32-
Comme Jungkook l'avait dit, son père n'ouvrit pas les portes. Il ne put donc pas voir son fils endormi, nu, dans la chambre d'amis, me serrer dans ses bras, nos jambes se mélangeant.
Ce fut moi qui me réveillai en premier, comme d'habitude.
C'était comme si j'étais réglé comme une machine. Peu importe à quelle heure je me couchais, mes yeux s'ouvraient toujours vers 8h33.
Je sortis de l'étreinte du maknae et me rhabillai à la lumière artificielle de mon téléphone. À tâtons, je traversai la chambre, zieutant sur le drap sale roulé en boule que j'avais retiré du lit après...
Après.
Je ne savais même pas comment définir ce que nous faisions, je n'avais pas le mot pour ça.
Jungkook m'avait traité de maniaque mais il était hors de question que je dorme dans des draps que nous avions salis.
Discrètement, je quittai la chambre pour me balader dans le grand appartement. La lumière matinale annonçait un temps couvert, chargé de pluie. Pieds nus sur le carrelage d'une blancheur éclatante, je déambulai en observant la vue. Je me mis à la recherche d'un petit déjeuner et ouvris grand la bouche en regardant tout ce que contenait le frigo.
Seigneur, qui achetait tout ça ?
— Vous désirez quelque chose ?
Je sursautai furieusement, m'arrachant un cri, et me tournai en panique vers la petite femme âgée que j'avais aperçue hier.
— Euh... bonjour.
— Bonjour, me salua-t-elle avec un sourire chaleureux. Vous êtes réveillé tôt, désirez-vous que je réchauffe le petit déjeuner ?
— Euh non... je vais le faire, merci.
Elle s'inclina et repartit dans la salle de bain, gants et éponge à la main.
La femme de ménage était là tous les jours ? Et elle cuisinait aussi ?
J'avisai un message griffonné sur le bar en marbre venant du père de Jungkook, à l'écriture quasi illisible, l'informant qu'il essayerait d'être là ce soir pour un dîner à la maison.
A côté du mot se trouvait un plateau contenant tout ce que devait posséder un petit déjeuner coréen.
Riz, œufs, légumes, germes de soja, soupe de poisson.
J'étais en train de faire du thé quand la petite femme revint m'annoncer que son service était terminé mais que Jungkook savait où l'appeler s'il avait besoin de quelque chose.
Hébété, je la saluai respectueusement avant de m'attabler. Une fois repu, le thé ingurgité, je promenai mon regard sur cet endroit dépourvu de chaleur humaine. Pas de photos, rien ne sortant de l'ordinaire, pas d'objets particuliers, pas de traces de vie quelconque si ce n'était les chaussures de Jungkook et les miennes devant la porte d'entrée.
En regardant la vue et la pluie tomber, j'eus soudainement envie d'écouter de la musique. Chose que je faisais à présent régulièrement depuis que Jungkook m'en avait donné l'habitude. Monsieur avait donc transféré ses fichiers audio sur mon téléphone et à la gare de Daegu, avant de partir pour Busan, il m'avait fait acheter des écouteurs.
Ce qui restait étrange pour moi était d'écouter les chansons de Yoongi hyung, en adorant sa voix et son rap mais tout en le détestant, lui.
C'était carrément contradictoire.
Je retournai vers ma... notre chambre pour tâcher de trouver mes écouteurs et, parce qu'elle était encore plongée dans le noir, je refermai la porte avant de tâtonner pour trouver le matelas.
Où est-ce que j'avais fichu ce truc ?
Jungkook grogna, bougea, je me figeai avant de l'entendre se relever et que sa main n'agrippe mon avant-bras comme pour s'assurer que j'étais toujours là.
— Hyung, il est super tôt, geignit-il en replongeant la tête dans le coussin.
— Tu n'as pas l'heure, donc tu ne sais pas quelle heure il est, supposai-je.
— T'es toujours réveillé tôt.
— Eh bien il est tard.
— Genre ?
— Genre neuf heures.
Il jura, me tirant vers lui alors que je me débattais :
— Non, je cherche mes écouteurs, tu ne les as pas vus ?
— Non. Viens te recoucher.
— Att..
Je manquai de tomber sur lui et il m'emprisonna de ses bras, en chuchotant :
— Hyung, il est neuf heures, on est dimanche c'est beaucoup trop tôt...
Je me relevai un peu, m'arrachant à la prison de ses bras et en soupirant :
— Tu sais qu'on a ce débat tous les dimanches depuis que tu squattes mon appart.
— Mais là tu n'as pas l'excuse de tes révisions...
— Je suis programmé pour, expliquai-je, pas ma faute.
J'essayai de me dégager, en vain.
— Mais qu'est-ce que tu as ce matin ? Demandai-je surpris, tu es...
Collant ? Collant était le mot.
J'avais mal refermé la porte alors un mince filet de lumière parvenait dans la chambre, aidant mes yeux à s'habituer à la pénombre. Il fourra son visage dans mon cou.
— Il y a quelqu'un dans la maison ?
— Non, la femme de ménage est repartie, elle m'a fait une peur bleue et ton père a laissé un mot pour dire qu'il essayerait de te voir ce soir.
Jungkook se tendit une fraction de seconde avant de me pousser en arrière et de me surplomber.
— Donc on a toute la journée. Quel temps il fait ?
— Il pleut.
— Journée au lit alors ! S'enthousiasma-t-il alors que je fronçais les sourcils.
— On est censés voir Jimin aujourd'hui...
— Ou pas.
— Jungkook, soupirai-je, je n'ai pas envie de passer toute la journée dans le lit, ce n'est pas productif du tout !
— Ça dépend de ce qu'on y fait dans ce lit....
Son sourire ne me disait rien qui vaille mais quand il écarta mes cuisses pour s'y glisser entre, je compris où il voulait en venir. Ses lèvres cherchaient les miennes mais je tournai la tête.
Mon téléphone sonna et je le repoussai un peu pour l'attraper sous le lit.
— Ah, Jimin nous demande quand on compte le rejoindre.
Jungkook retomba sur le matelas en poussant un juron :
— Pas envie.
— Ne fais pas l'enfant.
— Si.
Je levai les yeux au ciel avant de dire :
— La femme de ménage a cuisiné un excellent petit déjeuner, tu devrais te lever.
— La flemme, apporte-le-moi au lit.
— Pas question.
— Allez hyung, supplia-t-il.
— Non, lève-toi.
Je sortis du lit mais il m'agrippa, je me débattis un peu mais il me garda dans ses bras avant de chuchoter :
— Juste cinq minutes.
J'arrêtai de me débattre et attendis. Un silence s'ensuivit où à part nos respirations calmes, rien ne venait interrompre le silence.
— Tu es bizarre ce matin, Jungkook.
— C'est toi qui me rends comme ça, souffla-t-il.
— Ça va encore être de ma faute, soupirai-je.
— Non, de notre faute.
Je tournai légèrement la tête, surpris. Mon cœur s'accéléra et je sentais venir l'instant, celui que je redoutais tant.
Pourtant Jungkook se leva, cherchant son caleçon et ouvrit la porte, m'éblouissant un instant avant de faire monter les volets.
— Tu as raison, c'est une sacrée pluie. Je reste quand même sur mon idée qu'il faut qu'on glande dans le lit en regardant Netflix !
— Pourquoi Netflix ?
— Parce que Netflix c'est la vie.
Je pouffai sans comprendre et le suivis. Sans se préoccuper de sa semi-nudité, le gamin se balada dans les pièces alors qu'il faisait réchauffer le petit déjeuner. Il m'avait mis la télécommande de l'immense télé dans les mains et j'avais pour mission de « trouver un programme intéressant pour la journée ».
Je n'avais pas Netflix chez moi et je fouinai un peu les catégories sans parvenir à me décider. Comment ça se faisait qu'il y avait autant de choix ?
Avoir trop de choix court-circuitait mon cerveau.
Jungkook, une fois rassasié, vint s'asseoir, une tasse de chocolat chaud à la main, à côté de moi et me prit la télécommande.
— Tu n'as pas froid comme ça ? M'inquiétai-je.
— Non, ça va.
— Moi, je trouve la clim trop forte, je vais aller m'habiller alors, lançai-je.
Je me levai du canapé mais avant que je n'aie eu le temps de faire un pas, je sentis mon avant-bras être retenu. Je pivotai vers Jungkook et ses cheveux en bataille, sa mine sérieuse.
— Hyung, embrasse-moi.
Je sursautai furieusement, choqué par sa demande et bégayai :
— L..là ?
— Là.
— Mais...
— Embrasse-moi, répéta-t-il.
— Mais pourquoi tu me demandes ça ? Paniquai-je.
— Parce que.
— Ce n'est pas une réponse, ça !
Il relâcha mon bras puis reconcentra son regard sur la télévision et je le fixai, un peu abasourdi.
— Je ne comprends pas.
— Laisse tomber, va t'habiller.
— Jungkook...
Ses yeux noirs me transpercèrent et je déglutis. J'avais l'impression qu'il essayait de me dire quelque chose sans y parvenir ou qu'il attendait quelque chose de moi. Je fis volte-face et m'en allai vers la salle de bain. Je fis une rapide toilette et observai mon reflet dans le miroir.
Pourquoi m'avait-il demandé ça ?
Ce matin il agissait vraiment bizarrement. Trop collant, trop tactile, trop...
J'avais loupé un wagon, je sentais que quelque chose m'échappait. Mais quoi ?
On toqua à la porte et la voix du gamin retentit :
— Tu t'es noyé sous la douche, Hyung ? Qu'est-ce que tu fiches ? Ça fait un moment que tu es là-dedans....
J'ouvris la porte, subitement, d'un coup, sans réfléchir, comme poussé par une envie soudaine sans me rendre compte que j'avais retiré mon haut de pyjama. Il y eut un appel d'air tant je mis de la force dans mon mouvement et Jungkook cligna des yeux, son regard se focalisa uniquement sur mon torse, comme s'il était absorbé.
Il était loin le Taehyung qui n'osait pas montrer son corps.
Ma main vint trouver sa place sur sa nuque, comme elle en avait l'habitude, je l'attirai vers moi pour l'embrasser.
Je me sentais tout d'un coup sauvage, rebelle, presque le héros d'une histoire qui prenait enfin son courage à deux mains.
J'avais presque envie qu'on ajoute de la musique en arrière-plan.
Les lèvres du gamin répondirent immédiatement et on rentra dans la salle de bain ainsi, agrippés l'un à l'autre.
Mon cerveau se mettait de nouveau au chômage technique. Jungkook referma la porte d'une main habile sans s'arrêter de m'embrasser.
Mon dos cogna contre la paroi de la douche transparente. J'avais l'impression d'en perdre le souffle à l'embrasser ainsi, comme si nos vies en dépendaient.
Enfin, essoufflés, on s'éloigna l'un de l'autre et on prononça en même temps :
— Il faut qu'on parle.
*******
On était habillés, calés chacun dans un coin du canapé. La nervosité était palpable et je ne cessais de me triturer les ongles.
Par où commencer, par quoi ? Quoi dire ? Que faire ?
Le tic-tac d'une horloge moderne faite de morceaux de plastique noir, accrochée non loin, résonnait dans le silence, rendant l'échange, ou du moins l'absence d'échange, plus angoissant encore.
Je finis par me lancer, au bord de l'apoplexie, pour soulager cette angoisse qui grimpait en moi.
— Pourquoi tu m'as demandé de t'embrasser tout à l'heure ?
Les yeux de Jungkook cherchèrent les miens avant que ses épaules se relâchent comme s'il était soulagé que ce soit moi qui commence.
— Parce que jusqu'alors, c'était toujours moi qui étais... à l'initiative de... ça, balbutia-t-il. C'est toujours moi qui t'embrasse et j'avais besoin de me rassurer, de me dire que je ne t'imposais pas quelque chose, que toi aussi... tu le voulais.
— Bien sûr que je le voulais, sinon je ne t'embrasserais jamais en retour.
— Peut-être, souffla-t-il. Ça n'empêche que depuis le début tout a commencé à cause de moi. C'est moi qui ai imposé ce premier baiser, qui ai déclenché tout ça. C'est moi qui suis à l'origine de tout le reste, aussi.
Il baissa la tête, rassemblant avec ses mains ses genoux :
— J'ai mis longtemps à me rendre compte que ça venait de moi, d'abord. Je voulais croire que c'était de ta faute parce que j'avais peur que ça vienne de moi.
Il se passa une main dans les cheveux, nerveusement :
— Hyung, je vais être honnête envers toi...Tu m'attires.
J'eus un sursaut avant de sentir mes joues chauffer mais Jungkook reprit, comme sur sa lancée :
— Et je n'ai jamais été attiré par un garçon, jamais. Jamais je ne pensais que ce jour arriverait, jamais je n'aurais pensé embrasser un garçon, ni même... le toucher.
Je me déplaçai un peu sur ma place dans le canapé, mal à l'aise.
— Ça m'a pris la tête, je me suis remis en question, j'ai tout refusé en bloc mais... à la balançoire quand tu m'as dit que j'étais spécial pour toi, je... crois que j'étais heureux. Je n'étais pas le seul à ressentir ça, ou quelque chose comme ça.
— Jungkook, l'interrompis-je.
Je savais que nous mettions les choses au clair, c'était difficile de le faire. Je me sentais mal à l'aise, nerveux. Tout était en suspens comme si d'une seconde à l'autre les choses pouvaient virer à la catastrophe.
— Je me fiche des étiquettes, ça ne m'a jamais intéressé. Je n'ai pas menti sur la balançoire, j'ai fait une promesse. Je veux simplement qu'on reste ensemble pour toujours, peu importe la manière.
Je me redressai, me préparant mentalement à la suite alors que je n'avais qu'une envie, c'était de m'enterrer sous une couette et d'attendre que ça passe.
— Je ne veux plus qu'on fasse comme s'il ne s'était rien passé.
— C'est pourtant toi qui m'as demandé la dernière fois...
— J'avais trop peur que tu me quittes ! Que tu t'en ailles, que tu me jettes ! M'écriai-je. J'ai tout le temps peur que tu te braques, que tu me laisses et que tu changes d'avis, je ne savais pas comment faire autrement. Je pensais que c'était ce que tu voulais !
— Moi aussi, souffla-t-il, je pensais que c'était ce que je voulais...
— Alors quoi ! Que veux-tu, Jungkook ?
— Je ne sais pas...
— Je veux qu'on arrête de faire semblant qu'il ne se passe rien, c'est trop tard pour ça, non ?
Le maknae ferma les yeux, faisant une légère grimace :
— Hyung, tu sais les amis ne font pas ça. Si, les sex-friends, mais même, on ne ressemble pas à ça. Notre relation n'a plus rien de vraiment amicale, c'est plus quelque chose que... les couples font.
— Alors soyons un couple.
Je le sentis s'affoler et j'aperçus avec horreur la limite être franchie, comme si le monde sombrait autour de nous.
— Hyung, tenta-t-il, je ne peux pas être en couple avec toi. Ce n'est pas possible !
— Pourquoi ?
— Pourquoi ? Parce que je ne pourrais jamais l'assumer.
Il se passa une main sur le visage et je sentis mon cœur se serrer violemment.
— Jamais je ne pourrais me promener main dans la main avec toi, te présenter à ma famille, mes amis, le dire au monde entier. Pas que je ne veux pas, c'est que... c'est trop pour moi. Je peux accepter le fait d'être avec toi, d'être attiré par toi, mais pas devant les autres. Encore moins dans le sport.
— Comment ça dans le sport ?
— Hyung, s'il y a bien un endroit où l'homosexualité est taboue c'est le sport ! S'exclama-t-il. J'ai fait des recherches, je me suis renseigné, assumer son homosexualité détruit une carrière, l'opinion des gens est importante dans le milieu. Je suis au début de ma carrière, je finis mes études dans deux ans, je dois mettre toutes les chances de mon côté. Surtout en Corée, personne ne comprendra, ce pays est homophobe au possible...
— Mais tu n'es pas homosexuel, comme je ne le suis pas non plus.
— Les gens ne feront pas la différence !
Il paraissait déboussolé, effrayé, paniqué, en proie à un mal-être puissant et je serrai les poings, m'enfonçant les ongles dans la paume pour me retenir de le prendre dans mes bras. Je soufflai d'un coup, relâchant la pression dans ma poitrine :
— Les gens ne sont pas obligés de le savoir, personne n'est obligé de le savoir.
Jungkook se figea, son regard pivota vers moi et il secoua la tête :
— Je ne peux pas te demander ça hyung, cette situation finira par te faire souffrir.
— Non, je ne pense pas. Même si nous pouvions nous assumer, tu crois vraiment que je serais le genre de personnes à m'afficher, à me montrer, à le dire aux autres ?
Cet argument fit mouche et je le vis secouer la tête pour répondre silencieusement à ma question.
— J'ai promis que je ne te laisserais jamais sortir de ma vie. Peu importe les moyens, et si pour ça on doit vivre dans le secret j'y suis prêt aussi.
Il me fixa et sa panique s'atténua avant qu'il ne lâche un petit sourire :
— Ça faisait super cliché, l'amant secret et tout.
Mais il perdit rapidement son expression :
— Je suis un lâche hyung, jamais je n'assumerais même si je le pouvais. Je suis désolé.
— Ce n'est pas grave.
— Si, c'est grave ! Je ne veux pas que tu penses que j'ai honte de toi !
— Jungkook, tentai-je, arrête de te prendre la tête...
— Tout semble facile pour toi, hyung ! Cria-t-il. Ça a l'air de te passer complètement au-dessus!
— Ce n'est pas vrai ! Rétorquai-je. Je ne vis pas les choses de la même manière que toi ! On a déjà parlé de tout ça !
— Alors on en parle encore !
Je lâchai un soupir très sonore :
— Qu'est-ce qu'on fait Jungkook ? Parce qu'on est là pour prendre une décision.
— Tu me fourres toutes les responsabilités ! S'emporta-t-il.
— Ça ce n'est pas vrai !
— Bien sûr que si, tu n'arrêtes pas de te mettre en position de passivité, en attendant que ça vienne de moi !
J'ouvris la bouche pour me défendre avant de la refermer et de froncer les sourcils :
— C'est ce que tu crois ?
— Oui !
— Je ne me mets pas en position passive !
— Ah bon ? Ironisa-t-il.
Ce ton me contrariait, cette formulation aussi.
— Tu attends que ça vienne de moi, tu te laisses complètement aller à ce que moi, je te demande, comment veux-tu qu'après je ne doute pas de moi, que je t'impose quelque chose ? Hein ?
Je ne savais pas quoi répondre et je secouai un peu la tête, ne cessant d'ouvrir et de refermer la bouche sans réussir à prendre la parole.
— C'est juste que c'est de ton côté que c'est compliqué, pas du mien...
Jungkook me jeta un regard contrarié et je me mordis la lèvre :
— Je ne comprends pas pourquoi tu me dis tout ça, là.
— Ça c'est facile comme excuse, siffla-t-il.
— Alors quoi ? M'agaçai-je soudainement. Qu'est-ce que tu attends que je te dise ? Que je me prenne la tête comme toi, que je ne cesse de répéter « je ne suis pas gay, je ne suis pas gay » pour te faire plaisir ? Je m'en fous d'être gay ou pas !
— C'est pas ça ! Répliqua Jungkook. J'ai l'impression que tout glisse sur toi. Tu as résisté pour qu'on devienne amis, j'ai dû me battre pour que tu me fasses confiance mais l'idée qu'on devienne un couple... pas de problème ? Où est la logique là-dedans ?
Je me crispai :
— C'est différent !
— En quoi c'est différent ?
— Je suis habitué à toi, avant ce n'était pas le cas, et je sais bien que notre amitié a franchi une limite mais ça m'importe peu...
Jungkook secoua la tête, poussant sa joue de sa langue en me montrant du doigt :
— Voilà ! C'est ça qui m'emmerde, comme si ce n'était « pas grave » que les choses changent alors qu'au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, c'est grave ! C'est important, on s'éloigne de notre amitié pour devenir un couple !
— Et alors ! M'écriai-je.
— Et alors ? Répéta-t-il. Hyung, tu ne sais rien des couples, tu ne vois pas ce que ça implique !
Je croisai les bras, furieux :
— Vas-y, dis-moi ce que ça implique ?
Il leva les yeux au ciel :
— Tu vois, tu recommences, tu attends ça de moi mais tu n'as pas envie d'être curieux tout seul.
— Excuse-moi de n'avoir aucune expérience dans le domaine ! M'emportai-je.
— Tu devrais te poser des questions !
— Et toi tu devrais arrêter de te prendre la tête !
— Et toi tu ne te la prends pas du tout !
— Qu'est-ce que tu attends de moi Jungkook ? Que je me comporte différemment ? Que je respire la confiance en moi ? Que je sache où nous allons et dans quoi nous nous embarquons ? Désolé mais je ne peux pas faire ça ! Pas parce que je ne veux pas mais parce que je ne peux pas !
Il bougea d'un coup, se levant et contournant le canapé et je le suivis, légèrement énervé à l'idée qu'il veuille fuir la discussion.
— Je veux que tu te rendes compte des risques, de la situation dans son ensemble...je ne sais pas moi, que tu prennes des initiatives ! Que tu sembles participer à ce qu'on devient et pas en restant soumis à ce que moi je veux de toi.
J'ouvris la bouche, offensé :
— Je ne suis pas soumis à toi !
— Ah bon ? Ironisa-t-il.
— Je ne suis pas soumis à qui que ce soit, si les choses sont arrivées et que je les ai laissées faire, c'est parce que je le voulais bien !
Il eut un ricanement et je sentis une vague de colère exploser dans ma poitrine :
— Qu'est-ce que tu attends que je te dise, Jungkook ? Je n'y connais rien, ni en amitié, ni en relation, est-ce que je dois te rappeler que j'étais à moitié mort à l'intérieur avant que tu me trouves ? J'aime ce qu'on devient, voilà je te le dis ! J'aime que tu me touches, que tu m'embrasses. J'aime cette idée que tu n'es comme ça qu'avec moi et je veux que les choses continuent dans ce sens. Je ne sais pas bien m'exprimer ni ouvrir mon cœur, ni parler par expérience mais j'ai fait cette promesse sur cette balançoire et je m'y tiendrai ! Je me fous des risques, des complications, des étiquettes ! Je veux qu'on soit ensemble ! Je ne vois pas pourquoi je me prendrais la tête davantage, tu te la prends suffisamment pour nous deux, non ?
Je repris ma respiration, essoufflé :
— Les choses sont simples, Jungkook. Peu importe ce que tu es, ce que je suis, ce qu'on sera, je sais juste qu'il est trop tard pour reculer !
Il tremblait de loin, je voyais ses yeux se gonfler d'émotion et il fit une grimace comme s'il allait pleurer :
— Hyung, si tu savais comme j'ai la trouille.
Je m'avançai jusqu'à lui, ma colère s'effaçant, une fois encore j'étais touché par ce côté de sa personnalité qu'il me montrait, cette partie fragile, précieuse qui m'empoignait le cœur.
Je l'embrassai tendrement, y mettant toute la douceur que je voulais lui donner et sa main agrippa ma nuque de manière désespérée.
On resta ainsi dans cette position jusqu'à ce que je le sente légèrement s'apaiser.
— Je sais, moi aussi j'ai peur.
— Je ne sais pas si j'y arriverai, souffla-t-il. Tu vas me trouver tellement lâche...
— Ça, ça n'arrivera pas. Jungkook, Qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?
Il fixait mon visage, comme cherchant tous les détails, l'analysant, réfléchissant, avant que ses doigts ne viennent effleurer ma joue, me faisant frissonner.
— Tu as raison, souffla-t-il. Il est trop tard, on ne peut pas revenir en arrière... et même si c'était possible je n'y arriverais pas, je ne le voudrais pas. Tu es en train de me rendre complètement fou, hyung.
Nos yeux s'accrochèrent, nos regards divergèrent vers nos bouches et nos lèvres se scellèrent. Ce baiser m'emporta, de tristesse, de peur, d'émotions, de sentiments, de beaucoup de choses. Nos corps s'accrochèrent, ne voulant pas se séparer. Ce fut à bout de souffle que nos visages se reculèrent. Jungkook me caressa la joue :
— Je voudrais arrêter de me prendre la tête, de culpabiliser à chaque fois que je t'embrasse, de paniquer parce que je te désire et tout le reste... Mais ça ne viendra pas du jour au lendemain. Je suis désolé d'avance avec tout ce que je vais t'imposer...
— Jungkook, regarde-moi.
Ses yeux se calèrent sur les miens et j'agrippai sa main dans la mienne.
—Fais ce que tu as envie, ne te préoccupe pas des autres, de ce qu'ils pensent, de ce qu'ils disent.
Il hocha la tête avant de m'emporter dans une accolade forte, je le serrai contre moi comme si j'avais peur encore qu'il s'en aille.
— Tu seras mon secret le mieux gardé, hyung. Le plus précieux.
On se recula un peu, souriant à demi, émus et maladroits, nos regards se cherchant, nos doigts se touchant et nos cœurs battant à tout rompre.
On se réinstalla dans le canapé, l'un près de l'autre, Jungkook lança un programme qui ne servit que de fond sonore alors que nos corps se redécouvraient, que nos bouches s'effleuraient.
C'était le plus beau moment de latence, en suspension, que nous n'avions jamais eu. Je le trouvais tellement magnifique ainsi, presque fragile près de moi.
— Hyung, souffla-t-il à mon oreille, on restera ensemble, quoi qu'il arrive.
Et c'était sûrement la plus belle promesse que mes oreilles voulaient entendre. On se regardait, on s'embrassait, nos corps se frottaient dans la chaleur brûlante de nos envies et nos yeux cherchaient la douceur de l'autre.
Nous savions que ce serait difficile, qu'on n'échapperait pas aux difficultés, aux obstacles sur notre route.
Nous savions que nous ne suivrions pas les règles des couples, des amis, des deux à la fois, que nous serions maladroits, névrosés, perdus.
Mais nous savions que le lien qui nous unissait serait plus fort que tout le reste.
Quoi qu'il arrive.
*******
J'avais vraiment dû faire du mal à quelqu'un dans une vie antérieure.
Karma is a bitch à ce qu'on disait, bah voilà j'étais en plein dedans.
Et ce quelqu'un m'avait maudit ? Ça ne pouvait pas expliquer autrement la situation horrible dans laquelle je me trouvais.
— Oppa, fais « ah » !
Je fixai la cuillère de mousse au chocolat avec envie mais la personne qui tenait le couvert avec crainte.
— Oppa, réitéra-t-elle, fais « ah » !
Je secouai la tête négativement, cherchant mon meilleur ami des yeux pour quémander de l'aide.
Surtout ne pas regarder Jungkook. Surtout ne pas regarder Jungkook. Surtout ne pas...
— Oppa, geignit-elle, allez ! Fais un effort !
Et son visage se tordait dans une expression que je ne connaissais que trop bien. Dépité, j'ouvris la bouche et elle me fourra la cuillère de chocolat entre les lèvres.
Ne pas regarder Jungkook, ne pas regarder Jungkook.
Difficile, parce que je ressentais son regard brûlant de mécontentement sur moi alors qu'il se situait juste face à moi.
— Tu es trop mignon oppa, s'écria Linha en tapant dans ses mains dans une moue mignonne, je suis trop contente de te revoir !
J'avalai ce que contenait la cuillère et reposai le couvert sur la table en m'essuyant les lèvres avec ma langue.
Mais dans quel pétrin est-ce que je m'étais fourré, encore ?
Oui, encore.
La petite sœur de Jimin à ma droite posa son menton sur le dos de sa main. Ainsi avachie sur le plan de travail dans une position tout sauf délibérée :
— Minnie oppa m'a envoyé une photo de toi avec les cheveux argentés, oh mon dieu tu étais trop C.a.n.o.n !
Pitié, tuez-moi.
— Lin', fous lui la paix, tu le fais flipper là !
La dénommée geignit et je la fixai, traumatisé.
Où était passée la petite fille aux grosses joues mignonnes qui pleurait tout le temps et à qui je devais faire des couettes sinon elle piquait des crises monstres ?
J'avais devant moi une ado de dix-sept ans, surmaquillée, aux longs cheveux décolorés légèrement ondulés, portant un débardeur à bretelles dont l'une d'elles se perdait sur son épaule nue, qui se tenait près de moi, minaudant, battant des cils. Elle avait gardé ses bonnes joues mais ça lui donnait une allure faussement mignonne ; ses yeux étaient toujours exactement les mêmes que ceux de Jimin. C'était assez frappant leur ressemblance. Sauf que la petite Linha avait perdu toute son innocence à partir du moment où j'avais passé la porte de la maison des parents de Jimin et qu'elle s'était jetée sur moi, me touchant, me traînant derrière elle, me faisant manger et jouant avec mes cheveux. J'avais beau la repousser, je restais sidéré de la découvrir avec six années de plus.
— Tu me trouves comment oppa, jolie ?
— Euh...
Elle avait gardé ses aegyo qui nous faisaient tant fondre, Jimin et moi. Elle avait six ans d'écart avec nous, elle pleurait tout le temps à l'époque, voulant toujours rester avec nous. Et même si Jimin s'en plaignait, il la laissait toujours faire ce qu'elle voulait.
Du coup elle traînait partout avec nous, me considérant comme son grand frère au même titre que mon meilleur ami. Ce temps était révolu.
— Grandie.
Elle pouffa et derrière elle, Jimin levait les yeux au ciel, exaspéré par son manège.
Nous étions dans la cuisine, la mère de Jimin nous avait demandé de l'aide pour préparer le repas car le soir même, les frères de son mari et leurs enfants venaient dîner et c'est là que Linha avait commencé son manège.
— Ça te plaît Séoul ? C'est vraiment grand, j'ai trop hâte d'y aller ! Tu te souviens, tu avais dit que quand je viendrais à la capitale tu m'épouserais ?
Je m'étouffai d'un coup avec le jus de fruit que je buvais et Jimin grogna :
— Lin', on avait douze ans quand il t'a dit ça ! Fous lui la paix !
— Une promesse c'est une promesse ! S'écria-t-elle.
Elle se retourna vers moi, posant ses avant-bras sur le bord du plan de travail, plaçant sa poitrine en avant et elle marmonna :
— Tu as une petite amie, oppa ?
Ne pas regarder Jungkook, ne pas regarder Jungkook.
Je secouai la tête négativement et elle se mit à sourire davantage :
— Oh, tu te préserves pour notre mariage, c'est trop mignon !
Là, elle se foutait clairement de ma pomme et je lui lançai un regard froid qui la fit glousser :
— Désolée, c'était trop tentant. C'est carrément fun de t'embêter en fait, tes réactions sont épiques.
Tiens, on m'avait déjà dit ça avant.
— Plus sérieusement, entre toi et Minnie oppa vous n'avez personne ? Qu'est-ce que vous fichez ?
— On a des études, contrecarra Jimin en découpant les carottes brutalement.
— Tu parles, je sais que tu fais tout le temps la fête et que tu t'envoies en l'air toutes les semaines !
— Mais où tu vas chercher des idées pareilles ? Tu regardes trop de séries américaines !
Je la fixai, choqué, est-ce que Linha venait de dire cette phrase ?
Clairement la gamine de onze que j'avais quittée en partant de Busan n'était plus du tout une enfant.
Jimin ricana :
— Ça y est, tu l'as traumatisé !
Elle me regarda faussement scandalisée avec une moue qui faisait ressortir le rouge à lèvres qu'elle avait mis.
— Oppa, arrête de me voir comme une gamine, je suis une femme maintenant !
— Tu as dix-sept ans ! Coupa Jimin.
— Bientôt dix-huit, rétorqua-t-elle.
— Qu'est-ce que tu veux faire comme études à Séoul ? Demandai-je.
— Je veux être une idole !
Elle avait gardé son sourire enthousiaste qui pouvait décrocher n'importe quoi.
— C'est mal barré, se moqua Jimin, tu sais à peine mettre un pied devant l'autre !
— Tu es un très mauvais prof !
— Je te demande pardon ?
— En tout cas, reprit l'adolescente avec arrogance, j'ai hâte d'aller à la capitale et enfin être libre...
Elle exagérait tous ses mots et je ne comprenais pas trop pourquoi elle se forçait à parler d'une voix aussi nasillarde et artificielle.
— Pouvoir faire ce que je veux, avec qui je le veux, quand je le veux !
Jimin ricana :
— Essaye pour voir.
Elle se tourna vers moi :
— Et toi, oppa, tu me soutiendras, hein ? Je suis vraiment contente de te retrouver...
Elle se pencha en avant et je reculai un peu :
— On t'a déjà dit que tu avais le visage super symétrique ? Franchement ton visage est magni...
Notre contact visuel fut interrompu par l'intervention de Jungkook, manches relevées, qui passa entre nous pour déposer le saladier de radis qu'il venait de découper.
— Hyung, ça n'avance pas beaucoup ta découpe de pastèque, déclara-t-il froidement.
Je me tendis, me mordant la lèvre et Linha sembla basculer son attention sur le maknae.
— Et toi c'est Jungkook, c'est ça ?
— C'est ça.
— Tu as deux ans de moins que mes oppa ?
— C'est ça.
— Minni oppa tu n'as que des amis canons..., minauda-t-elle.
Elle se tourna vers son frère :
— On se demande ce que tu fiches à rester célibataire, franchement !
L'interpellé balança les carottes d'un geste colérique avant de pointer le doigt vers elle :
— Je vais te frapper si tu continues comme ça !
— Roh, ce que tu es susceptible !
— Non mais tu t'entends parler des fois ?
— Quoi, je ne fais rien ? Répondit-elle avec arrogance.
Jungkook avait sa mine fermée des mauvais jours et il attrapa ce qu'il restait de légumes à découper avant de repasser derrière moi, m'effleurant au passage de manière totalement naturelle.
Il allait être de très mauvaise humeur ce soir.
Cette journée, jusqu'aux alentours de seize heures, s'était résumée à nous, recroquevillés dans le canapé, nos corps collés l'un à l'autre à s'embrasser, regarder la télévision, somnoler, grignoter, rire, chuchoter, se plaindre, critiquer, se toucher. C'était comme si nous avions été dans un cocon et lorsque l'heure était venue de nous séparer pour nous rendre chez Jimin, nous avions eu du mal à nous lâcher.
Comme si la distance entre nous m'avait donné froid, je n'avais cessé de frissonner tout au long du trajet. A l'extérieur nous ne pouvions plus nous toucher, nous ne pouvions plus être comme ça et ça me manquait.
Ça me manquait terriblement.
C'était une torture que nous allions devoir nous infliger mais elle était aussi grisante parce que restait cette promesse que lorsque nous allions rentrer, nos corps pourraient se retrouver.
Enfin, si monsieur le voisin d'en face ne pétait pas un câble avant.
Linha changea de cible après la dispute avec son frère et se cala, de la même manière, minaudant près de Jungkook pour le questionner sur tout ce qu'elle voulait savoir. Lui, il gardait son ton froid, concentré sans la regarder, et répondait sèchement. Elle finit par abandonner, sa moue de pleureuse sur le visage, et vint me chuchoter à l'oreille :
— Ton ami, il est pas très sympa.
Tu m'étonnes.
De mon côté, j'essayais de faire abstraction de ce monstre d'hormones que la petite sœur de mon meilleur ami était devenue, pour faire attention à Jimin.
Il allait un peu mieux que la veille, comme si notre conversation lui avait fait du bien quand bien même j'étais toujours aussi nul pour remonter le moral des gens.
J'étais heureux d'être ici, après toutes ces années, d'avoir vu sa mère et même sa sœur. Cette maison me rappelait tant de souvenirs de mon enfance et de mon adolescence.
Après avoir découpé tous les légumes, Jimin nous libéra de cette tâche et nous fit monter dans sa chambre à l'étage où Jungkook sembla enfin changer d'humeur.
Comme dans mes souvenirs, et même s'il ne vivait plus ici, la chambre de mon meilleur ami était un taudis de vêtements éparpillés.
— Tu aimes les photos polaroid, hyung ? S'étonna Jungkook en observant le mur où étaient accrochés en pagaille toutes sortes de clichés sur papier glacé.
— Oui, j'adore ça, j'ai beaucoup d'albums, ils sont en bas de l'armoire si tu veux regarder.
Je me laissai tomber sur le lit avec nostalgie avant d'avouer :
— Ta sœur est devenue super flippante.
Jimin rigola avant de dire plus sérieusement :
— C'est devenu une sacrée tête à claques, oui.
— Je comprends mieux pourquoi tu détestes autant qu'elle ait dix-sept ans, elle a des petits amis ?
— Des tas mais ma mère fait bien son boulot, du coup ça l'exaspère puisqu'elle ne peut ni les inviter à la maison ni aller dormir chez eux.
Il se laissa tomber à côté de moi, les mains croisées sous sa tête.
— Faudrait ranger cette chambre un de ces jours, fis-je remarquer.
— Oui oui...
Ça voulait dire, non non.
Le ricanement moqueur de Jungkook nous fit pivoter simultanément vers lui. Il était assis devant une bibliothèque mal rangée et tenait des albums photos.
— Hyung, ta tête, tu étais potelé des joues ou quoi !
— Je t'emmerde ! S'écria Jimin.
Le maknae vint s'asseoir à ma gauche et ouvrit les albums de photos sur ses genoux.
— Hyung, tu n'as pas changé, me fit-il remarquer, tu as gardé la même tête, c'est dingue ! Par contre, Jimin hyung... je ne t'aurais pas reconnu.
— Oui, j'ai perdu beaucoup de poids.
Je regardai avec un léger sourire le visage du gamin s'égayer au fur et à mesure qu'il tournait les pages, semblant comme tout heureux de nous voir pris sur des instants, des années auparavant.
— Tu souriais tellement...
C'était vrai, le gamin que j'étais abordait mon sourire le plus moche qu'il soit, celui rectangulaire.
— J'adore ce sourire, confia Jimin.
— Moi aussi, souffla Jungkook.
— Taisez-vous, m'agaçai-je.
— Oh, fit Jimin, là c'est quand mon père nous a emmenés à la pêche la première fois... On avait huit ans, peut-être. On a cru voir le monstre du Loch Ness, tu te souviens Tae ?
Je pouffai à ce souvenir :
— Et ton père qui nous faisait croire n'importe quoi, alors qu'en fait le monstre se trouve en Écosse.
— On était naïfs...
— On aimait un peu trop les dinosaures, je crois bien...
Jimin se mit à rire à nouveau, alors qu'une nouvelle page se tournait :
— Oh, ça c'était à la fête foraine sur la plage...
— On avait voulu faire les malins, soupirai-je, en faisant un truc qui faisait trop peur et on était ressortis tremblants et tout blancs.
—On avait juré de le dire à personne qu'on avait eu peur !
J'écarquillai un peu les yeux :
— Ah zut...
— T'es trop nul, fit Jimin en faisant semblant de bouder, on avait dit croix de bois, croix de fer en plus...
— Oh, tu crois que je vais aller en enfer ?
— Peut être bien... Méfie-toi.
On gloussa jusqu'à ce que Jungkook ne pointe du doigt un troisième visage avant de dire :
— C'est qui lui ? Il revient souvent sur certaines photos.
J'en perdis mon sourire mais Jimin répondit rapidement :
— C'est personne, quelqu'un qu'on a connu.
Oui, les photos ravivaient les moments passés, les bons, surtout, ceux qui méritaient qu'on se souvienne, mais il y avait derrière les clichés des mauvais moments. Des regrets.
— Ce sont mes parents, fis-je en m'arrêtant sur une des photos.
Jungkook se pencha directement vers moi, ses cheveux touchant les miens :
— Qui ? Là ?
— Oui, ça c'est ceux de Jimin et ça c'est mes parents. On est partis en vacances ensemble quand on avait treize ans, à Gwangju.
— On a fait de la randonnée, se plaignit mon meilleur ami, on détestait ça.
— Mais on avait capturé des tas de papillons magnifiques.
— Tu ressembles carrément à ton père, me fit remarquer le gamin.
On tourna encore les pages, riant par moments, ne disant rien à d'autres, les souvenirs voilés dans nos pupilles.
— Oh, ça c'est quand on a pris la photo pour la première rentrée du collège, s'exclama Jimin en montrant une photo où on apparaissait en uniformes.
— Je ne me souvenais pas de toutes ces photos, chuchotai-je.
Je n'en avais pas vraiment. Je suppose que ça devait être dans les cartons avec le reste des affaires de ma mère que mes grands-parents avaient ramenés de Busan. Je n'y avais jamais retouché.
— Dans cet album il en manque plein, fit remarquer Jungkook en regardant les cases vides. C'est dommage.
Jimin se tendit avant de dire :
— Y'en a que j'ai enlevé et que j'ai mis ailleurs ou que j'ai donné, je pense.
On échangea un regard discret alors que Jungkook tournait les pages presque vides avant de s'arrêter sur une des dernières photos de l'album. Moi aussi je me penchai davantage.
On me voyait moi. Je me souvenais de ce jour-là, je crois.
C'était le jour de ma sortie de l'hôpital.
Je ne me souvenais pas que Jimin m'avait pris en photo. J'étais encore à Busan, quelques jours avant de rentrer à Daegu. Je sortais enfin de l'hôpital après des mois de rééducation.
J'étais méconnaissable.
Je me tournai vers Jungkook, son visage affichait une mine tendue, crispée et peinée parce ce qu'il voyait. Je lui pris la photo des mains en souriant à moitié :
— Je ne savais même pas que tu m'avais pris en photo ce jour-là, je ne regarde même pas l'objectif.
Je ne regardais rien. Je n'étais plus rien.
— Je ne sais pas trop pourquoi je l'ai fait, avoua Jimin. Peut-être pour qu'on se souvienne, pour que ça devienne un moment heureux malgré tout...
Mon corps était amaigri, mes cheveux coupés courts, je portais encore des béquilles. Mais c'était mon visage qui était méconnaissable, comme s'il s'agissait d'un inconnu me ressemblant vaguement.
— Je ne me reconnais même pas...
— Tu en as fait du chemin depuis.
Oui, et heureusement.
Jungkook remit la photo à sa place et tourna encore les quelques pages restantes de l'album montrant un studio de danse, probablement celui de Busan avant que Jimin ne monte à Séoul. Mon meilleur ami finit par se lever et sortit l'appareil derrière une pile de vêtements.
— Je n'en ai pas vraiment pris depuis, il ne doit même pas me rester assez de papier dedans...
— Tu n'en as pas pris depuis ton arrivée à Séoul ? Demanda Jungkook.
— Non, l'appareil était resté là mais...c'est peut-être l'occasion de marquer le coup, non ?
J'acquiesçai et on se serra sur le lit, d'une main Jimin tendit l'appareil pour nous prendre tous les trois. Quand la photo sortit, on se mit à rire devant nos têtes dont le flash avait fait fermer les yeux pour certains. Jimin en prit d'autres sur lesquelles on essaya des expressions différentes avant que l'appareil n'indique un manque de papier.
Il nous en donna une chacun et mit les deux, celle ratée et celle réussie, dans l'album en notant la date au marqueur.
— Je vais racheter du papier et le ramener à Séoul. Ça fait longtemps que je n'ai plus pris de photos, il est temps que je m'y remette...
Je fixai les albums à nos pieds, il y avait tant de souvenirs que j'avais oubliés parce que j'étais incapable de penser au passé, avant. Incapable d'échapper à ce trou noir qui aspirait tout le reste.
Jusqu'à maintenant.
Je voyais le temps défiler, je me voyais moi, puis la personne que j'étais aujourd'hui. Et je me sentis bien.
Enfin, les choses avaient changé, le vent tourné, enfin je me sentais bien, tout simplement.
— Moi aussi, je veux me remettre à la photo, chuchota Jungkook, les yeux sur le cliché qu'il tenait dans ses mains.
— Oh, tu as un appareil ? S'exclama Jimin.
— Oui, mais je ne l'ai jamais utilisé encore, mon beau père me l'a offert à Noël dernier, c'est un Reflex dernier cri...
— Trop bien !
— Je crois que j'ai envie de garder certains moments et de faire un album de tout ce dont je veux me souvenir... Comme toi, hyung.
— Alors on prendra des photos ensemble, assura Jimin avec un grand sourire.
Jungkook acquiesça mais ses yeux se calèrent dans les miens.
Ça ne dura qu'une seconde mais c'était suffisant pour qu'on se sente connectés, liés par les mêmes choses avec les mêmes objectifs. Cette même volonté de graver le temps qui filait à toute allure.
Cette volonté de montrer du changement.
De garder les moments heureux.
Tout simplement.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro