Chapitre 4
Les flammes du feu crépitent dans un son aussi chaleureux que la lumière qu'elles dégagent dans la salle de restaurant à la décoration rustique. Leur chaleur couve nos corps fatigués par cette première journée intensive sur le festival. Les muscles de mes jambes commencent à se faire douloureux, ils supportent difficilement mon poids. Devant la chaise de jardin en bois, je m'écroule littéralement dedans. Andra se précipite pour retenir mon bras, mais il est déjà trop tard, mes fesses s'y sont avachies. De toute manière, elle n'aurait pas pu ralentir ma chute même avec la plus grande des volontés. Face à ma taille et à mon poids bien supérieurs aux siens, elle aurait tout bonnement été entraînée avec moi. Peut-être se serait-elle retrouvée sur mes genoux, son visage surpris à quelques centimètres du mien.
— Je savais que ce pari était une mauvaise idée, ça t'a forcé à rester debout toute l'après-midi, s'inquiète Andra.
— Qui n'est pas fatigué après une journée de travail ? Je vais bien.
— Tu n'en fais qu'à ta tête de toute façon, soupire-t-elle en levant les yeux au ciel.
— Je ne fais pas le trajet depuis New York pour rester assis et m'ennuyer. On s'est bien amusé, non ?
— Oui, mais...
— Alors c'est tout ce qui compte, la coupé-je. Si je suis heureux, ma santé l'est aussi.
— Je ne suis pas certaine que ça fonctionne comme ça.
— Ni toi, ni moi, sommes médecins. On a donc la chance de pouvoir imaginer tout ce que l'on veut. Toi qui as une âme créative, tu devrais déborder de théories en tout genre. Qu'est-ce qui peut bien se cacher sous cette jolie frange ?
Son bras passé sous mon aisselle, afin de m'aider à me redresser sur ma chaise, se raidit. C'est seul que je parviens à atteindre le fond de mon siège tandis que je l'invite à aller s'assoir en face de moi. Sans un mot, elle traîne ses pieds jusque de l'autre côté de la table. Andra est une fille très secrète, elle m'avoue rarement ce qu'elle pense. Dans un sens, je trouve ça particulièrement sensuel. Ce petit côté mystérieux me donne sans cesse l'envie de creuser plus loin, et donc de nous rapprocher. Mais d'un autre, j'ai le sentiment qu'elle me rejette. Comme si elle n'avait pas suffisamment confiance en moi pour se dévoiler.
D'un rapide coup d'œil, elle s'assure que je ne me suis pas écroulé sur la table avant de se cacher derrière le menu. J'imagine qu'elle est inquiète pour moi, tout mon entourage l'est depuis mes seize ans. Je ne peux plus rien faire sans que quelqu'un me fasse remarquer qu'après un accident vasculaire cérébral, ce n'est pas raisonnable de fatiguer son corps jusqu'à l'épuisement, manger peu équilibré ou avoir des projets si ambitieux qu'ils me causent un excédent de stress. Mais j'ai besoin de cette énergie dans ma vie et le garçon têtu que j'ai toujours été n'a jamais cédé aux recommandations des autres. Chacun est maître de son existence, je ne laisserai donc personne me la dicter.
— As-tu déjà été gravement malade au point de peut-être y laisser la vie ?
— Non, me répond-elle d'une voix incertaine.
— As-tu déjà eu des parents qui n'ont jamais cru en toi, en tes rêves ?
— Non plus.
— As-tu déjà hérité d'un immense poids sur tes épaules ?
— Non, mais...
— Et bien moi oui, l'interromps-je. Et j'y ai survécu. Tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour mon état.
— Theodore, murmure-t-elle tristement lorsque nos regards se croisent enfin.
— Tous les deux, on se connaît depuis plusieurs années et je ne t'ai jamais parlé de tous mes problèmes. Tu sais pourquoi ?
— Parce que tu n'aimes pas y faire allusion ?
— Bien tenté, mais non. Je n'ai aucun souci avec puisque mon côté têtu me permet de les envoyer valser.
Un sourire fend mes lèvres alors que j'admire le rouge de son manteau. Il me rappelle pourquoi je n'ai jamais divulgué mes zones d'ombre à cette fille dont la vie est incroyablement colorée.
— Alors pourquoi ?
L'intensité de son regard se fait plus déroutante lorsqu'elle fronce ses sourcils. D'un brun aussi foncé que ses cheveux, ils donnent de la profondeur à ses yeux et les rendent plus intenses quand ils se courbent vers le bas. Ils sont épais et pourtant, ce sont eux qui rendent le visage d'Andra aussi harmonieux. Ses traits délicats me rappellent ceux de la célèbre, et sublime, actrice britannique Lily Collins. Sa peau blanche fait davantage ressortir ses lèvres qu'elle aime teindre d'un rouge aussi chatoyant que son manteau. Cela apporte une petite touche de couleur, sa marque de fabrique.
— Parce que je ne veux pas ternir ton beau monde rempli de couleurs. Le mien est aussi gris que les buildings de New-York.
— Je n'ai peut-être pas vécu toutes les choses que tu sembles avoir subies, mais il n'y a pas que de belles couleurs chez moi.
Ses mains jouent nerveusement avec la bordure de son chapeau noir. Je m'apprête à lui demander où elle veut en venir, mais le serveur arrive au même moment pour prendre notre commande. Depuis notre arrivée au restaurant, une douce odeur de grillade cuite au barbecue embaume mes narines et titille mon estomac affamé. La cuisine simple, mais efficace, de Cade m'a terriblement manqué. J'ai pourtant écumé tous les steakhouse de New York, aucun n'était à la hauteur du sien. Àcroire que Meredith renferme les personnes les plus incroyables que compte cette terre.
— Et puis tu apportes des touches de vert, de jaune, de rouge et bien d'autres à ta ville grâce à tes plantations, complète-t-elle comme pour esquiver ses derniers propos.
J'hésite à rebondir sur ce qu'elle semble vouloir me cacher, mais décide finalement de ne pas creuser. Aucun de nous n'est encore prêt à révéler les côtés sombres de nos vies respectives. Nous sommes un peu une parenthèse l'un pour l'autre, un moment qui ne peut être qu'aussi doux et chaleureux qu'un bon chocolat chaud un soir d'automne. Avec elle, mes problèmes s'envolent et j'ai le sentiment que de son côté, je lui apporte ce même répit.
— Puisque tu parles de peinture, j'en profite pour remettre ça sur le tapis. Quand est-ce que j'aurais le droit de voir tes fantastiques tableaux ? demandé-je avant de prendre une gorgée du vin blanc qui vient de nous être servi.
— Tu ne les as jamais vus alors comment tu peux savoir qu'ils sont fantastiques ?
— Parce que toi, tu l'es.
Mes mots se sont avérés plus percutants à l'oral que dans ma tête. Ma voisine s'étouffe presque avec sa gorgée d'alcool tandis que je m'insinue dans un silence, gêné d'avoir avoué une telle chose. C'était sans doute un peu trop, non ? Même si nous nous connaissons depuis plusieurs années, nous nous sommes vus en vraiment un mois tout cumulé. J'ai l'impression de la connaître par cœur, j'arrive presque à deviner ses réponses à mes lettres, mais lorsque je l'ai face à moi, quelque chose change. Il n'y a plus cette distance et ce papier qui nous sépare. Je ne peux pas réfléchir au propos que j'aime écrire avec mon vieux stylo-plume offert par mon grand-père. Là, ils sont spontanés et j'ai du mal à les contrôler.
Le repas se poursuit dans cette étrange ambiance. De temps en temps, je jette des regards furtifs à Andra, dont les yeux verts sont plongés dans son assiette presque vide. La mienne aussi se dégarnit jusqu'à être dans le même état que celle de ma charmante voisine. Je termine mon verre de vin et me racle la gorge. Je crois que c'est à moi de rouvrir la discussion.
— Les plats de Cade sont toujours aussi bons, repris-je, le sourire crispé.
— O-oui, ils sont fantas-incroyables, se rattrape-t-elle. Vraiment incroyables.
Il est clair que j'ai créé un malaise entre nous. Je l'ai effrayé sans vouloir. Quel idiot je suis d'avoir avoué à cette fille qu'elle est une personne fantastique à mes yeux. J'aurais mieux fait de me taire, mon côté spontané a gâché notre première soirée.
— Je ne voulais pas te braquer en disant ça, oublie mes paroles.
— N-non, ce n'est p-pas ça, bégaie-t-elle. Tes compliments me font très plaisir, m-mais c'est toujours un peu gênant. Je n'y suis pas habituée.
— Tu ne devrais pas trouver ça embarrassant, car on devrait tous avoir notre dose de compliments plutôt qu'avoir le droit à des « ça aurait été mieux comme ci ou ça », râlé-je en repensant à de mauvais souvenirs.
Dans le monde auquel nous appartenons, j'ai l'impression que complimenter est devenu payant. Les gens sont radins, ils préfèrent la critique qui elle, est gratuite. De voir Andra réagir ainsi, alors qu'elle mériterait d'être submergée de compliments, m'énerve. Je serre les poings autour de mes couverts en imaginant ses parents être aussi durs que les miens. Mes oreilles bourdonnent, j'entends la voix de ma mère me répéter : « tu peux faire mieux, Theodore ». Elle est mise en boucle dans ma tête, telle une vieille chanson sur un disque rayé. En quelques secondes, elle devient une véritable obsession, au point que j'ai l'impression d'avoir ma mère en face de moi.
Sans pouvoir le contrôler, un « non » m'échappe violemment. Ma fourchette se retrouve projetée au sol sous les regards stupéfaits des autres clients. Des murmures s'échangent ici et là, mais je n'y prête pas attention. La seule chose qui m'importe est le visage horrifié d'Andra. Le sublime vert de ses pupilles me ramène à la réalité, je prends conscient de ce que je viens de faire.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur.
Je glisse ma main sur la sienne et la serre avec bienveillance. Sa peau est terriblement froide comparée à la mienne, je me demande si le reste de son corps l'est tout autant. L'envie de la prendre dans mes bras pour la réchauffer me gagne, mais son mouvement de recul brise toute mon audace. Elle s'extirpe de ma paume pour attraper son chapeau avant de le visser sur sa tête.
— Merci pour ce repas, mais je crois qu'il est temps que je rentre, me sourit-elle faussement.
— Andra, tenté-je de la retenir. Reste, s'il te plaît. Ta compagnie me fait du bien.
— Je ne pense pas.
— Je suis vraiment désolé pour cette scène, mais ne t'en vas pas. Laisse-moi t'expliquer.
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Le beau new-yorkais cache encore bien des choses. Vous les découvrirez très bientôt.
Maintenant que l'histoire est lancée, il y aura un seul chapitre par semaine. Le prochain sera du point de vue d'Andra.
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