15-
— On tire la langue.
L'enfant s'exécuta avec bonhomie comme s'il s'agissait d'un jeu et le pédiatre, Mr Kang, posa un petit bâton de bois avant de sourire.
— C'est très bien Minho, tu peux te lever.
La mère de l'enfant souriait gentiment et aida son fils, âgé de cinq ans, à remettre son pull. Je me contentais, moi, de rester dans un coin pour prendre des notes alors que Mr Kang poursuivait sa consultation, non sans remplir une ordonnance. Enfin, lorsque la mère et l'enfant sortirent il pivota sur son tabouret roulant dans ma direction.
— Alors, qu'en penses-tu ?
— La varicelle est bien guérie, il n'a plus de fièvre ni d'éruptions cutanées. Je suppose qu'il faudra vérifier dans une quinzaine de jours s'il n'y a pas de rechute.
— Bien, admit l'homme d'un air satisfait.
Mr Kang avait une soixantaine d'années, son visage paraissait aussi fatigué que celui de mon grand-père et il se massait régulièrement les épaules comme s'il souffrait de douleurs cervicales.
Mon stage avait débuté près d'un mois et demi plus tôt.
Même si ce n'était qu'un stage d'observation, Mr Kang me faisait toujours participer au diagnostic, me demandant parfois d'ausculter certains enfants.
Mes journées étaient longues et bien remplies, le travail d'un pédiatre ne semblait pas avoir de fin. Après une douzaine d'heures de travail dans la journée (parfois plus, parfois un peu moins) je rentrais chez moi, je mangeais et je dormais jusqu'au lendemain. Puis la même journée m'attendait jusqu'au dimanche, mon seul jour de repos.
Et encore. Parfois le Dr Kang me demandait de revenir quand il y avait une urgence. Le secteur pédiatrique de l'hôpital général de Séoul était un monde à part, fait et construit pour les enfants où tout était quasiment à leur taille, les chambres étaient plus colorées, les pièces collectives aussi, il y avait des animateurs spécifiques, des sages-femmes, des soignantes en tenues roses, des dessins recouvraient les murs, des animaux venaient rendre visite...
J'adorais ce monde, vraiment. Chaque fois que Mr Kang me libérait de mon travail d'observation pour une réunion avec les autres médecins des différents secteurs de l'hôpital, je rejoignais les animateurs et les soignantes.
Le secteur pédiatrique était un endroit où il y avait de la vie, des cris, des rires où ça courait, où ça jouait, faisant oublier parfois les murs stérilisés et le contexte même d'un hôpital.
Certains enfants étaient là temporairement, pour des bras, des jambes cassées par accident de skate, ou des grippes carabinées. D'autres, malheureusement, avaient une santé plus fragile et des maladies plus graves.
J'aimais les enfants, vraiment. Les voir me rendait heureux, jouer avec eux, prendre soin d'eux était plus qu'un passe-temps mais une véritable vocation. Être avec eux me libérait de toutes mes tensions internes et me rendait moins ennuyant, moins amorphe, plus empathique, comme si je me nourrissais de leur joie de vivre pour être un peu plus différent. À présent que mon stage était bien entamé, je savais que j'avais fait le bon choix.
Je n'avais plus aucun doute sur mon futur : je serai pédiatre.
Même si j'étais très fatigué et surchargé de travail, l'université et Mr Kang m'avaient demandé de faire un rapport de stage de plusieurs trentaines de pages composé de cas clinique, et je prenais un vrai plaisir à l'écrire.
Durant ces dernières semaines, j'avais croisé quelques fois Jin hyung dans le service de cardio et quand nous pouvions, nous déjeunions ensemble. Il était tout aussi débordé que moi et bien que peu sûr de son avenir, il semblait se plaire dans son stage.
Même nos conversations changeaient, et je doutais que quelqu'un n'étant pas médecin ou infirmier puisse comprendre ce que l'on disait.
Jimin me bombardait de messages depuis un mois, je n'avais pas eu le temps, jusqu'alors, de l'appeler plus de cinq minutes. Ce dernier s'impatientait à Busan et n'avait qu'une hâte : arriver à Séoul.
Il avait rempli tous les papiers, récupéré une bourse pour l'année et cherchait désespérément un appartement.
Mon meilleur ami arriverait à la capitale dans une semaine, en attendant il se tuait à la tâche dans ses différents petits boulots pour gagner le plus d'argent possible.
Et Monsieur-le-voisin-d'en-face, me direz-vous ?
Jungkook m'avait harcelé de messages depuis mon retour de Daegu. Monsieur avait eu ses examens avec brio, grâce à moi à ses dires, il pouvait donc garder son appartement pour le reste de l'année. Cette information m'avait plu, même si je ne lui dirais jamais mais l'idée, finalement, que l'on reste voisins me convenait.
Avec mes heures de stage, je n'avais pas eu l'occasion de le voir, alors même qu'il m'avait assailli de messages auxquels je ne répondais pas toujours.
Voire jamais.
Je n'avais ni le temps ni la patience de répondre à chaque notification que je recevais de lui, il y en avait trop et c'était pénible.
« Hyung, je suis à un match de volley, tu veux venir ? »
Ou encore :
« Hyung, c'est soirée pizza et Call of Duty ce soir, tu veux venir ? »
Ou bien :
« Hyung tu fais quoi ? On se voit ? »
Ou encore :
« Hyung c'est la poule ou l'œuf qui est arrivé en premier ? »
Ou alors :
« Hyung, hier soir j'étais à cette soirée, tu vois la fille qui... »
Et enfin :
« Hyung, je m'ennuie. Tu fais quoi ? »
Parfois quand je rentrais en bus, j'ouvrais ma boîte de messagerie et pas moins d'une dizaine de messages m'attendait.
Le dimanche, seul jour de repos de ma semaine, je ne faisais soit que dormir, soit je travaillais sur mon rapport de stage. Lui, il était rarement chez lui le dimanche, visiblement il avait pas mal de matchs et parfois il décuvait violemment de ses soirées de la veille. Lorsqu'il émergeait, vers dix-huit heures en général, je ne tardais pas à aller me coucher pour me lever très tôt le lendemain, j'avais plus d'une heure et demie de transport en commun pour rejoindre l'hôpital général.
En réalité ne pas le voir me convenait parfaitement, mais si je devais être vraiment honnête, ça me manquait un peu. Je soupirai bruyamment en voyant tous ces messages mais finalement ça me plaisait assez.
Mais bien sûr, jamais je ne lui dirais.
Enfin, après deux mois de stage, ce dernier prit fin.
Il me fallut dire au revoir à tous les enfants non sans sentir mon cœur se serrer à l'idée de les laisser. J'eus un long entretien de fin de stage avec Mr Kang et mon directeur du département de médecine, qui se montrèrent très satisfaits de mon travail.
« Nous avons de grandes attentes pour vous, Mr Kim », m'avaient-ils dit.
La fin de journée déclinait et alors que je me changeais aux vestiaires, abandonnant ma blouse blanche à laquelle je m'étais habitué, je reçus un message de Jin hyung. Je pris mes affaires, tâchant de ne rien oublier dans mon casier et je le rejoignis à l'extérieur, il avait neigé deux jours auparavant et la neige avait à peine fondu, il faisait vraiment froid. Les portes automatiques se renfermèrent derrière moi alors que je cherchais des yeux mon hyung, l'hôpital se trouvait autour d'un parc et non loin d'un parking. La silhouette de mon ami dans un gros manteau bleu marine me fit signe et je le rejoignis en trottinant. Il avait le bout du nez rouge et je me demandais depuis combien de temps il attendait.
— Alors, l'entretien s'est bien passé ? M'accueillit-il.
— Oui très bien et toi ?
— Je suis passé juste avant toi, m'expliqua-t-il, le Dr Bak pense que je serais mieux dans l'unité de médecine générale.
— Vraiment ?
— Mais on a convenu qu'au prochain stage, je ferai plusieurs services pour m'en assurer.
On discuta un peu avant que je ne lui propose :
— On dîne ensemble ?
— Si tu veux, mais si une autre personne vient, ça te dérange ?
— Une autre personne ?
Il me sourit :
— Ma copine.
J'ouvris les yeux, un peu stupéfait :
— Hyung, tu as une copine ?
— Oui.
— Ah bon ?
Il rit un peu :
— Bah oui. Pourquoi tu as l'air si choqué ?
— Je ne savais pas. Tu ne me l'as jamais dit.
— Tu n'as jamais posé la question.
Pas faux.
Quelque chose me dérangeait dans le fait de dîner avec un couple et Jin hyung dut s'en rendre compte :
— Elle me rejoint dans quelques minutes mais si tu ne veux pas, ce n'est pas grave, je te prends un peu de court...
— Hum.
Soudain mon téléphone se mit à sonner et à vibrer et j'aperçus encore une quantité de notifications dont plusieurs qui attirèrent mon regard :
« Je suis arrivé à Seoul. »
« Je suis chez toi, tu n'es pas là ? »
« Tae, tu n'as pas oublié que j'arrivais ce soir hein ? »
« Où es-tu ? »
Je sursautai et fis défiler tous les messages.
— Qu'est-ce qu'il y a ? S'inquiéta Jin.
— Jimin. J'ai oublié que Jimin arrivait ce soir !
Quel meilleur ami de merde je faisais. Face à mon désarroi, Jin hyung rit un peu avant de faire de grands gestes de la main pour saluer quelqu'un derrière moi.
Je terminai de faire dérouler la conversation à sens unique que Jimin avait engagée avec moi trois heures plus tôt, avant de relever la tête en entendant une voix. Une fille venait d'arriver.
— Taehyung, je te présente Minjee.
Je la saluai d'un mouvement de tête poli qu'elle me rendit dans un sourire. C'était une très belle fille. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir. Elle avait une peau blanche très nette, des yeux à doubles paupières, un nez droit et une belle bouche. Tout son visage était symétrique et ses longs cheveux noirs étaient cachés par un bonnet, le même que celui que hyung portait.
Elle était grande, élancée et à l'allure sportive.
— Enchantée de te rencontrer, Jin oppa m'a beaucoup parlé de toi.
Donc elle était plus jeune que lui.
— Minjee a un an de moins que toi, m'informa-t-il.
— Oh euh enchanté aussi...
Fallait-il dire que je ne savais rien d'elle car hyung ne m'avait jamais rien dit ?
En la fixant j'eus comme la sensation de l'avoir déjà vue, ou du moins son physique me disait quelque chose. Elle dégageait une sorte de charisme mais possédait un sourire très mignon, je supposais qu'elle devait vraiment être populaire auprès de la gente masculine. En tout cas, elle et Jin hyung formaient un très beau couple.
— Tu dînes avec Jimin alors ? Me demanda hyung.
La réalité me revint à la figure et je me remis à paniquer :
— Oui enfin... Je ne sais pas où il est.
Comment ai-je pu l'oublier ?
— Ne t'inquiète pas, on dînera tous les trois une prochaine fois.
Je les saluai avant de courir vers mon arrêt de bus. Une fois au chaud à l'intérieur je téléphonai à Jimin, en vain, son portable était soit éteint soit il m'ignorait complètement. En soupirant je me demandai comment j'avais pu oublier qu'il arrivait aujourd'hui.
Pendant tout le trajet je ne réussis pas une seule fois à le contacter, par contre Jungkook, lui, essaya de m'appeler plusieurs fois jusqu'à ce que je consente à répondre.
Sa voix résonna dans le combiné, de son timbre habituel :
« Sérieusement hyung, tu fais exprès de m'ignorer ou quoi ? »
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Son rire résonna dans le téléphone, cela me fit lentement sourire sans que je ne contrôle vraiment l'expression de mon visage.
Il ajouta :
« Y a quelqu'un qui veut te parler. »
J'entendais du bruit derrière, un environnement bruyant et une nouvelle voix vint prendre l'appareil.
« Tae ? »
— Jimin ? Tu es avec Jungkook ? Demandai-je surpris.
« Évidemment ! Je me suis retrouvé devant ton appartement pendant trois heures ! »
— Je suis désolé, J'ai zappé que tu arrivais, j'étais trop stressé pour mon évaluation de fin de stage et je n'avais pas mon portable sur moi, j'ai... Je n'ai pas pensé, j'ai...
« C'est bon ça va, je suis juste un peu vexé. »
« Il boude carrément », cria la voix de Jungkook un peu plus loin.
J'entendis du bruit suivi d'un « aïe » avant que Jimin ne reprenne le téléphone. Est-ce qu'il venait de frapper le maknae ?
« Je suis allé sonner chez ton gentil voisin mais lui non plus n'était pas là, à croire que vous vous étiez passé le mot. »
— Comment tu as fait ?
« Je l'ai appelé, lui au moins a décroché, je suis allé le voir à son match de hockey sur glace. Là on est dans un restaurant de sushi, une énorme promo, c'est seulement 20 000 wons pour un buffet à volonté ! ».
— Oh.
J'avais faim tout d'un coup.
« Ouais oh, comme tu dis, si tu savais tout ce que Jungkookie est capable d'avaler... Un vrai monstre »
« Je t'emmerde hyung.»
Il y eut un nouveau bruit suivi d'un nouveau « aïe ».
« Où es-tu ? »
— Dans le bus sur le chemin de la maison.
« On a bientôt fini, je te prends une part, tu as faim ? »
— J'ai faim. Où sont tes affaires ?
« Chez Jungkookie. Tae, comment ça se fait que tu aies changé le code de ta porte d'entrée ? Sans ça j'aurais pu y rentrer... »
— Il le connaît. Je ne pouvais pas le laisser venir chez moi comme il le voulait ! Me défendis-je.
Pour ma propre sécurité.
Jimin rit un peu avant de dire :
« Combien de temps de bus encore ? »
— Quarante-cinq minutes.
« Bien, on se rejoint chez toi alors. »
— D'accord, encore désolé Jimin, je...
« T'inquiète pas, tu paieras ta dette, bientôt. »
Pourquoi je n'aimais pas du tout le son de la voix de mon meilleur ami tout d'un coup ?
Il raccrocha et je soufflai, faisant apparaître de la buée contre la vitre, je somnolai un peu à cause de la fatigue de ma journée. Combien de temps avais-je travaillé aujourd'hui ? Quatorze heures ? Je me réveillai en sursaut de peur de louper mon arrêt. Enfin, ankylosé par la position que j'avais prise pour dormir, je finis par arriver dans ma rue, je descendis du bus et marchai jusqu'à mon appartement avant de recevoir un message qui m'arrêta dans mon mouvement.
« On est chez Jungkookie. »
Je n'avais pas envie d'y aller.
Qu'est-ce que je faisais ?
Nouveau message :
« Ne te prend pas la tête et viens, j'ai ton repas. »
S'il avait mon repas, j'étais obligé d'y aller, hein ?
Merde.
Il fallait que j'arrête de penser avec mon estomac.
Lorsque je sonnai chez mon voisin, c'est ce dernier qui vint m'ouvrir. Ses cheveux avaient un peu poussés, il était en jogging et me fit un énorme sourire.
— Hyung ! Ça fait un bail ! Ça va ?
Puis il fronça les sourcils avant de dire :
— Arrête d'ignorer mes messages.
— Envoies-en moins alors, répondis-je.
— Quoi ? S'exclama-t-il faussement outré, tu dis que je te harcèle ?
— Tout à fait.
Il était un harceleur et moi un voyeur, nous faisions vraiment la paire.
Cette remarque me fit doucement sourire et cela le surprit avant qu'il ne décoince ses bras de son torse et me pousse à rentrer chez lui.
— J'ai invité des potes, j'espère que ça ne te dérange pas.
Mon faible sourire dégringola d'un coup et je le fusillai du regard, cela le fit pouffer.
Sa tronche de gamin espiègle ne m'avait pas manquée, en fait.
J'hasardai un coup d'œil en direction du salon et me crispai d'un coup. Trois nouvelles têtes, inconnues au bataillon, étaient là, sur le canapé, autour de la table basse, sirotant des bières. Jimin était là, toujours blond, quoi que la couleur me parût un peu plus foncée que la dernière fois où je l'avais vu. Il était assis sur le tapis, et souriait aux côtés de deux types que je n'avais jamais vu et d'une fille.
Yoongi hyung était là aussi, fumant sa clope embaumant tout l'appartement, calé dans un fauteuil, il semblait porter peu d'intérêt au reste du groupe. Par contre il releva les yeux en me voyant et me fixa un moment, suffisamment pour me mettre mal à l'aise.
Lui non plus ne m'avait pas manqué, tiens.
Jungkook me tendit alors un sac contenant des boîtes dans lequel reposaient une trentaine de sushis.
— Je les mangerai chez moi, affirmai-je.
— C'est ça...
Il rattrapa le sac au moment où j'allais le prendre et traversa la pièce pour le poser sur sa table basse. Il me fit un sourire taquin et j'eus envie de m'énerver, un peu.
Juste un peu.
Il était encore temps de rebrousser chemin. Mais mon estomac criait famine et après une longue inspiration je rejoignis mon repas non sans jeter au voisin un regard désagréable. Il eut le culot de rire.
Sale gosse.
Je m'assis sur le tapis, ne voulant pas risquer de m'asseoir sur le canapé. Qui, et j'étais bien placé pour le savoir, servait parfois à tout autre chose que de s'asseoir. Je sortis les boîtes, les baguettes et la sauce.
Les inconnus semblaient ne pas faire attention à moi et cela me convenait, sauf que j'avais oublié à quel point Jeon Jungkook abruti, imbécile de voisin, entre autres, pouvait me mettre dans des situations que je ne voulais pas.
— Les gens, clama-t-il.
Qui appelait les autres comme ça, sérieusement ?
— C'est Taehyung hyung, il habite juste là...
Il désigna d'un revers du pouce mon salon dans la pénombre en face et continua :
— C'est le meilleur ami de Jimin. Dites bonjour.
Et comme si on se trouvait dans une réunion d'alcooliques anonymes tout le monde, même Jimin, lâcha un :
— Bonjour Taehyung.
Flippant.
Ma tête fit rire Jungkook et ce dernier s'assit, me faisant me décaler le plus loin possible de lui.
— Hyung, tu veux boire un truc ? Demanda-t-il.
— Oui, de l'eau.
Yoongi pouffa de la fumée en me regardant avant de dire :
— Ça fait longtemps, me salua-t-il.
— Euh oui, bonsoir hyung...
Ses yeux me mettaient mal à l'aise. Jimin changea de position et attira mon attention alors que je sortais les sushis du sachet :
— Tae, je te présente Jaebum hyung.
Je fis un hochement de tête rapide au jeune homme brun à gauche du canapé.
— Il est dans le département de musique avec Yoongi hyung et tu sais quoi ? Il a un appart !
La bouche pleine de sushis, je fronçai les sourcils. Jimin semblait vraiment de très bonne humeur, trop pour mon taux de fatigue actuel.
— On s'est rencontrés cet aprem quand je suis allé voir Jungkookie jouer son match et figure-toi que dans son appart vivent sept mecs et ils leur restaient une chambre !
— Oh, bonne nouvelle, fis-je platement.
— Tu m'aideras demain à mettre mes affaires ?
— Demain ?
Demain j'avais prévu, 1- De dormir, 2- De travailler sur mon compte rendu de stage, 3- De ne pas faire d'emménagement ou quoi que ce soit. Surtout quoi que ce soit.
J'étais vraiment obligé ?
Mais voyant le regard que mon meilleur ami me lança, je supposais que je n'avais pas vraiment le choix. Je mangeai sans prendre part aux conversations, de la même manière que Yoongi qui était sur son téléphone, fumant ses clopes sans se préoccuper des autres.
Pourquoi était-il là ?
Certes, moi on m'avait attiré avec de la nourriture mais lui, ça m'étonnerait que Jungkook le tienne avec ce genre de stratagèmes. Il me paraissait trop caractériel et trop libre pour ça.
Jungkook s'était assis à ma gauche et parlait à tout le monde, notamment à Jimin. Le dénommé Jaebum discutait surtout avec un type assis pile en face de moi.
Il avait un visage étonnant. En réalité il semblait assez fermé et impressionnant, presque imposant. La fille à droite de lui, était presque collée à son corps et il gardait une main sur sa cuisse comme pour dire à tout le monde « c'est ma propriété ».
La fille, elle, me fixait. Elle détourna le regard quand je la surpris et je continuai de dîner jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle continuait de me fixer. Ça me mit vraiment mal à l'aise.
— J'ai un truc sur le visage ? Chuchotai-je à mon voisin.
— Non pourquoi ? Répondit-il avec étonnement.
Mais il sembla comprendre parce qu'il tourna la tête vers elle, cette dernière évita son regard pour faire semblant de suivre la conversation des deux autres sur le canapé. Jungkook eut un ricanement qui n'inaugurait rien de bon.
— Peut-être que tu lui plais ?
Je manquai de m'étouffer avec un sushi au saumon et le fixai en fronçant les sourcils. Il est stupide ou quoi ? Vu le physique de son mec à côté d'elle, ça m'étonnerait grandement. Il parut trouver ma réaction plus marrante que les autres, parce qu'hilare il chuchota :
— Quoi ? Pourquoi ça te choque autant ?
Vraiment ? Il me demande pourquoi ça me choque autant ?
Sale gosse.
— Yah, je suis sûr que tu viens de m'insulter mentalement !
Comment il faisait pour le savoir à chaque fois ?
— Yah ? Répétai-je.
—Désolé, c'est l'habitude.
C'était une excuse ça ?
Il continuait de sourire, ses yeux amusés toujours fixés sur ma personne.
Ça faisait trop de monde qui me fixait là, ce soir. Ça n'allait pas le faire.
Il se pencha et chuchota :
— Quoi, elle ne te plaît pas ?
C'était quoi cette question ?
— Tu sais que Hayoung m'a demandé de tes nouvelles aujourd'hui ? Enchaîna-t-il.
— Hein ?
Hayoung ?
Attendez qui c'était, déjà ?
— Double rencard, fille amoureuse de moi, minuscule, chialeuse, fait du patinage artistique... Décrivit-il platement.
— Ah oui.
Il pouffa :
— La pauvre, tu te souviens même pas d'elle.
— Je n'ai ni la mémoire des noms, ni des visages.
Ça l'amusa puis il continua :
— Elle a demandé de tes nouvelles, je crois qu'elle t'aime bien.
— Elle est amoureuse de toi, contrecarrai-je.
— Je l'ai rejetée, elle peut très bien jeter son dévolu sur quelqu'un d'autre maintenant.
— Je doute que ce soit aussi simple... J'ai plus l'impression que ça t'arrange.
Il se mit à sourire :
— Tu n'as pas de genre fixe, donc je pourrais très bien t'arranger un coup...
— Oublie.
Je lui tournai le dos en continuant de manger, surprenant Yoongi qui écoutait notre conversation.
— De quoi vous parlez ? Demanda Jimin en s'asseyant près de moi et en me piquant un sushi sous mes yeux outrés.
— Des filles auxquelles hyung plaît, répondit Jungkook en cherchant aussi à me prendre de la nourriture.
Je le frappai avec mes baguettes, lui provoquant une grimace et un cri silencieux et cherchai à me décaler sur le tapis. En vain.
— Oh, tu veux parler de la fille qui a tenu absolument à avoir des nouvelles de Tae tout à l'heure à la patinoire ?
— Celle-là.
Pardon ?
Non mais c'était quoi cette conversation ?
— Elle était mignonne, fit remarquer Jimin.
— Je croyais que t'aimais que les mecs ? S'étonna Jungkook.
— Je ne vois pas en quoi ça m'empêcherait de pouvoir juger le physique d'une fille !
— Pas faux.
Je secouai la tête.
Sérieusement, aidez-moi. Qu'est-ce que je foutais là ?
— Pourquoi « les » filles ? Fit remarquer mon meilleur ami. Y en a qu'une, non ? A moins que tu ne m'aies pas tout dit ?
Jungkook lâcha un sourire comme s'il avait attendu la question et désigna discrètement, d'un coup de menton, la fille sur le canapé. Jimin ouvrit les yeux et hocha plusieurs fois la tête. Jungkook lui répondit tout aussi silencieusement et je les fixai, interloqué par leur communication en langage des signes, littéralement peu discrète.
Ils étaient irrécupérables.
Mais Yoongi, qui écoutait toujours notre conversation, mit fin à leur délire ridicule en se tournant vers la fille :
— Toi, t'es en médecine, non ?
Tous les regards convergèrent vers lui, il avait parlé suffisamment fort pour interrompre la conversation entre Jaebum et l'autre type. D'ailleurs ce dernier resserra sa prise sur la cuisse de la fille comme s'il s'était crispé d'un coup.
Ils ne s'aiment pas, Yoongi et lui ?
La fille hocha doucement la tête et Yoongi me toisa, un rapide sourire en coin peu rassurant sur le visage :
— Tu la connais, non ?
— Euh non, lui répondis-je.
Elle rougit d'un coup, son copain me regarda avant de froncer les sourcils :
— Tu le connais, Yeri ?
Elle secoua la tête avant de dire :
— On est dans la même promo.
Elle parlait de moi ?
Attendez...
J'ouvris les yeux alors que Jungkook et Jimin se tournaient dans ma direction en attendant ma réponse.
— Ah bon ?
Oui, j'avais fait mieux mais ce soir, pour votre gouverne, j'étais fatigué.
— Tu le connais ? Répéta son copain.
Enfin je supposais que c'était son copain.
— Kim Taehyung.
Ok. C'était quoi ce malaise ?
Le type me fixa. Son visage me parut effrayant. Si Yoongi hyung avait un regard assez déstabilisant en soi, pour ce type-là c'était tout son visage qui pouvait se montrer flippant.
Il semblait insensible, froid et implacable à la fois.
Elle bougea un peu du canapé et me sourit gentiment :
— Je m'appelle Yeri, je suis dans ta promo mais ce n'est pas grave si tu me connais pas...
— Mais lui tu le connais, coupa son copain avec un drôle de ton.
Elle rougit un peu, une sorte de tension flotta et je me raclai la gorge :
— Désolé, je connais pas les gens de ma promo et je ne suis pas très doué pour repérer les noms et les visages...
— Je confirme, assura Jimin en venant à mon secours, depuis onze ans que je connais Tae, il a toujours été comme ça.
— Ce n'est pas grave, assura-t-elle en ayant l'air vraiment sincère.
Puis elle chuchota vers son copain :
— Sehun, laisse tomber.
Mais lui me fixait, ses yeux me brûlaient le visage et j'entendis Yoongi ricaner un peu à ma gauche. Pourquoi ça le faisait rire ?
Je détournai le regard alors que Jungkook se leva soudainement :
— Il me reste des bières, qui en veut ?
Cela sembla mettre fin au moment gênant et Jaebum leva sa bouteille vide et Jimin cria :
— Moi aussi !
Je terminai de manger rapidement avant de me lever jeter les détritus, le regard du dénommé Sehun ne me quittait pas.
— Je pense que je vais r...
— Pas question !
Jungkook me tira par le bras pour me faire asseoir dans le canapé, à côté de la fille. Je me crispai au contact de sa main sur mon avant-bras avant de me sentir un peu mal à l'aise. Le canapé de Jungkook, le nouveau qu'il avait dû changer après son cambriolage, était plus grand que le mien et faisait un u. J'étais dans l'angle, dos à la baie vitrée, et j'avais en face de moi Yoongi, toujours sur son portable.
Je me tournai un peu maladroitement vers la fille qui rougit :
— Désolée pour tout à l'heure, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, j'ai été très surprise de te voir rentrer ici, c'est tout... Chuchota-t-elle.
— Pas grave.
Je me raclai la gorge alors que les deux hurluberlus qui me servaient d'amis semblaient m'encourager en face comme s'ils assistaient à un match. M'encourager à quoi ?
Ils chuchotaient en faisant des commentaires qui commençaient déjà à m'agacer. Pourquoi fallait-il qu'ils s'entendent si bien ?
Oui, je venais de mettre Jungkook dans la case « amis », là comme ça, spontanément.
Putain j'étais vraiment fatigué.
Je me raclai la gorge :
— Désolé de ne pas t'avoir reconnue, je...Je ne me mélange pas beaucoup aux autres, à part avec Jin hyung. Enfin, tu connais peut-être Jin hyung ?
Elle hocha la tête d'un air entendu :
— Tout le monde le connaît.
Oui pas faux, même la fille du département de droit le connaissait.
— Au fait, félicitations pour ta première place, aucun d'entre nous ne doutait de tes résultats.
Hein ?
— Comment ça ? Demandai-je soudain curieux en me tournant complètement vers elle.
Cela la fit rougir.
— Eh bien, mes amis et moi, nous savions que tu serais encore premier. Dongyul ne pourra jamais te battre.
— Qui ça ?
Elle ouvrit grand les yeux avant de se tourner un peu plus vers moi. En faisant cela, elle réduisait la distance entre nous, une proximité dont je n'avais pas l'habitude mais je ne m'en rendais pas compte tant ma curiosité avait envahi mon esprit.
—Dongyul, répéta-t-elle, celui qui est deuxième de notre promotion.
— Je ne sais pas qui c'est.
— Sérieusement ?
Ses yeux parcoururent mon visage à la recherche de je ne sais quoi. Soudain, elle se mit à rire vraiment fort, elle avait un drôle de rire et je la fixai, étonné. Elle se releva, rejetant un peu ses cheveux blonds. Je la trouvais trop maquillée maintenant que j'étais près d'elle.
— Sérieusement tu ne connais pas Dongyul ?
— Bah, non.
— Oh mon dieu, quand les autres vont savoir ça ! Lui, il est complètement obsédé par toi, il pense d'ailleurs que tu passes ton temps à le snober et tout...
Je fronçai les sourcils :
— Je ne snobe personne.
Elle rit encore et dans son hilarité me tapa l'avant-bras ce qui me fit reculer d'un coup. Je pris conscience de notre proximité et m'éloignai jusqu'à arriver au bout du canapé.
Elle sembla s'en rendre compte parce qu'elle s'arrêta, gênée :
— Pardon.
Elle sembla vouloir jeter un regard derrière elle comme pour vérifier le comportement de son copain mais ce dernier ne bougeait pas. Pourtant j'étais sûr qu'il n'avait rien loupé de la scène.
J'avais envie de partir maintenant, mais elle reprit la parole :
— Ne fais pas attention à Dongyul, c'est un jaloux frustré, il est très compétitif.
— Je ne sais pas qui c'est, répétai-je, je m'occupe pas beaucoup de qui se trouve dans le classement...
Sauf de Jin hyung qui figurait à la douzième place.
— Tu es différent de ce que j'imaginais, lança-t-elle en penchant un peu la tête dans une attitude qui se voulait mignonne mais que je trouvais étrange.
— Je suis bizarre, éludai-je.
— Oui et non...
Puis elle papillonna des yeux, s'apercevant qu'elle me fixait un peu trop et elle se recula aussi, rougissant un peu. Elle rougissait vraiment beaucoup, elle.
— Tu as changé de coupe de cheveux, j'ai du mal à m'habituer, tu avais les cheveux si longs avant...
Euh ok.
— Est-ce que je pourrai venir te saluer quand on se croisera à la rentrée ?
Je fronçai les sourcils avant de répondre :
— Euh... Oui...Si tu veux...
— Super !
Je ne comprenais pas son engouement.
— Tu sais, tenta-t-elle, certains de notre promotion ont des groupes de travail pour réviser et... Enfin ... Si tu veux, tu pourrais peut-être y participer ?
— Je ne révise pas en groupe.
Ma voix dut lui paraître bien tranchante parce qu'elle pâlit mais je repris :
— Enfin, je ne suis pas à l'aise quand il y a trop de monde...
— D'accord, ce n'est pas grave.
Mais elle semblait vraiment déçue.
Soudain une tête passa sur son épaule, le dénommé Sehun l'agrippa par la taille en se collant à son dos. Il leva les yeux vers moi, de ce même regard déconcertant.
— De quoi vous parlez ? Tu lui fais des propositions ?
Elle rougit d'un coup, tentant de se justifier nerveusement :
— Non, non... Aucun rapport Sehun ! On parlait de nos cours et des groupes de travail de ma promotion.
Il leva un sourcil inquisiteur avant de souffler :
— Il est si intéressant que ça ?
Poser cette question étrange juste devant moi en me regardant dans les yeux semblait presque être de la provoc' et je fronçai les sourcils sans comprendre. Elle, elle paniqua sans que je n'arrive à tout comprendre non plus. Mais elle ne cherchait pas à se dégager de son étreinte.
— C'est que... Taehyung est... Notre major de promo. C'est un génie et on aurait be...
— Je ne suis pas un génie, tranchai-je de nouveau de ma voix la plus grave sans la contrôler.
Les deux me regardèrent, je me mordis la lèvre de stress avant de prendre mon courage à deux mains et de clamer, plus sérieusement :
— Je ne suis pas un génie.
—Désolée, souffla-t-elle, c'est surtout que vu que tu as les meilleures notes depuis des années alors tout le monde... Enfin tout le monde pense que tu es un génie, on est tous un peu intimidés.
Soudain ça m'apparut comme une évidence.
Je comprenais pourquoi les gens de ma promotion ne me côtoyaient pas. Pourquoi ils me fixaient parfois, me fuyaient, me regardaient en coin.
La raison était mes résultats scolaires ?
Je les « intimidais » ? La bonne blague. C'était moi qui étais intimidé par eux la plupart du temps.
Elle ne poursuivit pas le cours de sa pensée parce que son copain se mit subitement à l'embrasser, à pleine bouche, là devant moi et je fis une moue dégoûtée.
Non mais ça n'allait pas de faire ça devant les gens ? Le bruit de succion, de salives mélangées, me fit froncer le nez.
Le pire ? Il gardait les yeux ouverts, me jetant des regards comme pour me défier. Ce type était vraiment flippant.
Il fallait que je rentre.
Je finis par me lever du canapé et récupérer mon manteau. Jungkook s'acharna pour me faire rester mais Jimin me vint en aide, me disant qu'il dormirait ici cette nuit puis me rejoindrai demain.
En partant, Jungkook me glissa un :
— Tu t'y prends bien avec les filles, hyung, mieux que je croyais, t'as toutes tes chances !
Il parlait sur le ton du commérage et je roulai des yeux en faisant une mine blasée. Cela le fit rire à nouveau et je sortis sans saluer qui que ce soit d'autre. Je traversai la rue, entrai dans mon appart, apercevant de l'autre côté de ma baie vitrée que Jungkook avait sorti d'autres boissons alcoolisées et je fermai les rideaux, coupant la scène. Il était tôt mais je me sentais si éreinté que je n'avais qu'une envie : dormir. Mais surtout le comportement de ce type m'avait effrayé et leurs roulages de pelle à quelques centimètres de moi m'avaient dégoûté. Néanmoins, sous la douche je me remis à penser à ce qu'elle disait.
Yongduk ? Donghae ? Ah non... Dongyul, c'était ça. Qui était ce type qui semblait me détester ?
Le second de la promo ?
J'ignorais qui était juste derrière moi en matière de résultats, je n'y faisais pas attention, mon esprit de compétition étant proche de zéro. Mais la compétition justement, était-elle si importante pour les autres ? Voilà pourquoi j'étais l'homme à abattre ? Était-ce pour ça qu'ils se comportaient si froidement avec moi ? Parce que j'étais premier ?
Certes, j'y étais aussi pour quelque chose, j'étais peu sociable mais je ne pensais pas que je pouvais les intimider.
Un génie ? C'était ça qu'on pensait de moi en me voyant ?
Moi, j'essayais juste de réussir au mieux mes examens, au maximum, je n'avais pas envie d'être un génie. Je n'en étais pas un, je m'efforçais d'être le plus normal possible tout en luttant contre mes démons intérieurs. Je préférais avant, quand je ne savais rien, quand ça m'importait peu, mais maintenant qu'elle avait dit ça, j'avais la sensation qu'on avait ouvert une porte que je n'avais pas vue jusque-là, une porte que je n'avais pas demandé à ouvrir. Agrémenté par le regard que ce Sehun m'avait porté toute la soirée, j'eus soudain peur de ce qu'on pouvait penser de moi.
Et cette peur venait rouvrir d'anciennes cicatrices, d'anciennes angoissesqui m'effrayaient tout autant qu'elles me torturaient.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro