Depuis sa voiture, Lauren avait entendu les coups de feu. Elle appela immédiatement Harry sur son téléphone et celui-ci lui enjoignit d'attendre à l'intérieur de la voiture. C'était la chose la plus prudente à faire mais Lauren se sentait très mal à l'idée d'obéir. Et si ces ados avaient besoin d'aide ?

Hésitante, elle sortit du véhicule et vit une adolescente échevelée et couverte de peintures de guerre apparaître à la porte. Celle-ci lui faisait signe d'approcher. Elle s'avança prudemment et l'adolescente courut à sa rencontre.

- On a besoin d'aide ! cria-t-elle. Il faut emmener Lloyd à l'hôpital !

Elle l'entraîna à l'intérieur. ‌Le hall d'entrée débouchait sur un petit salon et Lauren eut un haut-le-cœur. Un adolescent gisait sur le sol, baignant dans son sang. Trois autres ados dont Jeremy se trouvaient là, et l'un d'eux se tenait assis par terre, une jambe couverte de sang...

Tous les regards étaient tournés vers Lauren et elle se reprit. Elle était la seule adulte présente, il fallait qu'elle fasse quelque chose. Elle avait suivi des cours de secourisme à la fac et des bribes lui revinrent à l'esprit. Elle se pencha et posa deux doigts sur le cou du garçon étendu par terre. Il n'avait plus de pouls et à en juger par ses blessures, il était impossible de le réanimer.

- Lloyd est blessé, insista la fille aux peintures de guerre. S'il vous plaît !

C'était vrai, et il avait l'air d'avoir très mal. Lauren se rappela qu'en cas d'hémorragie, il fallait d'abord empêcher le sang de couler. S'il n'y avait pas d'hémorragie, ce qui était le cas, il fallait tout de suite appeler les urgences.

- J'ai un véhicule, annonça-t-elle. Je t'emmène à l'hôpital le plus proche. L'un de vous viens avec nous, les deux autres restent et essaient d'appeler la police, d'accord ?

- Je viens ! décida Jessie.

Elle aida Lloyd à se remettre debout et elle et Lauren l'aidèrent à marcher jusqu'à la voiture. Celui-ci ouvrit des yeux ronds en la voyant :

- C'est la caisse de mon père !

- Il me l'a prêtée, expliqua Lauren. Ma compagne et moi avons été attaquées dans la rue et il nous a accueillies pour la soirée.

- Super ! Je veux dire, super qu'il vous ait aidées. Pas super qu'on vous ait attaquées.

Jessie aida Lloyd à s'installer à l'arrière et Lauren programma le GPS pour se rendre à l'hôpital. Lloyd ferma les yeux. La douleur était toujours présente mais moins vive qu'auparavant. Les lumières de la rue défilaient, trop lentement pour leur goût à tous les trois. Il était impossible d'accélérer dans une rue pleine d'enfants et le temps jouait contre elleux.

- Vous pouvez pas aller plus vite, putain ? s'énerva Jessie.

- J'aimerais bien !!!

Jessie resta silencieuse un instant. Ensuite, à la grande surprise de Lauren, elle annonça :

- Je m'excuse. J'aurais pas dû vous parler sur ce ton. C'est le Venin, ça rend super énervé...

- D'accord...

- A gauche ! proposa soudain Jessie. La rue qui longe le cimetière. Personne n'ose s'en approcher par une nuit pareille !

Lauren obtempéra et découvrit une rue sinistre. Les arbres étendaient leurs branches et projetaient des ombres qui évoquaient des ombres et des créatures monstrueuses. Aucun.e enfant ne s'y risquerait et c'était exactement ce qui leur fallait. Après avoir enchaîné quelques rues, la voiture quitta la ville et Lauren appuya sur le champignon avec un profond soulagement.

- On y sera dans cinq minutes ! annonça-t-elle.

- Lloyd, tiens bon ! lança Jessie.

Lloyd ne répondit pas. Il venait de tomber dans les pommes. Jessie commençait à paniquer. Elle lui tapota la main, le secoua, en vain. Il respirait doucement mais son visage était devenu blanc comme de la cire.

- Je devrais peut-être le griffer, non ? suggéra-t-elle.

- Le quoi ?! s'étouffa Lauren.

- Le griffer pour lui donner le Venin. Ça le ferait guérir plus vite. Mais en même temps, il nous a dit de ne pas lui donner le Venin. Est-ce que ce serait mal...

- On y est !

En effet, elles se trouvaient devant un immense bâtiment blanc dont les lumières découpaient des rectangles jaunes dans la nuit. Lauren se gara en hâte et se précipita à l'intérieur.

- On a besoin d'aide ! cria-t-elle à la réceptionniste. J'ai un blessé dans ma voiture, une balle dans la jambe. Vite !

L'instant d'après, un groupe de personnes en blouse blanche aidait Lloyd à sortir de la voiture. Lauren fut bombardée de questions et elle répondit à grand-peine. Non, elle n'avait aucun lien de parenté avec ce garçon. Elle connaissait juste son prénom, Lloyd. Quelqu'un lui avait tiré dessus et elle l'avait emmené à l'hôpital, c'était tout. La jeune fille avec elle, Jessica, était une de ses copines de classe, elle connaissait sûrement son nom de famille. Oui, elle avait le numéro de ses parents. Non, elle ne savait pas pourquoi ça sonnait occupé...

Lauren et Jessie patientèrent ensemble un moment. Jessie avait l'impression de détonner avec son accoutrement déchiré par endroits, ses peintures de guerre et ses yeux toujours orangés. Lauren sortit son téléphone à deux reprises et hésita. Fallait-il mettre les parents de Lloyd au courant tout de suite ou attendre un peu ?

C'est là qu'un médecin apparut et se tourna vers Lauren :

- Le docteur Crane va opérer votre ami, annonça-t-il.

- Quelles sont ses chances ? demandèrent Jessie et Lauren en même temps.

- C'est un excellent chirurgien, il est entre de bonnes mains. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il lui faudra une longue rééducation.

- Ça, c'est nul, fit remarquer l'adolescente. Il joue au base-ball !

- On pourra lui parler dans combien de temps ? s'enquit Lauren.

- Au moins deux heures. Ce serait bien si vous appeliez ses parents.

Lauren acquiesça et remercia le médecin, puis décida d'envoyer un message à Harry et Heather via le réseau social. Elle se sentait le cœur noué. Comment annonce-t-on à des parents que leur enfant est à l'hôpital ? Elle répéta l'information plusieurs fois dans sa tête puis l'annonça dans le téléphone :

- Harry, j'ai une mauvaise nouvelle. Lloyd est blessé, j'ai dû l'emmener à l'hôpital. On l'opère en ce moment, ses jours ne sont pas en danger.

- Quoi ?!

Lauren lui répéta tout le plus calmement possible. Harry semblait réagir avec un temps de retard. Peut-être qu'il ne réalisait pas encore.

- Je vous ramène Jessica, décida Lauren. Ensuite, vous pourrez reprendre votre voiture et conduire jusqu'ici.

- Non ! protesta Jessie. Lloyd, c'est mon pote. Je veux rester près de lui !

- Il faut que je prévienne tes parents, fit remarquer Harry. J'ai la responsabilité d'un groupe, je ne peux pas le quitter pour le moment.

Un petit brouhaha se fit entendre au bout du fil. Il était manifeste que les gens autour de Harry lui disaient qu'il avait le droit de se rendre au chevet de son fils. Et puis la voix de Harry se fit entendre à nouveau :

- D'accord. Heather va s'occuper de tout et je viens tout de suite. Vous pouvez me rappeler le nom de l'hôpital ?

Lauren répondit, demanda à échanger quelques mots avec Jane, puis raccrocha et regarda autour d'elle. Jessie semblait vraiment abattue.

- Je te paie une boisson, décida-t-elle en avisant un distributeur automatique.

- Merci.

Jessie choisit un soda et Lauren, un café noir. Elles burent ensemble, sans un mot, et Lauren finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres :

- Jessie, si j'ai bien compris, le Venin ne dure qu'une seule nuit, c'est ça ? Ça s'arrête quand, dans la nuit ?