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Warning trigger : Je vous préviens à nouveau du contenu mature de cette histoire. Ce chapitre contient un certain nombre de sujet qui peuvent être sensible pour certains.
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Je devais vraiment être maso.
Je me tenais là, sur ma chaise, près de mon seau alors que le Dr Lee, après m'avoir salué ce matin, sifflotait sur l'air de hip hop qui sortait de son enceinte Bluetooth.
Il avait l'air en pleine forme.
Moi, je n'avais pas dormi de la nuit.
Ce matin, lorsque Jungkook s'était réveillé, il m'avait trouvé assis devant sa fenêtre à fixer l'ombre de mon appartement au loin en face, sans réellement le voir.
Bloqué.
Il s'était beaucoup inquiété et je voyais bien qu'il se retenait de tout son cœur de faire quelque chose. Peut-être avait-il envie de me secouer ou de me crier dessus pour me faire réagir. Il avait de plus en plus de mal à supporter de ne rien pouvoir faire.
J'étais toujours bloqué sur cette foutue phrase.
Et je ne savais pas quoi en faire.
— Bon, Kim, tu veux t'approcher aujourd'hui ou pas ?
Je sursautai.
— Euh... Vous avez dit que je pouvais rester sur la chaise si...
— J'ai changé d'avis.
Pardon ?
Il me fit signe de venir de manière presque trop informelle, comme si ce qu'il avait devant lui n'était absolument pas un cadavre.
— Je... je ne crois pas...
— On va faire un essai, t'inquiète. Prends le seau quand même...
Seigneur.
Je déglutis difficilement et m'approchai lentement, trop lentement, mes yeux étaient fixés, bloqués sur le corps.
Mon nez se fronça, craignant une quelconque odeur et je me stoppai à un mètre.
Non, je ne pouvais pas faire un pas de plus.
Le Dr Lee leva un sourcil avant de sourire :
— Bien joué, maintenant tu mets la chaise là et tu t'assois.
— Quoi ?
Il éclata de rire et me fit un clin d'œil :
— Je t'ai eu.
Ce type était cinglé, ce n'était pas possible autrement.
Comment est-ce qu'il pouvait être médecin ?
Je le fixai, choqué, mais il répéta deux fois sa décision et je finis par capituler, tirant la chaise pour m'asseoir à un mètre de la table en inox et de son projecteur.
De là, je voyais beaucoup mieux.
À ma plus grande horreur.
— Bien, tu prends des notes, je vais dicter ce qui sera dans le compte rendu.
D'une main maladroite et glacée, je pris la plaquette en métal sur laquelle étaient accrochés une feuille et un stylo.
— Identité : Park Gyeun Ji, 36 ans, 1m58, pour 59 kilos. Pas de signes distinctifs, est arrivée avec une robe bleu uni, une paire de collants noirs, une seule chaussure, soutien-gorge et culotte. Effets personnels : une montre, une alliance. Cause de la mort, strangulation comme le montrent les traces de doigts autour de son cou. Le corps présente de multiples traces de contusion. Un à l'avant-bras et au bras gauche et trois sur le bras droit. Un à la mâchoire, un à la tempe gauche. Cinq hématomes sur la poitrine et deux dans le ventre. Les cuisses de la patiente présentent des traces d'agrippement dans la surface interne. Concernant la partie génitale, l'examen montre un arrachement des muqueuses...
La plaquette fit un bruit terrible en tombant sur le carrelage et le Dr Lee s'interrompit en baissant les yeux vers moi.
— Je... je... pardon.
Ma main avait lâché le document et j'essayai de calmer les tremblements de mes mains.
— C'est une auscultation standard, lança le Dr Lee d'un ton plat, il serait identique si la patiente était en vie, tu sais.
— Mais elle ne l'est plus, crachai-je sèchement.
— Et donc ? s'étonna-t-il. Qu'est-ce que ça change ?
Je serrai mes doigts autour du crayon, sentant revenir la colère de la veille qui ne m'avait pas quitté :
— Ce que ça change ? Ce que ça change c'est qu'elle est... elle s'est faite violer et étrangler par son mari, elle est morte de ça, c'est ignoble ! Et vous, vous dites ça comme si vous faisiez votre liste de course...
— Qui a dit que c'était son mari ? rétorqua le Dr Lee. On n'en sait rien, Kim. Inutile de faire des suppositions douteuses, ça pourrait être son amant, son frère, son père, son cousin, son meilleur ami, son voisin...
Ma bouche s'ouvrit en grand, choqué par sa réponse, mais il continua platement :
— Tu es enquêteur, flic, juge ou avocat ? Non. Moi non plus. Laisse-leur leur boulot. Ici on n'est pas là pour juger ceux qui lui ont fait ça, on est là pour être sûrs que nos observations soient les plus précises possibles pour aider les enquêteurs, justement, à faire payer la personne qui a fait ça. Ce n'est pas de ton ressort, ce n'est pas du mien.
— Mais...
Je n'avais rien à dire parce que je savais qu'il avait raison mais ça me démangeait, ça m'insupportait de ne pouvoir rien faire.
— Tu as réfléchi à ce que j'ai dit, hier soir ?
Je relevai la tête brutalement :
— Pardon ?
— Je t'ai demandé, répéta-t-il distinctement en me prenant la plaquette des mains pour compléter lui-même ses observations, est-ce que tu as repensé à ce que je t'ai dit hier soir ?
— Non.
— Oh, ça ressemble à un mensonge ça...
— De toute façon, je ne suis pas d'accord avec vous ! m'écriai-je en me levant, faisant racler un peu la chaise sur le sol. Un médecin ne peut pas sauver des gens, c'est au « superhéros » de faire ça ? C'est tellement cynique et inhumain de dire ça ! Vous travaillez avec des gens qui sont morts, évidemment que vous n'en avez plus rien à faire d'eux, ni pour les aider, ni pour les soigner, ni pour les sauver de la maladie ou pire encore !
Ma tirade me laissa essoufflé mais le visage du Dr Lee ne changea pas vraiment d'expression, il avait toujours autant l'air d'un renard mesquin et perfide.
— Donc tu as réfléchi, je le savais.
Et ça avait l'air de le rendre vraiment content en plus. Putain.
Je voulais sortir d'ici. Rapidement.
Je n'avais rien à faire là.
Il fallait que je quitte cet endroit et ce type suspect pour ne jamais revenir.
Je ne savais pas pourquoi je ressentais autant d'injustice et de rage, comme si quelque chose me dévorait la poitrine et contaminait mes pensées.
— Kim, m'arrêta-t-il en posant une main sur mon épaule. Respire un coup, j'ai l'impression que tu vas exploser...
— Que je vais exploser ?! m'emportai-je. Non mais vous plaisantez ! Ne me parlez pas comme ça ! Ne me touchez pas !
Et pourtant il fit exactement l'inverse, il appuya si fort sur mon épaule que mon corps retourna s'asseoir sur la chaise, brutalement.
— Reprenons calmement, lâcha-t-il en soupirant.
Mon souffle était saccadé et mon corps tremblait d'une rage que je n'avais jamais eue.
Je ne m'étais jamais senti aussi sur le qui-vive, nerveux et colérique.
— Je vais te dire plusieurs choses. Déjà, des types comme toi qui viennent ici dans le but de « sauver » des gens, ça me donne toujours envie de les embêter.
— De...
— Je vais te dire pourquoi, me coupa-t-il en s'accroupissant devant moi. Parce que je les trouve soit naïfs, soit arrogants. Sérieusement Kim, tu veux « sauver » des gens ? Tu te prends pour Dieu ?
Cela me fit le même effet que la gifle de la veille. Je rentrai dans un état de sidération tel que ma bouche s'ouvrit sous le choc et que mes pensées s'arrêtèrent directement.
Le Dr Lee soupira et se releva :
— Je vais faire du café, tu veux un truc ? Chocolat chaud, thé ?
— Ch... chocolat.
— Bien.
Je l'entendis s'activer dans la pièce qui lui servait de bureau avant de revenir dans ma direction. Je n'avais pas bougé, la bouche sèche et le cerveau en miette.
Néanmoins, je réussis à articuler :
— Ça n'a rien à voir avec Dieu !
Le Dr Lee tira un tabouret avec son pied et s'assit en portant à ses lèvres sa tasse, « Dobby is a free elf ».
— Kim, j'ai été interne aussi, donc j'ai travaillé avec des « vivants » et je peux te dire un truc. Oui, bien sûr que ça arrive de « sauver » des gens, évidemment. Mais à mon avis on ne les « sauve » pas vraiment. On les « préserve », on leur donne une « seconde chance » en les soignant, en les aidant, en les opérant, en les accompagnant, et toutes ces choses-là... Mais on ne peut « sauver » personne de la mort. Elle viendra à un moment ou à un autre. Parfois on aura la sensation d'avoir gagné contre elle en réussissant une intervention très précise ou en trouvant le bon traitement par exemple, mais elle viendra quand même.
Il me fit son fameux sourire supérieur.
— Tu sais, ce n'est pas parce qu'on les soigne, qu'on est chirurgien ou cardiologue et qu'on a l'impression de « sauver » les gens, qu'il faut se prendre pour Dieu. Avec les progrès de la médecine, je comprends bien qu'on essaye de vivre dans ce fantasme qu'on vaincra la mort, mais on se plante complètement. Elle gagnera tout le temps. Alors oui, elle est injuste, c'est même une sacrée connasse parfois, elle prend tout le monde de 0 à 110 ans, à n'importe quel moment pour n'importe quelle raison. Mais c'est comme ça.
Je l'écoutais sans même toucher à ma tasse. Je buvais presque ses paroles.
— Personne dans ta fac ne te dira ce que je te dis là, parce que les médecins ont tendance à avoir le complexe de Dieu. C'est à dire de se croire tout puissant. Pitié, ne deviens pas ce genre de types là. Parce qu'en fait, Kim, être médecin c'est travailler pour la vie mais tu ne peux pas jeter la mort loin de toi. C'est un combo, c'est associé. L'un ne va pas sans l'autre. La mort fera partie de ton travail, Kim. Tu dois l'accepter et la tolérer. Tolérer que tu ne seras jamais Dieu et qu'il y aura des injustices auxquelles tu ne pourras rien faire.
Il avala une gorgée de café.
— On a peur de la mort, tout le monde, même ceux qui te disent que non. C'est une peur consciente et inconsciente. C'est fondamental à notre existence. Et les médecins encore plus parce que c'est de notre « responsabilité » de les préserver d'elle. Mais sache que c'est aussi notre responsabilité de l'accepter.
Il se mit à sourire :
— Moi j'ai réglé le problème, j'ai choisi médecine légale, comme tu dis je n'ai rien à « sauver » du coup, puisqu'ils sont déjà six pieds sous terre, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas les aider.
Et là il se leva et posa sa tasse sur le tabouret à présent vide et se rapprocha du corps qu'il auscultait, allongé sur la table de métal.
— Parce qu'on n'est pas flics, on n'est pas moralisateurs, ni Dieu en fait... je ne peux rien juger de la mort de cette pauvre fille. Par contre, je peux aider les enquêteurs à faire coffrer la personne qui lui a fait ça.
Il se mit à sourire :
— Et là je fais mon boulot de médecin.
Son regard me transperça :
— Parce que ce n'est pas parce que les gens meurent qu'on ne peut plus rien pour eux ou pour leurs proches. Un grand type a dit un jour « N'aie pas pitié des morts, aie pitié des vivants, surtout ceux qui vivent sans amour ».
Puis il y eut un silence, un silence incroyablement long, lourd et chargé de sens, jusqu'à ce que le Dr Lee ne lâche avec un enthousiasme complètement inapproprié :
— Tu peux t'en aller Kim, ta journée est terminée. À demain !
J'aurais pu m'offusquer, parce qu'après tout je devais faire le même nombre d'heures que lui, mais là, en cet instant, j'en étais incapable. J'étais secoué.
Je sortis de la morgue lentement, je pris l'ascenseur pour retourner au vestiaire tel un automate.
Ce ne fut qu'une fois dans le bus que je coinçai ma tête dans mes bras et que l'émotion me prit, faisant remonter des sanglots et des larmes.
Je ne savais pas trop pourquoi je pleurais mais c'était comme si quelque chose en moi relâchait toute la pression. Je n'étais pas spécialement triste et pourtant je n'arrivais pas à arrêter les larmes de couler.
Je sentais comme un étrange vide en moi.
Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait ces derniers temps.
Quelque chose clochait.
Mais là, après son discours, j'étais entièrement secoué. Son avis et sa manière de dire les choses étaient à l'inverse de ce que les études nous apprenaient.
J'avais l'impression d'avoir pris une grande claque dans la figure.
C'était comme si tout d'un coup quelque chose de simple et évident venait d'apparaitre sous mes yeux, comme si je n'en avais jamais eu conscience avant.
Comme si j'avais attendu toute ma vie qu'on me dise cela.
Je reniflai d'un coup, relevant ma tête de mes bras.
Je secouai mes cheveux, sentant une étrange colère m'envahir.
J'avais entendu ce qu'il avait à me dire mais je ne voulais pas l'accepter.
Et pourtant...
Et pourtant je sentais que la partie en moi qui pleurait autant était celle qui voulait s'accrocher, encore un peu, à cette idée que j'aurais pu être un superhéros et sauver des gens de la mort.
Sauver certaines personnes en particulier.
Pourquoi rien n'allait comme je le voulais dans ma vie ?
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J'étais revenu le jour suivant et le Dr Lee n'avait fait absolument aucune remarque sur notre conversation de la veille.
Je n'avais toujours pas dormi, au grand désarroi de Jungkook dont l'inquiétude avait atteint son paroxysme.
Cette fois je n'y couperais pas, il allait exiger de moi des explications.
Ainsi, le lendemain de la conversation avec le Dr Lee, j'avais dû m'asseoir là où j'avais laissé ma chaise, c'est-à-dire tout près de la table d'auscultation.
Mais je n'avais pas vomi.
Pas une seule fois.
Je ne m'étais pas senti bien de la journée mais mon estomac n'avait rien régurgité.
Le jour d'après, j'avais réussi à tenir debout près d'un corps quelques minutes en le regardant sans tourner de l'œil, ni vomir mon petit déjeuner.
Le jour encore d'après et le suivant, j'avais tenu aux côtés du Dr Lee pendant neuf heures, à prendre des notes à sa hauteur, et à hauteur des corps, pour l'autopsie et ce, sans broncher.
Le dernier jour de la semaine, les mains tremblantes, j'avais fait ma première auscultation.
Là, j'avais vomi. Mais j'avais voulu réessayer ensuite.
— Tu vois cette rigidité, tu la sens ? m'avait-il expliqué. C'est une rigidité totale. Ça veut dire que le corps a commencé sa décomposition et que donc la personne est décédée il y a une douzaine d'heures.
— L'odeur ?
— L'odeur commence à apparaitre à partir du moment où tu vois des taches. Ce qui se putréfie en premier est la flore intestinale. Plus la température environnementale est élevée, plus ça va vite. Voilà pourquoi il faut garder les corps entre 0 et 5 degrés. La décomposition se poursuit complètement à cette température. S'il faut garder le corps longtemps, il faut le placer dans une zone réfrigérante à -18° mais là la rigidité est telle qu'on ne peut plus manipuler le corps.
J'enregistrais les infos plus facilement à présent.
C'était comme si une partie de moi, une partie seulement, avait accepté cette réalité.
La conversation avec le Dr Lee m'avait ébranlé au plus profond de moi-même.
Néanmoins ça continuait de me poser question.
J'avais toujours du mal à regarder les corps meurtris, blessés, tués dans des conditions extrêmes, car mon esprit refusait de coopérer, de tolérer ces images.
Même si une part de moi avait commencé le processus d'acceptation, une autre part de moi, refusait de l'accepter.
Dans le fond je savais ce qui me bloquait.
Mais je ne savais pas ce que je devais faire par rapport à ça.
— Allez Kim, fini pour aujourd'hui, lança le Dr Lee alors qu'on se lavait les mains.
— Hein ? Mais.... il me reste encore quatre heures.
— Nope, vu la gueule que tu tires je te conseille vivement d'aller dormir et de profiter de tes deux jours de repos pour te reposer.
— Je ne suis pas fatigué ! arguai-je.
Je mentais.
— Ça ne ressemblerait pas à un mensonge ça ?
Je poussai un juron étouffé qui le fit rire.
Comment faisait-il pour toujours savoir ?
— Je dois partir plus tôt aussi, confia-t-il même si je me demandais s'il ne disait pas ça uniquement pour me convaincre, et je ne veux pas que tu voies le prochain corps.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est trop tôt.
— Pourquoi ? insistai-je.
Il me fixa en plissant les yeux avant de dire :
— Parce que c'est le corps d'un enfant de trois ans.
Ma bouche s'ouvrit et je me sentis pâlir mais il me tapota l'épaule avec empathie.
— Allez, rentre chez toi, et si tu te pointes avec cette tête-là mardi, je ne t'accepterai pas !
Je soufflai un grand coup avant de m'incliner et de sortir du service en direction de l'ascenseur.
Je constatais tout de même qu'à force de faire ce chemin, j'étais comme habitué aux couloirs.
Ça me paraissait moins glauque qu'avant.
Il était seulement dix-huit heures et devant mon casier, en retirant ma blouse, je me demandai ce que je devais faire.
Je sortis mon téléphone de la poche de mon manteau. Pas de réponse de Jimin, Jin hyung était en poste au secteur psychiatrique et il faisait le weekend. Yeri serait de service cette nuit et Jungkook devait être à son entraînement extérieur puisqu'on était samedi.
Je ne voulais pas aller me coucher de toute façon, alors je décidai d'aller voir Jungkook s'entraîner.
En sortant, je constatai qu'il avait dû neiger dans la journée mais que ça s'était arrêté. Il n'avait pas suffisamment neigé pour que les rues soient recouvertes de blanc mais il faisait vraiment froid.
Emmitouflé dans mon énorme doudoune noire, je pris le bus en direction de l'université.
Cette fois-ci pas besoin de passer par le plan, Jungkook m'avait très bien indiqué par où je devais passer pour venir le voir quand je pouvais.
Évidemment, la saison de baseball n'était pas commencée mais les entraînements allaient de bon train.
J'arrivai jusqu'au terrain et fronçai les sourcils. La nuit était presque tombée, il faisait sombre et des projecteurs avaient été allumés.
En tenue, les joueurs s'étaient séparés en deux équipes par des brassards de couleur rouge et après un rassemblement, chacun se remettait à son poste. Sur le panneau latéral s'affichaient les scores. Sur neuf manches il n'en restait qu'une.
Jungkook portait un brassard rouge et se trouvait sur une base.
Je m'avançai vers les tribunes les plus proches du terrain là où d'autres, aussi emmitouflés que moi, observaient le match, on devait être cinq en tout.
Je m'assis, m'en voulant de ne pas avoir pris de petites chaufferettes dans mes poches pour combattre le froid qui me bouffait les mains et me mis à observer le jeu.
Les tenues des joueurs étaient sales, pleines de boue et le sol était dans un sale état. De la condensation sortait de leurs bouches, visible à cause de projecteurs braqués sur eux.
Je jetai un coup d'œil au fameux entraîneur en fronçant les sourcils et lui trouvai une étrange ressemblance à Mr Do.
Son frère ?
Ceci pouvait expliquer leur désagréable caractère en commun.
Le bruit d'une balle frappée par une batte en métal me sortit de mes pensées et tout s'activa sous mes yeux. Je regardai, impressionné, Jungkook se mettre à courir à toute vitesse.
C'était vraiment impressionnant de voir ça d'aussi près.
Il dérapa sur la base et sembla vraiment heureux d'avoir atteint le marbre, frappant les mains de ses coéquipiers. J'aperçus Yugyeom réussir à atteindre une autre base avant que la balle ne revienne au lanceur.
Les points changèrent et je me mis à sourire en constatant que l'équipe de Jungkook gagnait.
Le batteur changea alors qu'il ne restait plus beaucoup de temps de jeu.
Il faisait vraiment noir maintenant et je regardai avec envie le couple sur le banc devant moi qui mangeait des nouilles brûlantes.
Mes yeux se perdirent dans le vide et je passai une main sur mon ventre en me demandant si j'avais déjeuné ce midi ou non.
Mon esprit était si embrouillé ces derniers temps que j'avais comme des absences.
Résultat des courses, je loupai la fin du match et ne me réveillai de mes pensées que lorsque le couple quitta le banc. Etonné, je me levai aussi alors que l'entraîneur vociférait des tas de directives à chacun avant de clôturer l'entraînement.
Jungkook pivota dans ma direction et je me mis à sourire avant de marcher le long des tribunes et d'atteindre la partie réservée aux équipes.
Il s'approcha jusqu'aux grillages très hauts qui nous séparaient et je me mis à pouffer.
— Tu as de la boue jusqu'au bout du nez.
— Ça me rajoute du sex appeal, hyung, crâna-t-il.
Je pouffai davantage en levant les yeux au ciel.
— Salut hyung, lança Yugyeom en arrivant lui aussi vers le grillage et je me mis à rire encore.
— Je crois qu'il se moque de nous parce qu'on est couverts de boue, fit remarquer Jungkook à son voisin.
— On s'en fout, on est sexy, répondit Yugyeom.
— Je suis plus sexy que toi.
— Qu'est-ce que tu racontes, j'ai plus de cul que toi, les filles adorent mes fesses...
Ah, ces deux-là.
Malgré l'histoire entre Bambam et Jackson qui avait pourri l'ambiance au dortoir de Jimin et le désaccord concernant cette histoire que Yugyeom et Jungkook avaient eu, ils avaient l'air toujours bons amis.
— Alors, tu es venu nous voir jouer ? me demanda Yugyeom. Tu as vu ? On gère comme des bêtes.
— Gyeomie et moi sommes les meilleurs coureurs, précisa Jungkook.
— Je cours plus vite que toi.
— Tu rigoles ou quoi ? Je te dépasse complètement !
— Salut, lança un autre joueur en rejoignant le duo.
Je répondis à sa salutation avant que le type n'ajoute :
— Mais t'es pas le type de la dernière fois qui est venu voir Kook ?
Euh...
— Je te reconnais, s'enthousiasma-t-il avant de se tourner vers son voisin. Je croyais que c'était juste un type que tu connaissais à peine ?
— C'est mon hyung, répondit Jungkook d'un air un peu méfiant en me jetant un coup d'œil entendu, il est en médecine.
— Wah carrément ! La grosse tête quoi.
— Vu l'état de ton QI, clairement tu n'as rien à faire avec lui, siffla Jungkook alors que Yugyeom éclatait de rire.
— Oh Kookie, chantonna Chanyeol, tu es vexé par ce que j'ai dit dans les vestiaires tout à l'heure...
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ? s'étonna Yugyeom.
Soudain le nouveau venu emprisonna la tête de Jungkook sous son bras en riant avant de s'adresser à moi.
— Dis-moi, hyung, tu ne saurais pas qui est la pauvre fille qui rend notre Kook aussi niais et fleur bleue ?
Je levai un sourcil alors que Jungkook repoussait méchamment le géant qui s'esclaffait bruyamment.
— Hyung ignore-le, souffla-t-il dans ma direction.
— T'façon Chanie on sait tous que c'est ta mère, plaisanta Yugyeom.
— Ta gueule !
Quelqu'un hurla le prénom du géant et il recula en montrant du doigt Jungkook :
— Je ne te lâcherai pas Kook, je sais que tu nous caches quelqu'un !
— Mais fous-lui la paix, argua Yugyeom.
— Cache ta frustration, Gyoemie, je sais que tu veux savoir aussi !
Sur ce le géant se mit à trottiner en direction des vestiaires. De mon côté je restai un peu surpris et un peu inquiet alors que Jungkook insultait méchamment celui qui venait de partir, Yugyeom lâcha :
— Allez, je vais à la douche aussi. À plus tard, hyung.
— À plus tard, répondis-je.
Mais avant d'avoir fait quelques pas, il pivota :
— Bambam hyung t'a vraiment appelé ou il raconte des conneries ?
— Hein ? Euh...
Il soupira bruyamment.
— Quel abruti, et dire qu'il nous saoule tous avec ça...
Il nous fit un geste de la main pour nous saluer avant de prendre lui aussi la direction des vestiaires.
Je regardai Jungkook qui poussait sa joue avec sa langue :
— Tu vois pourquoi je ne voulais pas que ce type te connaisse... ?
— Il a parlé d'une fille, éludai-je, pas spécialement de moi.
— Ce type est une fouine, persifla-t-il. Il est anti-couple, il a déjà fait rompre certains des joueurs juste en posant des tas de questions idiotes...
— Ne t'inquiète pas, le rassurai-je, je m'en fiche.
— Pas moi. Il me colle aux basques, je ne veux pas qu'il commence à fouiller ma vie ou même la tienne...
— Je sais. Mais je n'ai pas envie qu'on parle, encore, de cette histoire.
Il poussa encore une fois sa joue avec sa langue avant d'acquiescer.
— Tu as raison. Au fait, je suis surpris que tu aies fini si tôt aujourd'hui...
— Le Dr Lee m'a mis à la porte parce qu'il voulait que j'aille dormir...
Le visage de mon vis-à-vis se ferma :
— Hyung, il a raison. Tu dois dormir. Tes cernes me font peur...
— Hum... Je n'ai pas sommeil.
— Bien sûr que si !
Je soupirai silencieusement avant de brusquement demander :
— Va à la douche te réchauffer, il fait un froid de chien !
— J'ai chaud, confia-t-il en souriant, j'ai passé ces trois dernières heures à courir. Et ne change pas de sujet !
Je remontai mes épaules dans mon cou, serrant mes bras autour de moi en détournant le regard.
— Dis.
— Hum ?
Il me fixa et je ne pus m'empêcher de le trouver vraiment attirant ainsi, nonchalamment appuyé en avant sur le grillage, les mains levées, les doigts entortillés contre les fils de fer, dans sa tenue de sport tachée de boue.
Il avait raison, il avait l'air sexy comme ça.
— Je...
Je tournai ma langue dans ma bouche, cette fois, et croisai mes pieds.
— Dis-moi, m'intima-t-il avec douceur.
— J'ai envie de te poser une question bizarre mais je n'ai pas envie que tu trouves ça... bizarre.
Jungkook sembla pouffer un peu avant de s'avancer encore, décrochant une de ses mains du grillage de fer.
— Dis-le moi quand même.
— Je... je pense à beaucoup de choses en ce moment.
Il ne répondit pas, me fixant presque sans ciller. Son regard avait l'air de dire ironiquement « sans blague, et ? ».
Je me mordis la lèvre et me triturai les doigts, gelés, en tirant sur les manches de ma doudoune.
— Il y a quelque chose à laquelle je pensais... et qui m'empêche de dormir... Je ne sais pas quoi en faire...
Vraiment, me confier à Jungkook était une catastrophe, tous mes mots tremblaient et j'étais maladroit mais je voyais qu'il ne bougeait pas malgré le fait qu'il fasse vraiment froid.
Il resta accroché au grillage qui nous séparait du terrain et des tribunes.
— Il y a quelque chose qui me revient souvent... mais c'est stupide de te demander ça et je ne comprends pas pourquoi ça m'obsède autant et...
— Hyung, me coupa-t-il fermement. Dis-le-moi.
Mes épaules retombèrent alors que j'expirai soudainement.
Je relevai les yeux vers lui, mes lèvres coincées entre mes dents de devant.
— Si... si on... pouvait parler à l'adolescent de quinze ans que j'étais, tu lui dirais quoi, toi ?
La question sembla le déconcerter mais il se reprit bien vite et leva les yeux vers le ciel en réfléchissant. Au bout de quelques secondes, il finit par reporter son regard sur moi et répondre :
— Je lui dirais que j'ai hâte.
— Hâte de quoi ?
— De le rencontrer.
Je fronçai soudainement les sourcils et il se mit à sourire.
— Je lui dirais que j'aurais hâte de le rencontrer dans quelques années.
— Pourquoi tu aurais hâte ? balbutiai-je.
— Parce qu'il va changer ma vie.
Mon cœur me fit mal en battant d'un coup plus vite et mes joues chauffèrent avant que je baisse les yeux vers mes genoux.
— J'aurais peut-être envie de lui faire un câlin aussi, poursuivit Jungkook en se grattant le menton.
Je me mordis la lèvre en cachant mon sourire et mon vis-à-vis me toisa, un sourire lumineux sur ses lèvres.
— Merci...
Mais avant qu'il ne rajoute quelque chose, et parce que j'étais gêné, je l'envoyai se changer et prendre sa douche. Il finit par y consentir et je quittai les tribunes jusqu'à la sortie extérieure. Adossé à un mur, je me repassai sa réponse dans ma tête à la fois surpris et heureux.
Je ne m'attendais pas à ce qu'il réponde ça.
Si je posais la question à Jimin, à mes grands-parents, qu'est-ce qu'ils me répondraient ?
La réponse de Jungkook me rendait heureux. Elle était simple mais elle me donnait vraiment le sentiment qu'il tenait à moi.
Il était si adorable depuis un mois, si prévenant, si présent, si serviable aussi. Mais c'était de mon côté que ça clochait.
— Hyung.
Je sursautai en relevant la tête et je vis son expression changer, s'assombrir par un voile d'inquiétude qu'il portait souvent ces derniers temps.
— Tu as encore bugué, me fit-il remarquer.
— Je suis désolé... bafouillai-je.
— On rentre ?
J'acquiesçai et on marcha jusqu'à l'arrêt de bus. Je l'interrogeai sur son match d'aujourd'hui et il me parla avec animation des stratégies de son entraîneur. Je l'écoutais en souriant, le voir si animé, si enthousiasmé me rassurait, me faisait croire qu'il avait pris la bonne décision.
Même si l'ombre de son père était toujours là...
Dans le bus on se mit à énumérer les différents plats que nous avions envie de manger. Évidemment on ne tomba absolument pas d'accord sur les goûts de pizza. Notre débat dégénéra sur les différents goûts des ramens et là encore, on ne tomba pas d'accord. Résultat nous finissions toujours par décider au pierre, feuille, ciseaux.
Je gagnai la bataille et il bouda pendant dix minutes comme un enfant, ce qui me donna une fulgurante envie de l'embêter.
On descendit à l'arrêt, fit quelques courses avant de se rendre dans son appartement.
Pendant qu'on dînait, Jungkook se plaignit de ses coéquipiers notamment de ce fameux Chanyeol qui semblait beaucoup lui déplaire.
Puis à un moment donné, après un léger silence, une fois nos estomacs rassasiés, Jungkook me regarda tout en débarrassant.
— Au fait, pourquoi tu m'as posé cette question tout à l'heure ?
— Pour connaitre ta réponse.
— Et j'ai été bon ? plaisanta-t-il avec un clin d'œil.
— Très bon, concédai-je en souriant.
— Et toi, qu'est-ce que tu me dirais si tu me croisais à l'âge de quinze ans ?
Je levai le nez en l'air pour réfléchir.
— Vu que tu étais un petit être insupportable... peut-être que je te donnerais une baffe.
— Hé !
Je me mis à rire un peu plus fort.
— Quoi ? C'est toi qui m'as dit que tu étais insupportable au lycée.
— Ce n'est pas une raison pour me frapper, rétorqua-t-il avec une mine exagérément outrée.
— Oui, c'est peut-être un peu fort...hum. Peut-être que je te dirais la même chose.
— C'est-à-dire ?
— Que moi aussi j'aurais hâte de te rencontrer.
Jungkook secoua la tête :
— Non tu n'as pas le droit, c'est ma réponse. Tricheur !
— Hé.
— Tu réponds autre chose, hyung, bougonna-t-il.
Je sentis qu'on allait se chamailler un moment là-dessus mais contre toute attente mon sourire tomba quand il me demanda :
— Tu te dirais quoi à toi ? Si tu pouvais te revoir à quinze ans ?
Soudain il fit froid.
Mes yeux se déplacèrent vers le coin de la pièce où il était.
Mon souffle se coupa, une violente émotion me remonta jusqu'aux yeux.
— Je lui dirais...
Ma voix trembla, instable, et une émotion arriva soudainement, d'un coup, remontant le long de ma poitrine jusqu'à mon visage. Ce fut saisissant et atroce, ingérable et incontrôlé.
— Je lui dirais que je suis désolé.
Mes mains se plaquèrent sur ma bouche pour contenir mes larmes alors que j'entendais Jungkook lâcher soudainement les plats qu'il tenait et me prendre immédiatement dans ses bras.
— Je lui dirais que je suis désolé, répétai-je en hoquetant.
Ça y était.
On y était.
Et ça faisait horriblement mal.
— Hyung, commença doucement Jungkook pour ne pas me brusquer.
Mais j'étais lancé, c'était trop tard, j'avais ouvert le tiroir.
— Je suis tellement désolé, pleurai-je en tentant d'essuyer mes larmes qui ne cessaient de couler sans interruption sur mes joues. Je suis tellement désolé.
— Hyung, tenta Jungkook sans réussir à m'arrêter.
— Je suis tellement désolé de t'avoir laissé dans la voiture.
J'hoquetai, presque incapable de parler, c'était pénible d'ailleurs, mais il le fallait.
Il fallait que ça sorte d'un coup, même si c'était affreusement douloureux.
Maintenant que le tiroir était ouvert, il fallait le vider.
— Je... ne savais pas comment faire autrement, je ne voulais pas vivre avec ça. Je ne voulais pas l'accepter. Je voulais être mort dans cette voiture, ce jour-là.
Jungkook embrassa ma tempe mais même si je sentais sa présence, je ne me concentrais que sur lui.
— J'ai tout enfermé, dans un coin, parce que c'était trop dur de vivre avec ça. Je pensais que ça marcherait, je pensais qu'ainsi ça irait mieux. Mais maintenant... maintenant c'est trop dur. Je ne veux plus être dans la voiture, je ne veux plus être là-bas...
Jungkook me caressa le dos et la nuque, un léger réconfort dans la vague de douleur atroce qu'était mes émotions qui ressurgissaient.
— Je lui en ai tellement voulu.
Mes sanglots se transformèrent en hoquets et j'eus du mal à parler.
— À maman, je lui en ai tellement voulu.
Mes mains chassèrent des larmes qui revenaient alors que mon visage se ravageait de tristesse.
— Elle a menti ! Elle a dit qu'on s'en sortirait tous les deux ! Mais ce n'était pas vrai, c'était un mensonge parce qu'elle est morte....
Cette fois-ci, je ne pus plus articuler quoi que ce soit pendant quelques minutes.
Ma gorge aspirait l'air bruyamment et douloureusement, étranglée par ce qui me restait de rancœur et de regret inavouables.
— Elle est partie, elle m'a laissé tout seul... alors qu'elle avait dit qu'on s'en sortirait ! Et ça a été horrible... horrible de vivre avec ça après avoir promis. Les... promesses ne devraient pas être brisées... mais... c'était trop dur sans elle.
Je me recroquevillai, en reniflant :
— Ça fait tellement mal... C'était tellement horrible...
Je n'arrivais pas à essuyer toutes les larmes qui sortaient de mes yeux. Mes reniflements répétitifs et mes hoquets n'en finissaient plus, mais plus je parlais, plus ça me faisait du bien.
Je pris une grande inspiration et le fixai en murmurant :
— Maman ne reviendra pas nous chercher. Peu importe ce que je ferai, je ne pourrai pas la sauver. Elle est morte. Morte. Elle est partie en nous laissant là. Même si on restait dans la voiture... ça n'y changerait rien et... je lui en veux tellement. Mais... maintenant... ça fait trop mal parce que... parce que...
Ma gorge s'arracha un cri et pendant quelques minutes je ne pus que pleurer et crier pour tenter de soulager toute la pression autour de mon cœur.
— Parce que je ne veux plus être dans la voiture. Je suis désolé... tellement désolé, je ne veux plus rester dans la voiture.
Je pris soudain une grande inspiration de soulagement.
La tension diminua d'un coup.
— Je... je... hoquetai-je. Je veux vivre maintenant. Je veux tellement vivre...
Jungkook me caressait le visage, embrassant mes paupières, essuyant mes larmes d'un revers de pouce.
— Je veux vivre, balbutiai-je, je suis tellement désolé maman, papa... Je ne veux plus...
Mes larmes reprirent, bruyamment.
— Je ne veux plus... penser à vous tout le temps... Je ne veux plus être dans la voiture. Est-ce que vous allez m'en vouloir ?
Je crus m'étouffer dans mes propres pleurs et m'accrochai désespérément au pull de Jungkook pour reprendre mon souffle.
— Bien sûr que non, me chuchota-t-il. Bien sûr que non qu'ils ne t'en voudront pas. Au contraire hyung, ils seront heureux pour toi de te voir aller de l'avant.
Il embrassa mes joues, tenant mon visage en coupe délicatement.
Je mis un moment à reprendre la parole, ma voix étranglée me parvint :
— Je ne veux pas mourir, je ne veux plus mourir, je veux rester avec toi...
Son étreinte fut plus chaude et forte autour de moi.
— Je... je...
Je regardai le coin de la pièce et repris en essuyant mes larmes :
— Je suis désolé de t'avoir laissé dans la voiture, mais c'est fini maintenant... C'est fini. Ils sont morts mais pas nous, pas moi... et on mérite... on mérite...
Prononcer ce mot fut plus terrible encore que les autres mais je m'accrochai fermement et forçai sur ma gorge.
— On mérite de vivre.
La douleur partit d'un coup et il disparut aussi en larmes mais avec un sourire, un beau sourire rectangulaire.
Je me mis à pleurer longtemps, horriblement longtemps jusqu'à ce que mes forces s'épuisent, mais pas une fois Jungkook ne faillit à mon réconfort, pas une fois il ne me lâcha. Lorsqu'enfin je réussis à respirer calmement, il m'embrassa sur tout le visage délicatement.
Je le fixai, ému, réchauffé par son étreinte.
— Je t'aime, lui soufflai-je en posant ma main sur sa joue.
Il me prit délicatement le poignet pour y poser ses lèvres et son sourire me fit remonter les larmes.
— Moi aussi, hyung, tellement, murmura-t-il en déposant un baiser léger sur mes lèvres.
Il essuya les rivières salées qui dégoulinaient de mes paupières closes.
— Merci.
Merci de m'aimer.
Merci d'être là.
Merci d'avoir cru en moi.
J'aurais eu tant de choses à lui dire mais j'étais trop épuisé pour les formuler à voix haute.
J'ouvris les yeux et en voyant ses pupilles se remplir de larmes, je le serrai fort dans mes bras, dans une accolade brûlante et vive.
— Non hyung, tu ne comprends pas, me souffla-t-il tout près de mon oreille. C'est moi qui devrais te remercier.
Il m'embrassa encore doucement, délicatement.
— Je te l'ai dit, si je pouvais te voir à quinze ans je te dirais que j'aurais hâte de te rencontrer. Parce que j'ai attendu toute ma vie quelqu'un comme toi.
J'enfonçai mon visage dans son cou et m'agrippai à lui. Il me souleva et me porta jusqu'à la chambre. Mes paupières se fermaient peu à peu, mes larmes ne cessaient de couler mais j'avais la sensation d'être soulagé d'un poids immense.
D'être purgé.
Dans la chambre il n'y avait plus que lui et moi. Lui, il était parti, enfin.
Exténué, je laissai Jungkook m'aider à enlever mes vêtements pour m'engouffrer sous la couette avec lui. Je me calai près de son corps, désespérément.
Tout était silencieux, même dans mon esprit à présent. Tout ce que je gardais avait été évacué.
Mais ce silence n'était pas gênant, il était reposant, doux et chaleureux.
Je ne bougeais pas, laissant couler quelques rares larmes que Jungkook embrassait sans jamais s'arrêter. Il me couvrait de baisers et de caresses comme s'il voulait remplacer toute ma tristesse par toute l'affection qu'il me portait.
Mes paupières se fermèrent, lentement. Morphée me trouva, comme un ami, pour une fois.
M'emmenant au pays des rêves sans cauchemars.
Lentement, le tiroir à présent vide se referma, m'arrachant un sentiment de réconfort.
J'étais soulagé.
Ça irait bien mieux à présent.
C'était une promesse.
******
Je ne suis pas sûre d'avoir réussi à écrire et transmettre tout ce que je voulais et si tout était cohérent et clair pour vous. Vu que c'est important, alors une petite explication s'impose.
Attention pavé inside !
Taehyung est traumatisé par la mort de ses parents, l'accident de voiture quand il avait quinze ans.
Parce que c'était trop dur pour lui de se remettre de ça il a enfermé cette partie de lui dans un coin de sa tête. Je l'ai imagé, plusieurs fois, en décrivant cela comme un mur entier de tiroirs qui s'ouvraient se fermaient à sa guise. Les tiroirs représentent ses pensées et ses souvenirs.
La charge affective, et j'insiste sur ce point, de ce traumatisme est resté enfermé dans un coin pendant des années.
L'esprit se protège. Cela a donné l'avantage à Taehyung de continuer à vivre mais cela l'a rendu assez insensible à tout ce qu'il pouvait ressentir ou ce que les autres pouvaient ressentir.
Insensible à tout ce qu'il ne voulait pas ressentir.
C'est le Taehyung du début de l'histoire qui avait construit une routine précise, ritualiser et maniaque, fermé à tout changements.
Sauf qu'avec l'arrivée de Jungkook dans sa vie et le développement de ses sentiments, plusieurs tiroirs ont commencé à s'ouvrir notamment celui de l'amour, de la reconnaissance, du désir, de l'attachement etc.... Cela a donné lieu à des changements dont il a plus ou moins voulu résisté mais aussi à des crises (cf. le chapitre avec l'essayage de costume) car Taehyung se sent incomplet et que son esprit et son corps n'arrive pas à s'aligner. C'est le poids de son traumatisme non réglé qui le rend comme ça.
C'était le début du processus qui va arriver ensuite. Cette crise à générer une conscience de son corps et de son apparence. Un nouveau tiroir s'est ouvert.
C'est la mort de sa patiente dans l'ambulance qui a réactivé le traumatisme d'origine, parce que ça lui a renvoyé l'image de la mort sa propre mère.
La crise qui a suivi était plus importante que les autres parce qu'elle touchait le noyau même du problème. A savoir, le rejet de la mort de ses parents.
Taehyung n'a jamais fait son deuil, en réalité, puisqu'il a tout enfermé dans les tiroirs de son esprit.
Il n'a jamais accepté que ses parents soient morts, il refusait d'accepter la mort tout simplement. D'où toutes ses difficultés durant son stage aux urgences. Tout est inconscient pour lui et c'est par l'effet des crises que ça resurgit dans sa conscience.
Mais c'est Yeri qui a mit le doigt là-dessus, elle a mis des mots, sur ce qui resurgissait à savoir « parler avec l'enfant de quinze ans qu'il était ». Ça a fait revenir un souvenir celui de son ancien psychiatre qui l'avait mis en garde : « Il faut gérer ce traumatisme sinon il ressurgira ».
En gros Taehyung, devait, en tant qu'adulte, parler avec l'enfant qu'il était et qui était bloqué dans la voiture. La partie de sa personnalité traumatisée. Car tant qu'elle sera là, elle ressurgira toujours.
Taehyung était incapable de parler de son stage à Jungkook, parce qu'en réalité il était bloqué non pas par le stage mais sur tout ce qu'il avait refoulé et cacher dans et qui essayait de revenir dans sa conscience.
Et c'est le côté décalé et totalement inaffectif du Dr Lee par rapport à la mort qui va totalement l'ébranler.
Parce qu'en réalité si Taehyung a voulu devenir médecin c'est que dans son imaginaire, il avait le fantasme inconscient de sauver sa mère.
L'hallucination de Taehyung, c'est l'enfant de quinze qu'il était.
L'hallucination apparaît car le traumatisme est revenu dans son esprit. Ça a ressurgit à un point où il ne peut pas faire autrement que de le voir.
Taehyung se sent plusieurs fois inadapté à son corps, incomplet. C'est parce qu'une partie de lui est enfermé. Une partie de lui est toujours dans la voiture c'est pour cela qu'il éprouve des difficultés à se voir en totalité, à avoir une vision de lui-même, entière.
C'est Jungkook, enfin, qui l'aide à ouvrir le bon tiroir qui le rassure à ce niveau-là. Taehyung accepte de sortir de son déni et d'accepter. En s'adressant à sa vision de lui-même à quinze ans il fait son deuil. Il lâche prise et il accepte de ne former qu'un, à nouveau. Il accepte d'être en vie comparé à ses parents et se pardonne comme il pardonne à sa mère de lui avoir mentit.
C'est l'amour qu'il porte à Jungkook et dont il sait que c'est réciproque qui lui donne les bases nécessaires pour cela, car ainsi il sait qu'il pourra continuer à avancer à l'avenir. C'est très important car l'amour que Jungkook lui porte et les amitiés qu'il a créées sans vraiment s'en rendre compte, lui ont servis de bases solide pour avoir suffisamment de courage et de force pour affronter ses difficultés. C'est cela qui lui a permis de retrouver son image, son lien avec son corps, une maturité et une vision des choses tourner vers l'avenir. Sans cela Taehyung n'aurait jamais pu réussir à passer au-dessus de ce traumatisme.
J'espère que tout a été (ou vous paraît) plus clair.
Je vous aime. <3
Artemis
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