14-
Je lâchai ma valise et contemplai ma chambre en prenant une grande inspiration. Ça sentait comme avant. Une légère odeur de renfermé, la lessive que ma grand-mère utilisait, l'odeur de la charpente et quelques fragrances de cuisine.
J'étais rentré à la maison.
Ma chambre m'accueillit, bien vide, elle l'avait toujours été, mon petit lit calé contre le mur, mon bureau et ma petite bibliothèque. Pas de gadgets, pas de figurines, pas de posters. Rien de spécial, à l'image même de mon existence. Vide et ennuyante. Et ça m'allait parfaitement comme ça. Il fallait que ce soit comme ça.
— Taehyung, tu viens manger ?
Je m'arrachai à cette vision et retournai dans la pièce principale. Mes grands-parents habitaient à Daegu, un peu loin de la ville. Environ quinze kilomètres. Mon grand-père était venu me chercher à la gare dans sa vieille fourgonnette qui ne possédait ni lecteur radio, ni chauffage.
Lui et ma grand-mère étaient cultivateurs et possédaient cette maison depuis toujours. Ce n'était pas du grand luxe, loin de là. On avait l'eau courante mais pas vraiment de salle de bain multifonctions, pas de clim l'été, ni de chauffage en hiver. Des portes battantes, des tatamis au sol. Une maison traditionnelle où la charpente craquait les jours de grands vents. Le voisin le plus proche était de l'autre côté du champ. Mais j'aimais cet endroit.
Je me souvenais avoir toujours adoré la nature, le silence, les courses avec le chien dans le champ de maïs, escalader les bottes de foin, nourrir les animaux, s'inventer des jeux imaginaires. Tout ça était bien loin maintenant mais j'éprouvais un calme agréable d'être de nouveau là. Ma grand-mère servit les plats, déposa les bols de riz et le kimchi puis avant de s'asseoir elle passa une main dans mes cheveux.
— Tu les as fait couper.
— Oui.
— Ça te va bien.
Elle avait vieilli, de nouvelles rides apparaissaient dans le coin de ses yeux et ses cheveux bruns avaient encore un peu blanchi. Ils avaient dépassé les soixante-quinze ans maintenant et si ma grand-mère me paraissait encore jeune avec son sourire adorable et ses fossettes mon grand-père lui, faisait vraiment son âge. Sa peau était sombre due au travail extérieur et marquée par les rides. Il ne parlait pas beaucoup, quand j'étais petit il disait toujours qu'il était doué de ses mains pas de ses mots.
Les repas faits maison m'avaient affreusement manqué, le goût de la cuisine de ma grand-mère notamment. Elle s'enquit un peu de mes nouvelles. Nous n'étions pas de grands parleurs dans la famille mais ça me convenait très bien.
— Comment va ton ami Jimin ?
— Bien. Il attend ses résultats pour les auditions de danse.
Mon grand-père grogna :
— Danser hein ? Il n'a pas changé d'avis ?
— Non.
— Est-ce que lui donnera un vrai métier ça ?
— Halabeoji, les jeunes d'aujourd'hui sont différents, le réprimanda doucement ma grand-mère, et puis Jimin est très doué, tu sais.
Mon grand-père était un type de la campagne, un terre à terre et bien qu'il appréciait mon meilleur ami, son attrait pour l'art de la danse lui paraissait incompréhensible. Quand j'étais petit, je voulais devenir saxophoniste et je me souvenais bien que ça ne l'emballait pas vraiment. Quand j'avais finalement changé de choix de carrière, il avait acquiescé, préférant que son petit-fils devienne médecin plutôt que musicien.
Je ne lui en voulais pas, il ne m'avait jamais rien interdit, seulement donné son avis.
— Il appelle de temps en temps, c'est vraiment un gentil garçon, prononça ma grand-mère.
— C'est vrai ? Il appelle toujours ?
— Toujours. Pendant les vacances scolaires il se propose toujours pour venir aider mais cette année on avait embauché le garçon du voisinage.
— Qui ça ?
— Junho.
— Quel âge il a maintenant ? Demandai-je en fronçant les sourcils.
— Il va avoir seize ans.
Déjà. Ça me paraissait étrange, je me souvenais encore du petit garçon qui me suivait partout.
Ma grand-mère parla encore de Jimin avant qu'elle ne change de sujet. Il fallait que je pense à appeler mon meilleur ami. Il ne m'avait pas dit qu'il continuait de prendre des nouvelles de ma famille. Il fallait que je le remercie pour ça.
— La vielle Chunha va me donner des fleurs après-demain.
Mon grand-père acquiesça et enchaîna :
— Alors je tâcherai de finir plus tôt.
Je m'arrêtai un instant puis repris mon repas.
Après-demain...
Le repas terminé, je me changeai, répondant distraitement à Jimin, lui disant que j'étais bien arrivé à la maison et rejoignis mon grand-père. Il n'eut pas vraiment besoin de me parler et je l'aidai pour la traite des vaches et pour porter les sacs de graines.
J'aurais pu devenir agriculteur moi aussi, cela aurait sûrement fait plaisir à Halabeoji si j'avais repris la ferme. Et pourtant il ne m'avait jamais incité vers cette voie-là, me disant de temps en temps de bien travailler à l'école et que les études étaient importantes. J'aurais pu avoir une vie tranquille, près de la nature, dans le calme. Je voulais devenir pédiatre mais maintenant que j'habitais à Séoul ce n'était qu'en quittant la capitale que je me rendais compte que je n'aimais pas vraiment y habiter.
La journée se passa, le lendemain aussi. J'avais les muscles endoloris, ça faisait longtemps que je n'avais pas eu à faire d'efforts physiques. Et puis il fallait bien admettre que je n'étais pas bien musclé.
Au matin du troisième jour je me levai plus tard, paressant un peu dans mon lit, les yeux rivés sur le plafond. Le matelas grinça quand je me relevai, le dos un peu raide. L'odeur du petit déjeuner m'accueillit une fois la porte ouverte et alors que ma grand-mère s'activait en cuisine, j'observai les fleurs posées à côté de la porte d'entrée.
C'étaient de belles fleurs sauvages, des fleurs des champs, de toutes les couleurs. Un bouquet un peu rebelle, loin de ces bouquets parfaits qu'on vendait à la capitale.
— J'aime bien ces fleurs.
— Je sais. C'est pour ça que la vieille Chunha m'a fait ce bouquet.
Elle se mit à sourire, creusant les rides près de ses yeux, et me caressa de nouveau les cheveux.
— Tu n'es pas habituée à ma coupe, hein ?
— Pas du tout. Tes cheveux me manquent mais c'est surtout la couleur qui m'interpelle.
— Désolé, Halmeoni.
— Ne t'excuse pas. Tu es très beau comme ça.
Je pris mon petit déjeuner et m'habillai rapidement et convenablement. Un peu avant midi, mon grand-père nous rejoignit, il se lava et enfila une tenue qu'il portait rarement, son ensemble de costume. On prit la fourgonnette et on se dirigea vers la colline. De là, dans le plus grand des silences on grimpa l'escalier aux marches de bois, saluant d'un signe de tête respectueux les rares personnes qu'on croisait dans le sens inverse.
En haut, la hauteur de l'endroit donnait sur les villages parsemés au milieu de la nature et à l'horizon, Daegu, cet amas de béton et d'habitations. J'embrassai cette vue avant de continuer mon chemin entre les stèles jusqu'à ce qu'on s'arrête devant une tombe. Elle était propre, quelques fleurs étaient encore là et ma grand-mère alluma les bâtons d'encens.
Dans le fond j'étais rassuré que mes parents soient là, proches de mes grands-parents, et que ma grand-mère notamment s'occupe de prendre soin de leurs tombes. Je déposai les fleurs et on resta tous les trois silencieux. Je ne savais pas quoi dire, depuis des années je me trouvais là, à contempler la pierre.
Devais-je vraiment m'adresser à eux ? Est-ce qu'ils m'entendraient ? Que devais-je dire ?
Papa, maman, je suis étudiant en médecine, tout va bien. Jimin est toujours mon ami et je crois que je m'en suis fait un autre, bien que je le craigne un peu. J'espère que vous allez bien... Ça me paraissait un peu risible mais je fermai les yeux. Je n'étais pas triste, pas spécialement. Je me sentais seulement vide.
Ma grand-mère avait les larmes aux yeux et mon grand-père, rigide et droit comme un i, semblait tendu. Il ne pleurerait pas, du moins pas devant moi, mais je pouvais sentir leur tristesse. Ma mère était leur fille.
Moi je ne ressentais rien.
Depuis longtemps maintenant, depuis l'accident. Peut-être que je préférais ne rien ressentir du tout.
Je fus le premier à m'éloigner et à retourner vers le point de vue. Mon grand-père fut le premier à me rejoindre suivit ensuite par ma grand-mère et toujours sans un mot, on reprit le chemin en sens inverse, rentra dans la voiture et on retourna à la maison aux alentours de treize heures. Ma grand-mère servit les plats qu'elle avait préparés plus tôt et personne ne parla. C'était toujours ainsi.
Après le repas, alors que je me dirigeais vers ma chambre pour me changer, mon grand-père me retint et secoua la tête.
— Pas aujourd'hui, je dois rejoindre Dongun pour aller en ville vendre de la volaille.
J'acquiesçai et je restai l'après-midi à feuilleter le manuel de Jin hyung, dehors, chaudement couvert sur la balançoire près de la maison à regarder le paysage.
Ce n'est que lorsque l'après-midi se mit à décliner que mon téléphone sonna. J'enfonçai ma main gantée dans la poche de ma grosse doudoune et le nom de « Jimin » s'afficha sur l'écran.
Je décrochai rapidement :
— Salut Jimin.
« Tae ! »
Sa voix était un sanglot déchirant et je me tendis d'un coup.
— Qu'est-ce qu'il y a ? M'inquiétai-je.
« Tu ne vas pas le croire... »
Il renifla avant de dire :
« J'ai été pris à la Seoul University !»
Hein ?
Je me levai d'un coup, le livre sur mes genoux se renversa et je criai :
— Ce n'est pas vrai !
Je l'entendis sangloter :
— Mais pourquoi tu pleures ?
« De joie, imbécile, de joie, Tae. Je suis tellement heureux si tu savais...»
Quelque chose enfla dans mon cœur et mes lèvres se tendirent dans un sourire me faisant mal mais qu'importait.
— Je suis si heureux Jimin, tu as réussi ! On a réussi ! On va aller dans la même université !
Il se mit à moitié à rire et à moitié à pleurer et je ne savais pas quoi faire de mon corps, j'avais envie de sautiller comme un enfant.
— Tu as reçu tes résultats alors ? Tu as été pris ailleurs ?
« Toutes. »
— Toutes ?
« T'y crois toi ? J'ai été recalé partout l'année dernière et maintenant ils me prennent tous.»
— Quand est-ce que tu arrives à Séoul ? Où vas-tu dormir ? Et tu as une bourse ?
« Tae, calme-toi ! »
— Je suis calme !
Ce n'était pas vrai, pas du tout et je me mis à marcher de long en large et en travers autour de la balançoire.
« Je dois en parler à mes parents, je suis au boulot là. Je te tiens au jus. Mais il reste encore presque deux mois avant la rentrée de mars donc j'ai le temps de m'organiser, sinon je peux toujours compter sur toi, hein ? »
— Évidemment.
Il y eut un silence.
« Tae, j'ai réussi... »
Il n'avait pas l'air d'y croire et je me mis à le féliciter sans pouvoir m'arrêter.
« Je crois que j'entends sourire à l'autre bout du fil. »
En effet je souriais et ma grand-mère le remarqua aussi alors qu'elle descendait dans le potager chercher du chou.
Elle marcha vers moi, inquiète :
— Taehyung, tout va bien ?
— Halmeoni, Jimin a été pris dans la même université que la mienne !
Elle lâcha son seau pour plaquer ses mains sur sa bouche puis se mit à sautiller de joie à son tour en répétant « omo, omo » et m'emprunta le téléphone pour féliciter mon ami qui riait dans le combiné. Comme des enfants, on se mit à sautiller tous les deux et ça me fit rire. Ce ne fut que lorsqu'elle passa de nouveau une main dans mes cheveux et sur mon visage que je me rendis compte que je pleurais.
« Tae ? »
— Hein ?
« Je dois retourner bosser, je te rappelle. D'accord ? »
— D'accord.
Il raccrocha et je regardai ma grand-mère avant d'effacer l'unique larme d'un revers de manche. Elle ne prononça rien, reprenant son seau en direction du potager et je levai les yeux vers le ciel de décembre. C'était stupide et je ne savais pas s'ils pouvaient m'entendre mais j'avais eu envie de dire quelque chose.
Papa, maman, aujourd'hui j'étais heureux, je crois. J'étais heureux pour mon ami, j'avais l'impression que mon cœur allait sortir de ma poitrine. Ça me faisait du bien de ressentir ça.
Mon grand-père, lors du dîner, accueillit la bonne nouvelle concernant Jimin avec un grognement satisfait puis un :
— C'est bien.
Puis il s'était tu mais c'était déjà beaucoup. Et alors que j'aidais ma grand-mère à débarrasser les plats, mon portable sonna de nouveau, un son de notification. Je l'attrapai sur le bord de la table avant de sursauter.
C'était un message de Jin hyung.
« Taehyung, les résultats sont tombés plus tôt que prévu, ils sont en ligne !».
— Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda mon grand-père alors qu'il fourrait le tabac dans sa pipe.
— Mes résultats sont arrivés.
Ma grand-mère s'interrompit dans un bruit de vaisselle et je me dépêchai d'ouvrir la page internet sur le portail de l'université et de rentrer mes codes. Mon cœur tambourina en voyant la page charger alors qu'un message de Jungkook m'apparut en notification. Je le chassai prestement.
Le temps sembla étrangement long et je cliquai sur les onglets pour accéder à mes résultats. Un nouveau message de Jin hyung perturba ma concentration et d'un mouvement agacé je le fis glisser sur le bord de mon écran.
Personne ne prononça un mot jusqu'à ce qu'enfin, mes notes apparaissent. Celles de l'année dernière, des deux semestres de mars à juillet et de septembre à janvier comptant pour ma première année avec le résultat final et le classement de promo. Je descendis la page, me mordillant nerveusement l'ongle de mon pouce.
On y était. J'écarquillai les yeux et relâchai un soupir de soulagement.
— Alors ? S'enquit ma grand-mère, les mains toujours dans l'évier.
— C'est bon.
Elle poussa aussi un soupir de soulagement et mon grand-père demanda :
— Et ton classement ?
J'appuyai sur l'en-tête, la page s'ouvrant sur chacune de mes matières et mes notes, je descendis rapidement jusqu'à la ligne du classement de promo.
— Premier.
Halabeoji acquiesça, claquant dans ses mains avant de poser une main sur mon épaule :
— C'est bien, Taehyung.
Rien que cette phrase, pourtant d'allure simple, me fit frissonner de reconnaissance. Ma grand-mère retira ses gants de cuisine et vint me caresser la nuque avant de me câliner.
— Tu as réussi Taehyung. Tu as bien fait, nous sommes fiers de toi.
Je sentis tout un bloc de stress s'évacuer de mes épaules et je me mis à respirer davantage. Avec cette grippe je n'étais plus sûr de rien, mais mes notes étaient bonnes partout, même dans la matière de Mr Do, l'horrible professeur de médecine général.
Les choses pouvaient continuer ainsi, j'allais garder l'appartement, j'allais aller à l'hôpital général de Séoul en stage. Tout irait pour le mieux. Les notifications de Jungkook se multipliaient mais je n'y répondis pas tout de suite. La maisonnée reprenait sa routine.
Oui, papa maman, je crois que j'étais vraiment heureux, maintenant. Je crois que j'arrivais enfin à le ressentir.
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