
70-
Les astres devaient être alignés.
Je ne pouvais pas voir les choses autrement.
Nous allions à Disney World pendant deux jours.
Hier, le temps avait été catastrophique et aujourd'hui la journée était radieuse, absolument pas prévue par la météo.
Demain soir, la réponse à mon entretien devrait arriver.
Les choses s'enchaînaient trop bien pour que ce soit une simple coïncidence.
Tête Rousse était devenu Tête Bleue et le thaïlandais nous attendait, les mains sur les hanches, à l'entrée du parc.
À côté de moi, Jungkook portait nos sacs, des lunettes de soleil sur le nez, une casquette sur la tête. Ses cheveux avaient poussé et je les aimais finalement plus longs qu'à l'accoutumée. À ma gauche, une paire de lunettes sur le nez aussi, Jimin marchait, sa veste en jean préférée sur le dos.
Il avait toujours l'air aussi mince, mais ses traits étaient un petit peu moins tirés.
Il allait un tout petit peu mieux, ne sortait plus, dormait beaucoup et retournait en cours, mais concernant l'appétit les choses n'étaient pas encore revenues à la normale.
Il était venu dormir dans mon appartement hier soir pour que l'on puisse prendre le train jusqu'au parc d'attraction ensemble.
Bambam nous attendait sur le pied de guerre et en plissant les yeux, gêné par le soleil parce que je n'avais pas de lunettes, moi, je distinguai à ses côtés Jin hyung ainsi que la présence d'une fille.
Ils étaient en train de grignoter.
J'avais faim tout d'un coup.
— Vous êtes en retard !
— Désolé, Schtroumpfette, on a loupé le train, on a dû attendre vingt minutes pour le second, répondit Jungkook avec un sourire taquin.
Bambam lui envoya un coup d'œil désagréable, appréciant peu le nouveau surnom.
— Bleu c'est original, tenta Jimin.
Ses cheveux décolorés étaient trop abîmés alors il avait dû les reteindre en noir. Même si moi j'aimais beaucoup, il m'avait avoué qu'il préférait être blond.
— Yeri et Sehun ne sont pas arrivés ? m'étonnai-je.
— Je n'arrive pas à les joindre, s'inquiéta le thaïlandais.
— À tous les coups ils ne sont pas réveillés... tenta Jimin.
Jin hyung, qui était au téléphone jusque-là, s'approcha alors, la jeune femme à ses côtés le suivit.
— Ils ont loupé le réveil, nous informa-t-il en raccrochant.
Puis il gloussa :
— Ils avaient l'air en panique. En tout cas, en comptant le trajet et l'éventualité de louper la navette, ils ne seront là que dans une heure et demie.
Le visage de Bambam se décomposa mais notre hyung lui posa une main rassurante sur l'épaule.
— Il est tôt, le parc vient juste d'ouvrir. On va déposer nos affaires à l'hôtel, faire tranquillement le tour et récupérer les fast-pass. On pourra reprendre un petit déjeuner en les attendant.
Je votais pour le petit déjeuner supplémentaire.
Puis Jin hyung, voyant qu'on observait le seul membre de sexe féminin parmi nous, pivota à demi en nous la présentant :
— Désolé, je manque à tous mes devoirs. Les amis, voici ma petite amie, Park Dasom.
Il nous présenta tour à tour et la jeune femme nous offrit un sourire en s'inclinant légèrement.
Ma première pensée fut de la comparer à son ex-copine, celle qui était aussi sorti avec Jungkook. Elles ne se ressemblaient pas du tout. Dasom était bien plus naturelle, beaucoup moins sophistiquée. C'était une belle fille, un peu plus grande que Yeri sans doubles paupières. Sa peau était légèrement mate et elle avait un sourire doux. Elle faisait plus âgée que nous et dégageait une aura calme et mature. Son style vestimentaire prouvait aussi qu'elle n'avait rien à voir avec la précédente copine de hyung. Elle était habillée simplement sans vêtements à motifs, sans bijoux.
— Je suis heureuse de vous rencontrer, Jin m'a beaucoup parlé de vous tous.
— C'est une noona, nous prévint notre ainé.
— Enchanté de te rencontrer, reprit Jimin.
Jin hyung ne parla que d'elle pendant les vingt prochaines minutes tandis que nous rentrions dans le parc. Ma réaction fut de me dire qu'il semblait très amoureux.
Elle avait un an de plus que lui et travaillait comme graphiste dans une société d'animation en développement. Elle travaillait sur la création de jeux-vidéos et dû répondre à l'immensité de questions que Jungkook et Bambam avaient sur le domaine. Elle avait été championne de jeux en ligne il y a quelques années, ce qui lui valut d'être littéralement admirée par les deux plus jeunes. Dasom avait été dans une école spécialisée et n'avait jamais mis les pieds à l'université. Elle n'appréciait pas les soirées festives, ni l'alcool. Enfin, on apprit qu'elle ne savait pas du tout cuisiner.
En dix minutes, on savait presque tout d'elle et Jin hyung semblait tellement fier et heureux de nous la présenter qu'il finit par la rendre mal à l'aise.
Ils se complétaient plutôt bien.
Bambam écouta peu voir rien du tout de nos échanges, concentré sur le plan du parc, auto-gradé « chef d'équipe » pour les deux jours, et il semblait s'arracher les cheveux pour que tout se passe bien.
On eut le temps de déposer nos bagages à la conciergerie de l'hôtel avant de se promener. Jimin aurait souhaité qu'on choisisse nos chambres mais Yeri nous harcela de messages pour qu'on les attende pour le « jeu des chambres ». Et parce que parfois on avait peur de Yeri lorsqu'elle était en colère, on abdiqua.
On eut, par la suite, le temps de faire le tour du parc, le nombre de visiteurs commençant dangereusement à augmenter, tout en récupérant les billets en avance pour certaines attractions qui me firent froid dans le dos. Ce ne fut qu'au moment où on s'approchait enfin d'un stand de nourriture, dans l'espoir de reprendre un petit déjeuner, que Bambam nous annonça que Yeri et Sehun étaient arrivés et qu'on devait les rejoindre. Jimin eut tellement pitié de ma tête qu'il me paya des brochettes de poulet frit, nous éloignant alors du groupe principal.
Sur le trajet, de la sauce aigre douce plein la bouche, je m'enquis :
— Tu te sens comment ?
— Comme si je vivais une gueule de bois depuis une semaine...
Il tenta de me faire un sourire rassurant :
— Ne t'inquiète pas autant.... Tu devrais être content que je ne sois plus capable de sentir un verre d'alcool sans vomir. Je crois que j'ai explosé mon quota d'alcool pour l'année...
Mais je m'inquiétais quand même. Je lui tendis une brochette parmi les cinq encore dans la barquette, il hésita avant de mordre dedans.
— Et les cours ? Les entraînements ?
— Je pense que c'est mal parti.... On a beau être qu'au début d'une nouvelle année, je n'arrive plus à suivre le rythme.
Il reprit en soupirant.
— J'ai séché trop de cours et d'entraînements en danse. L'écart entre moi et les autres s'est creusé et... je n'ai plus la force physique pour les chorégraphies. Je pense que je vais redoubler mon année...
— Ne dis pas ça, on est qu'au mois de juin, il te reste toute l'année pour te reprendre et remonter tes notes !
Mais il n'eut pas l'air convaincu.
— Pour l'instant je... je me sens encore trop mal pour faire quoi que ce soit. Si Bambam n'avait pas manqué de pleurer pour me convaincre de venir aujourd'hui, je ne serais pas venu.
Je lui pris la main et la serrai dans la mienne :
— Moi je suis content que tu sois là.
Il eut un petit sourire :
— Merci Tae, je vais tenter de m'améliorer et redevenir comme avant pour que tu puisses compter sur moi à nouveau.
À peine eut-il le temps de finir sa phrase qu'il fronça les sourcils :
— J'ai le droit de demander ce qu'il se passe avec Jungkook ?
— Pourquoi tu me dis ça ?
— Vous vous calculez à peine...
Je me mordis la lèvre.
Plus que deux jours à attendre.
Plus que deux jours. Demain soir, la réponse sera là et on pourra enfin se poser sur notre avenir.
— C'est rien...
— Ça n'a pas l'air rien... tenta-t-il. Je le trouve... différent. Au début, j'ai cru qu'il était bizarre avec moi, même si je me suis excusé et qu'il m'a assuré ne pas m'en vouloir. Mais en fait, il est bizarre avec tout le monde. Je le trouve déconnecté.
— Oui, il est fatigué...
On arriva bons derniers alors que devant l'hôtel, Sehun et Yeri tentaient de justifier leur panne de réveil devant un Bambam désabusé. Leurs comportements faisaient rire Jin et Dasom. Je jetai un coup d'œil à Jungkook.
Jimin avait raison, il ne regardait pas la scène, semblant absent.
Sehun avait un épi sur la tête et Jimin leva les sourcils par-dessus ses lunettes de soleil :
— Vous êtes sûrs d'être en retard pour une panne de réveil ou pour avoir fait du sport de chambre ?
Les deux le fixèrent sans la moindre gêne et Yeri secoua ses cheveux :
— Jamais le matin.
— Notre heure c'est plutôt après manger les jours on où ne bosse pas.
Jin hyung gloussa, amusé, tandis que ma mâchoire se décrochait et Bambam se boucha les oreilles.
— J'ai pas envie d'entendre ça !
On rentra dans l'hôtel tandis que Jimin, mesquin, leur assurait qu'il ne les croyait pas. Tandis que l'homme à l'accueil s'inclinait pour nous saluer, je m'approchai de Jungkook en effleurant son poignet, ce qui le reconnecta à la réalité.
— Tu veux dormir ? On peut prendre une heure ou deux avant de commencer les attractions, on a deux jours après tout...
Il secoua la tête en tentant un sourire, un peu crispé.
— Non, ne t'inquiète pas, j'ai juste mal dormi...
J'acquiesçai doucement sans creuser davantage et retirai mes doigts de son bras. On récupéra les clefs et Jimin râla qu'il ne voulait pas être dans la même chambre que Bambam. Yeri, elle, était surexcitée de découvrir les « thèmes » des chambres.
On fit un pierre-feuille-ciseaux pour choisir nos clefs et je perdis lamentablement. En sortant de l'ascenseur pour le quatrième étage, Sehun argua :
— Si on tombe sur un thème princesse, je fais un scandale pour qu'on change de chambre !
— Quoi ? Tu adores la reine des neiges ! s'exclama Yeri.
On fixa Sehun qui se racla la gorge.
— N'importe quoi...
Mais elle haussa les sourcils plusieurs fois, d'humeur taquine, et lâcha :
— Tu ne veux pas nous faire une démonstration de comment tu chantes « libérée, délivrée » sous la douche ?
— Continue et c'est fini entre nous.
— Mon dieu, mais qui récupérera la garde des enfants ? rétorqua-t-elle en jouant faussement la femme effarouchée.
— Je prends le chien, je te laisse la bagnole.
— Tu es sans cœur.
On commença à rire de leur bêtise mais dans le fond mon cœur eut un pincement.
Il y a presque un mois ils s'étaient fait du mal, et pourtant ils étaient là plus forts que jamais, plus complices encore. Ils incorporaient Jimin dans leurs délires et leurs discussions sans arrière-pensées.
Et nous, depuis combien de temps est-ce que nous n'avions pas pu avoir ces moments de complicité ? Pourquoi eux y arrivaient et pas nous ?
Une violente jalousie me rit à la gorge tandis que je voyais le regard de Jungkook les fixer longuement. Je n'avais aucune idée de ce à quoi il pensait.
J'éloignai ce désagréable sentiment pour me reconcentrer sur la scène devant mes yeux. Comme des gamins, on trépigna devant les chambres des autres pour découvrir les thèmes de toutes les pièces. Bambam et Jimin furent les premiers à ouvrir leur porte et le nouveau brun rentra rapidement avant de soupirer de soulagement.
— Seigneur merci, pas de rose.
La chambre était dans les tons bleu sur le thème de Peter Pan et Bambam montra ses cheveux, tout heureux :
— C'était le destin ! La couleur nous a porté chance !
Ils se firent un high five tout content et chacun se jeta sur son propre lit. Il s'agissait de lits jumeaux.
Dasom prit la clef des mains de Jin, l'air sérieuse, et sortit de la chambre pour se diriger vers celle d'en face. On la suivit jusqu'à ce qu'elle ouvre le battant. La couleur jaune clair, presque crème, la fit grimacer mais Jin nous regarda avec un sourire confiant :
— J'aime le rose, la chambre de princesse ne me pose pas de problème.
Néanmoins elle rentra dans la pièce avant de revenir tout enthousiaste :
— On a eu le Roi Lion !
Ce fut au tour de Jin d'être déçu tandis que Yeri et Sehun riaient. Dasom regarda Jin :
— Le roi Lion c'est vraiment bien, pourquoi tu fais cette tête ?
— J'avais envie d'avoir Toy Story.
Ils se glissèrent dans leur chambre en se chamaillant sur la différence Disney et Pixar alors que Yeri et Sehun nous montraient leur clef dorée avec supériorité.
— Dernière chance... on échange ?
On se regarda, Jungkook et moi, mais avec défi il fronça les sourcils :
— Nan.
Il prit la clef de mes mains et déverrouilla notre porte.
Sincèrement, maintenant qu'on m'avait parlé de princesse Disney, j'angoissais à l'idée d'avoir une chambre rose avec des lits en forme de carrosse mais les couleurs sur le papier peint à l'entrée de la pièce me rassurèrent. Yeri ouvrit la bouche, surprise :
— C'est....
Puis elle râla :
— Ils ont eu Alice au pays des merveilles !
La chambre n'avait qu'un lit double gigantesque, les meubles avaient été façonnés de tel sorte que la ressemblance avec le dessin animé était frappante. La penderie avait la forme d'une carte de pique. Une fausse statue de chat rayé sortait d'un mur comme s'il s'y était glissé et dans un coin se trouvait un petit bureau dont la décoration ressemblait fortement à la table du chapelier fou. On échangea un sourire, le premier de la journée, et Jungkook releva le menton, croisant les bras sur son torse pour narguer le couple :
— On a la chambre la plus cool ! Bien fait pour vous !
Sehun grogna et s'empressa alors d'aller ouvrir leur propre chambre et on ne les suivit pas, déposant nos affaires, mais le cri de Yeri alerta sûrement tout l'étage et on se précipita.
Elle sortit dans le couloir, un grand sourire aux lèvres et les yeux brillants :
— On a eu la chambre Némo ! Dans vos dents le Taekook !
Le quoi ?
Il semblait que ce soit son heure de gloire, parce qu'elle et Sehun firent une petite danse de la victoire devant nos yeux dépités.
À croire que la plupart de mes amis avait cinq ans d'âge mental.
Dasom osa entrer dans la pièce avant d'en ressortir avec une mine désespérée :
— Leur chambre est magnifique.
Je la suivis avant d'écarquiller les yeux.
La pièce était sombre mais tout le décor faisait penser à la vie sous-marine aux tons avec le reflet de la lumière sur les coraux.
Je sentis la main de Jungkook passer sur ma nuque.
— On a eu la plus originale, ne t'inquiète pas.
Lorsque Jimin arriva, il tenta de négocier d'arrache-pied avec Sehun pour un échange de chambres à coup de paris et de promesses mais le couple ne s'y plia pas.
C'est dans cette ambiance survoltée qu'on quitta enfin l'hôtel pour faire les activités du parc. La chaleur commençait à grimper, on effleurait le début d'une mousson qui s'annonçait étouffante et le soleil tapait sur nos têtes. Personnellement, je me sentais stressé de faire certaines attractions à sensation mais j'étais bien le seul à ne pas être emballé.
Devant une grosse montagne russe, je me mis à paniquer dans la file d'attente et Jungkook se tourna vers moi. Il semblait un peu plus participatif depuis qu'on avait été à l'hôtel et me tendit sa main que je pris doucement.
— Je vais rester avec toi, tu me serres fort si tu as peur mais franchement, pour l'avoir déjà fait c'est plus impressionnant que ça en a l'air. Ça ne dure que quelques secondes.
Alors que nous prenions place dans les sièges, ma nervosité augmenta et je me mis à marmonner :
— Je vais descendre je crois, je le sens pas...
— Hyung, tout ira bien. On est tous ensemble, n'est-ce pas le plus important ?
Si.
Mais non.
Enfin oui.
Mais...
Je ne sais pas.
Possible.
J'avais le droit aux réponses à choix multiples ?
Je devais peut-être faire une prière, la déesse de la bouffe devait sûrement connaître le dieu des sensations fortes et lui parler de mon cas à la machine à café du paradis. Je les imaginais bien se taper la causette sur le coin d'un nuage, sirotant une boisson sucrée et rageant sur le petit dieu de l'amour en couche-culotte qui leur posait un paquet de problèmes ces derniers temps...
Mon siège s'enclencha d'un coup et je fus coupé dans mes pensées désorganisées. Le corps vraiment bien protégé, on glissa lentement sur les rails, s'enfonçant dans un tunnel et je poussai un glapissement apeuré.
La main de Jungkook n'avait pas quitté la mienne et lorsque le wagon sortit du tunnel, je fus ébloui par le soleil avant de sentir mon cœur tomber dans ma poitrine en voyant la tournure qu'allaient prendre les rails.
— Nom d'un petit bonhomme ! jura Dasom, assise à côté de moi, les doigts crispés sur la rambarde de sécurité qui encadrait sa tête.
Moi, j'avais envie de crier des jurons bien plus violents mais quand le wagon s'ébranla en commençant sa descente, j'écrasai la main de Jungkook entre mes doigts.
Je fermai les yeux en me retenant de hurler de tout mon soûl tant j'étais effrayé, j'entendis à peine les cris de joie, les exclamations en liesse. Je priais pour que le temps file, que ce calvaire se termine. À chaque montée et descente mon cœur semblait aller et venir dans ma poitrine et c'était la pire sensation de la terre. Ça ne dura que quatre minutes mais en sortant j'eus l'impression d'avoir utilisé ma force vitale tout entière.
Mes jambes tremblaient et Jungkook me réceptionna avant que je ne tombe. Ma pâleur l'inquiéta et Yeri s'approcha, les traits surpris.
— Taehyung, ça ne va pas ?
J'avais peur de vomir alors je n'ouvris pas la bouche en secouant la tête, cachant mon visage dans le torse de Jungkook.
— Hyung, me chuchota-t-il à l'oreille. C'est pas grave si tu ne veux pas en faire d'autre, d'accord ?
Il resta à côté de moi et me fit asseoir sur le premier banc venu à l'extérieur de l'attraction. Sehun, inquiet de la blancheur soudaine de mon visage, proposa d'acheter des glaces et Dasom me tendit sa bouteille d'eau fraîche. Tout le monde semblait aux petits soins et je me sentais un peu triste d'être le seul incapable de profiter des attractions.
— On peut faire deux groupes, proposa Jin hyung, comme ça Taehyung n'aura pas à attendre tout seul.
— Ça ira, assurai-je, profitez-en, vraiment.
— Ça veut dire qu'on a un ticket en trop si Taehyung ne fait pas les grosses attractions, prévint Jimin.
— On fait quoi ? demanda Jin hyung, on le donne à quelqu'un ?
Mais vu les regards que les autres échangèrent, j'anticipais déjà la suite.
— Pierre-feuille-ciseaux ! s'écria Sehun.
Toutes les mains partirent au quart de tour, engagées dans le combat, alors que Dasom sursautait, surprise par la rapidité foudroyante du groupe à rentrer en compétition à la moindre chose. Elle me lança un regard et je lui fis un petit sourire désolé mais elle parut très compréhensive alors même que deux cris, un hurlement de rage et un ricanement, nous rendaient extrêmement bruyants pour tous les gens aux alentours. Jimin, grand gagnant, arracha ses lunettes telle une star hollywoodienne :
— Jimin, Park Jimin. Pour vous servir.
Ils se mirent tous à rire alors que je roulais un peu des yeux. Mon meilleur ami brandit mon ticket comme un trophée, prêt à ameuter tous les passants pour être applaudi dans sa victoire. Le voir ainsi me fit chaud au cœur. J'avais l'impression que tant que nous serions ici, dans ce parc, tous ensemble, il allait tout oublier de ses problèmes.
Mes yeux volèrent de visage en visage et mon cœur tremblotant de peur se réchauffa. Cette journée s'annonçait particulièrement bonne. La météo était inespérée, tout le monde était là, tout le monde était venu grâce à Bambam. Jungkook avait son beau sourire et j'eus la sensation qu'un tel sourire, avec ses dents de lapin adorables qui me faisaient parfois rougir, m'avait manqué.
Comme si je ne l'avais pas vu ainsi depuis une éternité.
Je ne devais pas penser à demain soir.
Je ne devais pas sentir le poids de mon téléphone dans ma poche de pantalon.
Je ne le consulterais pas.
J'oublierais moi aussi tous nos soucis.
Juste pour profiter de cet instant.
Pour la suite des activités du parc, on perdit un temps fou dans une boutique extérieure. Chacun de nous voulut acheter un petit quelque chose, on se mit aux essayages de serres-têtes à oreilles de Mickey, de mains de Tigrou en peluches, de ventilateur licorne qui déclencha une hystérie de la part de Yeri.
Elle et Dasom avaient l'air de bien s'entendre et elles riaient souvent ensemble. Yeri semblait particulièrement rayonnante aujourd'hui.
Sehun opta pour un serre-tête Lilo & Stitch où la petite créature bleue semblait allongée sur son crâne. Bambam ne cessa de répéter à quel point c'était adorable et Sehun crâna comme un paon en répétant à tout va « t'as vu, je suis adorable » alors que Jungkook rétorquait « Stitch. Pas toi, t'es pas adorable ! ». Yeri s'empressa d'enfiler le même et ils prirent une multitude de selfies. Dasom et Jin enfilèrent deux casquettes roses avec des pompons en forme d'oreilles de Mickey que j'aurais bien voulu porter mais Jungkook n'était absolument pas motivé pour porter du rose. Jimin opta pour un serre-tête Mickey où la petite souris, à l'instar de Stitch sur la tête de Sehun, semblait allongée sur ses cheveux alors que Bambam prit une tête de Winnie en peluche qu'il pouvait enfiler par-dessus ses cheveux bleus.
Alors que j'hésitais encore, Jungkook posa sur ma tête un serre-tête avec le nœud de Minnie, rouge à pois blancs, et il enfila le même.
On se mit à rire comme deux gamins avant de faire des photos.
Il nous fallut une demi-heure pour réussir des selfies correctement avec tout le monde réuni dans le cadre.
Après avoir dévalisé la boutique, armés de nos couvre-chefs dont on était fiers, on croisa Timon et Pumba.
Là, ce fut la débandade.
Yeri et Sehun étaient intenables, voulant à tout prix passer en premier pour faire une photo avec eux. Jimin et Bambam n'étaient pas mieux et Jin se mit à chanter Hakuna Matata pendant les deux heures qui suivirent.
Heureusement, Dasom n'eut pas l'air trop traumatisée par leur comportement.
Petit à petit, Jungkook et moi nous faisions complètement happer par l'euphorie générale. Nos gestes se faisaient plus tendres, comme lorsqu'il essuya le coin de mes lèvres avec son pouce tandis que je mangeais ma glace.
Je prenais sa main spontanément pour lui montrer telle ou telle chose.
On me confia le rôle de prendre des photos puisque j'attendais à chaque grosse attraction et je m'amusais comme un petit fou à photographier ce qui m'entourait. La chaleur devint étouffante en début d'après-midi. On appréciait la climatisation des petites attractions qui ne me faisaient pas peur, nous remettant dans l'ambiance des films d'animations. Étonnement, ce furent Jimin et Jungkook qui se transformèrent en gamins en voyant Pluto déambuler parmi les visiteurs.
On déjeuna dans un restaurant ouvert donnant sur une partie du parc. Il fallut attendre presque une heure et demie dans la file d'attente pour avoir une table bien placée. J'avais cru mourir de faim. Une fois installés et la commande passée, Bambam nous montra où on se trouvait sur le plan. Force était de constater qu'on n'avait pas fait la moitié du parc.
Lorsque Jin hyung, Jungkook, Dasom et Sehun apportèrent les plateaux des repas commandés, je me fis la réflexion qu'aux yeux des gens on devait avoir l'air d'avoir dévalisé le restaurant. Il y avait tellement de nourriture sur la table qu'on pouvait à peine poser les boissons. Je montrais mes photos à Jungkook sur mon téléphone tandis que Sehun et Jimin débattaient sur l'achat de Star Wars par Disney. Jin et Bambam évoquaient leurs souvenirs des attractions du matin, voulant y retourner avant la fin de journée, et Yeri et Dasom poursuivaient leurs conversations pour apprendre à se connaître, notamment concernant leur travail respectif.
La fin d'après-midi se passa à une rapidité extrême et, poussé par la motivation des autres, je me résolus à faire la dernière attraction à sensations fortes de la journée.
On m'assura qu'il n'y avait pas de montagnes russes.
On m'assura que c'était la moins pire de toutes.
On m'assura que même des enfants pouvaient la faire.
On m'assura que ça n'allait pas vite.
Résultat : On m'avait menti.
Objectif prochain : Ne plus jamais les écouter.
On s'approcha ensuite d'un bon emplacement près du lac artificiel créé au centre du parc, s'installant à même le sol dans le but d'attendre le spectacle nocturne et le défilé final. Assis l'un contre l'autre, Jungkook caressait ma nuque alors qu'on tentait d'apercevoir des étoiles dans le ciel. Une fraîcheur salvatrice s'infiltra à travers nos vêtements et la fatigue commençait doucement à tomber.
Le groupe se sépara entre ceux qui voulaient aller à la boutique souvenirs et les autres qui gardaient les places pour être bien situé par rapport au spectacle.
Jungkook et moi, on ne bougea pas, nos épaules se frôlant alors qu'on discutait à voix basse en riant et en se rappelant les expressions incroyables de nos amis sur chaque cliché d'attraction. Tous les manèges à sensations fortes possédaient un appareil photo caché prêt à vous prendre au pire moment et ça nous avait valu pas mal de fous rires.
Je faisais des ronds avec mes doigts sur les genoux pliés de Jungkook et ses mains caressaient ma nuque et l'encolure de mon tee-shirt. Ce contact anodin me fit pourtant de l'effet, comme si mon corps manquait de lui, un peu plus chaque jour. Pour rien au monde je ne voulais changer cette journée, même si une partie de mon cerveau ne cessait de me rappeler qu'il ne restait plus qu'une dizaine d'heures avant de recevoir un mail de réponse à mon entretien. Le Dr Jung m'avait confirmé la date quand il avait appelé le service de recrutement.
Encore un peu.
Encore un tout petit peu d'attente.
Jin hyung revint avec Dasom en tenant des hamburgers encore chauds et tout le monde finit par se réunir quelques minutes avant le début du spectacle, Jimin et Bambam poussant la foule qui s'était rapprochée du lac artificiel.
On était vraiment bien placés.
La parade sur son bateau arriva et je me mis à applaudir comme un gamin, Yeri s'était assise à côté de moi et on commentait chaque détail aussi émerveillés que les deux enfants qui se tenaient à la rambarde à coté de nous. J'avais l'impression d'avoir huit ans à nouveau. Le feu d'artifice marqua le final et on se mit à applaudir, fascinés par les couleurs explosant dans le ciel. Je me recroquevillai dans les bras de Jungkook alors qu'il embrassait ma tempe et mon cœur fit autant d'explosions que toutes les étincelles dans la nuit.
L'ambiance retomba directement en laissant des cœurs légers, des sourires sur les lèvres, la sensation d'avoir terminé une journée en beauté et des images plein la tête.
On se dirigea vers l'hôtel, certains se demandant s'il ne fallait pas boire un coup, d'autres prétextant prendre une douche et dormir. On avait beaucoup marché malgré tout et j'avais l'impression d'avoir vécu trois journées en une seule.
Lessivé, j'optai pour qu'on reste tranquille.
Jungkook opta pour une bonne douche avant d'assurer à Sehun qu'il l'accompagnerait au bar pour une bière, Jin hyung acquiesça à cette idée. Bambam était littéralement épuisé et Jimin le raccompagna jusqu'à leur chambre. Dasom et Yeri restaient en pleine forme et elles décidèrent de regarder mes photos dans la chambre de la seconde. Leurs commentaires durèrent un moment et lorsque je pus enfin récupérer mon téléphone, je me dirigeai vers notre chambre en direction de la salle de bain.
Jungkook n'était plus là et je supposais qu'il devait être au bar au rez-de-chaussée.
L'eau chaude me fit un bien fou, détendant mes muscles. Je pris mon temps pour me sécher et sécher mes cheveux avant de me faire la réflexion de savoir si je devais essayer de les teindre d'une autre couleur. Ni bleu, ni gris, ni quelque chose de voyant mais en m'observant je me surpris à avoir envie d'essayer quelque chose de nouveau.
En sortant de la salle de bain, je me figeai dans l'embrasure de la porte. Jungkook était là, la mission « bière au bar » avait dû se solder par un échec. Il regardait par la fenêtre l'étendue du parc de nuit. Il portait un très grand tee-shirt large que je ne connaissais pas sur un short court. Je refermai les derniers boutons de mon pyjama en avisant mon téléphone posé sur le coin du lit où je l'avais laissé.
J'éteignis la grande lumière pour ne laisser que les lampes de chevet éclairer la pièce. À présent dans la pénombre, l'univers d'Alice prenait une dimension presque fantastique. Jungkook bougea, s'arrachant à sa contemplation.
Le silence régnait et tous les non-dits aussi.
Je pris mon téléphone pour le poser sur ma table de chevet, résistant à l'envie de déverrouiller l'écran pour constater encore et encore l'arrivée d'un mail. Mais aucun clignotant lumineux ne s'affichait en haut de l'appareil alors je savais qu'il n'en était rien.
J'étais impatient et effrayé.
Terrorisé et empressé.
Je ne savais toujours pas comment je me sentais.
Je soulevai les couvertures avec la ferme intention de me coucher. Je voulais garder le bonheur de cette journée comme elle avait été. Simple, harmonieuse, pleine de rires, de moments légers. Mais à l'instant où je voulus glisser un pied dans la couette molletonneuse, la présence de Jungkook m'interrompit.
Il était du mauvais côté du lit, du mien en l'occurrence, et je relevai les yeux, interloqué par sa présence ici.
Mais en croisant son regard mon cœur trembla, ses yeux étaient tellement profonds, je pouvais y lire tellement de choses que je perdis le fil de mes pensées.
— Hyung.
Ses cheveux avaient vraiment poussé, ils tombaient en dessous de ses yeux des deux côtés de son visage en ondulant un peu. Leur couleur brune faisait ressortir l'éclat de ses iris, ses deux grands yeux de biches trop expressifs.
— Hyung, tu sais, on doit parl...
Ma main se plaqua violemment sur sa bouche. Je n'avais pas voulu y mettre autant de force mais son action m'avait tellement surpris que je m'étais précipité.
Il se raidit brutalement tandis que je collais mon front au dos de ma main.
La panique emballa mon rythme cardiaque et un frisson désagréable parsema mon épiderme.
Il prit mon poignet, sûrement pour me faire lâcher prise mais je refusai, m'accrochant désespérément à sa nuque quitte à lui faire mal.
C'était notre dernière soirée, notre dernier moment, et je ne voulais pas gâcher cette journée. Pas encore.
Je relevai les yeux et en voyant son expression l'émotion m'atteignit. Je me sentis lâcher un sanglot avant même de comprendre que je pleurais déjà.
— S'il te plaît, pas maintenant...
C'était la demande la plus terrible, la plus égoïste que je n'avais jamais formulée.
Je le suppliais de ne pas dire ce qu'il pensait, de ne pas engager la conversation même si on était la veille.
Je quémandais qu'il ne me parle surtout pas de ça.
Pas encore.
Je voulais attendre, je le voulais tellement que j'étais obsédé par ça. C'était mon ancre, mon point d'accroche.
J'avais peur d'avant, j'avais peur d'après. J'avais peur de ce qu'il allait dire, j'avais peur de ce que nous allions faire.
Horriblement, je refusais d'entendre ce qu'il avait à me dire. Je refusais de concevoir cette conversation.
Et la douleur dans ses yeux me fit mal, mais parce qu'il m'aimait il se plia à ma demande.
Même s'il savait que j'avais tort.
Même s'il savait que ça allait nous coûter.
Même si ça lui faisait du mal.
Dans ses iris brunes, je vis sa frustration, sa peine, son chagrin, ses larmes contenues.
Ma main glissa, libérant sa bouche, mes yeux se perdant dans les siens, angoissés, terrorisés, suppliants. Il baissa le regard, ferma les paupières comme s'il abandonnait les armes face à moi. Face à ma déraison totale.
La divergence de mon désir me revint en pleine figure. C'était parce que j'étais incapable de faire un choix, de prendre une décision qu'on se retrouvait là.
C'est parce que je refusais de décider de mon avenir, de l'anticiper, d'en parler, que Jungkook souffrait. Il m'attendait, il attendait mon feu vert sans pouvoir faire autrement.
Il aurait pu crier, s'emporter, comme il avait pu le faire quand il ne contrôlait pas ce qu'il ressentait, mais nous savions que ça signerait la fin car j'étais incapable de gérer le conflit.
Il était plus peiné qu'en colère.
Il était plus triste que nerveux.
Il n'avait pas envie de s'emporter, de crier, de me secouer.
Finalement je ne savais pas ce que j'aurais préféré qu'il fasse.
Je nous noyais avec mon château de sable. J'emportais Jungkook avec moi, utilisant son amour pour moi pour satisfaire mes idées, mes failles et mes pensées. Je lui avais dit de jouer le jeu de « tout va bien », de porter un masque. Je l'avais fui, j'avais détourné les conversations. Je l'avais aussi laissé tout seul gérer la signature de son contrat, la recherche de son appartement et toutes les nouveautés qui composaient sa vie.
Et maintenant je lui imposais ça parce que je ne savais pas comment faire autrement.
Demain, cette attente interminable serait terminée.
Demain, enfin, le choix s'imposerait à moi et je pourrais recommencer à avancer peu importe la destination.
Demain, cette conversation aurait lieu sur nous, notre avenir. Soit je partais, soit je restais.
Mais pas ce soir.
Pas aujourd'hui.
Pas après cette journée.
Nos regards se fixaient, nous nous tenions près l'un de l'autre, noyés dans le regard de chacun.
Je tirais sur la corde.
Je tirais tellement fort qu'elle allait se briser.
Je ne savais pas pourquoi je faisais ça. Pourquoi je réagissais comme ça.
Pourquoi j'étais comme ça alors que je savais que c'était une mauvaise chose.
Je n'arrivais pas à regretter, à revenir en arrière, à avancer, j'étais bloqué.
J'avais toujours été bloqué dans chaque élément nouveau de ma vie qui se présentait à moi, mais là j'étais seul dans cette impasse et la seule personne que je voulais avec moi, je la rejetais.
Je refusais que Jungkook mette des mots sur ce que je ne voulais pas entendre.
Une caresse sur mes lèvres me brusqua presque comme s'il avait crié. Il tenait mes hanches et son regard était perdu, plein de peine, de frustration, de colère mais surtout de douleur.
Je pouvais presque lire « pourquoi tu nous fais ça, hyung ? ».
— Je suis désolé, balbutiai-je, je suis désolé...
Pas ce soir.
Pas aujourd'hui.
Pas après cette journée.
Je ne voulais pas de cette conversation et cette pensée me parasita comme une maladie qui se gangrenait dans tous les tissus de mon organisme.
J'accrochai son visage de mes mains, caressant ses joues avec mes pouces.
On se fixa encore et encore pour tout ce qu'on ne voulait pas dire, tout ce qu'on avait peur de dire, tout ce qu'il ne fallait pas dire.
Puis nos lèvres se rencontrèrent durement et je lâchai un soupir en entrouvrant la bouche.
Combien de temps cela faisait-il ?
Depuis combien de temps n'avait-on pas échangé un baiser ?
Nous n'avions été que deux étrangers ces dernières semaines. Liés par quelque chose de fort qu'on ne voulait pas voir se briser, un lien inéluctable pour lequel je regrettais les théories de Yeri sur les âmes sœurs. Un lien que je voulais croire quasi magique.
Un lien qui ressemblait fortement à la ficelle que je tirais et qui allait se rompre.
Ce baiser alluma mon corps d'un mouvement brusque, comme si j'avais appuyé sur le bouton de ma propre frustration physique.
Mes mains se mirent à trembler contre sa peau et on reprit notre souffle.
La mer arrivait, envahissant mon château de sable, et on devait reprendre notre souffle pour passer sous les vagues.
Le deuxième contact fut plus tendre, presque délicat et Jungkook frissonna quand je passai mes mains sous son tee-shirt.
Le troisième baiser fut effréné et impatient, brûlant et presque douloureux.
On avait échangé tellement de baisers durant cette année que j'en avais perdu le fil de tout ce qui faisait que j'aimais Jungkook, que j'aimais la façon dont il m'embrassait.
Mes sentiments flottèrent en surface, gonflèrent et grandirent si vite que je crus qu'ils allaient exploser à l'intérieur de moi.
Je basculai sur le lit, Jungkook me surplomba en m'offrant un regard fiévreux.
Je me sentais dans un drôle d'état parce que ça faisait bien trop longtemps que nous n'avions plus eu ce genre de contact et c'était là la preuve que quelque chose s'effritait, nous éloignait, nous changeait malgré nous. À cause de nous.
Je sentis le haut de mon pyjama être détaché et mon cœur me fit mal dans la poitrine.
J'avais l'impression que j'aurais pu mourir en cet instant tellement ma tension avait augmenté en l'espace de quelques secondes. Je restai allongé, relevé par mes coudes, laissant Jungkook me déshabiller lentement et doucement comme si j'étais quelque chose de fragile qui allait se briser en mille morceaux.
Peut-être que c'était le cas.
En m'accrochant à ses lèvres, en laissant sa chaleur m'envahir et sa peau coller la mienne, je me sentis vivant.
Mais la douleur des regrets et de ce que j'infligeais continuaient de me lancer dans la poitrine. En le laissant embrasser mon corps, j'eus presque les larmes aux yeux.
Les choses pourraient se passer différemment mais parce que j'étais moi, je n'y arrivais pas.
Alors je me noyais dans le plaisir, comme si je le découvrais pour la première fois. Comme si c'est tout ce qu'il me restait.
J'aurais voulu que demain n'arrive jamais.
Et pourtant, au fond de moi, je n'avais qu'une hâte : recevoir ce mail.
Nous devions tenir encore un peu jusque-là.
*******
Je m'étais réveillé dans les bras de Jungkook. Mon visage coincé contre son torse nu, mes bras autour de sa taille. On avait dormi ainsi, emmêlés, le corps exténué mais la frustration apaisée.
Je me demandais pourquoi je m'étais réveillé aussi tôt alors que clairement mon corps et mon cerveau s'associaient pour me rappeler que j'avais encore sommeil et qu'il était trop tôt.
Mon cerveau s'alluma brusquement et je quittai la chaleur de l'étreinte de Jungkook pour me tourner vers la table de chevet. Je m'arrachai une grimace silencieuse lorsque mon bas du dos me lança.
Les images de la nuit me revenaient par flashs ininterrompus. J'avais eu l'impression d'être pris d'ivresse tant j'avais été envahi par le plaisir, au point de recommencer à s'unir encore et encore jusqu'à ce que nos corps lâchent.
L'écran de mon téléphone ne signalait aucune nouvelle notification et pourtant la date qui s'affichait m'envoyait des sueurs froides. C'était aujourd'hui.
Je ne retrouverais pas le sommeil, pas maintenant. C'était trop tard, le stress empiétait toute la place dans mon cœur et je me mis à me ronger les ongles.
Au prix d'un effort qui me sembla incommensurable je me rallongeai, sans brusquer le sommeil de mon vis-à-vis, et allongé sur le dos, le téléphone verrouillé sur mon ventre, je me mis à tenter de réfléchir à tout ce qu'il se passait dans ma tête.
Clairement, j'étais incapable de structurer mes pensées, de ranger le bazar omniprésent dans mon esprit, d'autant plus à présent qu'un compte à rebours s'était enclenché au-dessus de moi.
Mes yeux se perdirent dans le plafond, contemplant le décor de la chambre sur le thème d'Alice aux pays des merveilles avant de pivoter vers Jungkook. Sa bouille endormie était adorable et la manière dont son corps était recroquevillé sur le côté, entre les draps blancs, était magnifique à voir.
J'effleurai le contour de son visage et le sentiment de culpabilité m'étreignit encore, comme si la veille j'avais mis en jeu quelque chose que je savais trop important mais dont je ne voulais pas encore me rendre compte des conséquences.
Encore un peu de patience, juste un peu.
J'attendis longtemps, peut-être des heures, jusqu'à ce que mon téléphone vibre en me provoquant un loupé dans les battements de mon organe vital.
C'était seulement un message de Bambam sur la conversation de groupe qui écrivait, agrémenté d'un smiley :
« Quelqu'un d'autre que moi est réveillé ? On va déjeuner ? »
Lorsque je vis Jin hyung écrire, puis Yeri, je me tournai vers mon voisin de lit en chuchotant son prénom.
Il sortit péniblement des bras de Morphée, les cheveux en bataille, le visage un peu gonflé par le sommeil.
Ses paupières s'ouvrirent et il me fixa. Son regard était si profond que j'aurais pu me noyer dedans et ne jamais remonter à la surface.
La culpabilité me fit mal. Douloureusement, elle emprisonna mes organes vitaux pour les compresser et d'une voix étranglée je l'informai que tout le monde était réveillé et qu'on se rejoignait pour le petit-déjeuner.
Il ne répondit pas, se contentant de me regarder, et pour la première fois depuis longtemps je ne réussis pas à lire en lui.
Quelques minutes plus tard, nous étions tous attablés sur une grande table au rez-de-chaussée de l'hôtel dans une grande pièce ouverte donnant sur le parc. Un buffet avait été servi pour que nous puissions prendre le petit déjeuner de notre choix.
Nous étions loin d'être seuls et je distinguais beaucoup de couples et de familles étrangères profiter du repas servi par l'hôtel.
Malheureusement, j'avais peu d'appétit et tout ce à quoi je pensais était mon téléphone, coincé dans ma poche de jean.
C'était un poids.
Un poids lourd comme si je portais une centaine de briques, comme si je traînais un boulet à mes pieds.
Il était là, je le sentais à chaque seconde, à chaque minute.
Il était là pour me rappeler son existence, pour me rappeler le temps qui passait.
Pour me rappeler l'attente.
Et parce qu'il était là je n'arrivais pas à me concentrer, même si l'ambiance du groupe était toujours aussi bonne et ce dès le matin.
Yeri et Sehun expliquaient avec hilarité, que la nuit dernière ils avaient essayé de trouver des interrupteurs dans la chambre pour déclencher des effets spéciaux de lumière mais qu'ils avaient malencontreusement grillé une lampe, les plongeant dans le noir. Ils avaient passé dix minutes à tenter de se repérer tandis que le bruit du fond de la mer continuait de se répandre dans la chambre. Sehun affirma qu'ils avaient perdu presque deux heures à trouver les boutons pour tenter de dormir sans le son des bulles et de l'eau.
Bambam raconta qu'il avait mal dormi, effrayé par le décor à la lumière des veilleuses de la chambre, et qu'il était venu dormir dans le lit de Jimin au grand dam de ce dernier.
Jin et Dasom avouèrent qu'ils n'avaient pas eu de problèmes avec le thème de leur chambre et qu'ils s'étaient endormis comme un couple de petits vieux. La jeune fille s'emballa en parlant du réveil matinal qui s'était déclenché dans la chambre, le son mythique du Roi Lion avec son chant très reconnaissable, et qu'elle avait presque pu apercevoir un lever de soleil sur la savane africaine tant elle s'était retrouvée plongée au cœur du dessin animé.
On ne nous posa pas de question, la réponse semblait, pour tout le monde, parfaitement évidente.
Vu nos têtes de déterrés et ma démarche bancale, tout le monde avait compris. Chacun d'eux savait aussi qu'aujourd'hui devait arriver mon mail de réponse, mais plutôt que de faire planer une tension sur le groupe, les six autres firent comme s'ils n'avaient rien remarqué. Ils étaient tous particulièrement en forme et la journée s'annonçait aussi dynamique et palpitante que la veille. Ils ne nous laissèrent pas à notre émotion morose et stressée, chacun d'eux nous entraînant dans toutes les attractions restantes du parc. Vers quinze heures, nous avions fini toutes les activités proposées et Yeri, Jimin et Bambam insistèrent pour tout refaire « au moins une fois ».
Pendant tout ce temps, je sentais le poids de mon téléphone, me rappelant inlassablement qu'il était là, qu'il pesait, qu'il prenait de la place.
Qu'il était la chose par laquelle tout pouvait basculer et changer.
Vers dix-sept heures, après avoir traîné de boutiques en boutiques, où j'avais même empêché Bambam de claquer l'équivalent d'un salaire dans le service à vaisselle tiré du film de la Belle et la Bête, on décida de quitter le parc.
Jungkook récupéra nos sacs à l'hôtel et on prit tous la direction de la gare pour prendre la ligne de train qui nous ramènerait au cœur de Séoul.
Évidemment, le wagon était bondé et je m'accrochai dû mieux que je pouvais à la hanse au-dessus de ma tête, tandis que Jimin tenait mon bras.
Serrés les uns contre les autres, j'entendis distinctement Sehun se plaindre que nous étions partis trop tôt du parc et qu'il n'avait pas envie qu'on se sépare à la gare. Bambam, calé à côté de lui, lança spontanément :
— Hyung, tes parents ne sont pas là, non ? On peut tous aller chez toi et manger ensemble. Un barbecue ce serait cool, non ?
Il n'en fallut pas plus pour que le couple Sehun/Yeri saute sur l'occasion, prétextant à qui pouvait l'entendre qu'eux n'avaient jamais eu l'opportunité ni la chance d'aller chez Jin hyung contrairement aux autres, et qu'ils ne pouvaient décemment pas finir la journée sans découvrir ça.
Notre aîné abdiqua au bout de quelques minutes et Jimin s'enthousiasma à côté de moi.
Au mot barbecue j'avais presque eu envie de sourire d'envie, mais là encore mes pensées n'arrivaient pas à se focaliser sur autre chose que sur ce foutu appareil dans ma poche.
Appareil qui ne sonnait pas, ne vibrait pas, n'affichait aucune notification.
Et ça me rendait presque fou.
Combien de temps ça allait encore prendre ? Pourquoi rien ne venait ?
Je sentais mon cœur palpiter tant l'attente était insupportable.
Il nous fallut presque une heure pour arriver à la bonne station de métro avant de prendre un bus pour se rendre dans le quartier où se trouvait la maison des parents de Jin.
Tout le monde énumérait ce qu'il voulait manger et boire ce soir tandis que j'entrais dans la demeure, bon dernier. M'apprêtant à retirer mes chaussures, je ressentis un frisson caractéristique et me figeai brusquement.
Le téléphone avait vibré, je l'avais senti dans la poche de mon jean.
Cette fois je n'avais pas rêvé, ce n'était pas l'inquiétude qui me faisait imaginer des choses. Et tandis que Jungkook déposait nos bagages près de l'escalier menant à l'étage, que j'entendais Yeri et Bambam débattre sur le sujet des sushis et des makis avec ou sans algues, Sehun expliquer à Jimin les complications administratives pour devenir tatoueur en Corée du Sud, Jin se plaindre que sa mère n'aimait pas l'odeur du barbecue coréen qui allait infester toute la cuisine et Dasom ouvrir le frigo et lui proposer plutôt de commander quelque chose, je glissai ma main dans ma poche sans pour autant le sortir.
Comme si je trichais à un examen.
Comme si j'avais quelque chose à cacher.
Mon doigt appuya inconsciemment sur l'encoche sur le côté de l'appareil et l'écran s'alluma.
Le mail était là, en prévisualisation, et le nom de l'envoyeur ne faisait aucun doute.
Elle était là, ma réponse tant attendue. Mon cœur s'emballa et une bouffée de chaleur me prit d'un coup, faisant pulser le sang dans mes joues.
J'eus du mal à respirer et malgré toute l'impatience et l'anticipation que je possédais depuis ce matin, je restai figé, bloqué, les yeux sur l'écran.
Comment une si petite chose pouvait-elle faire tout basculer ?
— Hyung ?
Je relevai la tête avec la sensation d'être pris sur le fait tandis que Jungkook venant dans ma direction répétait :
— Jin hyung demande si on commande des sushis ou des côtelettes de bœuf ?
Je me mis à balbutier, ce qui le fit froncer les sourcils.
— Ça ne va pas ?
Mes mains étaient moites et d'un mouvement lent et tremblant j'extirpai complètement mon téléphone de ma poche. Ses yeux se baissèrent directement et ses épaules se tendirent.
— Tu l'as reçu ?
J'acquiesçai en essayant de reprendre mon souffle, on n'entendit plus que le bruit de ma respiration chaotique autour de nous. Le monde entier avait disparu, engouffré dans un trou noir. N'existait plus que moi et lui. J'avais des sueurs froides et mon vis-à-vis eut un doux sourire :
— Vas-y hyung, ouvre-le.
Comme s'il m'avait fallu son autorisation, je fis glisser mon doigt sur l'écran et appuyai fébrilement sur l'application. Ma boite mail s'ouvrit en m'indiquant que j'avais un message non lu.
J'essayai de reprendre mon souffle en vain alors que Jungkook s'était considérablement rapproché.
Je me mordis la lèvre qui trembla et d'un mouvement soudain, rapide et sec, j'appuyai sur le message pour le faire défiler.
Je n'avais que trop attendu, ce n'était plus le moment de flancher. Pas maintenant.
Comme une épine qu'on retire du pied, comme un pansement qu'on arrache, il fallait que ce soit rapide.
Mes yeux parcoururent les lignes en anglais, Jungkook n'essayait pas de lire par-dessus mon épaule, il me faisait face en n'observant que mon visage.
Mon regard sauta sur les mots, retourna en arrière pour être sûr d'avoir bien lu.
Noir sur blanc, ma réponse était là et avec elle le choix que je ne voulais pas faire tout seul.
Avec elle, la direction que prendrait le carrefour de ma vie en cet instant.
Avec elle, mon futur.
Mon cœur s'arrêta et je clignai des yeux, mes pensées s'embrayèrent d'un coup, comme si en l'espace de quelques secondes j'apercevais tout ce vers quoi j'allais m'engouffrer.
Je relevai les yeux, plongeant mon regard dans celui de mon voisin d'en face qui ne m'avait jamais paru aussi loin et aussi proche à la fois.
Alors la mer engloutit brusquement mon château de sable.
— J'ai... j'ai réussi...
Quelque chose passa dans le regard de Jungkook, rapidement, sans que je ne distingue vraiment ce que c'était. Son visage se fendit d'un sourire gigantesque alors qu'il prenait mon visage en faisant glisser ses doigts sur ma mâchoire jusqu'à mes oreilles pour se perdre dans ma tignasse.
Il m'embrassa spontanément avant de s'éloigner.
— Félicitations, hyung !
Quelque chose m'ébranla, un je ne sais quoi que je ne compris pas. Je fixai ses traits, sa bouche, ses yeux et pourtant je ne distinguai rien que la vérité. Aucun mensonge, aucune hypocrisie, aucun masque.
Il était heureux pour moi, tout simplement.
Je le vis se retourner et courir vers la cuisine des parents de Jin en hurlant :
— Hyung a eu son mail ! Il a réussi !
Tout sembla se passer au ralenti dans mon esprit, mon bras lourd portant le poids de l'appareil retomba le long de mon corps et j'encaissai, comme une poupée désarticulée, les accolades de mes amis qui me sautèrent au cou.
Le son était différé, j'entendais leurs cris de joie, leurs tapes amicales sur mon dos.
Puis on ralluma le son, mes sentiments d'un coup et les émotions aussi. Comme s'il m'avait fallu un temps d'adaptation.
Je replongeai mon regard dans le mail, relisant les mots avant que Sehun ne me le prenne des mains et ne le lise à tout le monde avec un accent américain grotesque.
Mes yeux clignèrent et doucement, très doucement, une chaleur se répandit dans ma poitrine.
J'avais été pris.
J'avais réussi.
Ma candidature avait été choisie sur des milliers.
On m'avait choisi moi. Moi comme je l'étais.
Jamais je n'avais eu un tel sentiment à l'intérieur de moi, je me sentais profondément heureux, touché, flatté.
Mes amis se mirent à sourire en me voyant prendre peu à peu conscience de ce qu'il m'arrivait tandis que Bambam sautillait dans tous les sens comme s'il avait des semelles sur ressorts. Jimin me serra contre lui.
— Tae, on est tellement fiers de toi !
J'eus un sanglot, pas de tristesse comme d'habitude, pas de douleur trop grosse pour ma poitrine qui m'oppressait, mais d'une infinie plénitude fraîche comme un courant d'air.
Mes larmes étaient chaudes et Sehun et Yeri me serrèrent dans leurs bras avant que Jin ne pose une main fraternelle sur mon épaule.
Je me sentais bien.
Heureux.
Flatté.
Touché.
Aimé.
Tout le monde se mit à rire de joie tandis que je n'arrivais pas à arrêter mes larmes de bonheur, la main de Jungkook se glissa sur ma taille alors qu'il embrassait ma tempe tandis que Jin hyung hurlait :
— Champagne !
Ils se précipitèrent dans la cuisine en m'entraînant à leur suite et notre aîné ouvrit un tiroir sous le frigo où étaient rangées une dizaine de bouteilles. Il en sortit une qui paraissait particulièrement luxueuse et Sehun la prit délicatement entre ses mains, comme un trophée, avant de marmonner :
— C'était le destin hyung, de fêter ça chez toi, cette bouteille n'attendait que moi.
Dasom sortit les flûtes à champagne d'un autre placard tandis que Jimin avait déjà commencé à planifier avec Bambam les vêtements nécessaires à emmener dans ma valise pour être bien habillé en toute occasion.
Yeri se battait avec son portable pour lancer de la musique sur l'enceinte bluetooth dans l'autre pièce. La main de Jungkook, elle, n'avait pas quitté ma taille.
J'avais du mal à croire ce qu'il m'arrivait et sursautai furieusement lorsque le bouchon de la bouteille partit brusquement. Tout le monde approcha pour être le premier à être servi en faisant entrechoquer les verres, la musique s'était lancée à présent et on l'entendait depuis le salon. Je tendis ma flûte à champagne spontanément et Sehun se figea tandis que les têtes se tournaient vers moi.
Yeri balbutia :
— Taehyung, tu veux boire de l'alcool ?
— C'est jour de fête.
— On a bien éduqué cet enfant, reprit Sehun en regardant sa petite amie.
— Tu es sûr ? s'inquiéta doucement Jimin.
Sûr ?
Je n'avais jamais été certain de rien.
Mais cette fois j'en avais envie sans trop savoir d'où ça venait.
J'observai le liquide aux bulles très fines remontant à la surface en file indienne et une fois chaque verre rempli, Jin hyung se racla la gorge :
— À Taehyung, et à son avenir prometteur !
On trinqua et tout le monde m'observa prendre une gorgée du liquide, grimacer en sentant les bulles pétiller sur ma langue et ma gorge se réchauffer.
Jimin, la main sur le cœur, marmonna presque théâtralement :
— Tae, tu es devenu si grand.
Je m'arrachai un sourire avec cette impression encore de voguer dans un autre monde où tout ceci ne pouvait être qu'un rêve.
Je repris une gorgée, plutôt satisfait du goût et Sehun, très sérieusement, se tourna vers notre aîné :
— Elle a pas une copine, ta bouteille ? Tu sais, histoire qu'on ne s'arrête pas en si bon chemin...
— Elle a plein de copines mais on attendra de finir ces verres-là, répondit-il simplement.
— C'est jour de fête, donc repas de fête ! clama Jungkook en ayant vidé son verre d'une traite comme à son habitude. Donc : Viande !
— Hyung, prie la déesse qu'il y ait des promos, lâcha Bambam en se tournant vers moi.
— On aura jamais de commande maintenant, souffla Yeri en regardant son téléphone, c'est le restaurant de livraison le plus côté de la ville et y a presque jamais de promos ni de créneau disponible.
— Très bien, je vais la prier votre déesse ! clama Sehun en posant son verre sur la table de cuisine en marbre. Parce qu'aujourd'hui est un jour exceptionnel, on le fait tous ensemble !
— Ça fait étrangement penser à une secte votre histoire, fit remarquer Dasom.
Ils se tournèrent vers elle et Yeri prit une grimace faussement menaçante :
— Rejoins-nous, ô nouvelle recrue, et tous tes vœux culinaires seront exaucés.
Je terminais mon verre quand Jimin posa sa main sur mon épaule :
— Doucement Tae...
— C'est plutôt bon, avouai-je. Je ne pensais pas que ça avait ce goût-là, c'est bien meilleur que la bière.
— C'est plus fort, donc vas-y doucement. Crois-moi, je sais de quoi je parle...
— Hyung, me chuchota Jungkook à l'oreille, à toi l'honneur.
Je ne sus pas si c'était la chaleur de l'alcool, cette impression d'être en plein rêve ou les effets du champagne, mais j'eus l'impression d'ouvrir une cérémonie demandant à mes camarades de joindre leurs mains ensemble.
— Ô grande déesse de la bouffe, en ce jour particulier nous voudrions pouvoir commander le grand plateau de viande dont nous rêvons depuis si longtemps. Envoie-nous un signe...
Dasom nous fixait, son verre au bord de ses lèvres et son expression affichant clairement son incompréhension, sans pour autant perdre son sourire amusé.
Tout le monde termina sa prière et Jungkook me sourit, embrassant mon oreille et mon cou tandis que Yeri rafraîchissait sa page internet une fois, puis deux, puis trois...
Moi, je ne voyais que lui, toujours avec ce sentiment étrange dans ma poitrine.
Le profiteur que j'étais voulait sentir encore sa chaleur, sa tendresse et les bienfaits de son corps avec le mien.
— Nom d'un bimpap...
Yeri releva les yeux vers nous avant de balbutier :
— On a un créneau... on a un créneau !
— Valide ! hurlèrent Jimin et Sehun en même temps tandis que Bambam sursautait.
Elle appuya sur son écran avant de brandir ses deux bras en l'air.
— Le miracle a eu lieu !
— On a eu le plateau ? On a eu le plateau de viande ? s'emballa Jin hyung, complètement pris dans la frénésie de l'instant.
— On a le plateau de luxe, avec une promo de dernière minute, livré d'ici quarante-cinq minutes... un miracle.
Il y eut un petit silence et Sehun se tourna dans ma direction, je crus sur le moment qu'il allait se jeter sur moi et m'embrasser mais Jungkook lui barra la route, les sourcils froncés.
— Je sais pas ce que tu vas faire mais tu vas t'arrêter là.
Yeri en profita pour me sauter dans les bras en criant comme une guerrière.
— Mais mec, Taehyung est une putain de divinité si ça se trouve, arguait Sehun d'un air ébahi. Laisse-moi lui baiser les pieds !
— Tu baiseras rien du tout de lui, je te le dis tout de suite ! rétorqua Jungkook d'un air menaçant.
Jimin éclata de rire tandis que Bambam acquiesçait, tout à fait d'accord. Je me mis à rire, une sorte de gloussement un peu débraillé avant de me reprendre en me plaquant la main sur la bouche. Dasom cacha son rire derrière son verre et Jin hyung me regarda avec amusement :
— Ah, les effets du champagne vont commencer à se faire sentir...
— Qu'on lui resserve un verre ! s'écria Sehun.
Le reste de la discussion disparut dans un capharnaüm d'échange de cris, de rires, et comme les bulles de champagne, je sentais les effluves de joie remonter en file indienne et m'envahir.
C'était trop beau pour être vrai.
Je ne percutais pas encore que tout ça m'arrivait à moi. C'était comme si j'avais trop de bonheur d'un coup et que mon corps n'arrivait pas à s'adapter.
On resservit les coupes de champagne et en finissant mon deuxième verre je compris enfin ce que voulait dire « ivresse », « pompette » et « effet d'alcool ». Je me sentais devenir quelqu'un d'autre, comme si une excitation sans aucune origine surgissait de ma personne et me poussa à danser avec Jimin et Bambam sur la piste de danse improvisée du salon de Jin hyung.
Je ne m'étais jamais senti aussi dynamique et inarrêtable, comme si l'hyperactivité des autres m'avait attrapé à mon tour.
Lorsque je portai à mes lèvres mon troisième verre, Jungkook me le retira en marmonnant :
— Doucement, attends un peu et mange entre deux verres...
Mais je l'écoutai à peine, l'emmenant danser avec moi. J'avais chaud, et dès qu'il me touchait je sentais de l'électricité picoter ma peau comme si j'étais devenu excité pour tout et rien ce qui le fit beaucoup sourire. Dasom se laissa prendre au jeu avec nous et entama un concours de « danse de poulpe » avec Jin ce qui nous fit mourir de rire.
Des deux, je ne savais pas qui dansait le plus mal.
Lorsque le livreur arriva, il dût sûrement penser qu'il était tombé sur une bande de dégénérés complètement bourrés et hyperactifs.
Le pauvre.
Jin hyung oublia totalement les recommandations de sa mère sur l'odeur de barbecue dans la cuisine et activa l'appareil à bulgogi ainsi que la hotte pour aspirer la fumée.
Le plateau de viande était si magnifique que j'en restai bouche bée et que Bambam le prit en photo pour, je le cite, « envoyer cette merveille à mes amis thaïlandais sinon ils ne me croiront jamais ».
Jungkook fut très amusé par ma réaction devant la viande et je sentis que Jimin me mitraillait avec son téléphone pour me prendre en photo. L'alcool me montait à la tête au point où je ne fus même pas gêné lorsque Jungkook m'embrassa devant tout le monde sous les sifflements des autres.
Mais en mangeant, tandis que Yeri distribuait les bols de riz, je sentis la frénésie diminuer un peu, se tasser. À regrets.
Cet état était si exaltant que revenir à la normale me donna un sentiment de vide dérangeant. Jimin s'en rendit compte et il marmonna :
— C'est à ce moment-là qu'on se met à boire pour revenir à cette sensation mais crois-moi, on n'y revient pas, on bascule vers le « complètement bourré ». Pas bonne idée du tout.
Je posai ma tête sur son épaule, comprenant que depuis la veille au parc d'attraction et ce soir, il mettait tout en œuvre pour être à mes côtés et prendre soin de moi comme s'il cherchait à se rattraper de tous ces mois ratés.
Les souvenirs affluèrent comme si je les avais mis sur pause jusqu'à maintenant.
Nous avions été des meilleurs amis vraiment merdiques finalement. Cette année ne nous avait pas réussi sur ce versant-là.
Je me sentais d'humeur câline et tactile, comme si j'étais en manque de tendresse. Tandis que le repas disparaissait dans les estomacs énormes de mes amis et que Jin hyung avait sorti, cette fois, du vin pour accompagner les plats, je me surpris à vouloir prendre tout le monde dans mes bras.
Quand je terminai mon tour de table, arrivant vers Jungkook qui finissait son bol de riz, diverses émotions me saisirent.
Du moins, elles essayaient de percer le flou psychique dû à l'alcool et je n'aimais pas l'idée qu'elles gagnaient du terrain.
Je n'écoutai pas les conversations, la musique, les bruits du repas et m'approchai de lui, effleurant son visage.
Puis tout d'un coup, j'eus le besoin vital de lui parler.
Ce fut comme une pulsion ingérable, comme si des centaines de mots voulaient quitter ma gorge et il fronça les sourcils en mâchant le dernier morceau de viande de son assiette.
En fait, boire du champagne n'était pas une bonne idée, ça m'embrouillait encore plus l'esprit.
Je pris sa main et il se laissa entraîner vers une autre pièce, j'entendis vaguement Sehun nous taquiner sur une histoire de « chambre » mais je n'écoutais plus rien à part le flot ininterrompu de mes propres pensées qui résonnaient. Ça en devenait cacophonique.
On atteignit la terrasse extérieure avec vue sur le jardin, pas forcément très grand mais très propre. Une pelouse coupée de manière harmonieuse, quelques arbres, un bosquet et un salon de jardin moderne aux tons gris sur la droite. L'endroit n'était pas trop sombre parce que la luminosité de la baie vitrée du salon éclairait un coin de la terrasse.
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Jungkook en constatant mon impatience.
— Il faut qu'on parle !
Je le vis froncer les sourcils avant de secouer légèrement la tête :
— Hyung, c'est un jour de fête, je préfère qu'on s'amuse, qu'on en profite et...
— Mais, c'était le jour qu'on avait fixé, qu'on devait parler de...
Il m'interrompit tandis que mes mots se mélangeaient comme si je n'étais plus capable d'articuler convenablement.
— « On » ? Tu veux dire, toi ?
Ce n'était pas une remarque acerbe, encore moins sèche ou sifflante, juste un constat avec un doux sourire. Un étrange sourire que je n'arrivais pas à interpréter complètement.
— Hyung, tout le monde nous attend, tu ne veux pas profiter de l'instant ?
— Mais... on ne sait pas comment demain...
Ses sourcils se froncèrent à nouveau et il ne répondit pas tout de suite. Je vis un petit soupir s'échapper de ses lèvres, comme s'il renonçait à l'idée de me convaincre de retourner à l'intérieur. Il avisa le salon de jardin et me tira par la manche pour que l'on s'asseye sur les chaises.
Je le fixai, l'œil braqué sur lui, presque en tremblant, les poings serrés.
— Je t'écoute.
Sa phrase m'interloqua et je me mis à balbutier :
— Je... je ne sais pas.
Je pris une inspiration, essayant de reprendre contenance. C'était un tel foutoir dans ma tête, je n'arrivais plus à penser.
Ne me restait que le sable fondu du château de sable entre les doigts.
— Quel château de sable ?
Je me mordis la langue en comprenant que j'avais encore parlé à voix haute, pourtant Jungkook ne changea pas d'expression, concentré sur ce que je disais.
— C'est une image dans ma tête... mais la mer a tout embarqué et maintenant je ne sais plus quoi faire...
— Hyung, si tu veux faire un château, ne le fais pas en sable.
Je relevai les yeux pour croiser son regard et me mordis les lèvres. Il attendit encore et je me mis à déglutir difficilement.
— Je suis pris... Ça veut dire que... enfin... tu sais...
Mais il ne répondit pas et je me triturai les doigts nerveusement. Est-ce qu'il voulait me l'entendre dire ?
— Enfin... que je vais... m'en aller, là-bas.
— Oui, je sais.
Il passa une main dans ses cheveux, grattant sa nuque avant de reprendre, le regard perdu sur le jardin des parents de Jin.
— Tout le monde savait que tu réussirais, il n'y a que toi qui en doutais.
Il reprit alors que j'ouvrais la bouche pour rétorquer.
— Oui, on ne pouvait pas savoir avant la dernière minute, ça n'empêche que je sais que tu vas partir, hyung. Et ce depuis des semaines.
— Et... qu'est-ce qu'on fait ?
Ses yeux se braquèrent dans les miens et il répondit :
— Qu'est-ce que tu veux faire, hyung ?
J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortit, mes yeux clignèrent de sidération.
Je n'en avais toujours aucune idée. Les choses étaient pourtant faites, la décision écrite, posée, et pourtant j'étais encore dans ce foutu carrefour entre mes désirs et mes envies sans savoir par quel couloir avancer.
— Mais toi, toi tu veux faire quoi ? relançai-je.
Il me fixa, et cette fois-ci je compris ce que voulait dire son sourire. C'était de la tristesse.
Une mélancolie douce, sans colère.
— Parce que j'ai le droit de parler, à présent ?
De nouveau, ça n'avait pas le goût d'un reproche, seulement d'une lassitude, d'une peine qui devait être là depuis un moment.
Les masques étaient tombés, ceux que je lui avais forcé de porter. Ma surprise dû se voir car le coin de sa lèvre se plissa dans un sourire à moitié amusé, à moitié désolé.
— Je ne pensais pas que tu réagirais comme ça, avouai-je. La dernière fois qu'on a tenté de parler de ça... c'était si...
— Violent ? Je sais et je regrette.
Il se passa une main sur le visage :
— Ça m'a fait mal et j'ai flippé, je me suis emporté, comme toujours. Je dois encore devenir une meilleure personne pour calmer cette partie-là de moi. Mais depuis cette fois-là, j'ai compris que je ne pourrais pas lutter. Tu allais partir quand même et c'était la meilleure chose que je pouvais te souhaiter.
Ma bouche s'entrouvrit de stupeur et mes yeux parcoururent son visage.
Sa maturité me sautait au visage et je me demandais comment j'avais fait pour ne pas m'en rendre compte.
— Je t'aime, quoi qu'il arrive et je t'aimerai toujours, je me le suis promis, marmonnai-je.
Il sembla rougir dans la pénombre et baissa la tête en souriant.
— Je t'aime hyung, mais est-ce qu'on a pas été arrogants en se disant « quoi qu'il arrive » ?
Je sentis une froideur emprisonner mon cœur :
— Pas du tout !
— Je ne suis pas sûr d'être aussi fort que tu le crois, tu sais... Je ne suis pas sûr de réussir à supporter la distance. J'ai peur, hyung...
— On va y arriver ! On va y arriver !
J'avais pris sa main brûlante dans la mienne, assénant mes mots pour qu'ils l'atteignent et il m'offrit un très léger sourire.
— C'est ce que tu as décidé, alors ? Pour l'avenir ?
Je me rembrunis, reculant un peu sans briser le contact de ma paume contre la sienne.
— Je... je ne sais pas... Je n'arrive pas encore à savoir... mais je vais y arriver ! Je te le promets ! C'est pour ça qu'il faut qu'on en reparle demain, après-demain et qu'on mette tout ça au clair, une vraie conversation entre toi et moi, d'accord ?
Il hésita avant d'acquiescer et de me faire un baise-main.
— Je t'aime hyung, mais là je voudrais qu'on retourne fêter ça. Tu ne veux pas retourner t'amuser avec les autres ?
— Si...
Il se leva, son sourire s'agrandissant, et alors que je me mettais debout il m'offrit un baiser d'une douceur incomparable.
— Je t'aime, Taehyung.
L'entente de mon prénom sans particule formelle me fit sursauter et il sembla s'en amuser avant de me tirer vers l'intérieur de la maison.
On entra dans le salon ainsi alors que la chanson « abracadabra » des Brown Eyed Girls se jouait et que Jimin et Yeri s'étaient mis à reproduire la chorégraphie.
— Cette chanson date, vous le savez j'espère, les taquina Jungkook.
— Viens donc remuer du bassin, cingla Jimin en prenant une pause sexy.
Je me retrouvai malgré moi sur la piste, imitant la chorégraphie osée de la chanson avant que la playlist de Yeri, presque uniquement composée de chansons de Kpop de la première génération, ne s'enclenche sur Sorry Sorry des Super Junior.
Regarder Jin hyung danser là-dessus me valut presque un fou rire. Plus tard, Dasom nous prouva qu'elle était finalement une très bonne danseuse en reproduisant Bubble Pop de Hyuna à merveille.
Vers minuit, l'ahjumma de la maison d'à côté sonna à la porte pour se plaindre des nuisances sonores. Elle tomba sur Sehun, plutôt alcoolisé, qui s'accouda au coin de la porte de manière nonchalante et presque sexy. Il posa sur elle un regard, ce même regard que je n'appréciais pas à l'époque où je ne le connaissais pas. La vieille femme rougit, rectifia ses propos et demanda simplement à ce qu'on ferme bien les portes et fenêtres pour éviter que le bruit se propage.
Du côté de la cuisine, Bambam et Jungkook s'étaient mis à dévaliser le meuble à bouteilles d'alcool des parents de Jin hyung, alors que notre ainé, dans sa fièvre dansante, ne s'y opposa absolument pas.
Je ne rebus pas d'alcool de la soirée, me laissant enivrer par les autres, sautant et dansant dans le salon.
J'en oubliai presque les pensées cacophoniques et le bazar dans mon esprit.
Pourtant, quelque part au fond de moi, resta un sentiment.
Comme l'impression de ne pas avoir su voir ce qu'il fallait voir.
De ne pas avoir compris ce qu'il fallait comprendre.
*******
Les deux semaines qui suivirent furent encore plus intenses que tout ce que j'avais vécu jusque-là.
Entre mes rendez-vous avec le Dr Young, le responsable du département de médecine, les dossiers, les papiers de déménagement, la fin de mon stage, le rattrapage des heures, l'organisation de ma soutenance de stage, l'écriture de mon mémoire, la demande de visa, l'échange de mails et le nouvel appel vidéo avec mon futur responsable pour se mettre à jour sur les dates...
Je ne savais pas où donner de la tête.
Clairement, je vivais en chassé-croisé avec tout le monde, allant et courant dans toute la ville pour réussir à boucler mon agenda du mois de Juin.
Ma date d'embauche était indiquée pour le 8 septembre et la date avait déjà changé deux fois ce qui m'avait valu une annulation, heureusement remboursable, de mes billets d'avion.
Par ailleurs, j'avais réussi à aller acheter la tasse pour le Dr Lee, j'en avais pris finalement trois : une tasse baby groot, une tasse strangers things et une tasse des reliques de la mort. Il avait été heureux comme un roi, prétextant que j'étais « le meilleur stagiaire qu'il n'avait jamais eu ». Nous avions eu le temps de déjeuner ensemble tandis que je finissais mes derniers jours de stage à l'hôpital.
Il avait fallu aussi que je prenne le temps de faire des cartons, de vendre ou donner mes livres de cours, débarrasser mon appartement et faire du tri dans mes vêtements pour remplir une valise.
Je n'en voyais pas le bout, et lorsque le mois de juillet s'enclencha, que la première semaine fila, j'eus l'impression, enfin, de faire une pause dans la course que je menais contre le temps et les responsabilités.
Ce matin-là quand j'ouvris un œil, me réveillant au doux son de mon réveil, un air de piano de Litsz, je me sentis aussi fatigué que lorsque je m'étais couché.
Je m'étirai, faisant craquer mes articulations avant de me relever, les cheveux en vrac, et de bâiller sans retenue.
Ma chambre était dans un bazar phénoménal entre les cartons et les sacs de tri. Jimin avait promis de venir m'aider mais vu mon emploi du temps, il n'arrivait pas à s'adapter à mes horaires.
Je quittai mon lit, marchant dans la pénombre jusque dans la cuisine où je mis l'eau à chauffer. Je farfouillai parmi mes sachets de thé pour prendre celui au earl grey avant d'y faire tomber une petite cuillerée de miel.
Je cherchai mon téléphone des yeux, en baillant à nouveau, pour envoyer un message à Jungkook et savoir à quelle heure il finissait son entraînement. Si ma journée n'était pas trop mauvaise, on pourrait enfin réussir à manger ensemble aujourd'hui. Je devais le voir hier mais j'avais loupé le rendez-vous, j'étais arrivé trop tard et il était déjà reparti. Il fallait qu'on parle, cette fois j'étais décidé. Ça n'avait que trop duré. Même si ça me mettait en retard sur autre chose, je devais faire de Jungkook ma priorité à l'heure actuelle.
Mes pieds effleurèrent le sol frais et je tirai sur mon rideau, plissant des yeux en observant le ciel grisâtre, l'air lourd de la mousson mélangé à la pollution ambiante qui faisait atteindre les quarante et un degrés au thermomètre.
Mais alors que je portais ma tasse à mes lèvres, mes yeux voyagèrent sur l'appartement d'en face et je me figeai brusquement.
Mes traits s'affaissèrent et j'ouvris la bouche. Mon souffle se coupa d'un coup et mon cœur rata des battements tandis que la tasse s'écrasa au sol sans se casser, faisant valdinguer la cuillère de métal et le liquide contre la fenêtre.
Mon corps fut pris d'une frénésie qui le poussa à ouvrir la baie vitrée pour m'avancer sur mon balcon, la chaleur moite extérieure m'étouffa d'un coup, se colla à ma peau dans une sensation désagréable alors que mes yeux écarquillés parcouraient l'appartement d'en face.
Je n'arrivais plus à respirer.
L'appartement de Jungkook était vide. Vidé comme si jamais personne n'y avait habité.
Il avait déménagé.
Il était parti.
Je pris une bouffée d'oxygène d'un coup, dans un glapissement torturé comme si je m'étouffais, ma main serra ma poitrine en froissant mon pyjama.
Ses mots me revinrent.
« Je t'aime, Taehyung. »
Je comprenais alors tout ce que j'avais loupé et tout le mal que j'avais fait.
Tous les non-dits, tout le manque de décisions que j'avais refusé de prendre, tout ce que j'avais provoqué.
À force de ne pas savoir me décider, ne pas savoir trancher, repousser toujours tout à plus tard, loupé nos rendez-vous, ne pas accorder du temps à une conversation, Jungkook était parti.
Et ce jour-là, sur la terrasse des parents de Jin, il savait.
Et il m'avait dit « au revoir » derrière son dernier « je t'aime ».
Il n'y arrivait plus, il ne pouvait pas porter notre couple à lui tout seul.
Il n'en était pas capable.
Mon égoïsme avait eu raison de nous.
Ma main se plaqua sur ma bouche pour étouffer mes sanglots et je tombai à genoux, m'accrochant aux barreaux de fer.
Alors, le lien à l'intérieur de moi, se brisa.
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