— Tu m'as traîné hors de chez moi pour un rencard !
La force de ma voix fit retourner les passants mais je n'y portais aucune attention. Plutôt que de se sentir coupable, le gamin rit un peu :
— Si je te l'avais présenté comme ça, tu n'aurais jamais voulu venir !
— Bien évidemment que non !
— Hyung, ce n'est qu'un rencard, j'ai fait un deal avec cette fille et ensuite elle me lâche les basques.
— Quoi ?
Il soupira :
— Je n'ai rien contre elle, elle est même très sympa, mais je ne suis pas attiré par elle.
Il me donna un coup de coude :
— Par contre elle pourrait te plaire !
Pardon ?
— Je n'ai pas l'intention de participer à un rencard !
Mais Jungkook m'agrippa le bras avant que je ne puisse m'éloigner.
— J'ai payé ta coupe de cheveux !
Je me dégageai brutalement :
— C'était pour ça ? Combien de temps comptes-tu continuer à me faire du chantage comme ça ?
Il fit la moue :
— Hyung, par pitié, arrête de te braquer pour rien ! Je retire ce que j'ai dit pour le coiffeur ! Tu n'avais rien à faire pour aujourd'hui et puis... Après ça, on sera quitte.
— Je m'en fous !
Il dut sentir que j'allais me carapater rapidement parce qu'il passa un bras autour de mes épaules et me tira tout en pivotant, un grand sourire aux lèvres.
— Salut les filles, ça va ?
Je me dégageai de sa prise et relevai la tête. Les deux jeunes femmes étaient arrivées presque jusqu'à nous.
L'une d'entre elles était petite, menue, portant un manteau blanc et dont les cheveux couleur miel étaient détachés et légèrement ondulés. Elle était habillée en robe avec des collants opaques sous des bottines marrons. Elle semblait nerveuse et rendit son sourire à Jungkook en rosissant.
Ça devait être donc celle-là. Clairement trop petite pour ses critères. Pauvre d'elle.
La fille qui l'accompagnait était brune, plus grande, ses longs cheveux lisses reposaient sur son manteau noir qu'elle portait au-dessus de ses escarpins. Ses collants étaient couleur chair et elle transpirait une sorte de confiance qui la différenciait bien de sa voisine.
— Je vous présente Taehyung. Hyung, voici Hayoung et Jihyo noona.
J'étais foutu maintenant qu'on avait commencé les présentations. Je les saluai faiblement d'un mouvement de tête.
Jungkook semblait complètement à l'aise et incita tout le monde à se rendre dans un café car la température était basse en ce mois de décembre.
Hayoung et Jungkook en tête, je me retrouvai derrière eux avec la brune, nous les suivions calmement mais sans un mot. Il ne fallut pas longtemps pour trouver un café à la décoration sympa et on se posa à une table. Je fixai la carte, me demandant ce que j'allais prendre comme boisson. Étonnamment pour quelqu'un qui ne voulait pas aller en rencard avec elle, Jungkook discutait bien avec la plus petite. Hayoung paraissait nerveuse. La brune à côté semblait pincée et bien plus froide.
L'idée même qu'elle avait encore moins envie que moi d'être là me rassurait un peu. Le serveur vint nous demander nos commandes et je me laissai guider par mon estomac et commandai un chocolat latte avec supplément chantilly. Hayoung prit la même chose que moi, Jungkook sembla crâner en commandant un café noir et Jihyo se contenta d'un thé au jasmin.
— C'est bien du thé en feuilles que vous faites ici, pas en sachet ?
Le serveur fronça les sourcils et répondit :
— Ce sont des sachets de thé conventionnels.
Elle claqua sa langue et prit une moue agacée :
— Je ne boirai pas quelque chose avec des pesticides dedans ! Avez-vous quelque chose à me recommander ne contenant, ni de lait, de ni de matière transformée ?
— Euh du café...
— C'est du café en grains ? De quel pays ?
Je fronçai les sourcils alors que Hayoung semblait mal à l'aise. La brune finit par trouver une boisson alors que le visage du pauvre serveur se décomposait.
Enfin lorsqu'il partit, il resta un petit silence autour de la table mais la jeune femme ne sembla pas comprendre qu'elle venait de plomber l'ambiance.
Hayoung se racla la gorge, semblant paniquer à l'idée que le silence puisse être fatal à son rendez-vous, elle se tourna alors vers moi.
Malheureusement.
— Et tu es donc Taehyung oppa, c'est ça ?
— C'est ça.
— Tu es à Séoul University aussi ?
— Oui.
— Hyung est en médecine, surenchérit Jungkook.
Soudain le visage de Jihyo pivota d'un coup vers moi, l'air intéressée. Hayoung écarquilla les yeux et me sourit :
— Je trouve que c'est vraiment un beau métier de vouloir devenir médecin. Tu as pris une spécialité ?
— Pédiatrie.
— En quelle année ?
Je regardai distraitement la brune qui semblait prendre la parole et répondit platement :
— Deuxième année.
Elle fronça les sourcils puis posa son visage sur le plat de sa main :
— Tu ne connaîtrais pas un Kim Seokjin à tout hasard ?
Je fronçai les sourcils :
— Tu connais Jin hyung ?
— Bien sûr, mais toi je ne te connais pas.
— Hyung et Jin hyung sont amis, précisa Jungkook.
Soudain les yeux de Jihyo s'agrandirent :
— Attends, ton nom de famille c'est Kim ?
— Oui.
Elle se releva légèrement, me faisant pour la première fois un sourire :
— Je ne t'avais pas reconnu, tu as fait un truc à tes cheveux, non ?
Jungkook ricana alors que je lâchais un soupir :
— J'ai traîné hyung chez le coiffeur avant de vous rejoindre.
— Je me disais aussi... C'est fou ce qu'une simple coupe de cheveux peut changer quelqu'un. Tu es Kim Taehyung, le major de promo ?
Sa phrase me fit froncer les sourcils et Jungkook et Hayoung me fixèrent, surpris.
— Pardon ?
— Tu es la « grosse tête » du département de médecine. Non ? Celui qui est toujours avec Seokjin oppa ?
Pourquoi ça n'avait pas l'air aimable dans sa bouche ?
— Je ne sais pas de quoi tu parles.
Elle se pencha en avant et me fixa droit dans les yeux :
— T'es bien le type qui a eu les meilleurs résultats au bac y a trois ans, non ?
— Euh...
— Major de promo ces deux dernières années et probablement cette année je suppose...
Jungkook me fixa, interloqué :
— Hyung, t'es major de ta promo ?
— Non.
— Ah bon ? S'étonna la brune. Tu as fini combien au classement l'année dernière ?
Je me rembrunis, mal à l'aise alors que le serveur revenait avec nos commandes, mais comprenant que tous les regards étaient fixés sur moi, et c'était fort désagréable, je lâchai d'un air plat :
— Premier.
Ça sembla être une victoire personnelle pour ma voisine d'en face alors que Hayoung et Jungkook ouvraient grand les yeux, simultanément, sous la surprise.
Manquait plus que ça, tiens.
— Hyung, je l'ignorais, pourquoi tu ne m'as rien dit ?
— Je ne vois pas en quoi j'aurais eu besoin de te le dire.
Jihyo croisa les jambes en portant sa tasse à ses lèvres :
— Je ne t'avais pas reconnu. Je ne pensais pas que tu avais ce genre de... visage.
Elle me détailla de la tête aux pieds de manière flatteuse mais sans gêne et cela me donna une impression désagréable. Pourquoi elle faisait ça ?
— Tu es censé avoir des lunettes, non ?
— Non.
Elle eut un petit rire amer :
— Eh bah qui aurait cru que je me retrouverais là, avec toi.
De nouveau ça ne paraissait pas très arrogant et Hayoung bougea sur son siège, mal à l'aise.
— Tu connais Jin hyung ? Questionnai-je à nouveau.
Elle rit un peu, jetant ses cheveux en arrière dans un mouvement gracieux :
— Qui ne connaît pas le type le plus canon de la promo de médecine ?
Ah.
Je fronçai les sourcils. Je me doutais que hyung avait du succès du fait de son physique mais pas à ce point-là.
— Et tu es dans quel département ?
— Droit. Deuxième année.
Bingo. J'aurais pu le dire rien qu'avec sa tenue ou son attitude. Bien que le dress code était libre à l'université, beaucoup d'étudiants s'habillaient selon un code vestimentaire spécifique à leurs études et futurs métiers. Elle, avec son long trench noir, sa jupe, sa chemise de satin blanche entrouverte, son maintien n'aurait pas pu être dans un département de sport ou d'art. C'était, certes, un jugement de ma part, mais mis à part les étudiants d'art qui sortaient du lot par leur originalité, nous ressemblions tous à nos voisins. Sans originalité aucune.
— Je ne savais pas que vous étiez amis vous deux ? Interrogea-t-elle, son regard allant de moi à mon voisin.
— On n'est pas amis.
— Hyung, singea Jungkook une main sur la poitrine, tu me brises le cœur.
— Ça aurait été surprenant en effet...
Elle laissa sa phrase en suspens et je me demandai ce qu'elle voulait dire par là.
En tout cas la singerie de Jungkook avait fait rire Hayoung et je me tournai vers elle, poliment.
— Et en quel département es-tu ?
— Sport.
Ça, par contre, je ne m'y attendais pas. Elle désigna Jungkook :
— On est dans la même promotion.
— Tu as une spécialité ?
— Oui, le patinage artistique.
Je levai un sourcil, curieux.
— On a une patinoire dans l'université ?
Cette phrase sembla les faire rire tous les deux et Jungkook secoua la tête :
— Sérieusement hyung ? On a un stade aussi, tu sais.
— Ça j'avais vu, comment aurais-je pu le louper vu la taille qu'il fait ?
— On a une piscine olympique aussi.
— Ah bon ?
— Tu n'as jamais fait la visite guidée du premier jour ?
— Non.
Hayoung se mit à sourire plus confortablement :
— Pour ta défense, le département de médecine est à l'opposé du nôtre.
Tout à fait.
— Ce café est immonde.
La bonhomie du moment retomba d'un coup alors que Jihyo reposait sa tasse, un air dégoûté sur le visage. J'aspirai avec ma paille et me contentai de hausser les épaules. Mon chocolat était bon, lui.
— Eonnie, soupira Hayoung.
— Quoi ? S'exclama l'autre. Ils ne sont pas fichus de proposer des boissons décentes, je suis habituée à du vrai café, moi !
— Comment vous vous connaissez vous deux ? Demanda Jungkook plus sérieusement, tâchant sûrement d'interrompre cette conversation.
— Nous sommes colocataires.
Je fronçai les sourcils avant de dire :
— Il y a des dortoirs dans la cité universitaire ?
— Non.
Jihyo parut outrée que je lui pose une telle question et elle me répondit sèchement :
— J'ai l'air de vivre dans une cité universitaire ?
— En quoi ça a un rapport avec ce que tu as l'air ? Répondis-je.
—Pardon ?
Elle rejeta encore ses cheveux en arrière et Hayoung poursuivit précipitamment :
— Nous partageons un appartement à six. Ça nous fait des économies et nos chambres sont plus grandes que celles des cités universitaires.
Pas bête comme idée. Je devrais penser à le dire à Jimin si jamais il était pris dans la même université que moi.
— J'avoue elles ne sont pas bien grandes, de vraies cages à lapin, commenta Jungkook.
Je le regardai, étonné, et il haussa les épaules :
— Je suis déjà passé faire un tour une ou deux fois.
— Yoongi hyung ne vit pas en cité universitaire ?
— Non, il a son appartement. Pareil, il est en coloc avec d'autres personnes.
Dans ce cas-là, j'aimerais bien savoir dans quelles circonstances il est allé faire un tour là-bas. Le sourire de Hayoung fana, arrivant probablement à la même conclusion que moi.
Elle devait bien le connaître, tout de même.
— C'est sûr que comparé à la taille de vos appartements « privilégiés »...
Jihyo me fixait, ses yeux m'envoyaient des éclairs. Je n'en comprenais pas la raison, avais-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Je prenais sur moi, ne pouvait-elle pas le voir ? Ce n'est pas comme si ce genre de situations m'était familier.
— Ah, toi aussi, oppa tu vis dans un appartement de l'université ? Me demanda simplement la plus petite des deux.
— On est voisins, l'informa Jungkook, son appartement est en face du mien.
— En même temps, l'inverse aurait été étonnant, ricana la brune.
— Comment ça ? Lui demandai-je.
— L'université adore donner des avantages aux « méritants », en tant que major de ta promo tu as le droit à des petits avantages...
De nouveau, je n'aimais pas le ton qu'elle prenait.
— Ça ne veut rien dire. Me défendit soudain Jungkook. Hyung n'est pas de ce genre-là. Les boursiers ont accès aux logements et crois-moi, je regarde suffisamment dans son salon pour le voir travailler comme un acharné. Il mérite cet appartement.
J'écarquillai les yeux, surpris du plaidoyer du gamin en ma faveur.
— Je m'en doute, grinça-t-elle, mais l'université favorise beaucoup plus les étudiants en médecine que les autres promos. Combien de personnes de ta promo ou même de ton département bénéficient de cet « avantage » ?
— Je ne sais pas, avouai-je.
Ce qui était vrai, je n'en savais fichtrement rien.
— C'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité, ceux du département de Droit ont beaucoup d'avantages aussi, ça ne sert à rien de nier, Hoseok m'en raconte pas mal ! Rétorqua Jungkook.
Elle se pinça la lèvre :
— La question c'est comment toi, qui n'est pas major de ta promotion, a fait pour avoir un appartement dès la première année ?
Hayoung le défendit d'un coup :
— Jungkook a eu d'excellents résultats au lycée, il s'est qualifié dans une dizaine de sports et dans des compétitions de haut niveau. Il a reçu pas mal de lettres de recommandation. C'est normal qu'il soit considéré comme « méritant » !
— Voilà, le sport et la médecine, on voit bien sur quoi l'université se fixe ! Cracha-t-elle.
— Je suppose que tu as fait une demande mais que tu n'as pas obtenu d'appartement.
Un silence suivit mon intervention et elle me fusilla du regard.
— Ce n'est pas comme si on avait demandé à avoir un logement, repris-je en sirotant ma boisson.
Jungkook acquiesça et compléta :
— D'autant plus que d'années en années si les résultats ne suivent pas on perd ce privilège...
Elle le fixa de haut en bas :
— De sales rumeurs circulent, disant que tu as trouvé un moyen de contrer ça. Tout le monde sait que tu es un cancre après tout...
Hayoung la fixa, outrée que de tels propos sortent de la bouche de sa colocataire. Moi-même j'étais vraiment surpris de la tournure de cette conversation, mais loin de le prendre mal, Jungkook se mit à lui sourire lascivement avec un clin d'œil.
— Cette rumeur m'est aussi parvenue...
Elle pinça les lèvres :
— Ta réputation te précède.
— Beaucoup de choses ne sont pas vraies, admit-il avec un sourire mi-amusé mi-charmant.
— J'aimerais bien savoir lesquelles sont fausses, après tout ce que j'ai entendu...
— Je répondrai à n'importe laquelle de tes questions, je peux même aussi donner des exemples, pour appuyer mon propos cela va sans dire...
Euh, attendez, Qu'est-ce qu'il faisait ?
Jihyo sembla rougir d'un coup et lâcha sa mine contrite pour laisser apparaître un léger sourire. Je jetai un regard à Hayoung dont le visage enjoué s'assombrissait au fur et à mesure des secondes et je poussai un soupir silencieux en dégustant ma boisson.
Que Jungkook soit joueur, ça j'avais déjà pu le voir, et je n'étais pas étonné qu'il ait une réputation à son compte vu le nombre de filles qui étaient passées sur son canapé en l'espace d'une année. Il semblait avoir peu de considération pour sa propre réputation, ainsi que pour la gente féminine. Mais qu'il se mette à draguer l'amie de la fille avec qui il avait un rencard sous les yeux de cette dernière, ça c'était vraiment moyen.
À croire qu'il le faisait exprès.
Et encore, je ne vous parlais pas de l'amie en question qui rentre dans son jeu sans se préoccuper une seule seconde de la pauvre Hayoung.
— Et sinon... Tenta la jeune fille d'une voix un peu étranglée, vous allez faire quoi pendant les vacances d'hiver ?
Jungkook sembla s'arracher à son jeu de regard avec la brune et comme si de rien n'était reporta son attention à son interlocutrice en face de lui.
— Sports, entraînements, matchs, la routine... Toi aussi, non ?
— Je rentre un peu dans ma famille mais sinon oui. Et toi, oppa ?
— Tu pars à Daegu demain, non ? M'interrompit le voisin en se tournant vers moi.
— Oui.
— Daegu ? C'est où ça ? Demanda Jihyo en levant un sourcil de manière inquisitrice.
— Au-dessus de Busan.
— Ah... La campagne.
Je me tournai entièrement vers elle.
— Tu es une fille de Séoul, non ?
— Tout à fait, comment l'as-tu remarqué ?
— L'arrogance avec laquelle tu parles des gens qui viennent d'ailleurs.
Ça ne parut pas lui plaire.
— Je ne suis pas arrogante !
— Ah bon ?
Cet échange semblait grandement amuser Jungkook mais pas Hayong qui essayait de faire de son mieux pour arrondir les angles.
— Toute façon j'aurais pu jurer que tu venais de la campagne, lâcha Jihyo.
— Pourquoi ?
— Tu as la peau foncée.
— Et ?
— Les campagnards sont toujours foncés.
— Ce n'est pas une généralité ça ?
— C'est une réalité, contrecarra-t-elle. Tu sais que le soleil est mauvais pour la peau, qu'on peut choper un cancer d'autant plus que c'est moche ?
— Je suis naturellement foncé, je ne vois pas où est le problème.
Elle ricana :
— Tu n'as jamais entendu parler de critères de beauté, non ?
— Ce n'est pas parce qu'il y a des critères qu'on est obligé de les suivre.
Elle fronça les sourcils et Hayoung rit un peu nerveusement :
— Je suis aussi de la campagne, m'informa la jeune fille, je viens de Gwangju, dans la province de Jeolla.
— Hoseok hyung vient de là-bas aussi, fit remarquer Jungkook.
— Oui, on me l'a dit mais je m'en serais rendue compte, quand il boit trop il parle en satoori...
La conversation semblait repartie de bon train mais Jihyo continuait de me fixer méchamment. Je n'avais pas spécialement d'émotion à son égard. J'étais seulement déjà fatigué de ses remarques acerbes et de son comportement. Visiblement la jeune femme n'appréciait pas ce qui ne semblait pas rentrer dans ses critères. J'espérais vivement que ce double rencard allait bientôt se terminer.
— Bon, on bouge ? On fait quoi ? S'activa Jungkook.
Oui, donc je pouvais clairement oublier l'idée de rentrer tôt chez moi.
— Oui, acquiesça spontanément Hayoung, tu veux faire un truc en particulier ?
— On peut aller à Gangnam, aux parcs d'attraction.
— Non.
Tous les regards convergèrent vers moi et Jungkook soupira :
— Hyung, tu recommences.
— Je ne veux pas aller aux parcs d'attraction, précisai-je.
— Pourquoi ? Tu as peur des manèges ?
Je me tournai vers Jihyo qui me faisait un sourire faux et admis :
— Oui.
Son sourire tomba et elle ricana :
— T'es bizarre, toi.
— Et ?
— Ça ne fait pas très viril. Les mecs d'habitude ne disent pas qu'ils ont peur de quelque chose.
— Tu ne dois pas connaître beaucoup de mecs.
— Personnellement, tenta Hayoung, j'ai peur aussi des montagnes russes...
— Bon, bah autre chose, lâcha Jungkook qui semblait particulièrement amusé de me voir parler avec la brune.
— Il y a une exposition d'art mais je ne sais pas si... commença la plus petite.
— C'est du vu et revu, lâcha Jihyo en balayant l'idée d'un revers de main, j'ai déjà assisté à toutes ces prétendues nouvelles expo à Londres et à New York !
Bah excuse-nous de ne pas voyager autant.
— Un karaoké ? Proposa Jungkook.
Elle ricana méchamment comme si l'idée était stupide et Hayoung proposa encore, timidement :
— Un ciné ?
— C'est quoi comme exposition ? Questionnai-je.
Hayoung me fit un sourire :
— Photographie. Plusieurs photographes célèbres étrangers exposent leurs œuvres...
— Ça me dit bien, lâcha Jungkook.
Jihyo sembla contrariée mais son amie lui tapota l'épaule :
— Ça ira ?
— Je me forcerai.
On se leva et Jungkook me tira jusqu'à la caisse, lorsque je compris que je devais payer je fis une drôle de tête.
— Pourquoi je paye pour elles ?
— Parce que c'est toi le mâle, ironisa-t-il.
— Et ?
— Eh bien c'est toi qui payes.
— C'est stupide.
— Pas vraiment, techniquement parlant ça marche toujours comme ça...
Je le fixai, interloqué :
— Tu veux dire qu'à chaque rencard tu es obligé de tout payer ? Continuellement ?
Jungkook s'interrompit dans son mouvement et se tourna vers moi :
— Tu poses la question comme si tu ne savais pas comment fonctionnait un rencard.
— Et ?
— Hyung, tu as déjà eu un rendez-vous, non ?
— Non.
Il ouvrit grand les yeux avant de balbutier :
— Ah ... ah bon ?
— C'est si étonnant ?
— Bah oui...
— Si tu le dis.
Je haussai les épaules et à contre cœur je sortis ma monnaie.
Je trouvais ça aberrant de devoir tout payer et me rappelai soudainement avoir déjà entendu Jimin se plaindre de ça tout en vantant les mérites d'un couple homosexuel. Les hommes partageaient et il n'y avait pas cette fichue tradition de tout régler.
Les deux jeunes femmes nous attendaient dehors et on se dirigea vers le musée. Si la combinaison Jungkook/Hayoung dura un moment après qu'on soit sortis du métro, mon voisin d'en face se retrouva, au bout de quelques temps, à marcher devant avec Jihyo. La brune était restée à côté de moi durant un moment sans qu'on échange un mot.
Après tout je n'avais rien à lui dire.
En tout cas, maintenant qu'elle était à côté de Jungkook, son visage semblait bien plus heureux et vu les expressions du gamin, ils semblaient avoir repris leur conversation de tout à l'heure accompagnée de leurs petits jeux de séduction ridicules.
On arriva en direction du musée et de nouveau, je dus payer la part de Jihyo alors que Jungkook payait pour Hayoung.
Il n'y avait pas beaucoup de monde et je pris tout mon temps devant les clichés, de grandes tailles. J'aimais beaucoup les musées. Vraiment.
Cette ambiance feutrée, silencieuse, solennelle, ces œuvres d'art accrochées, mises en lumière, cette impression que quelque chose d'important était là, attendant qu'on pose son regard dessus. Tout semblait si symbolique, si plein de significations.
Les photographies étaient d'une beauté, tout autant qu'elles paraissaient fortes, révoltantes voir même dures à regarder. Chaque photographe, une dizaine, avait un style bien particulier. Un photographe de guerre, de paysage, de portrait, de mode... Je ne faisais plus du tout attention à ce que les autres faisaient et ça m'importait peu, je préférais prendre mon temps, rester longtemps devant une œuvre, prendre le temps de l'observer de ressentir ce que l'artiste voulait montrer.
J'avais toujours voulu avoir un de ces vieux appareils photo à pellicule, malheureusement cela coûtait très cher et je ne pouvais pas demander ce genre de cadeaux à mes grands-parents.
— Oppa ?
Je me tournai vers la voix chuchotante de Hayoung et elle parla bas pour ne pas gêner les autres :
— Jungkook et eonnie sont déjà dehors, ils nous attendent.
— Déjà ?
— Oui, ils ont fini le tour très vite.
— Oh d'accord. Tu veux que je me dépêche ?
Elle ouvrit les yeux et secoua la tête :
— Non, prends ton temps. Vraiment.
— Merci.
Je continuai donc, et la jeune fille me suivait à une ou deux photographies d'écart jusqu'à ce qu'un reniflement m'interrompe. Je tournai la tête lentement vers la droite et observai Hayoung pleurer, une main plaquée sur la bouche pour étouffer ses sanglots. Bêtement, je restai coi avant de courageusement m'avancer.
— Est-ce que tout va bien ?
Elle secoua la tête et renifla :
— Pardon... C'est rien... Je...
Je tâtonnai mes poches de manteau et sortis un paquet de mouchoirs presque vide qu'elle prit en me remerciant.
J'étais censé faire quoi ? Ce n'est pas comme si ce genre de situations m'arrivait souvent. Je n'aimais pas voir les gens pleurer, ça me donnait envie de partir en courant.
— Je suis tellement stupide...
— Pourquoi tu dis ça ?
— C'était évident que ce rencard serait un fiasco...
— Je ne trouve pas que ça a l'air d'un fiasco.
Mais après, je ne m'y connaissais pas du tout.
Elle secoua la tête et voyant que les autres visiteurs la regardaient curieusement, je l'incitai à prendre la direction de la sortie. Dans l'escalier elle se remit à pleurer et je me raclai la gorge.
— Jungkook ne m'aime pas, hein ?
Je ne trouvai rien à répondre à ça et elle renifla bruyamment.
— Je sais bien que je lui ai arraché cette promesse de faire un rendez-vous avec moi quand il avait bu, c'était stupide de ma part...
Elle ricana un peu :
— Emmener eonnie aussi était stupide.
Tout à fait. Mais je me gardais bien d'ajouter quelque chose.
Elle reprit la parole après un temps, en reniflant par moments :
— Ils se sont dépêché de terminer les galeries, et je les ai suivis bêtement mais en sortant, ils étaient en train de s'échanger leurs numéros en se donnant des dates pour se revoir...Il lui a demandé de passer chez lui...
Oh.
Jeon Jungkook t'es vraiment le roi des abrutis, sur ce coup. Clairement ce gamin ne perdait pas de temps en besogne.
— Je... Tu veux que je fasse quelque chose ?
Pitié qu'elle réponde non, ou j'allais regretter d'avoir dit ça.
Elle me regarda de ses yeux rouges et secoua la tête :
— Non... Tu es déjà bien gentil de rester avec moi, oppa.
Gentil, je n'aurais pas dit ça, inutile surtout.
Avais-je vraiment le choix de toute façon ? J'avais envie de la laisser-là mais j'entendais presque la voix de Jimin me disputer s'il venait à apprendre que j'avais laissé seule une fille en train de pleurer. Alors je ne fis rien.
Elle s'essuya les yeux et prit une grande inspiration avant de se dire à elle-même :
— Bon allez, sois forte, cette journée n'est pas terminée, tu vas y arriver ! Allez Hayoung, tu tiens ta promesse c'est ta dernière chance d'avouer tes sentiments et ce soir tu pleureras en te disant de l'oublier pour de bon !
Mais elle repleura d'un coup et moi, stupidement je restais planté là à prendre racine. Cela dura un bon moment jusqu'à ce qu'elle se calme et tente de me sourire. Tout aussi hébété qu'elle l'était, je la suivis jusqu'à la sortie où Jihyo et Jungkook se trouvaient déjà, sans vraiment nous attendre, assis l'un à côté de l'autre sur un banc. Ils avaient l'air dans une profonde conversation, un brin trop proche l'un de l'autre.
Un brin seulement.
— Vous en avez mis du temps ! S'écria le gamin.
— J'aime prendre mon temps dans les musées, déclarai-je alors que Hayoung se cachait un peu derrière moi.
— Bon, on traîne en ville faire quelques magasins avant d'aller au bar ?
Ah, parce que ce double rencard n'était pas encore fini ?
Ça avait une fin, au moins ?
Pitié, dites-moi que ça va avoir une fin !
— Oui, faisons ça ! S'exclama Hayoung d'un ton bien trop enjoué pour qu'il soit vrai.
De nouveau il fallut marcher, prendre le métro et à mon plus grand malheur on retourna sur Hongdae. Il y avait encore bien plus de monde que dans l'après-midi.
Le soir commençait à tomber. Péniblement je les suivais de boutiques en boutiques. Le voisin d'en face faisait l'imbécile et Hayoung riait à ses blagues tout en essayant d'attirer son attention.
En vain.
Le moment le plus gênant fut où, dans une boutique, Jihyo repéra une paire de sous-vêtement en dentelle très légère et qu'elle le montra à Jungkook d'un air aguicheur :
— Ça m'irait, tu crois ?
Il lui fit un clin d'œil avec un sourire mutin et je levai les yeux au ciel.
Pitié qu'on me vienne en aide.
Enfin, on finit par trouver un autre café où se reposer autour d'une petite table dans de gros fauteuils.
Si c'était ça avoir un rencard, je préférais ne jamais recommencer.
Jungkook commanda de la bière et je me contentai d'un soda.
— Tu ne bois pas d'alcool ? Hyung, la dernière fois aussi tu m'as fait le coup...
— Je ne bois jamais d'alcool.
— Pourquoi tu fais ça ?
— Pourquoi pas.
— Tout le monde picole.
— Ce n'est pas parce que tout le monde le fait que c'est une bonne chose.
Il secoua la tête alors que Jihyo commandait un cocktail et que désespérément, Hayoung se décida à faire pareil.
— Tu ne bois jamais d'alcool ? Demanda la plus petite.
— Jamais.
— Tu loupes un truc hyung, une bière ne va pas te tuer.
— J'ai déjà goûté et je n'aime pas ça.
— Je ne connais pas beaucoup de monde qui ne boit pas d'alcool à nos âges, fit remarquer Hayoung.
— À part les nerds bizarres, ricana Jihyo.
Je dirigeai mon regard vers elle :
— Tu penses pas que tu juges un peu trop souvent les gens ?
Ma question sembla la dérouter mais elle fit la moue :
— Je constate, c'est différent.
— Vraiment ?
— Je ne juge pas ! Je dis ce que je pense.
— Ça tombe bien parce que ce que tu penses n'a aucune importance.
Mon ton de voix avait changé sans que je ne le maîtrise vraiment. Cette journée m'avait fatigué. Pire, j'en avais marre d'être là.
— Je peux savoir pourquoi tu es agressif envers moi depuis le début ? S'écria-t-elle.
— Je ne suis pas agressif. Je constate, c'est différent.
Ma réplique fit sourire Jungkook mais alors que Hayoung avait eu l'air paniqué un peu plus tôt dans l'après-midi, là elle arborait une mine renfrognée en direction de sa colocataire.
— Je vois, trancha Jihyo, monsieur le major de promo a raison à tout !
— Je ne vois pas ce que mes résultats scolaires viennent faire là-dedans.
Elle bougea mal à l'aise et jeta un regard à Jungkook :
— Ton ami est vraiment désagréable.
— Tu as dû mal entendre, mais j'ai déjà dit qu'on n'était pas amis.
Je la fixai platement et prononçai d'un ton morne.
— Pourquoi faire des sous-entendus tout le long de cet après-midi plutôt que de dire honnêtement ce que tu penses ? A moins que tu veuilles passer pour une hypocrite ?
Elle ouvrit la bouche et son expression se fit dure, détruisant subitement la beauté de son visage.
— Je déteste les types dans ton genre.
— Eh bien nous voilà fixés.
Je regardai ma montre et elle cracha :
— Dis-le si en plus on t'emmerde !
— Vous m'emmerdez.
Elle eut un hoquet de surprise et Hayoung écarquilla les yeux, de nouveau Jungkook pouffa dans sa barbe inexistante.
Je me levai, tirant mon portefeuille :
— Tu me juges mais tu ne me connais pas. Je ne vois pas ce que j'ai fait pour me faire détester. Je suis peut-être bizarre, un nerd ou quoi que ce soit, ce qui fait que tu me juges parce que je ne pense de la même manière que toi. Mais moi, au moins, je ne me pointe pas au rencard de mon amie dans le but de récupérer le type sur qui elle a des vues. J'espère qu'en rentrant chez toi ce soir, tu pourras te regarder dans la glace.
Je déposai les billets et lâchai :
— Sur ce, bonne soirée.
Je sortis du café en me massant la nuque, je ne m'étais toujours pas habitué à mes cheveux coupés et je frissonnai un peu. Je traversai la rue et retournai au métro. Une fois dans la rame, je fermai les yeux, adossé à la porte. Je crois qu'une migraine débutait.
Je pensais comprendre pourquoi les gens me fuyaient, même ceux de ma promo. Dans le fond c'était sûrement moi le problème. Mais je ne parvenais pas vraiment à être amical avec les gens autour de moi. Je n'arrivais pas à faire semblant, ni à faire des efforts. Et c'était encore pire quand mes interlocuteurs avaient une façon rigide de penser et de voir les choses et t'imposaient leur volonté et leurs jugements comme la vérité absolue.
Je quittai la bouche de métro et traversai le campus en direction de ma station. Comme habituellement, je pris le bus, arrivai à mon arrêt, rentrai dans le supermarché, achetai des ramens et rentrai chez moi.
En faisant chauffer de l'eau, je me mis à faire ma valise après avoir regardé et réservé mes billets de train pour demain. Ce ne fut que la valise terminée et mon repas entamé que la lumière se fit dans l'appartement d'en face. Je relevai la tête en voyant Jungkook rentrer, seul, un sac plastique dans les mains prouvant qu'il était passé au supermarché à son tour.
Il pivota la tête en direction de mon salon et me fit un grand signe auquel je ne répondis pas. Sans se démonter, il fouilla dans sa poche et tira son téléphone. Deux secondes plus tard le mien sonnait.
Je me relevai en soupirant et décrochai.
« Bien rentré ? »
— Non, comme tu vois je fais du deltaplane là...
Je l'entendis éclater de rire tout en le voyant poser son sac sur sa table basse.
Question conne, réponse conne.
« Tu étais en pleine forme hyung, aujourd'hui !»
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
« Tu ne veux pas savoir comment ça s'est terminé après ton départ ? »
— Pas vraiment.
Il sortit un bento du sac plastique et l'ouvrit tout en tenant son téléphone coincé entre l'épaule et la joue.
« Ça ne lui a pas plu que ce tu lui as dit. »
— L'inverse m'aurait étonné, Répondis-je en reprenant ma boîte de ramens à peine entamée.
« Hayoung lui a demandé de partir, j'ai bien cru qu'elles allaient se taper dessus mais Jihyo noona a fini par s'en aller non sans t'avoir insulté de tous les noms. »
— Me voilà habillé pour l'hiver, déclarai-je d'un ton plat.
Il rit encore, son rire était déformé dans l'appareil.
— Et ensuite ?
« Je croyais que tu ne voulais pas savoir ? ».
— Tu as commencé, tu finis.
J'aspirai mes ramens et je l'entendis mâcher avant de reprendre :
« J'ai parlé avec Hayoung et elle m'a fait sa déclaration... »
— Et ?
« Je lui ai dit non, elle n'a pas paru surprise. Ça s'est mieux passé que je l'avais cru, je pensais qu'elle allait pleurer mais elle m'a simplement souri et remercié pour aujourd'hui. ».
— Tu sais, je crois qu'elle a vraiment des sentiments pour toi.
« Je sais. »
Il y eut un silence et il reprit :
« C'est pour ça que j'ai fait les choses correctement. »
— Ah. Parce que tu appelles ça correctement, de draguer son amie devant elle et de lui prendre son numéro ?
« Justement. »
— Tu l'as fait exprès ?
« Pas vraiment. L'autre était carrément plus mon genre. »
Pitoyable.
« Hyung, je suis sûr que tu m'insultes par la pensée là !».
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Ça le fit rire à nouveau et il reprit :
« N'empêche, merci de m'avoir accompagné dans cette galère même si je suis pas sûr que tu aies apprécié. »
— J'ai aimé l'exposition de photos.
« Bah tant mieux. »
Le silence se poursuivit et Jungkook reprit :
« On est quitte, hyung. »
— A la bonne heure, répondis-je platement.
« Tu as l'air vraiment content, quoiqu'avec toi je ne sais pas quand tu es content... »
— Évite de me refaire ce type de chantage ? Le menaçai-je.
« Promis ».
Ça paraissait encore un « promis » qui sonnait faux.
« Tu reviens quand de Daegu ? »
— Dans trois, quatre jours je pense. Pourquoi ?
« Comme ça. »
— Je suis surpris que tu sois chez toi ce soir, tu ne devais pas aller à une soirée ?
« Tout à l'heure, je rejoins Yoongi hyung, je suppose que tu veux pas venir. »
— Non.
Il rit encore une fois et je soupirai :
— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle.
« Tes réactions, hyung. Tes réactions sont géniales ! »
— Jin hyung dit souvent ça aussi... Me fis-je la réflexion à voix haute.
« Tu m'étonnes. Je comprends mal comment tu peux être aussi amorphe. »
— Je ne suis pas amorphe.
« A peine » ricana-t-il. « Yoongi hyung est plutôt du genre froid mais toi c'est autre chose... »
— Si tu le dis.
Et de nouveau il y eut un silence durant lequel je me levai jeter l'emballage de mes ramens.
« Hyung, tu vas faire quoi ce soir ? »
— Lire le livre que Jin hyung m'a prêté.
« Mouais, de la lecture. »
Il n'était visiblement pas du genre à lire.
«Tu veux venir jouer aux jeux vidéo chez moi ? »
— Non.
« Pourquoi je savais que tu allais dire ça ? » soupira-t-il « Allez, hyung, une petite heure ! »
— Non.
« Pourquoi ? »
—On a passé une demi-journée ensemble, c'est plus que suffisant.
« Quand tu parles comme ça, on dirait que je suis un être insupportable ; ce n'est pas la première fois que tu me le dis. »
— Tu es insupportable.
« Yah ! Ce n'est pas vrai ! »
— Yah ? Je suis ton hyung, gamin.
« Désolé. »
— Ne pousse pas le bouchon, arguai-je, j'ai besoin de mon espace vital.
« Un espace vital ? »
— Je doute que ce soit quelque chose que tu comprennes...
« Tu as raison, je ne comprends pas. »
Il était à présent accoudé sur son balcon mais je restai derrière ma baie vitrée, protégé du froid.
« Hyung ? »
— Quoi ?
« Tu n'avais jamais eu de rencard, vraiment ? »
Je soupirai :
— Et alors ?
« Tu aurais dû me le dire, je ne t'aurais pas fait subir ça. »
— Aucune importance.
« Tu n'es jamais sorti avec personne ? »
Il me fixait, au loin, accoudé au rebord du balcon et je fronçai les sourcils.
— Pourquoi tu veux savoir ça ?
Je n'aimais pas la tournure que prenait cette conversation.
« Par curiosité, je suppose. »
— Arrête ça alors.
« Je sais pas, je suis curieux à ton égard. »
— Pardon ?
« Je ne comprends pas comment tu fonctionnes ».
— C'est toi qui me dis ça ?
« Bah oui pourquoi ? »
— C'est moi qui ne comprends pas comment tu fonctionnes.
Cela sembla le faire rire à nouveau mais il ne répondit pas tout de suite.
De toute ma vie jamais une expérience pareille ne m'était arrivée. Être là en train de parler à mon voisin d'en face. On se voyait mais nos voix sortaient des combinés contre nos oreilles.
Des mois auparavant j'étais là aussi, dans cette position à l'observer, lui, sans qu'il ne me voie.
Aujourd'hui tout était différent et je ne savais pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose.
« Hyung ? »
— Quoi encore ?
« D'où elles viennent tes cicatrices ? »
On y était. Je crispai mes doigts sur l'appareil et me tendis d'un coup, tournant le dos à la fenêtre, même ma voix se fit plus sombre et plus virulente :
— Tu n'as pas besoin de le savoir !
« Désolé, hyung. Désolé », paniqua-t-il.
Je remis en place mes affaires au centimètre près, j'entendais toujours la respiration du gamin dans l'appareil.
Qu'est-ce que je faisais encore là, au téléphone avec lui ?
J'avais envie de raccrocher, une partie de moi semblait perdre le contrôle de quelque chose.
Ce gamin s'immisçait dans mon quotidien, dans ma vie.
« Désolé hyung, ne te braque pas. Je... Tu n'es pas obligé de me le dire, tu as raison. »
— Ne pose plus jamais cette question !
« D'accord. Promis. »
Et cette fois, ce « promis » sonnait vrai.
Le silence suivit mais il reprit :
« Hyung, ça te dit qu'on devienne amis ?»
Le livre de Jin hyung que je tenais pour le mettre sur ma table de chevet me glissa des doigts et je me relevai d'un coup, jetant en travers de mon salon jusqu'au salon d'en face, un regard interloqué.
— Pardon ?
« Je sais que ça fait affreusement niais de le demander comme ça... » Commença-t-il.
— Pourquoi tu veux devenir ami avec moi ?
« Deux fois aujourd'hui tu as dit qu'on n'était pas des amis, eh bien figure toi que ça m'a un peu vexé. »
— Mais on n'est pas amis, on est voisins.
« L'un n'empêche pas l'autre. »
— On ne se connaît pas.
« Pas encore. »
— Non.
Je l'entendis soupirer :
« Hyung. Tu sais, au pire ça ne change rien, ça rend juste les choses plus officielles. Je t'ai aidé, tu m'as aidé, on discute bien, on s'entend bien. C'est déjà de l'amitié, non ? »
— Je ne vois pas pourquoi tu insistes.
« Je sais pas, j'en ai envie. »
Je pris une grande inspiration avant de reprendre ma place près de la fenêtre :
— Tu te souviens que je suis bizarre ?
« Comment l'oublier ? » plaisanta-t-il.
— Et amorphe.
« Je commence à m'habituer. »
— Je ne suis pas doué pour les amitiés, tu pourras demander à Jimin.
« Je lui ai déjà demandé. »
— Ah bon ?
« Je te l'ai dit, on échange beaucoup, on parle souvent de toi. »
— De moi ?
« Entre autres. Jimin hyung ne m'a jamais rien révélé à ton sujet mais par contre il m'a dit... »
— Il t'a dit quoi ?
« Que tu allais me rejeter en bloc si je voulais devenir ton ami. »
Il frissonna sur le balcon et revint se mettre au chaud dans son salon.
— La preuve.
« M'en fous. »
—Tu es bizarre.
« On me l'a jamais dit, ça, avant toi. Alors disons que ça nous fait un point commun. » S'exclama-t-il avec bonne humeur.
Je lâchai un profond soupir et ne répondis pas. Le silence s'éternisa, Jungkook avait fini par se vautrer dans son canapé et zappait sur sa télévision. Je le regardai faire, mon esprit un peu perturbé. Certes, Jin hyung ne m'avait jamais demandé d'être son ami et je ne savais pas si je me sentais comme tel. Je l'appréciais.
Par contre je n'appréciais pas le gamin mais lui me demandait d'être son ami. Dans quel monde je vivais ?
Enfin, c'était un peu faux. Rien que de constater la facilité que j'avais à échanger avec lui je me rendais compte qu'il était un peu tard pour revenir en arrière.
Mais comme toujours le voisin d'en face m'effrayait. Plus que le poids de mon voyeurisme toujours présent, je craignais ce qu'il pouvait faire à mon quotidien. Il était déjà bien trop là, bien trop en train de me mettre dans des situations que je ne souhaitais pas. Comme l'avait dit Jimin, impossible de savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose.
— Je ne sais pas.
« Hein ? »
— Je ne sais pas, répétai-je.
« Comment ça, tu ne sais pas ? »
— Tu ne peux pas comprendre.
« Hyung, c'est simple, c'est oui ou non. Ce serait même plutôt oui si on constate tout ce qui est arrivé depuis qu'on se connaît. »
Depuis que toi tu me connais. Nuances.
— Justement.
« Justement quoi ? »
— C'est ce qui me fait hésiter...
« Pourquoi ? »
— Tu es l'opposé de moi, tu as remarqué ?
« J'ai remarqué. »
— Et tu ne connais pas mes limites...
« Je commence à les voir. »
— Oublie cette idée, ça vaudra mieux.
« C'est mal me connaître ça. »
Il se releva quelque peu alors que j'entendis l'écho d'une notification venant de son téléphone.
« Ça doit être Yoongi hyung. »
— Bonne soirée alors.
« Hyung, attends ! »
—Quoi ?
« Dès que tu rentres de Daegu, envoie-moi un message. »
— Pour quoi faire ?
« Pour qu'on se voie, qu'on fasse un truc, une bouffe ou... »
— Non.
Il se mit à rire :
« Tu es buté. »
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Il rit plus fort avant de me faire un grand sourire de l'autre côté de la rue.
« A plus tard hyung. »
Je répondis au bout de quelques secondes :
— A plus tard.
Quand je raccrochai le téléphone était brûlant et je fermai les rideaux avant d'aller prendre ma douche. En me glissant sous ma couette, quelques minutes plus tard, le livre de Jin Hyung dans la main sur des cas cliniques écrits par des médecins, je me sentis étrangement bizarre.
Je fis le constat que cette conversation m'avait rendu un tantinet heureux. Un tantinet seulement. Ça me paraissait incompréhensible, mais l'idée que ce gamin voulait devenir mon ami me fit du bien. J'étais bizarre, amorphe, clairement un voyeur repenti, à l'opposé exact de sa vie parfaite, mais malgré tout il ne me traitait pas comme un pestiféré. Mieux, il voulait être mon ami.
Ça m'arrivait si peu souvent que je ne pouvais pas le rejeter. Et dans le fond, cela me réchauffa le cœur.
Mais jamais je ne l'admettrais devant lui.
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