29-
— Attends, attends, si on nous interroge sur la terminologie et les différents aspects de la physiopathologie, je n'ai pas révisé cette partie ! Paniqua Bambam.
— Où sont mes notes de troubles circulatoires, et mes schémas...
— Bon. Lésion intercellulaire, c'est fait. Ensuite il y a les lésions cellulaires, le trouble du métabolisme des glucides, des lipides, minalines, bilirubines, hémosidérines et...
— Je n'ai pas assez révisé, geignit Bambam en pleurant presque. Je n'aurais jamais le temps de bosser sur le métabolisme intercellulaire avant demain !
— On va se détendre ! Cria Jimin par-dessus le chaos.
— Où sont mes notes ? Putain de merde !
— Taehyung, le sujet sur les tumeurs et lymphomes dans le mail de Mr Do, tu en as fait une fiche que je pourrais recopier ?
— Quoi ?
Je levai la tête, paniqué, au-dessus de ma pile de documents :
— Quel mail de Mr Do ? Criai-je.
— Mais merde ! Consulte ta boîte mail aussi ! S'écria Jin Hyung.
— Calmez-vous ! Retenta Jimin, en vain.
— Celui sur l'article avec les tumeurs spéciales !
— Quoi ? Non je ne l'ai pas lu... Comment... pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ?
— Mais je pensais que tu avais reçu le mail !
— Attendez, il manque toujours mes fiches sur le métabolisme ! Paniqua Bambam.
— Il se passe quoi ? Demanda soudainement Jungkook en entrant dans mon appartement réduit en cet instant en véritable mur d'enquêteurs tant les fiches et les schémas étaient agrafés partout.
Jimin soupira théâtralement, en tablier, une poêle à la main :
— Réunion d'urgence pour les trois stressés de la vie, juste là.
— Réunion d'urgence ?
Je jetai un regard paniqué partout autour de moi, sentant les larmes me monter :
— Je n'ai pas lu l'article de Mr Do ! Je ... je suis sûr qu'on va être interrogés là-dessus !
— J'ai bien bossé le processus cellulaire, plus le chapitre sur les tumeurs et mais... mais... on ne sera pas interrogés sur la microbiologie, hein ? Paniqua Jin.
— Hyung, on va être interrogés sur tout ! Hurla Bambam. On est foutus !
— Je vais être recalé à l'épreuve de médecine générale si je n'ai pas lu cet article ... M'affolai-je.
— Bon, ça suffit ! Hurla Jimin. Arrêtez de vous effrayer mutuellement !
Jungkook ouvrit grand les yeux alors que je cherchais désespérément mon téléphone dans le fatras qu'avait laissé Tête Rouge tout autour de lui.
Jin hyung finit par soupirer :
— Bon, je rentre, je dois travailler ce qu'il me reste cette nuit en suppliant de ne pas tomber sur la microbio sinon je suis carrément dans la me...
— Hyung, tu ne peux pas nous abandonner ! Cria Bambam avec désespoir en s'accrochant à ses jambes. Tu dois m'aider !
— Désolé, je dois être seul pour me concentrer, fit notre aîné d'un air sombre en jetant un coup d'œil à Jungkook. À demain.
— Hyung, pleura Bambam, ne m'abandonne pas !
— Où est ce foutu mail ? M'écriai-je en m'arrachant presque les cheveux. Pourquoi je ne le vois pas, hyung !
— Attends, attends, fit mon aîné en fouillant dans son sac, je l'ai imprimé deux fois. Tiens.
Une table ! Que quelqu'un me donne ma table haute, mon stylo et du temps. Surtout du temps ! Combien d'heures j'avais devant moi ? Onze heures ?
Bon, si je parvenais à retenir en trois heures la totalité de l'article plus l'associer à mon chapitre sur les tumeurs, ça me laissait assez de temps pour le chapitre intercellulaire. Mais du coup, il faudrait que je fasse l'impasse sur la microbio ?
Non impossible.
Il fallait qu'entre le chapitre tumoral et l'article, je refasse cinq fois chaque schéma pour les enregistrer et alors...
— Mais l'article est...en anglais ! M'écriai-je horrifié.
— Ah ah oui, lâcha Bambam d'un ton de voix complètement cinglé, j'ai mis quatre heures à le traduire partiellement.
— Quoi !
Merde.
Donc j'allais perdre aux alentours de quatre heures si le niveau d'anglais n'était pas trop spécifique. De ce fait, ça voulait dire que je ne pourrais recopier les schémas que trois fois chacun. Est-ce qu'une simple lecture sur la microbio serait suffisante ? Non, je ne pouvais pas faire l'impasse sur le chapitre tumoral, je...
— STOP ! Hurla Jimin en faisant du bruit avec une cuillère en bois sur une casserole. Arrêtez-vous cinq minutes ! On va manger.
— Jimin, m'épouvantai-je. Tu ne comprends pas ! Je... je ne vais pas y arriver, je...
— Surtout toi, répondit mon meilleur ami en me menaçant de la cuillère en bois. Tu vas arrêter immédiatement de penser comme ça !
— Je ne suis pas mauvais en anglais, prononça soudainement Jungkook en jetant des regards inquiets face à l'étendue des dégâts de mon appartement.
— En attendant, coupa mon meilleur ami, vous allez manger ! Il faut reprendre des forces et bien dormir la veille d'un examen. Ensuite Bambam et moi on rentrera. Jungkook, tu te chargeras de Tae, il va falloir qu'il dorme !
Jimin soupira :
— Rien qu'à sa tête on voit qu'il est à deux doigts de la crise de nerf.
— Je ne peux pas dormir ! Criai-je. Tu te rends compte du travail qu'il me reste jusqu'à demain je... Je n'aurais jamais fini et il me reste tant à retenir et ...
— Je ne rentrerai pas ! Cria soudainement Bambam dont les cheveux semblaient totalement hirsutes. Je ne suis pas calé du tout ! Sans Taehyung hyung je ne serai pas à jour sur les parties qu'il me manque. On va rester ensemble et se soutenir toute la nuit jusqu'à demain où...
— Ça suffit ! S'énerva Jimin. Vous avez très bien travaillé ces dernières semaines. Ce que vous révisez vous le savez déjà. Se faire une surcharge d'infos la veille des examens n'est pas une bonne chose. Détendez-vous !
— Mais hyung ! Tempêta Tête Rouge, c'est facile pour toi ! Toi et Jungkook vous n'avez qu'un jour. Un jour d'examens ! Nous on a toute la semaine et ...
— Ne dis pas un mot de plus ! Les ramens sont presque prêts et ensuite on rentre, il est presque vingt-deux heures.
Mais moi, je ne les écoutais pas. J'étais totalement emporté par ma crainte d'échouer, je fluottais déjà tous les mots que je ne comprenais pas en prenant des notes de ce que je parvenais à traduire, seul. Mes gestes étaient saccadés et mon état catastrophique.
Examen : H-10 heures.
État de stress : Erreur interne- Programme défaillant. Impossible de fournir cette information. Réessayer ultérieurement.
Soudain, Jimin posa ses mains sur mes épaules et me les massa douloureusement :
— Tae, calme-toi, souffla-t-il. Tu es ultra tendu. Viens manger, tu réviseras ensuite.
—File-moi ton document, quémanda Jungkook en s'asseyant sur le siège près de moi. Je vais essayer de te le traduire.
J'hésitai mais sous la pression de ses petites mains sur mes épaules, j'obtempérai. Satisfait, Jimin me relâcha et essaya de contenir un Bambam au sommet de sa nervosité tout en faisant de la place parmi nos fiches de révisions, nos manuels, nos schémas et nos articles à lire pour que nous puissions manger sur la table basse.
Ils se disputèrent bruyamment comme une mère et son enfant et je rongeai mon frein alors que je restais, malgré tout, tendu. Jungkook à ma droite avait déjà commencé, sérieusement, à traduire le document. Il fronçait les sourcils et mâchouillait le bout du stylo face à la difficulté. Jimin s'était transformé en Eomma, le temps d'une soirée, comme conscient de la catastrophe qui nous arrivait. Je n'avais jamais été aussi entouré à quelques heures de mes examens, mais je n'avais jamais été aussi nerveux.
Je disais ça chaque année, mais quand même.
Mes jambes tremblaient alors que je regardais Bambam essayer de sauver de la table basse ses notes bordéliques face à un Jimin enragé à l'idée de nous faire manger correctement.
J'en tremblai en prenant successivement mes fiches, prêt à grappiller la moindre seconde pour les relire.
Soudain, une main brûlante se glissa jusqu'à ma nuque et caressa la base de mes cheveux et je lâchai un soupir, mes jambes s'arrêtant et mes épaules retombant quelque peu. C'était comme si ce geste avait appuyé sur le bouton « off » de mon corps.
Jungkook était derrière moi, caché par mon corps et la table. Visiblement il continuait d'écrire alors que sa main caressait lentement le bas de ma tête.
Je fermai les yeux pour savourer cette sensation qui m'apaisant tant.
Nous n'avions pas reparlé de la dernière fois et nous avions continué à agir comme avant.
Enfin presque.
Car il restait un étrange malaise quand nous nous retrouvions seuls. Chose qui était rarement arrivée depuis. Chacun de nous révisait et s'entraînait en vue des examens. Nos comportements n'avaient pas changé. La seule chose différente était que Jungkook ne dormait plus chez moi.
Et que visiblement pas mal de filles passaient chez lui.
Comme avant.
Je n'en avais pas fait grand cas. J'avais encore une fois jeté dans un coin toutes les interrogations que j'avais concernant le voisin d'en face et j'avais fermé la porte à double tour.
Je ne m'étais concentré que sur une chose : mes examens.
— Tae, mets la table, m'incita Jimin en revenant vers la cuisine après avoir gagné sa bataille avec Tête Rouge.
La main de Jungkook se raidit sur ma nuque avant de se retirer et je quittai mon siège pour obtempérer.
Quelques minutes plus tard nous mangions tranquillement, la télévision allumée en fond sonore. C'était surtout Jimin et Jungkook qui échangeaient, l'un et l'autre parlaient de leur fin de semaine comme si leurs examens n'étaient qu'une banalité récurrente. Bambam les fusillait des yeux, mâchouillant ses nouilles sans grand appétit.
Je pouvais le comprendre.
C'était tellement injuste.
J'aurais dû faire sport ou danse comme études.
— Oh, tant que je suis là, se leva soudainement Jimin en cherchant son portefeuille dans la poche arrière de son jean. Voilà ta place pour samedi soir.
Je l'attrapai et la déposai dans un coin de la pièce où j'étais sûr de la retrouver.
— Ça va être quoi comme spectacle ? Interrogea Jungkook. Parce que hyung, je t'aime bien, mais si c'est de la danse classique je ne viens pas.
— Je ne te dis rien, tu auras la surprise et tu viendras quand même !
Le maknae grogna et Bambam releva soudainement la tête :
—Et moi tu ne me donnes pas de place ?
— Elle est au dortoir mais je pense que tu vas la perdre donc je la garde, soupira Jimin.
— D'autres personnes de ton dortoir vont venir ? Demanda Jungkook en se calant confortablement dans le canapé.
— Non. Enfin si, sûrement Jaebum hyung, mais pas les autres... Déjà parce que je les vois mal à un spectacle de danse et aussi parce qu'ils ne comprennent rien à l'art, grogna mon meilleur ami.
Il avait fait changer sa couleur et je me demandais si ça n'avait pas un lien avec sa rupture. Après tout, lui et Namjoon hyung avaient partagé la même teinture mais à présent Jimin était redevenu brun.
— On va sûrement faire une soirée avec le crew après le spectacle, si tu veux t'incruster...
— On verra, j'ai un match de basket le lendemain alors je ne devrais pas traîner, expliqua Jungkook.
— Tae, je ne te demande pas, je suppose... Ironisa Jimin.
Mais je n'écoutais qu'à moitié, les yeux concentrés sur le bout de fiche du chapitre intercellulaire caché non loin de la table.
Mais ma concentration se fit la malle quand la mine de mon meilleur ami passa devant mes yeux, un brin inquiet.
— Va falloir que tu dormes, tu ne peux pas passer ta semaine à faire des nuits blanches. Tu as dormi au moins hier et avant-hier ?
— Un peu, avouai-je sans le regarder.
— Tae, ton corps ne va pas suivre...
— Ce n'est que pour quatre jours et il faut que je révise, c'est très important. Je dormirai après !
Jimin soupira comme s'il abandonnait le combat et se leva pour débarrasser. Ce fut le signal car Bambam se leva, récupéra ses révisions alors que je m'asseyais de nouveau sur la table haute.
Jungkook me suivit et se remit à la traduction du texte mais il dut regarder sur internet plusieurs fois en jurant « Putain mais même les mots traduits je les comprends pas ».
Typique d'un article donné par Mr Do.
Deux heures plus tard, Jimin traîna un Bambam au bord de l'effondrement hors de mon appartement. Il pleurait, criait, suppliait, s'accrochant aux meubles et se disputa avec son aîné jusqu'à ce que je demande à Tête Rouge de partir.
Pas que je voulais qu'il s'en aille, mais sa présence constante et nerveuse m'angoissait s'il restait dans la même pièce que moi.
Il avait obtempéré d'un coup sous les yeux ronds de Jimin qui lui avait frappé la nuque, mécontent de ce favoritisme.
Puis je m'étais replongé dans mes révisions. Jungkook n'avait pas fait un bruit, n'avait pas dit une phrase ni un mot et j'avais complètement occulté sa présence jusqu'à ce qu'il me rende l'article.
Je l'avais relu, on avait échangé sur la traduction des mots et quand il m'avait demandé ce que ce charabia voulait dire je m'étais concentré pour le lui expliquer. Comme si je faisais cours à quelqu'un.
Ce n'est qu'à la fin de ma lecture et lorsqu'il m'avait dit « oh j'ai compris ! » que j'avais froncé les sourcils. Pourquoi souriait-il ainsi ?
— Tu sais que tu serais un bon prof ?
—Hein ?
— Sérieusement, je n'ai jamais fait médecine mais j'ai compris la différence entre les différentes sortes de tumeurs, leurs traitements et leurs conséquences.
— Tant mieux pour toi.
Son sourire s'agrandit et je finis par lâcher un soupir :
— Pourquoi est-ce que tu souris comme un imbécile ?
— Bah, parce que tu n'auras pas besoin de réviser l'article, si ? Si tu me l'as expliqué c'est que tu le maîtrises à cent pour cent !
Je me figeai, mes yeux dévalant les lignes avant de remonter vers son visage. Il avait ce foutu sourire en coin et pourtant mes épaules s'affaissèrent un peu de soulagement.
— Tu as raison.
— Tiens, explique-moi tes autres chapitres, ça va t'aider à réviser, conseilla-t-ilen tirant ma pile de fiches vers lui.
— Tu... tu es sûr ? Parce que ça va être ennuyant à mourir pour toi.
— Je suis certain. Joue au prof et je fais l'élève.
Pourquoi cette situation semblait tant l'amuser ?
Je plissai les yeux :
— Je n'ai pas vraiment le temps pour tes imbécillités, là.
— Je plaisante, pouffa-t-il. Je serai un élève sage et studieux, promis. Donc explique moi c'est quoi une...hémo... hémosidérine ?
Il fit une grimace comme s'il avait prononcé un mot affreux et je soupirai en lui arrachant ma fiche.
— C'est une substance moléculaire, c'est ce qui stocke le fer chez les animaux.
— Oh.
Je pris une grande inspiration et suivis son idée, il écouta religieusement, hochant la tête, posant des questions, faisant des grimaces quand il n'y comprenait rien, me forçant à le lui expliquer.
Je retraçais mes schémas pour donner des exemples de ce que j'avançais.
Les heures passèrent et à la fin, vers trois heures du matin, la bouche sèche et fatiguée d'avoir autant parlé, je me rendis compte que je me sentais nettement moins stressé.
— Hyung, je suis sûr que tu vas assurer pour ton examen de demain, assura Jungkook. T'es fait pour être médecin.
— Pédiatre.
— C'est pareil.
Je fronçai les sourcils :
— Tu es sûr ?
— Hyung, tu m'as quasiment tout expliqué de tête et sans même vérifier tes notes, je sais que tu as tout retenu. Il est tard, tu devrais aller dormir.
— Non, il faut aussi que je m'avance sur le reste des examens de la semaine et après que je...
— Hyung, tu auras tout le temps demain soir et je viendrai te faire réviser.
— Mais tu n'es pas censé avoir une épreuve de saut à la perche ? M'inquiétai-je.
— Personne ne fait du saut à la perche à vingt-trois heures, tu sais, ironisa le gamin.
Pas faux.
— Allez, il est tard et tu dois dormir.
Je me sentais vraiment fatigué mais j'étais incapable de décoller de mon siège. Si je dormais, je culpabiliserais demain de ne pas avoir assez relu mes notes. Je ne pouvais me résoudre à fermer l'œil. Impossible, ça n'était jamais arrivé depuis ma première année de me permettre ne serait-ce qu'une minute de sommeil en pleine semaine d'examen.
— Hyung, bouge tes fesses et va dormir, ordonna Jungkook en se levant.
— Non, je vais relire encore un peu.
— T'es sérieux là ?
Il poussa un soupir bruyant en regardant l'heure puis alors qu'il allait sûrement s'en aller, il pivota, sa bouche formulant une phrase qui ne sortit pas. Ses yeux zieutèrent en direction de ma chambre et il sembla hésiter.
Hébété, je le regardai mais il referma la bouche, fronça les sourcils avant de soupirer, encore.
— Très bien, bonne nuit hyung.
— Bonne nuit.
Je le regardai quitter mon appartement avec une étrange tension dans l'air. Le sentait-il aussi ?
Pourquoi tout était-il devenu si bizarre et si maladroit entre nous ?
C'était la faute à cette nuit-là, n'est-ce pas ?
J'entendis la porte se refermer et je me secouai.
Ne pas y penser, ne pas y penser.
En prenant une grande inspiration, je me replongeai dans mes révisions.
*******
Jungkook avait tenu sa promesse.
Il était revenu chaque soir pour me faire réviser. J'avais beau ne jamais me sentir confiant en sortant de mes examens, cette fois en quittant l'amphithéâtre j'avais été satisfait de mon travail.
Réviser de cette manière m'allait assez bien.
Enfin, le dernier examen arriva, et comme prévu l'épreuve de Mr Do nous donna du fil à retordre. Déjà, il était impossible de terminer l'épreuve en trois heures. Ensuite, la totalité de l'examen était en anglais, ne facilitant clairement pas la compréhension. Enfin, le nombre de questions était si aberrant qu'il avait fallu ressortir pas moins de douze schémas explicatifs pour illustrer ses propos.
Jamais je n'avais autant détesté notre professeur de médecine générale qu'en cet instant.
Quand la fin de l'épreuve avait sonné, il y avait eu tant d'exclamations étouffées, de frustration et de larmes de colère que la rendue des copies s'était transformée en beau bordel.
Beaucoup s'étaient insurgés face à la difficulté de l'épreuve mais ce n'était plus négociable, les dés étaient jetés.
Ainsi, à présent que les élèves sortaient de cette salle étouffante, chacun allait de bon train en insultes, critiques et lamentations.
Je me tournai vers Jin hyung et il me coupa :
— Tu as raison, n'en parlons pas, ça a été suffisamment éprouvant de le vivre une fois, pas deux.
— Merci hyung.
Bambam sanglotait et je voyais bien qu'il mourrait envie d'en parler, de relâcher ce qu'il ressentait, d'échanger, de se rassurer sur l'épreuve mais je ne pouvais clairement pas me résoudre à le laisser faire ça.
J'étais vidé. Clairement vidé.
— Il fait beau, remarqua Jin hyung alors que nous quittions le bâtiment. Vous allez faire quoi maintenant ?
— Jimin a son spectacle ce soir vers dix-neuf heures, indiquai-je, mais si je rentre chez moi maintenant je vais m'endormir...
— Moi aussi, assura Tête Rouge.
— Et ?
— Et, repris-je, je risque de ne pas me réveiller pour aller le voir.
— Je vois, acquiesça notre aîné, donc tu vas rester éveillé jusqu'à ce soir ? Sincèrement vu vos têtes à tous les deux je doute que ce soit une bonne idée.
— C'est parce que tu n'as pas vu la tienne.
Jin eut un vague sourire :
— Je suis sûr d'avoir plus dormi que vous, je ne suis pas un oiseau nocturne.
— Moi non plus, assurai-je.
— Allez-y, balancez vos heures de sommeil de ces trois derniers jours, que je rigole, plaisanta Jin hyung.
— Quatre, souffla Bambam.
— Sept.
— Zéro.
Ils se tournèrent tous les deux vers moi avec les yeux écarquillés.
— Zéro, répéta notre aîné. Tu parles sérieusement ?
Je me mordis la lèvre et Tête Rouge ouvrit la bouche, abasourdi :
— C'est inhumain, j'ai essayé de tenir mais je me suis assoupi hier soir.
— C'est dangereux, s'agaça soudainement Jin. Tu vas aller te coucher immédiatement Kim Taehyung !
— Je vais bien, insistai-je.
Ce n'était pas vrai du tout.
— Je ne peux pas dormir maintenant, je viens de te dire que je dois aller voir Jimin ce soir.
— Ce n'est qu'un spectacle, ça ne vaut pas la peine que tu mettes ta santé en jeu plus longtemps.
— C'est important, précisai-je.
Jin lâcha un soupir bruyant, il s'apprêta à dire quelque chose mais se ravisa, sentant son portable vibrer dans sa poche. Il décrocha alors que j'apercevais Yeri s'avancer vers moi :
— Ça a été ? Demanda-t-elle.
Je haussai les épaules :
— Pas envie d'en parler.
— Pareil.
Elle s'arracha un petit rire, la fatigue marquait ses traits à elle aussi. Elle se mordit la lèvre avant de dire :
— Tu sais, ce soir on fait une soirée chez nous, histoire de fêter la fin de l'année. Tu devrais venir faire un tour si ça te dit.
— J'ai déjà quelque de prévu pour ce soir mais c'est gentil.
— Je vois, de même pour toi Bambam.
Tête Rouge se balança d'un pied sur l'autre :
— J'aurais bien voulu mais ... je n'aime pas trop ton copain, il me fait peur, avoua-t-il en regardant vers le sol.
Contre toute attente Yeri éclata de rire devant son honnêteté avant de souffler :
— Oui ça, ce n'est pas étonnant, il fait souvent cet effet là mais vous n'avez rien à craindre.
— Et puis j'accompagne hyung ce soir.
— Oh ?
Elle eut un drôle de regard pétillant, son sourire s'agrandissant soudainement et je précisai tout en fronçant les sourcils :
— Mon meilleur ami est en section danse, ils ont un spectacle ce soir.
— Oh.
Pourquoi avait-elle l'air légèrement déçue tout d'un coup ?
— Ah oui ça me dit quelque chose, j'en ai entendu parler ! La section contemporaine, non ?
— C'est ça.
Son groupe d'amis qui ne cessait de nous fixer depuis tout à l'heure me mettait vraiment mal à l'aise. Ils finirent par l'appeler et elle se retourna avant de reporter son attention sur nous :
— Faut que j'y aille, je crois que tout le monde veut faire une sieste avant les festivités de ce soir. On est en vacances !
Elle sautilla sous le rire de Bambam qui la suivit un peu dans son enthousiasme.
— Tu rentres en Thaïlande du coup ? Questionna-t-elle.
— Oui, je fais mon stage là-bas mais je ne pars pas tout de suite.
— On aura l'occasion de se revoir alors ! S'exclama-t-elle.
J'avais vraiment envie de dormir.
Je secouai la tête pour chasser cette sensation de vertige qui me pesait sur le crâne.
— On se croisera sûrement Taehyung, me fit-elle, je serai en stage en août en psychiatrie à l'hôpital général.
— Oh. Ça ne risque pas, je n'y serai pas.
Elle parut surprise et Bambam se tourna vers moi, interloqué.
Tiens, j'avais peut-être omis de leur en parler.
— Mon maître de stage, du secteur pédiatrique, m'a conseillé de plutôt suivre un médecin de ville qui va régulièrement dans les crèches, les maternelles, les orphelinats et les maternités...
— C'est génial ! S'extasia Yeri.
Ses amis la rappelèrent avec plus d'insistance et elle leva les yeux au ciel comme agacée avant de prendre congé et de nous saluer.
— Je l'aime bien, déclara Bambam.
Eh bah tant mieux pour lui.
— Mais son mec est vraiment flippant quoi qu'elle dise.
Je ne pouvais qu'être d'accord avec ça.
Jin hyung revint vers nous avec un grand sourire :
— Mon frère est en Corée, nous informa-t-il, et ma belle-sœur m'a demandé si je pouvais garder la petite.
— La petite ? S'étonna Tête Rouge.
— Ma petite nièce, Doona. Ça vous dit de la voir ?
Soudain la fatigue qui m'enserrait sembla s'envoler et je relevai la tête, Jin me fit un grand sourire car c'était moi qu'il fixait en formulant sa question.
— Au parc ?
— Yeouido, précisa Jin.
Un parc et un enfant, mon cœur s'emballa et je me mis à sourire.
— Carrément.
Je me tournai vers Bambam qui me fixait, il cligna plusieurs fois des yeux avant de hausser les épaules :
— Pourquoi pas. Si on peut manger des glaces, je suis partant.
*******
Une heure et demie plus tard, j'étais assis dans le bac à sable, en train de faire un château de sable avec Doona, cinq ans et demi, robe jaune, couettes sur les deux côtés de sa tête. Elle avait de grands yeux ronds et une peau pâle qui jurait avec la peau tannée des autres enfants du parc. Elle ne parlait pas beaucoup mais elle m'avait traîné avec elle partout, pour faire de la balançoire, jouer avec les fontaines à eau du parc, faire du toboggan et plein d'autres choses encore...
Au loin, Jin hyung et Bambam étaient comme deux parents assis sur une grande couverture marron à l'ombre des arbres.
Enfin, Jin hyung faisait le parent, nous observant alors que Bambam somnolait à moitié après avoir mangé sa glace.
— Oppa, marmonna-t-elle, on la met où la princesse ?
Je finis de creuser le trou des douves devant le château fort et montrai une tour :
— Là.
— Je peux jouer avec vous ?
Un petit garçon pas plus âgé, en salopette bleue à l'allure timide regardait avec envie mon château fort. Doona le fixa, craintivement, et je lui demandai :
— Tu veux jouer avec lui ?
Elle sembla hésiter avant d'acquiescer et je me levai, m'essuyant les mains pleines de sable :
— Je vais rejoindre Jin hyung là-bas, d'accord ?
Elle acquiesça, l'air un peu farouche, mais tendit gentiment sa barbie au petit garçon qui la lui prit avant de se mettre à genoux dans le sable.
Je m'étirai, faisant craquer mon dos, et revins vers la couverture où je m'allongeai de tout mon long.
— Taehyung tu es incroyable avec les enfants, Doona est très timide, je ne l'ai jamais vue s'entendre avec quelqu'un aussi vite.
— Merci.
Je m'assis, les bras posés sur mes genoux :
— Elle est vraiment trop mignonne.
— Je sais. Mais c'est aussi un monstre dans son genre.
On regarda Bambam qui dormait, recroquevillé dans la couverture, et je me passai une main dans les cheveux.
Ça y est, la fatigue m'accablait à nouveau.
— Il te reste encore une heure avant d'aller au spectacle, m'informa Jin en regardant sa montre, tu es sûr de ne pas vouloir faire un somme ?
— Clairement tu ne sais pas que j'ai le sommeil lourd, sinon tu ne me le demanderais pas...
Il se mit à rire un peu alors que je sortais mon téléphone. C'était étonnant que je n'aie pas de nouvelles de Jungkook. Lui, il avait fini ses examens depuis avant-hier.
Le chanceux.
On resta ainsi silencieux à regarder la petite Doona se lier d'amitié avec le petit garçon.
— Dis, Taehyung, marmonna mon aîné après un temps.
J'essayai de me réveiller et d'empêcher mes paupières de se fermer.
— Jimin il est... enfin, il sort depuis longtemps avec ce type ?
Mes yeux s'ouvrirent d'un coup, comme réveillé par un nouveau souffle et je tournai la tête avant de répondre :
— Il sortait, Répondis-je honnêtement. Ils se sont séparés.
— Je vois.
Je fronçai les sourcils :
— Pourquoi tu demandes ça ?
— Comme ça.
Jin se leva d'un coup, s'étirant à son tour et lâcha :
— Je vais aller acheter des boissons, il fait chaud, il faut que Doona s'hydrate un peu. Tu veux quelque chose en particulier ?
— Hyung, l'appelai-je, comment tu connais Namjoon hyung ?
Il ne répondit pas, semblant se crisper avant de laisser retomber ses bras qu'il maintenait élevés pour s'étirer :
— Je ne le connais pas.
— Pourtant vous avez eu l'air de vous connaître chez Jungkook.
— Je l'ai déjà vu, c'est vrai, éluda-t-il, mais il y a longtemps et pas dans de très bonnes conditions alors...ça m'a surpris de le voir là-bas.
Il ne répondait pas clairement à la question mais alors qu'il allait partir, il pivota, inquiet :
— Juste... par curiosité, tu l'as déjà rencontré, ce type, Namjoon ?
— Oui, une fois, admis-je. Jimin me l'a présenté officiellement il y a déjà un moment.
— Et comment tu l'as trouvé ? Enfin qu'est-ce que tu en as pensé, de lui ?
Je trouvais ça étrange qu'il me demande ça, alors je penchai un peu la tête sur le côté avant de répondre franchement :
— Intelligent.
— Vraiment ?
Cette fois mon aîné avait l'air clairement surpris.
— Oui, poursuivis-je. Il était vraiment gentil et intéressant, on a un peu parlé et ils étaient... mignons avec Jimin.
C'était vraiment du gâchis cette histoire.
Je n'en avais pas reparlé avec mon meilleur ami, mais j'espérais sincèrement qu'il avait mis fin à ce carnage entre lui et Yoongi Hyung.
— D'accord.
Clairement Jin hyung ne s'attendait pas à ça comme réponse mais il sembla cacher ses pensées en souriant un peu.
— Tant mieux. C'est dommage qu'ils se soient séparés.
— Oui, comme tu dis.
— Bon, tu veux quoi à boire ?
— Hyung, tu ne vas pas me dire pourquoi tu as eu l'air aussi choqué de le revoir, Namjoon hyung ?
Dans le fond, je crois que j'étais vraiment curieux. J'avais envie de savoir ce qu'il en retournait.
Jin se tendit encore mais il ferma les yeux :
— Non, Taehyung. Je ne voudrais pas que ce que je dise puisse faire du mal à Jimin, même s'ils ne sont plus ensemble.
Il soupira, jeta un coup d'œil à Bambam puis à Doona avant que je ne reprenne la parole, un peu surpris par sa précédente tirade.
— Jimin pensait que toi et Namjoon vous aviez eu une relation pour avoir un tel comportement sur le balcon...
Les yeux de Jin sortirent de leurs orbites et il eut l'air choqué :
— Pardon ? Non certainement pas !
Puis il se figea, en pâlissant :
— Ils ne se sont pas séparés à cause de ça quand même ?
— Non, je ne crois pas. Jimin ne sait pas comment Namjoon hyung te connaissait, et lui, il ne lui a rien dit, l'informai-je.
Jin acquiesça un peu nerveusement, la tête raide. J'étais vraiment curieux tout d'un coup. Inexplicablement, j'avais l'impression de mettre le doigt sur quelque chose de nouveau.
En réalité ça m'était sorti de la tête avec tout ce qui était arrivé ces derniers temps et je n'avais pas pensé à demander à mon aîné quelle avait été la raison de son comportement colérique, ce jour-là. Clairement nous évitions le sujet « soirée chez Jungkook ». Qu'on aurait pu renommer « Cauchemar sur le balcon de Jungkook », ce qui aurait fait un bon titre de chapitre.
En toute ironie.
Entre mon voisin d'en face et mon aîné, c'était compliqué. Ça se sentait quand ils étaient amenés à se croiser, restant peu longtemps en présence de l'autre. Il n'y avait pas de haine, pas de rancœur, mais une tension. Ils avaient eu la même petite amie, en même temps. Et même si mon hyung ne le montrait pas, il avait l'air de sérieusement souffrir de cette séparation.
— Je vais te le dire, mais il faut que tu me promettes de ne pas le dire à Jimin.
Cette phrase m'inquiéta, me donnant d'un coup une montée de stress. Est-ce qu'on me demandait de garder un secret ?
Jin vérifia encore Doona qui s'amusait dans le bac à sable et que Bambam dormait avant de se rasseoir près de moi, remontant ses jambes pour poser ses coudes sur ses genoux, les yeux rivés droit devant lui.
— Je ne le connais pas, je ne savais même pas qu'il s'appelait Namjoon. Je sais par contre qu'il était plus jeune que moi, il était au collège quand j'étais au lycée. Son visage n'a pas vraiment changé, il est devenu un peu plus grand que dans mon souvenir. Mais ça m'a effrayé de le revoir d'un coup, à une soirée. Le monde est vraiment petit en fait...
— Pourquoi effrayé ? Vous avez eu une altercation tous les deux ?
En réalité une quantité impressionnante de scénarios semblait éclore dans mon esprit. Mais jamais je n'aurais pu mettre le doigt sur la vérité.
— Non. Il était mon stalker.
Pardon ?
J'ouvris la bouche puis la refermai.
Est-ce que j'avais bien entendu ?
— Tu as l'air d'avoir du mal à y croire ?
— C'est juste que... Bégayai-je. Non tu as raison, j'ai du mal à y croire... Un stalker... tu es sûr ?
Jin soupira :
— Sûr et certain. Il devait avoir, peut-être, quatorze ou quinze ans à l'époque.
— Stalker, tu veux dire un... un ...
Je ne pouvais pas dire ce mot. En déglutissant, j'articulai :
— Un voyeur ?
— Pas qu'un voyeur, rectifia Jin. Un stalker, qui me suivait, m'espionnait et me harcelait.
Non mais attendez, on nageait en plein délire là.
Je fus bouleversé par cette révélation, l'image construire dudit Namjoon s'effrita, m'apportant un doute sur ce que j'avais clairement pensé de lui quand je l'avais rencontré.
— Le lycée n'était pas très loin de la maison que j'habitais à l'époque, je rentrais à pied tous les jours. Au début, je pensais que je me faisais des idées, mais clairement j'avais senti que quelqu'un me suivait. J'étais en deuxième année. Ça a duré un moment et ça m'effrayait. Quelqu'un me suivait même après mes cours du soir et ça m'arrivait de voir une ombre sous ma fenêtre, qui attendait. Après, j'ai commencé à recevoir des lettres d'amour anonymes écrites par une seule et même personne. C'était des lettres de plusieurs pages, extrêmement bien écrites et incroyablement bien rédigées. Ensuite il y a eu les cadeaux, les fleurs...etc. Tout le monde en rigolait, plaisantant sur le fait que j'avais une admiratrice secrète. Alors j'ai aussi pris ça à la rigolade. Sauf que ça ne s'est jamais arrêté et ses lettres devenaient de plus en plus insistantes et ça a commencé à m'effrayer. Je me doutais que la personne qui me suivait devait être la même personne derrière toutes ces attentions. Puis un jour, il a eu mon numéro et a commencé à me harceler de messages, j'ai compris que c'était un garçon et si dans ses lettres il écrivait des choses magnifiques, ses textos étaient plus intrusifs, graveleux, salaces et sexuels. Visiblement il semblait contrarié que je ne m'intéresse pas à lui, que je ne cherche pas qui était l'auteur derrière ces courriers.
Jin soupira :
— J'avais dix-sept ans, je n'avais jamais eu affaire à personne comme ça. Ça m'a mis vraiment mal à l'aise. Je me sentais de plus en plus épié, et si je m'approchais de trop près d'un ami ou d'une fille, il m'envoyait des menaces, des trucs sadiques. Tu imagines ?
J'imaginais très bien.
— Ça a empiré la fin de ma seconde année. Ma chambre a été cambriolée, pas la maison mais uniquement ma chambre et on avait pris des vêtements dans mon armoire. J'ai commencé à recevoir des photos de moi prises en cachette et même prises dans la maison et là c'est devenu insupportable. J'ai paniqué et j'en ai parlé à mes parents.
Jin soupira, les yeux toujours fixés droit devant lui, perdus dans les méandres de son adolescence.
— Mes parents m'ont pris au sérieux, on est allés porter plainte, après tout j'avais gardé tout de ce qu'il m'envoyait alors ça constituait des preuves. Mais surtout, et un peu poussé par mon père, j'ai voulu me défendre. Je me sentais plus fort en constatant que ma famille m'entourait et mes amis aussi. Néanmoins j'ai continué à me faire stalker, il est devenu horrible en comprenant que j'avais porté plainte. Puis mes parents ont décidé de déménager et ça a semblé le faire paniquer. Jusque-là j'ignorais qui il était. J'allais changer de quartier, de lycée et ça me rassurait de me dire qu'il ne pourrait pas me suivre. Mais le dernier soir, la veille du déménagement, en rentrant de mon cours du soir, j'ai senti qu'il était là, alors je me suis retourné et j'ai couru pour l'attraper. Et j'ai réussi.
Jin se tourna vers moi, l'air un peu triste.
— Tu sais, dans ma tête d'adolescent j'étais contrarié, en colère, frustré, tétanisé. J'avais passé des mois à flipper alors quand tout est ressorti c'était de la pure amertume. En réalité je l'avais déjà vu, mes amis l'appelaient « mon fan numéro un », c'était le gamin à la peau bronzée qui essayait d'être discret sans y arriver et qui m'observait tout le temps. Il était au collège, mais nos deux écoles partageaient le réfectoire, le temps du déjeuner. Il était toujours assis à deux tables de moi à la bibliothèque, tous les jours ou presque. Sur le coup je me suis senti con de ne pas avoir fait le rapprochement auparavant. Mais il avait un visage innocent, jamais je n'aurais pensé qu'il était mon stalker avec ses poèmes incroyablement beaux et ses commentaires salaces par texto. Avec le recul, je me rappelle qu'il était terrorisé par ma réaction. Il était déjà plus grand que moi et ses cheveux étaient bizarres, comme crépus sur son crâne, il avait de grosses lunettes et surtout cet air d'intello dont mes amis se moquaient. Je lui ai hurlé dessus, j'ai crié, j'ai déversé ma colère, je l'ai insulté, je lui ai dit des choses horribles. Il a pleuré et il est parti. Je ne l'ai jamais revu... Jusqu'à ce soir-là.
Je resserrai mes cuisses que je tenais contre ma poitrine et fixai le profil de mon aîné, abasourdi. Jin souffla encore en secouant ses cheveux que le vent soulevait lentement alors que Doona et le petit garçon écrasaient à pieds joints le château de sable que j'avais si durement construit.
— C'était il y a dix ans, à peu près. J'avais été terriblement fier de moi quand j'en avais parlé à mes parents et à mes amis. Mais son visage est resté dans ma tête. J'ai changé d'adresse, de lycée, de numéro de téléphone dès le lendemain et rien n'est plus jamais arrivé. Mes amis de mon ancien lycée ont fini par me dire que mon « fan numéro un » avait quitté le collège mais qu'il n'était pas rentré au lycée, qu'il avait simplement disparu. Avec le temps, j'ai un peu culpabilisé d'avoir dit des choses aussi horribles, que je ne pensais pas.
— Quoi comme chose ?
— Je lui ai hurlé des choses cruelles car j'étais effrayé, notamment qu'il était monstrueux, et dégueulasse parce qu'il était un homme et que j'en étais un aussi, souffla Jin.
Je baissai la tête et mon aîné se mordit la lèvre :
— C'était bête, mais je crois qu'on était bêtes à l'époque. Tu sais, je me suis inquiété parfois, de peur que ce gosse se soit suicidé après que je lui aie dit des choses si terribles. Parfois je me demandais pourquoi il faisait ça, pourquoi il se comportait ainsi. Parce que tu vois, si ce gamin était venu se déclarer à moi, je l'aurais rejeté mais les choses auraient été simples, mais c'était parce qu'il espionnait ma vie que ça m'a effrayé. Sauf qu'en voyant son visage, il n'avait rien d'abominable sur lui, il était juste terrorisé d'être pris en flagrant délit. Il a vraiment pleuré toutes les larmes de son corps quand je lui ai hurlé dessus...
J'observai le visage de mon aîné, un peu secoué. Cette histoire me bouleversait. C'était fou comment des choses aussi anciennes revenaient nous hanter.
— Quand je l'ai vu avec Jimin ça m'a secoué, je me suis inquiété, je me suis senti en colère comme il y a dix ans. Tu sais j'ai vraiment cru, un moment, qu'il avait fait la même chose avec ton ami mais... je me trompe hein ?
— Oui.
— Il était de nouveau effrayé de me voir en tout cas, soupira-t-il.
La conversation s'arrêta ainsi et ne reprit pas car Doona se précipita vers nous, pleine de sable, et Jin l'accueillit, sortant des lingettes d'un gros sac posé près de nous pour la nettoyer en douceur.
Ça me paraissait inconcevable que Namjoon hyung avait pu être un stalker jusqu'à ce que je me souvienne qu'il y a un peu plus d'un an j'étais moi-même un voyeur.
Les émotions de Jin hyung m'envahissaient, son histoire aussi et je n'arrivais pas à me protéger de ça.
Et si... et s'il fallait que je dise la vérité à Jungkook ?
Et si un jour tout resurgissait ?
— Taehyung ?
— Hyung, coupai-je. Je ne connais pas plus Namjoon hyung que ça, mais je pense que c'est devenu quelqu'un de bien. Vraiment. Tu l'as dit, vous étiez bêtes et jeunes à l'époque, peut-être qu'il était seulement maladroit, qu'il ne savait pas comment s'y prendre. Parfois il est difficile pour certaines personnes de trouver les limites du convenable et de l'inconvenable car on n'a pas tous les mêmes ressentis, les mêmes tabous, les mêmes histoires.
J'avais l'impression de défendre mon propre cas, en réalité.
Mon aîné eut un léger sourire, alors que Doona se calait entre ses jambes et farfouillait dans le sac à la recherche d'une confiserie.
— Je sais Taehyung, je ne suis plus en colère contre lui. Cette histoire appartient au passé et si tu me dis qu'il est devenu quelqu'un de bien, alors je suis content pour lui.
Je sortis de mes pensées alors que Jin refaisait les couettes de la petite.
— N'en parle pas à Jimin, hein ? C'est du passé, je ne veux pas qu'il soit déçu. Je ne connais pas le Namjoon d'aujourd'hui mais je doute qu'il ait envie que quelqu'un sache cette histoire.
— Je ne lui dirai pas.
Mes pensées tourbillonnèrent et m'emportèrent, je me souvenais alors de Yoongi hyung. Lui, il devait le savoir, peut-être était-ce même la seule personne avec moi, à présent, à être au courant. Je me souvenais de ce que Jimin avait dit. Je me souvenais de la réaction de Namjoon en voyant mon hyung, figé, subjugué.
Oui, surtout subjugué en fait, et je comprenais mieux pourquoi mon meilleur ami avait eu un doute.
Mon esprit fit des théories étranges, supposant un amour jamais oublié pour mon aîné de la part de Namjoon hyung.
Mais au-delà de cette histoire inaboutie, c'était surtout le fait que, dix ans plus tard, la vie avait fait qu'ils se retrouvaient. Dans la pire situation qui soit.
Confrontés à nouveau, comme si la vie refusait qu'on oublie ses erreurs.
Et si on payait toujours nos erreurs ?
Dans ce cas-là, mon voyeurisme refoulé allait ressurgir un jour, non ?
Cette pensée m'arracha un frisson d'angoisse.
*******
Je n'avais pas dormi.
Applaudissements s'il vous plaît.
Il m'avait fallu avaler deux cafés, et je détestais le café, pour me maintenir éveillé pendant une heure et cinquante-quatre minutes de spectacle.
Penché en avant, les yeux concentrés, un peu comme un cinglé mais peu importait, je n'avais pas loupé une seconde des performances de Jimin.
Maintenant je pouvais me relâcher.
— Hé, t'endors pas au milieu du couloir, marmonna Jungkook en me donnant une tape dans le bras.
Ma tête avait dangereusement glissé près de son épaule et je me reculai debout, faisant glisser mon corps sur le mur, seule surface qui me maintenait debout.
Ne pas dormir, ne pas dormir, ne pas dormir...
— On dirait que t'es défoncé n'empêche.
— Bu trop de caféine, baragouinai-je.
— T'as pas dormi, oui, cingla le gamin.
Pourquoi ça avait l'air d'un reproche ?
Le spectacle était terminé, on attendait que les stars du jour sortent enfin des coulisses. Jungkook bâilla.
— La danse contemporaine c'est pas mon délire, quand même.
— Mais c'est bien que tu sois venu, insistai-je les yeux à moitié fermés.
Enfin, une touffe brune arriva vers nous, brillamment maquillé, portant encore sa tenue de scène, le visage de Jimin était si lumineux que je lui rendis son sourire.
— Vous avez aimé ? S'enquit-il.
— Tu étais vraiment gracieux, répondis-je, et la danse avec l'autre danseuse était vraiment belle. Tu m'as bluffé, c'est fou ce que tu t'es amélioré en une année.
— C'était sympa, répondit platement Jungkook.
Jimin se mit un peu à rire avant de laisser éclater sa bonne humeur :
— On a tout donné ! J'ai encore tellement d'adrénaline dans le sang que je pourrais le rejouer toute la nuit. Vous avez vu comment la salle était remplie ?
— Ouais et les gens se sont levés à la fin pour applaudir, remarqua Jungkook.
— Oui, notre professeur de danse nous a beaucoup félicités. Il a dit que c'était prometteur pour les auditions et les sélections. Moi et les gars on est vraiment heureux.
Les gars ?
J'observai autour de moi des membres de la classe contemporaine de Jimin, habillés encore de leurs costumes, saluer leur famille et leurs amis. Mon meilleur ami fit signe à quelqu'un de nous rejoindre avant de lancer :
— Kai, je te présente Taehyung. Tae, Kai.
Je m'inclinai un peu et le collègue de mon meilleur ami plissa des yeux :
— Attends, t'es qui déjà ? Ah... Le type de la pizzeria qui se goure toujours de numéro de commande ?
Hein ?
Jimin leva les yeux au ciel et frappa son voisin :
— Non, c'est Tae. Bordel, Kai, fais un effort !
— Ah je sais, S'exclama-t-il, tu es le type super doué dans tous les sports...
— Non, ça c'est moi.
— Ah bah oui, je suis con, Jungkook est là. Bah non, je ne vois pas.
Tiens, ils se connaissaient ces deux-là ?
— Ah ! Je l'ai, le chinois, non, le thaïlandais !
Jimin ferma les yeux, se plaquant une main sur le front comme soudainement frustré et blasé du comportement stupide de son ami alors que Jungkook riait et que je fixais le nouveau, un peu interloqué.
Il avait l'air d'avoir des problèmes de mémoire, celui-là.
— Tu me fais chier ! Jura Jimin.
Kai eut l'air de réfléchir en regardant intensément mon visage avant de claquer dans ses mains :
— Je sais, le futur pédiatre !
— Voilà ! Cria Jimin. C'est pas compliqué ! C'est Tae, mon meilleur ami, je t'en parle tout le temps !
— Excuse-moi monsieur "j'ai trop une vie sociale de fou", ironisa l'autre, mais je galère à retenir tous les noms entre tes colocs, tes ex, tes potes de...
— Oui bon, ça va.
En tout cas, ils avaient l'air de bien s'entendre.
— Salut pédiatre, lança Kai, je suis le collègue du danseur au gros fessier juste là. Enchanté de te rencontrer mais le prends pas mal, t'as vraiment une sale tête comme si t'avais vécu l'enfer juste avant.
Il se prit une baffe dans la nuque et Jungkook rigola d'autant plus. Je lâchai un sourire fatigué.
Encore un joyeux luron à ajouter à la liste des imbéciles hyperactifs que je côtoyais sans cesse.
— Oh attends. Hyung ! Interpella Jimin.
Quelqu'un d'autre arrivait et je distinguai son visage. Lui, par contre, il m'avait impressionné pendant le spectacle. Il était très maigre, pas vraiment grand et son visage me paraissait presque efféminé. Il avait un gentil sourire et s'inclina pour nous saluer, Jungkook et moi.
— Hyung, voici Jungkook, et Taehyung.
— Je connais Jungkook, répondit l'aîné d'une voix douce.
— Salut hyung, fit nonchalamment mon voisin.
Non mais il connaissait toute la fac ou quoi ?
— Ah, Taehyung, le futur pédiatre. Enchanté.
Kai se tourna soudainement vers lui :
— Hyung, comment t'as fait pour t'en souvenir d'un coup ?
Jimin secoua la tête et le plus âgé lui sourit gentiment :
— Déjà, je n'ai pas la mémoire d'un poisson rouge et, deuxièmement, parce que Jimin parle tout le temps de lui. Tae par ci, Tae par là.
Je devais me sentir comment du coup ?
— Je suis Lee Teamin, enchanté.
Je m'inclinai un peu.
— Enchanté.
Il y avait l'air d'avoir une bonne ambiance parce d'autres danseurs vinrent les rejoindre et chacun me salua comme s'ils avaient toujours entendu parler de moi.
Ça me faisait sentir extrêmement étrange.
— Où est Bambam, au fait ? Demanda Jimin au bout d'un moment.
— Il s'est endormi, balança Jungkook avec un sourire crâneur, en une minute, alors Jaebum hyung l'a ramené à la fin du spectacle.
— Je vais le dégommer, ce petit...
— Il est pas un peu plus grand que toi ? Fit remarquer Jungkook.
Il se prit un coup dans l'estomac.
— Il a somnolé cet après-midi, le défendis-je, il avait l'air vraiment mal quand je l'ai réveillé pour partir au spectacle.
—Il n'avait qu'à pas venir !
Je me tournai dubitatif face à Jungkook qui arborait une mine boudeuse en se massant le ventre.
— Bon, ce n'est pas tout mais on a la dalle, on va bouffer ? S'écria Kai.
— Vous venez manger avec nous ? Demanda Taemin.
Mais Jimin l'interrompit :
— Tae, tu ferais mieux d'aller dormir, tu as une tête qui fait peur à voir.
J'acquiesçai vivement.
Merci, j'étais à présent libéré de mes obligations.
Objectif : sommeil.
Toute la troupe de danseurs retourna vers les coulisses pour se changer, suivit de Jungkook qui avait l'air motivé à sortir ce soir. Jimin fit volte-face au moment où j'arrivais enfin à me décrocher du mur contre lequel j'étais calé.
— Tu... tu n'as vu personne assis à côté de toi, pendant le spectacle ?
— Euh non.
C'est vrai que le siège à ma gauche était vide, maintenant que j'y pensais. Jimin fit un faible sourire, plutôt une grimace, et prit un air neutre pour me saluer, ce qui me fit tiquer.
Attendait-il quelqu'un ?
Ses parents ?
Non, il m'avait dit qu'il ne les ferait venir de Busan que pour le spectacle d'hiver car il était plus grand et plus impressionnant.
Puis mes yeux s'ouvrirent en grand, mon cerveau était trop lent, j'aurais dû y penser plus tôt. Namjoon hyung.
Jimin fit demi-tour, je n'osai pas l'arrêter et je m'éclipsai, n'ayant qu'une hâte : rentrer dormir une bonne fois pour toutes.
Je me mordis la langue en marchant rapidement jusqu'à l'arrêt de mon bus en espérant ne pas avoir à attendre avant d'en avoir un.
Le poids du secret de Jin hyung semblait peser soudainement lourd dans ma poitrine. Je n'étais définitivement pas doué pour garder le secret des autres.
Jimin l'aimait encore, je m'en rendais compte même si je ne comprenais pas vraiment ses tourments. Il avait beau tout me cacher, ça prenait son sens maintenant que j'étais assez concentré pour tout comprendre. Mais l'éternelle question revenait sans cesse, que pouvais-je faire pour l'aider ?
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