dans cette situation à cause de toi. Tu l'as cherché. Tu cherches une porte de sortie et moi je veux être un héros, c'est le bon compromis, non ?
Resta le silence, pesant et équivoque, avant que je ne soupire en me relevant pour bifurquer en direction de la porte.
— Je ne serai... jamais la personne que tu... voudrais que je sois, Park.
Je m'interrompis avant de dire, durement :
— Je le sais. Mais tu devrais essayer de devenir la personne que tu voulais être, hyung.
Je pris la poignée et sortis en fermant la porte sans un bruit.
Je soufflai un coup en restant dos à la porte avant de prendre la direction du bureau du médecin de service. Mes pas étaient décisifs et mes pensées aussi alors qu'au fond de moi, j'entendais mon cœur pleurer.
La balle était dans son camp à présent.
À lui de savoir quel choix il allait faire.
À lui de saisir ou non la main que je lui tendais.
Une dernière fois.
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