Lors d'une sortie scolaire datant du collège, ma classe avait remporté un concours pour visiter la résidence principale de la famille royale. Âgée de douze ans, je trouvais déjà que l'endroit empestait la richesse. J'avais éprouvé un profond sentiment de jalousie et d'envie. Deux émotions négatives que je me suis promise de ne plus jamais ressentir par crainte de devenir comme ma génitrice. Maintenant âgée de vingt-cinq ans, j'éprouve toujours un certain mal-être dans ce lieu historique. Les circonstances de ma visite sont différentes aujourd'hui, mais je sens le petit démon appelé jalousie refaire surface.

Je prends une grande inspiration pour apaiser ce mauvais côté de moi-même. Je ne suis plus une enfant, mais une jeune femme présente pour le travail. Mon regard parcourt la taille impressionnante de la salle de bal vide. La taille du lustre rivalise sérieusement avec mon appartement. Les riches ont-ils vraiment besoin d'étaler leur argent ? Je ne par même pas des dorures ornant les murs et le plafond. Aucun endroit ne peut rivaliser avec la beauté que dégage cet endroit. Une femme d'une cinquantaine d'années aux cheveux blonds cendrés s'avance dans ma direction d'une démarche assurée.

— Mademoiselle Adler ?

J'avale ma salive de travers, l'estomac noué.

— Oui c'est moi.

— Heureuse de faire votre connaissance. Je suis Katherine Delacroix, la responsable de l'organisation du bal d'anniversaire de notre tendre roi. C'est un plaisir de pouvoir échanger en face à face.

Nous avons eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises au cours des derniers jours lorsque j'ai accepté de me joindre au projet. Je ne peux m'empêcher d'être impressionnée d'être en compagnie d'une femme aussi connue que Katherine Delacroix. Elle est une organisatrice d'exception française célèbre à travers le monde. Il faut bien entendu avoir un certain budget pour avoir recours à ses services.

— Notre collaboration sera une brillante réussite, j'en suis certaine ! Vos créations dégagent une certaine délicatesse et un aspect romantique. Je n'ai pas pu m'empêcher de consulter vos réseaux sociaux afin de me familiariser avec votre style et trouver notre petite perle.

Les talons de Katherine résonnent sur le plancher coûteux. La décoratrice tend les bras afin de me montrer une zone précise, la voix douce.

— Les tables seront dressés à cet emplacement avec une thématique dorée et bleu clair. Mon équipe et moi avons pensé à ce que chaque bouquet reprenne ces couleurs pour être en harmonie avec le reste de la salle.

— C'est tout à fait faisable.

Je ne perds pas une seconde et commencer à noter les informations de la décoratrice sur mon portable. Cette opportunité de travailler pour la couronne et Katherine Delacroix n'est pas à prendre à la légère. Elle attend beaucoup de moi, ce qui me pousse à être attentive. Une arche florale, des centres de table, un grand bouquet pour le roi, une couronne de fleurs pour la princesse ainsi que des masques pour chaque membre de la famille royale. Je prends soin de tout écrire pour ne rien oublier, je me mords la lèvre avec inquiétude. Katherine n'a pas de temps à perdre, elle ne perd pas de temps à répéter.

— Comme chaque année, nous donnons le meilleur nous-mêmes pour offrir une réception réussie pour tout le monde. Le travail d'équipe est la clé du succès alors je tiens à ce que nous travaillons ensemble.

Le sourire de Katherine a une pointe de menace que je perçois. On compte sur un travail de qualité pour ne décevoir personne et je joue un rôle important dans la réussite de cette soirée. Mon entreprise n'a pas le droit à l'erreur sous peine de mettre la clé sous la porte, ce qui m'est impossible. Je ne me suis pas donnée autant de mal pour être contrainte à fermer ma boutique.

Nous marchons en direction d'une petite salle dans laquelle se trouve une grande table et une équipe rassemblée pour l'organisation. Ils évoquent le nom des musiciens, la couleur des chandelles, les plats, le nombre d'étages pour le gâteau... C'est un monde complexe auquel je ne m'intéresse pas en temps normal, mais il va falloir que je sois concentrée. Je suis bien contente de ne m'occuper que des fleurs. Katherine dépose son sac sur une chaise en lançant un regard aux notes prises par ses coéquipiers.

— Cette nuance de bleu est abominable, qui a eu cette idée ?

Elle soulève un tissu d'un bleu roi éclatant. Un homme aux cheveux roux lève la main, mal à l'aise. Je contemple la scène en retrait ne sachant quoi dire pour soulager l'atmosphère pesante dans la pièce.

— Cette couleur est trop utilisée lors des réceptions comme je l'ai dit lors de la réunion précédente, mais comme toujours tu n'as pas pris soin de prendre des notes, Hector. Essaie de te laver les oreilles et d'écouter, ça ne te ferait pas de mal.

— Désolé, Katherine.

Le dénommé Hector ne cesse de s'excuser en bafouillant. La décoratrice ne lui accorde plus d'intérêt et se rapproche de moi avec un sourire chaleureux. Je ne suis pas une imbécile, je sais que Katherine est susceptible de jouer un rôle.

— Je vous présente notre fleuriste fraîchement recommandée par la reine. Daphné est une perle rare, elle va réaliser de magnifiques réalisations pour la réception. Elle se joindra à nous pour des entrevues sur l'avancement de l'événement.

Katherine sort son portable de sa poche afin de m'ajouter dans le groupe de conversation. Mes responsabilités augmentent soudainement. Je suis au centre de l'attention, ce qui ne me plaît pas vraiment. Je croise le regard d'une jeune femme aux cheveux rouges à l'allure familière et m'empresse de détourner le regard. Est-ce que la poisse me suit-elle où que j'aille pour croiser une personne de mon passé ?

— Ce nom sonnait familier dans mon esprit et maintenant je sais pourquoi ! Tu te souviens de moi ?

Je mords ma lèvre en secouant la tête.

— Lola Russo. On était dans la même classe en Seconde, on séchait parfois le cours de mademoiselle Smith ensemble. Je n'ai pas toujours été tendre avec toi, mais on rigolait tout le temps !

Mon corps se tend de lui-même à la simple évocation de cette abominable période. Lola Russo était une garce impitoyable et ne pouvait s'empêcher de tourmenter mon frère. Elle n'a pas supporté que Lowell la repousse pour un autre garçon et s'est vengé en balançant ses affaires dans les toilettes, lui volait le peu d'argent que nous avions pour manger à la cantine et propageait des rumeurs horribles. La rage me submerge aussitôt lorsque je reconnais enfin les traits de la fille qui a tourmenté Lowell pendant trois ans.

— Je me souviens de toi.

Je m'avance d'une démarche presque menaçante. Je penche la tête sur le côté, un sourire moqueur aux lèvres.

— C'est étonnant de ne pas te voir travailler en tant que mannequin comme tu le prétendais à l'époque. Ne te méprend pas, ton métier est très respectable, mais c'est différent de ce que tu aspirais à être.

— Le lycée c'est loin aujourd'hui !

Lola camoufle sa gêne derrière un sourire, mais je ne suis pas dupe. Je continue d'observer avec soin l'ancienne harceleuse. Katherine intervient juste à temps.

— Maintenant que les présentations sont faites, nous pouvons poursuivre notre travail. Je vous remercie d'accepter une collaboration entre votre commerce et notre agence.

— C'est tout naturel.

L'organisatrice m'invite à me joindre au groupe de travail. Je ne m'attendais pas à rencontrer autant de personnes en seulement une journée. Pour être tout à fait franche, je ne suis pas habituée à travailler en équipe. Cela ajoute une pression supplémentaire, mais je ne laisserai pas la peur gouverner ma vie. Je m'installe sur une chaise libre en lançant un sourire timide à l'ensemble des personnes présentes. Lola est la seule à ne pas participer en raison de notre petite confrontation. Katherine dépose une tasse contenant un café bien chaud devant moi puis reprend la parole.

— Aucune information concernant le bal ne doit circuler sur les réseaux sociaux. Nous ne voulons pas que la catastrophe de l'année dernière se reproduise, je tiens à ma place auprès de la famille royale.

La catastrophe en question est une simple fuite des préparatifs de la soirée d'anniversaire du souverain. Je me souviens de m'être moquée de la conférence de presse de la reine. Elle avait un mouchoir dans la main et parlait d'une voix tremblante. Je masque mon sourire moqueur avec ma tasse pour ne pas attirer l'attention sur moi.

— Elle craint surtout que le Voleur de Secrets saute sur cette occasion pour mettre sa menace à exécution. Quelle audace de menacer la famille royale ! s'exclame une fille aux boucles blondes.

Le dernier épisode du podcast suscite de vive réactions dans tout le pays. Je n'ai pas encore eu l'occasion de l'écouter, mais je vois bien que tout le monde en parle. Est-ce aussi choquant ? La blonde remarque mon trouble puis me tend un écouteur. Je le glisse dans mon oreille lorsque la voix masculine déformée par l'intelligence artificielle prend la parole.

— Les secrets alimentent notre monde, mais que pensez-vous de ceux de notre famille royale ? Il est bien croustillant de s'attaquer aux proches et membres de la noblesse, mais qu'en est-il des dirigeants de notre pays ? Votre dévoué chroniqueur.se est désormais prêt.e à percer tout ce que cache la royauté. Une couronne ne préserve pas tout.

La blonde coupe l'épisode en m'assurant que la suite est bien moins croustillante, il est question de nouveaux secrets sur une tierce personne populaire. Je commence à comprendre les réactions autour de moi. Le Voleur de Secrets a-t-il conscience de jouer avec le feu ? Il risque une grosse peine de prison avec une amende pour ses agissements. J'espère pour lui que le responsable ne se fera jamais prendre. Mais peut-on échapper aux conséquences de ses actes en se cachant derrière un pseudonyme et une voix déformée ? Cela finit toujours par nous rattraper.

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29.12.2024