[PARTIE 1 - L'EVEIL DU DRAGON] : CHAPITRE 1 - Ombre
J-100
Jeon Jungkook
Ombre
Chaque souffle est un miracle dans l'univers, une façon de prouver son existence unique. Être singulier ne fait pas de nous des êtres hors du commun. Pourtant, rien qu'un soupir peut produire ce magnifique effet papillon et changer la vie d'autrui.
Je mets un certain temps avant de me remettre à respirer correctement. Encore assis sur ce matelas, les jambes repliées, les épaules tendues au maximum, je ne fais que guetter cette ombre qui n'a aucun trait, aucune apparence réelle. A cette distance, cette silhouette ne peut être qu'une tache brune se fondant dans le décor, et même si je ne sais pas vraiment à quoi elle ressemble, son aura n'en est pas moins écrasante.
Comme dans cette illusion fabriquée de toute pièce par cet être dont je ne connais que ce que j'en ai lu. Les Trompeurs sont une race rare, il n'en existe pas plus d'une centaine dans le monde. Difficiles à créer et extrêmement secrets, ils ne se mêlent à la société que lorsqu'ils sont appelés en mission. Souvent rejetés pour leur loyauté laissant à désirer, ils ne se fondent pas dans la population et restent reclus dans leur monde.
— Comment vous appelez-vous ? demandé-je, envoyant une bouteille à la mer.
Cette espèce en elle-même est un mirage, aucun cœur ne bat dans leur poitrine. Ces êtres ne servent qu'à tromper leur entourage, inventant des scénarios qu'ils nous font vivre uniquement dans notre tête. Une fois pris au piège, nous n'avons plus conscience que nous sommes entre leurs griffes voraces. Ils sont connus pour ne jamais lâcher leur proie ; ils s'amusent à les torturer, à les transformer en martyre pour leur bon plaisir.
Perdus dans nos songes, nous ignorons tout de cette chimère, croyant véritablement expérimenter ces rêves tordus. J'étais persuadé d'être en mission, à la recherche d'une clé dont je n'ai que faire maintenant que je suis réveillé.
Les Trompeurs peuvent prendre n'importe quel visage, celui d'une femme, d'un enfant, d'un homme ; ils ne font pas les difficiles. Ils utilisent leur aura magnétique pour attirer leur cible et peuvent même avoir recours à toutes sortes de stratégies. Ils rentrent dans notre esprit, usant de leurs capacités pour déterminer nos faiblesses, nos souffrances les plus profondes, et ils se divertissent en les retournant contre nous.
Ce sont des personnes redoutables dont il est coutume de se méfier. Rares sont ceux qui les ont rencontrées, cela n'arrive que dans certaines conditions.
Lorsque nous avons commis un crime irréparable.
Lorsque la mort semble trop douce pour le personnage que nous incarnons.
Lorsque l'ennemi a besoin d'obtenir des informations capitales.
Lorsque l'on souhaite accéder à un poste important, tellement important qu'aucune fragilité ne sera permise.
Un rire bref s'élève dans la caverne et il résonne autour de moi, jusqu'à faire bourdonner mes oreilles sensibles. Je suis sur le qui-vive, mes sens sont devenus bien plus performants dans cet état.
— Je m'attendais davantage à un « qu'est-ce que vous êtes ? », mais tu me sembles un peu moins prévisible que ça, chantonne-t-il d'une voix traînante, presque légère malgré le baryton de sa tessiture.
J'entends ses chaussures racler le sol, mais il ne sort pas de l'ombre pour autant. Il n'en a pas le droit, je le sais bien. Je ne dois pas connaître son visage, aucune autre espèce ne peut voir à quoi ressemble un Trompeur, sinon la légende raconte que l'illusion s'évanouie, que le mystère s'envole.
— Je sais ce que vous êtes, je n'ai pas besoin de poser des questions inutiles, affirmé-je avec sévérité.
Pour me donner un peu de contenance, je me mets debout, abandonnant mon lit de fortune. Ma tenue est simple, bien loin de la superficialité de celle que j'arborais dans mes songes. Une simple chemise d'un blanc immaculé et un jean noir qui risque d'être inconfortable plus les jours passeront.
— Tu es visiblement une personne impatiente, et peut-être un tantinet impertinente.
Mes doigts se ferment en des poings sans que je ne le contrôle vraiment. Je vais devoir veiller à mes propos en sa présence, il se servira de toutes les informations à sa disposition pour me jauger. Chacune des épreuves qu'il me fera passer sera taillée pour moi, faite pour tourmenter mes pensées et me rendre plus faible. Je ne doute pas du fait qu'il sera capable de me cerner plus rapidement que la plupart des gens. Si je suis de nature réservée et pudique sur mes sentiments, il ne tardera pas à s'immiscer dans ma conscience.
D'ailleurs, j'ignore s'il peut lire dans mon esprit.
— Quel est votre nom ? me répété-je, souhaitant éviter de répondre à son commentaire.
Tous les renseignements sont bons à prendre, ils me seront peut-être utiles à un moment ou à un autre. Rien ne doit être laissé au hasard, car je ne me fais aucune illusion : il ne m'accordera aucun répit.
— Je serais une piètre personne si je ne te donnais pas la seule chose à laquelle tu pourras te raccrocher... ou bien hurler, selon la situation, ricane-t-il avec nonchalance.
Parmi n'importe quel Trompeur, il a fallu que je tombe sur celui qui semble prendre plaisir à effectuer la tâche qui l'incombe.
Je desserre mes doigts, cherchant à apaiser mon corps, le détendre, pour qu'il ne remarque ni mon trouble, ni mes pulsions meurtrières. Si je laisse filtrer mes émotions aussi clairement, je suis foutu.
Je ne fais qu'attendre, je n'ajoute aucun mot, laissant l'endroit se remplir d'un silence étrange, lourd.
— Tu sais, tu devrais prendre les choses avec légèreté, ajoute-t-il en reprenant un certain sérieux, contrairement à ce qu'affirment ses propos. Beaucoup cherchent à se montrer plus forts qu'ils ne le sont en réalité et le détachement est probablement l'unique chose qui te permettra de tenir.
L'un de mes sourcils se lève tandis que je continue de fixer cette ombre, le vide, le néant, un genre de trou noir, mon enfer personnel.
— Si je n'aime pas les questions inutiles, vous semblez adorer tourner autour du pot.
La pression commence à se faire sentir à l'intérieur de mes veines. Je n'ai jamais été très patient, plutôt du genre à taper du pied lorsque les émotions se font trop intenses. L'esprit du dragon qui sommeille en moi provoque une grande partie de mes crises de colère, qui peuvent s'avérer plus destructrices que je ne le voudrais. Petit déjà, j'avais beaucoup de mal à canaliser tous ces sentiments que je vivais comme un envahissement, un étau qui ne faisait que se resserrer autour de mes muscles, m'enfermant dans un état que je ne pouvais quitter.
En vieillissant, j'ai appris à prendre du recul, à ne pas laisser la frustration gagner, notamment au détriment de ce que je veux vraiment. Et puis, j'ai fini par tout envoyer valser, j'ai fermé les vannes et j'ai arrêté de me montrer sensible au monde extérieur. La colère verrouillée, sous scellée, sous contrôle, les ressentis maîtrisés, j'ai commencé à respirer. Mon dragon est coléreux, arrogant et impitoyable, mais je ne lui en veux pas, ces traits m'ont également sauvé la vie lorsque j'en avais besoin.
Nous avons seulement appris à composer ensemble.
Pour notre bien.
— Ne sommes-nous pas là pour apprendre à nous connaître ?
Cette fois-ci, c'est à mon tour d'émettre un léger rire.
Apprendre à se connaître ?
Sur quel genre de Trompeur suis-je tombé ?
— Il manque le bar, la musique et la boisson pour ça, non ?
Je décide de rentrer dans son jeu, pour une raison que j'ignore. J'espère probablement que, par cela, je découvrirai ses intentions prochaines et pourrai m'y préparer.
— Dans une autre vie, peut-être.
Ses mots sont énigmatiques, ils correspondent au personnage ; il m'apparaît alors comme un être impénétrable.
— Combien de temps vais-je rester ici ? tenté-je pour changer de sujet.
— Tu commences à poser des questions inutiles, rétorque-t-il, la voix basse. Ne deviens pas trop vite prévisible, je risque de me lasser.
Il rit à nouveau.
Et mes doigts forment encore des poings.
Son caractère va me rendre dingue, je le sens.
Il est difficile d'avoir une conversation avec un étranger missionné pour me faire sombrer dans la folie sans pouvoir voir son visage, mais ça l'est d'autant plus quand j'ai l'impression qu'il se paie ma tête.
Les barreaux qui nous séparent le protègent de ma colère, il doit probablement en jubiler. J'imagine facilement que ce métal est ensorcelé, personne n'aurait emprisonné un homme de ma gyebo sans s'en assurer.
— Donc je vais devoir t'écouter déblatérer et tu ne répondras à aucune de mes questions ? commencé-je à m'agacer.
Je place mes mains dans mon dos et glisse mes doigts dans les poches arrière de mon jean, cherchant à adopter une posture plus posée que le rythme effréné de mon palpitant.
— Ça risquerait de devenir ennuyeux, surtout pour toi, mais je vois que tu commences à devenir à l'aise puisque tu me parles de façon bien moins formelle.
Je n'avais pas fait attention à cela, me laissant porter par mes pulsions. Cette ombre sait comment aborder ses victimes, je ne suis définitivement pas la première.
Je me souviens de sa façon d'entrer en contact avec moi dans cette illusion. Il n'a pas été frontal, choisissant de m'observer pour détecter certains détails, des signes lui indiquant quelles étaient mes préférences.
S'il peut dire que je suis plus facilement charmé par une aura, je peux également dire qu'il est plus prudent qu'il ne le laisse paraître.
Il n'a pas tort, nous allons apprendre à nous connaître.
S'il est déjà parti à la quête de mes faiblesses, je me fais le serment de le suivre dans cette course.
— Mais j'oubliais, rit-il et mes poils se hérissent à ce son. Tu n'auras aucun nom à hurler durant mes créations parce que tu seras ma poupée amnésique.
De quoi est-ce qu'il parle ?
Une légère brise dont j'ignore la provenance me caresse les bras et s'entortille autour de mes membres, comme un avertissement, une menace.
— Mais je suis généreux et je n'aime pas particulièrement être nommé « ombre », « néant » ou encore « trou noir ». C'est insultant, en plus d'être une métaphore un peu bancale.
Je soupire d'un long souffle traînant, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine.
Il lit définitivement dans mes pensées.
Je vais devoir apprendre à les maîtriser, à tenter de les cadenasser, voire les anéantir.
— J'ai hâte de te voir essayer, répond-il à mes songes.
Alors que la pénombre semble effectuer un pas vers moi, obscurcissant l'ambiance, la plongeant dans un abîme, il se stoppe avant d'apparaître sous le faible éclairage d'une lampe torche qui ne me permet pas de distinguer son visage.
— La partie durera cent jours, tous les coups sont permis, il n'y a aucune limite ou restriction. Les règles sont simples, si tu me cèdes, d'une quelconque manière, le jeu s'arrête et les conséquences peuvent être mortelles. Plus longtemps tu me résistes, plus l'affrontement s'éternisera.
Je me redresse, comme piqué par un fer rouge. Les choses deviennent soudainement bien plus réelles, je n'ai aucune marge d'erreur, aucun échec est possible.
La pression monte d'un cran, pourtant je n'ai pas l'habitude d'échouer, c'est un terme que je ne connais pas.
— Je suis Kim Taehyung, matricule 138.18.94, Trompeur de classe 1. Que la partie commence...
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NOTE DE L'AUTEURE :
La relation entre Jungkook et Taehyung est plus que tendue et, comme promis, nous sommes sur un slow burn qui devrait s'éterniser. Ne vous attendez pas à des scènes romantiques immédiatement !
Que pensez-vous de l'espèce des Trompeurs ? Que vous inspire-t-elle ?
Jungkook parviendra-t-il à lui résister ? A contrôler les pensées qui parviennent jusqu'à Taehyung ?
Que pensez-vous de ce début, de cette entrée en matière ?
Du style d'écriture ?
Du caractère des personnages ?
Kissouille, mes Dumiz !
Era xx
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