63-
Bon.
Admettons.
Reprenons les choses une à une.
À quel moment, exactement, est-ce que j'en étais arrivé là ?
Je tournai la tête vers Jimin qui, d'un air vraiment sérieux, lâcha :
— Sincèrement, les bougies à la rose ça pue vraiment, je te conseille de prendre senteur vanille et d'acheter des fleurs à la rose, elles au moins, elles sentent vraiment bon.
Ok.
Bon.
Admettons.
Qu'est-ce qu'il m'arrivait déjà ?
— Tae ? m'interpella-t-il en se tournant dans ma direction.
— Je crois que je suis en train de me rendre compte de ce que je suis en train de faire...
— Et ?
— À quel moment je suis devenu si ridicule ?
Jimin pouffa en reposant les bougies sur l'étagère sans pour autant répondre. Il continua de déambuler parmi les rayons du magasin.
Reprenons.
Pour faire court, suite à mon entretien avec le Dr Young et l'envoi de mon dossier de candidature, j'avais retrouvé, sans joie, les heures supplémentaires sur mon lieu de stage. Heureusement, Jungkook avait des horaires flexibles entre ses différents matchs amicaux et ses entraînements, ça nous permettait de nous voir sans trop de problème.
Dix jours plus tard, j'avais dû partir une semaine à Ilsan pour le camp d'apprentissage de l'anglais.
Là, ça avait été horrible.
Déjà, à cause du manque de Jungkook, mais aussi à cause de la formation en elle-même. Je m'étais moqué en disant que ça ressemblait à du bourrage de crâne mais c'était exactement ce que c'était.
Les quatre premiers jours, ça avait été terriblement stressant et gênant. En groupe de dix, les formateurs nous forçaient à parler en anglais tout le temps, même si on se trompait, même si on racontait n'importe quoi. Le soir, après neuf heures de cours, nous avions un petit test à remplir pour retracer toute notre journée, nous forçant à mémoriser encore plus le vocabulaire appris. Je rentrais dans la petite chambre de dortoir qu'on m'avait donné avec la tête grosse comme une citrouille, prête à exploser, et je n'avais pas le courage de parler à Jungkook au téléphone.
J'avais dû emmagasiner tellement de mots en anglais que j'avais eu la migraine les trois derniers jours du camp.
Malgré le bourrage de crâne terrible, je m'étais aperçu, lorsque la semaine s'était terminée, que je me sentais beaucoup plus à l'aise et que je parlais bien plus fluidement l'anglais. La gêne de parler une langue étrangère, de se tromper, le manque de facilité à trouver mes mots et mon sérieux problème d'accent avaient plus ou moins été résolus.
Mais prononcer les « r » n'était pas une partie de plaisir, j'enviais les autres pays pour y parvenir aussi bien alors que nous, pauvres asiatiques, devions faire un effort d'articulation difficile et non naturel pour y parvenir.
Évidemment, à mon retour je m'étais fait atrocement taquiner par tout le monde. Jin, le premier, me saluant au détour du service de médecine générale dans un anglais bateau à l'accent terrible en répétant à tout va « worldwilde handsome » comme si c'était le seul et unique mot qu'il connaissait en anglais. Puis, Yeri et Sehun reprenant la même taquinerie le soir même alors qu'on allait dîner chez eux, voulant m'entendre « articuler » des mots en anglais et gloussant à chaque fois que je le faisais. Leur mots préféré ? «Crocodile ». Ils s'étaient amusés à le répéter toute la soirée en rigolant comme des enfants.
Sentez derrières ces lignes mon regard blasé.
Puis enfin, Jungkook qui voulait que nous ne parlions qu'avec la langue de Shakespeare pour qu'il puisse lui aussi s'améliorer. Il était vexé ne pas avoir pu se rendre au camp avec moi car la session coûtait deux fois notre loyer. Et puis je me doutais que le fait que je puisse à présent parler mieux anglais que lui avait blessé son égo.
Raah ce sale gosse !
Donc nous en étions là.
Trois semaines s'étaient écoulées depuis l'envoi de mon dossier de candidature, et je n'avais pas eu de nouvelles. Sans répit après le camp d'apprentissage de l'anglais, j'avais enchaîné cinq jours de stage à l'hôpital. Mais aujourd'hui, enfin, j'avais la chance d'avoir deux jours de congés consécutifs.
N'ayant pas eu beaucoup l'occasion de voir Jimin ces dernières semaines, je l'avais appelé et il m'avait traîné faire du shopping. Au détour d'une conversation, où il me demandait comment ça se passait entre Jungkook et moi, il avait réussi à me convaincre qu'organiser un dîner romantique était une excellente idée.
Parce que ces trois semaines avaient été pénibles et que Jungkook et moi avions à peine eu le temps de se retrouver tous les deux, j'avais trouvé l'idée excellente.
Jusqu'à finir dans un magasin de bougies.
J'aurais dû me méfier, le romantisme de Park Jimin était presque digne d'un cliché.
— Et le tien est inexistant, rétorqua ce dernier.
Ah, j'avais pensé à voix haute.
Encore.
Mon meilleur ami me jeta un coup d'œil torve.
— Parfois les clichés ça fait du bien, figure-toi.
— Jimin, soupirai-je, on est en train d'acheter des bougies et tu m'as recommandé d'acheter des fleurs...
— Et alors ?
— Je ne sais même pas si Jungkook aime les fleurs, soupirai-je. Tu proposeras quoi ensuite ? Que je dessine un cœur sur la couette, que je trace un chemin avec les pétales jusqu'à la chambre ?
Il me fusilla du regard et je haussai un sourcil.
— Attends, tu n'avais quand même pas vraiment envie que je fasse ça ?
— Tu es nul, rétorqua-t-il avec mauvaise humeur, le romantisme ça se travaille, il faut jouer le jeu...
Puis il me fixa dans les yeux :
— Et puis c'est toi qui m'as demandé des conseils, assume tes idées et va jusqu'au bout des choses.
Bon, admettons.
Je me grattai le cuir chevelu en me mordillant nerveusement la lèvre.
En réalité je savais ce qui allait arriver quand je rentrerais le soir. Le scénario habituel ce serait qu'on se saute dessus et qu'on fasse l'amour à même l'endroit où nous nous serions retrouvés. Puis on se chamaillerait pour savoir quoi commander au dîner et quelle série regarder, avant de se doucher puis de se coucher.
On faisait tout le temps ça.
Pas que ce n'était pas agréable, loin de là, mais j'avais envie de changer nos habitudes de vieux couple. J'avais envie d'un beau week-end, de profiter au mieux de ces congés, plutôt que de traîner comme habituellement dans l'appartement.
Depuis nos vacances à Sapporo, c'était une pensée récurrente qui m'obsédait. Passer le plus de temps possible avec lui, du temps marquant, particulier. Celui dont on se souviendrait.
Mais le doute m'assaillait, je me demandais vraiment si c'était une bonne idée.
Est-ce qu'il n'allait pas trouver ça ridicule ? Je veux dire, on se disait parfois des trucs un peu niais mais peut-être ne fallait-il pas pousser le bouchon trop loin ?
Et puis je m'imaginai Jungkook se dévêtir à la lueur des bougies et je secouai la tête pour me reprendre.
— Bon, je prends une bougie de chaque, ça fera l'affaire, avançai-je en lui retirant des mains la bougie senteur vanille qu'il sniffait comme un drogué.
— Laisse-la moi, je vais aussi m'en acheter une.
Puis il me fit un clin d'œil :
— J'en connais un qui a imaginé faire l'amour à la lueur des bougies...
— Pas du tout, rétorquai-je en rougissant un peu. Et puis sincèrement, c'est risqué non, si on en fait tomber une et que tout brûle ?
— Évitez de les faire tomber, répondit-il simplement.
Puis il soupira presque tristement :
— Un peu de musique, des bougies, prendre son pied, ça doit être vraiment génial. Je vous envie.
Je plissai des yeux mais voyant qu'il partait déjà payer, je le suivis. Cependant, au moment où j'allais ouvrir la bouche il se retourna soudainement en pointant un doigt inquisiteur vers moi :
— Ne me parle pas de Yoongi hyung !
— Je n'allais pas le faire, mentis-je. Je voulais juste savoir comment tu allais ces derniers temps, Yeri m'a dit que tu sortais beaucoup...
— C'est la période des fêtes étudiantes alors avec les gars du crew on bouge pas mal, répondit-il en haussant les épaules.
La vendeuse nous tendit nos sacs en s'inclinant et on quitta le magasin de bougies pour se diriger vers le métro.
Il avait plu une heure plus tôt mais le temps s'éclaircissait malgré l'humidité présente dans l'air.
— Vous sortez beaucoup malgré le spectacle de fin d'année ? m'étonnai-je. Vous ne le préparez pas ?
— Si bien sûr, mais on a bien avancé donc on ne se met pas trop de pression...
Je haussai un sourcil sarcastique :
— Pour aller à toutes les soirées, six fois par semaine, non clairement vous ne vous mettez pas la pression.
— Jungkook y va, répondit Jimin un peu sèchement.
— Oui, le week-end, il ne va pas à toutes les soirées. Tu verrais tes cernes, tu...
— Ça suffit, grogna-t-il. Ne commence pas.
Je levai les yeux au ciel, un peu exaspéré.
— Tu ne veux pas qu'on en parle mais toutes nos conversations reviennent à lui, lui reprochai-je. Tant que tu n'auras pas réglé le problème de Yoongi hyung ça va continuer.
— T'es pas ma mère Tae, soupira-t-il.
— J'aimerais bien voir ce qu'elle en penserait, tiens.
Il me fusilla du regard.
— Tu es devenu chiant ces derniers temps.
— Non, j'ai juste envie de t'aider et je suis même prêt à te dire ce que tu ne veux pas entendre car je sais comment tu es et ce dont tu as besoin, Jimin.
— Ah, et de quoi j'ai besoin ? ironisa-t-il.
J'attrapai son poignet pour le stopper dans sa marche :
— De tourner la page. Tu sais comment faire mais tu ne le fais pas.
— Bien sûr que je le fais ! siffla-t-il. Je sors, je m'occupe, j'essaye de penser à autre chose.
— Tu n'essayes pas.
— Ça suffit ! s'emporta-t-il, faisant sursauter les gens autour de nous. Fous-moi la paix avec ça !
— Déclare-toi, insistai-je doucement, déclare-toi car sans ça tu n'arriveras pas à clore cette histoire. Laisse-le et occupe-toi de toi, Jimin. Il n'y a que comme ça que tu finiras par trouver la bonne personne avec qui tu pourras mettre de la musique et allumer des bougies dans un moment romantique.
Il ne répondit pas et on resta un moment silencieux. Je n'aimais pas cette tension entre nous mais je ne regrettais pas ce que je lui avais dit.
Le pouvoir que Yoongi hyung avait sur Jimin commençait à m'inquiéter. C'était comme des aimants et plus mon meilleur ami tentait de s'éloigner, plus fort il revenait vers lui.
Et j'avais l'impression que rien de bon n'allait ressurgir de cela.
Une fois dans la rame de métro, on s'installa dans des sièges et il marmonna :
— Tu n'as toujours pas parlé à Bambam. Tu avais dit que tu le ferais...
— Je n'ai pas trouvé le temps, soufflai-je. Mais je vais le faire.
Il acquiesça en ramassant le sac en papier kraft puis le plia pour le mettre dans son sac à dos en cuir noir.
— Franchement, je ne sais pas quelle sera leur réaction, à Jin hyung et à lui mais... J'imagine assez bien celle de Bambam.
— Ouais, c'est celle que je crains le plus...
— Franchement, je ne sais pas, marmonna-t-il. Ça ne va pas le faire sauter de joie mais j'ai l'impression qu'il est quand même moins accroché à toi depuis qu'il vit chez Jin hyung.
— Jungkook m'a dit que Yugyeom l'avait recontacté...
— Oui, Jaebum hyung aussi, les choses sont en train de se remettre doucement en place. Ça n'effacera rien, mais maintenant les choses sont claires.
— Et tes deux nouveaux colocs ?
Jimin fit la grimace :
— Ça va, ce n'est pas facile encore. L'un est extrêmement timide et ne sort jamais de sa chambre, je pense sérieusement qu'il souffre de phobie sociale et qu'il n'a pas choisi de vivre avec nous. L'autre, c'est un playboy en puissance et il y a des filles dans son lit quasiment trois fois par semaine...
— On dirait Jackson, soupirai-je.
— On n'en est pas loin, répondit-il, mais Jackson était amusant et sociable avec les autres gars. Lui, le nouveau, il est juste... condescendant.
— Ah.
— Comme tu dis.
On se quitta à la gare où il prit son bus en me faisant un clin d'œil suggestif, preuve que la tension entre nous s'était dispersée :
— Bonne soirée Tae, et n'oublie pas... On ne porte rien sous un tablier pour être plus sexy.
— Je t'ai dit que je ne ferai pas ce truc du tablier ! m'exclamai-je en rougissant alors qu'un duo de filles se retournait en ayant entendu notre conversation.
Je partis sans demander mon reste. Sur le chemin jusqu'à l'appartement de Jungkook, je zieutai sur la recette que j'avais envie de cuisiner et dressai une liste de ce qu'il fallait que j'achète au supermarché.
Une fois à la maison, courses faites, je retroussai mes manches et soufflai un grand coup.
Bon.
Il fallait que j'éparpille les bougies, que je prépare la table, que je me mette à cuisiner maintenant pour que ça ait le temps de cuire, que je prenne une douche avant qu'il n'arrive...
Jungkook était chez sa mère et il allait m'envoyer un message quand il quitterait la banlieue, ce qui me laisserait suffisamment de temps pour tout peaufiner.
Ah.
Peut-être qu'appeler Jin hyung pour lui demander des conseils sur la préparation du bulgogi mariné serait une bonne idée.
Je me mis à sourire, content de moi. Ça n'allait pas être une soirée aussi clichée que Jimin le voulait mais j'avais envie qu'elle soit agréable. Je rêvais de revoir sur son visage ses yeux émerveillés braqués dans ma direction...
J'aplatis mes mains sur le plan de travail : je ne devais pas perdre ma concentration.
*******
C'était un désastre.
Que dis-je, une catastrophe.
La cuisine ressemblait à un champ de bataille, j'avais de la sauce soja jusque dans les cheveux, de la farine partout, et l'évier vomissait de la vaisselle sale que j'avais entassée. Les bougies n'étaient pas allumées, ma douche pas prise.
Et notre repas, ou l'horreur abominable qui n'avait pas de forme, faisait peur à voir.
Une odeur de cramé flottait dans la pièce et les légumes mal coupés avaient été renversés sur le sol quand je m'étais pris les pieds dans les sacs de courses.
Mais alors que je pensais que ça ne pourrait pas être pire, j'entendis le bruit caractéristique du digicode et la porte d'entrée s'ouvrir.
Je me précipitai vers le salon, tout hébété.
Ce n'était pas dans mes plans qu'il rentre si tôt.
C'était la catastrophe, il ne pouvait pas voir ça !
Son visage se releva vers le mien alors qu'il enlevait ses chaussures, mais en voyant mon aspect ses sourcils se froncèrent.
Les miens aussi.
Jungkook avait pleuré et le son de sa voix, presque agressif, me tira de mon observation, me faisant sursauter.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
— Je... J'ai...
Il traversa la distance à vive allure et me contourna pour se diriger vers la cuisine où il se figea sur le seuil.
— Oh bordel ! jura-t-il brusquement.
Il pivota dans ma direction en montrant du doigt, le bras tendu, la pièce :
— Mais qu'est-ce que tu as fait ? Tu as vu l'état de la cuisine ?
J'étais perturbé par son expression mais surtout je me sentais un peu vexé et honteux.
Tout mon plan était tombé à l'eau, j'avais foiré notre repas et ma pseudo soirée romantique.
Je balbutiai d'une petite voix :
— Je voulais faire un dîner...
— Tu quoi ?
Il soupira bruyamment en se pinçant l'arête du nez :
— Taehyung, on en a déjà parlé ! Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? Ne cuisine pas ! Jamais !
— Mais, m'irritai-je. Je pensais que j'allais y arriver cette fois, pas comme la dernière fo...
— Tu n'y arrives pas ! Tu es une catastrophe en cuisine ! rugit-il. Non mais tu as vu l'état de la pièce ? C'est de la sauce soja ? Oh bordel... ma caution !
— Ne crie pas ! m'énervai-je.
J'étais contrarié, je le sentais.
L'espace d'un instant, j'avais rêvé qu'il trouve mignon ma maladresse. Mais surtout, je le sentais à bout de nerf et le fait qu'il me crie dessus m'énervait à mon tour.
— Qu'est-ce que tu as ? m'écriai-je.
Ses yeux me fusillèrent du regard :
— Rien ! Mais clairement toi tu vas avoir un problème ! Nettoie ma cuisine !
J'essuyai rapidement mes mains sur mon tablier déjà tâché et m'avançai vers lui brutalement.
— Je nettoierai quand tu te seras calmé ! Dis-moi pourquoi tu as pleuré avant d'arriver !
Mais il fuyait mon regard, trop concentré sur le désastre de mon dîner, alors je pris une grande inspiration avant de lui attraper les mains et de souffler, le plus doucement possible.
— Jungkook, il s'est passé quelque chose ?
Quelque chose n'allait pas.
Je le sentais.
— Il s'est passé quelque chose ? répétai-je.
Il tentait d'échapper à ma prise, comme s'il luttait, et je prononçai :
— Je suis désolé pour l'état de la cuisine, j'ai... encore surestimé mes capacités culinaires. Ne te mets pas en colère pour ça, je vais tout nettoyer... Je te le promets. Mais je sens que quelque chose ne va pas, dis-moi.
Il résista un peu mais je le sentais faiblir. Comme un soufflet qui dégonflait, il commença à se calmer, presque trop, son corps sembla ramollir et il ferma les yeux douloureusement.
Je le pris dans mes bras, tâchant son hoodie de sauce, mais il n'y fit pas attention.
Il souffla bruyamment avant d'avouer :
— Je ne suis pas en colère pour ça.
Puis il se crispa :
— Hyung, j'ai... merdé...
— Tu t'es disputé avec ta mère ? tentai-je.
À mes mots il s'éloigna d'un coup, comme si je l'avais brûlé, et tenta de retenir ses larmes avant de s'enfuir vers le salon. Je le suivis avec inquiétude.
— Il s'est passé quelque chose ?
Il se figea et je m'approchai doucement.
— J'ai... j'ai fait n'importe quoi...
— Comment ça ?
Il se laissa tomber sur le canapé d'un coup, comme à bout de force. Lentement, je pris place à côté de lui en jetant mon tablier tâché pour éviter de faire plus de dégâts.
— Tu n'as pas vu ta mère ?
— Si...
— Tu t'es fâché avec ton beau-père ?
— Non.
— Alors qu'est-ce qu'il y a ? marmonnai-je.
— Mon père...
Mon poing se serra automatiquement en l'entendant prononcer ces mots.
Oh non.
— Ton père ? répétai-je.
Il ne répondit pas tout de suite, me faisant ronger mon frein, mais j'essayais de rester calme et tendre car je savais que c'était ce qui marchait sur lui, dans les moments où il traversait des crises de colère sans qu'il ne parvienne à se contrôler.
— Ton père t'a appelé ? essayai-je encore.
Je voulais qu'il me parle, qu'il m'explique. Il avait rarement été autant sur la défensive. Ces derniers mois, nous étions bien plus ouverts l'un envers l'autre pour parler de nos problèmes. Notre voyage à Sapporo avait été bénéfique pour nous deux.
Mais là c'était tout l'inverse, j'avais l'impression qu'une part de lui rejetait ma présence. De la même manière qu'à l'époque où nous avions commencé à éprouver des choses l'un pour l'autre et que ça le faisait paniquer. J'avais affaire à ce Jungkook là, torturé et sans confiance.
— Non, c'est moi... c'est moi qui l'ai appelé.
— Pourquoi ?
— Cet après-midi, l'entraîneur m'a pris à part et m'a annoncé que trois recruteurs l'avaient contacté pour m'avoir dans leur club. Ils viendront bientôt me faire des offres.
Je pris sa main, sentant mon cœur soudainement sautiller dans ma poitrine, mais cette nouvelle ne lui arracha même pas la moitié d'un sourire. Je sentis ses doigts résister aux miens comme s'il refusait mon contact et cela m'inquiéta. Néanmoins, il arrêta de lutter et garda ma main dans la sienne.
— On a parlé longtemps, il m'a donné des conseils sur comment prendre le temps de lire les contrats, de bien penser à toutes sortes de détails. Puis il m'a demandé si je voulais faire appel à quelqu'un pour gérer ça avec moi. Que son rôle d'entraîneur s'arrêtait là, ensuite il me faudrait un manager.
Il soupira :
— Et comme un con j'ai pensé à mon père. J'étais tellement heureux de la nouvelle que je n'avais plus les idées claires. J'allais enfin être sélectionné, recruté dans une équipe officielle, alors je l'ai appelé mais je n'ai jamais réussi à le joindre.
— Jungkook, commençai-je tendrement en caressant sa nuque.
— J'ai été tellement con... Je... Je me suis dit que maintenant que j'allais être recruté il... enfin, il pourrait peut-être revenir, voir que j'avais réussi, que j'allais avoir un avenir... Sauf qu'il a bloqué mon numéro.
Il refoula ses larmes avant de poursuivre.
— J'étais sur le chemin en direction de chez ma mère et ça m'a énervé, alors comme d'habitude j'ai agi impulsivement et j'ai appelé mon frère, cet imbécile. Ce connard a décroché et il a été horriblement arrogant, comme d'habitude. On s'est disputés, mais il a surtout dit avec fierté à quel point il était heureux d'être le « seul fils de papa ».
Jungkook ne parlait jamais de son grand-frère, il insistait pour me dire qu'il ne méritait même pas qu'on parle de lui. Tout ce qu'il avait pu m'en dire c'était qu'il s'agissait d'un imbécile, le préféré de son père, qu'il avait toujours été mis, toute sa vie, en compétition avec lui et qu'ils n'avaient jamais eu de bons moments ensemble. Son frère aîné était finalement devenu avocat sur Busan dans le cabinet de son père.
— Ça m'a tellement mis en rogne, Junghyun est vraiment le pire des connards, il a toujours eu les mots pour m'énerver. Alors je suis arrivé chez ma mère dans cet état d'esprit.
Il souffla et sa main resserra la mienne.
— Et ? Vous vous êtes disputés ?
— Non... Elle a pris ma défense mais... elle m'a révélé que... qu'il m'avait retiré de la liste de succession... Il m'a vraiment déshérité.
Ma bouche s'ouvrit sous le choc mais Jungkook reprit la parole, comme soudain revivant la scène, comme soudain de nouveau hors de lui.
— De toute façon comment papa pourrait m'aimer, hein ? Je n'ai répondu à aucune de ses attentes, je n'ai jamais fait ce qu'il voulait. J'ai choisi le coté de maman et il me l'a fait payer. Je n'ai aucune chance qu'il revienne dans ma vie. Aucune ! Surtout s'il apprend... S'il apprend que j'aime quelqu'un du même sexe que moi.
Mes sourcils se froncèrent mais il s'emporta en quittant ma main :
— Personne ne l'acceptera, ni mon travail, ni les membres de mon équipe, ni ma mère, ni mon beau-père !
J'ouvris la bouche pour l'interrompre mais il continua, presque hors de lui :
— Elle me défendait, elle n'arrêtait pas de me défendre et ça m'énervait, ça m'énervait parce que si elle savait que je t'aimais, elle non plus... elle ne voudrait plus de moi ! Mais quitte à tout perdre, à être déshérité pour de bon, comme le fils indigne que je suis, autant qu'ils sachent tout !
Je clignai des yeux plusieurs fois avant d'ouvrir la bouche sous le choc.
— Jungkook, balbutiai-je, tu... tu leur as dit ?
Et cette fois il se mit à pleurer pour de bon.
Je restai comme frappé, assis sur le canapé, avant de fermer les yeux.
— Pourquoi tu lui as dit comme ça ? balbutiai-je.
— Je... je me suis emporté.... Je... ne sais pas... Peut-être que c'était douloureux de garder ça pour moi...
Il essuya brusquement ses larmes mais en vain, elles continuaient de dévaler sur ses joues.
— Peut être que je voulais... qu'elle sache et... qu'elle m'aime quand même...
Il renifla en fermant les yeux douloureusement :
— Tu aurais vu son expression...
Je me levai et le pris dans mes bras, il résista un peu sans que je ne comprenne pourquoi avant de se laisser aller et j'embrassai ses tempes.
— Maintenant je suis vraiment déshérité...
Il y avait tant de désespoir dans sa voix, tant de regret, mais il paraissait presque exténué, soulagé, vidé.
Je me sentis coupable de n'avoir jamais constaté à quel point c'était dur pour lui. Nos amis s'inquiétaient pour moi, de savoir si je supportais le poids du secret, d'être à jamais vu comme un « ami ». Je n'avais pas l'impression de porter un fardeau vis-à-vis de ça. Mais parce que Jungkook était l'investigateur de ce secret, malgré lui, personne ne lui demandait comment lui le vivait.
Mal.
Et j'étais le plus coupable de tous pour n'avoir jamais capté ça.
Je sentais à travers son désarroi à quel point il était tiraillé par notre société, par les normes, les codes, le poids des idéaux de son père, de l'amour parental, du sportif en devenir qui n'avait pas le droit d'aimer des hommes, du maknae qui devait cacher sa vie privée à son équipe.
— Comment a-t-elle réagi ? soufflai-je.
Il renifla avant de dire :
— Elle était choquée, elle m'a regardé avec des yeux épouvantés, elle a répété plusieurs fois « tu sors avec un homme ? » comme si elle n'arrivait pas à y croire...
— Et ton beau-père ?
— Il était en retrait, il était surpris mais il n'a rien dit. En fait c'est pire, j'aurais préféré qu'ils me rejettent directement.
— Peut être que... commençai-je avant d'être brutalement coupé par une sonnerie de téléphone.
Les yeux de Jungkook s'écarquillèrent d'épouvante alors qu'il sortait son téléphone de sa poche.
C'était sa mère.
Il rejeta l'appareil, comme soudain tétanisé, et je suivis sa chute jusqu'au tapis du salon avant de remonter les yeux vers son visage.
— Il faut que tu décroches, intimai-je. Tu dois lui parler. Elle doit sûrement être dans le même état que toi.
— Elle va me haïr ! Me rejeter ! Elle va...
— Ta mère n'est pas ton père, tu le sais, assurai-je.
Il souffla bruyamment avant de ramasser l'objet et de rappeler. Sa cuisse s'agita nerveusement et sa voix vacilla quand il murmura, au moment où elle décrochait :
— Maman ?
Je n'entendis pas la conversation mais ma gorge s'était nouée. Tout le corps de Jungkook était crispé.
— Oui...
Puis il se remit à pleurer et je sentis les larmes me monter.
— Je suis désolé maman, je suis tellement désolé... Je...
Il s'arrêta et se tourna vers moi en écarquillant les yeux avant de balbutier.
— ... lui parler ?
Mon cœur s'emballa, je me sentis passer sous un torrent d'eau froide et mes yeux s'ouvrirent, paniqués. Il me tendit l'appareil avec un regard suppliant et timidement, en tremblant un peu, je l'approchai de mon oreille avant de me lever et m'incliner dans le vide.
— Bonsoir Madame.
« Bon... bonsoir Taehyung. »
Sa voix était faible, cassée et tremblante. Elle ne semblait pas du tout à l'aise mais je ne ressentais pas d'agressivité de sa part.
« Je... Je ne comprends pas tout... mais j'ai besoin de vous l'entendre dire. Est-ce que c'est vrai... ? Est-ce que vous... vous sortez avec mon fils ? »
Puis elle rajouta précipitamment, presque sèchement :
« Parce que si c'est une blague ou quoi que ce soit je vous jure que... »
— Ce n'est pas une blague.
J'échangeai un regard avec Jungkook que je sentais à deux doigts de l'apoplexie.
— Je sors avec lui.
Elle ne répondit pas, un long silence prit place et je crus qu'elle avait raccroché. Mais mon cœur se serra quand je l'entendis éclater en sanglots de l'autre côté.
« Co...combien de temps. Depuis combien de temps ? »
Je bougeai, mal à l'aise :
— Quelques mois, presque une année...
Elle eut un hoquet de stupeur et je ne trouvai pas quels mots dire pour désamorcer cette situation.
— Je sais que vous ne vous attendiez pas à ça. Je sais aussi que Jungkook regrette terriblement de vous l'avoir dit comme ça, mais il est si... bouleversé depuis qu'il est rentré. Nous... nous n'avons jamais voulu vous mentir, c'est juste que...
« Vous voulez venir dîner ? »
Je sursautai, coupé dans ma phrase.
— Pardon ? m'exclamai-je malgré moi, ce qui fit paniquer Jungkook.
« Dîner, s'emballa-t-elle soudainement. Venir manger chez nous... Je préparerai quelque chose... hein ? Je... On pourra parler de tout ça... et voir si... »
Je décalai mon oreille avant de chuchoter, un peu ébahi par la tournure de la situation :
— Ta mère veut nous inviter à dîner.
— Quoi ? s'exclama-t-il complètement confus. Maintenant ?
« Non.... Après-demain. Après-demain c'est bien, non ? »
Elle était comme lui.
Je l'entendais au bout du fil s'affoler et tourner en rond exactement comme il était en train de le faire devant moi. Je me demandais si son mari la regardait comme moi je fixais son fils, inquiet tout en gardant espoir que les choses s'arrangeraient.
« Après-demain, vingt heures, tous les deux. »
Elle raccrocha soudainement, avant même que je ne puisse ajouter quelque chose, et Jungkook se tourna vers moi alors que je marmonnais :
— C'est plutôt positif, non ?
Mais il secoua la tête, effrayé.
— Non. Pas du tout.
— Jungkook, chuchotai-je, si elle fait l'effort de nous faire venir c'est qu'elle veut sûrement clarifier la situation.
— Mais ça ne veut pas dire qu'elle l'acceptera, rétorqua-t-il en faisant les cent pas.
Je me sentais coupable, bêtement.
Parce que Jungkook m'aimait, cela devait-il lui fermer les portes de l'amour parental ?
C'était horrible et injuste, ça ne devait pas se passer comme ça mais je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir responsable. Parce que nous étions un couple et que nous étions deux dans cette histoire.
Clairement, cette soirée était un désastre.
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