Ainsi commence pour eux une nouvelle vie. La fée est bien décidée à vivre dans un palais, et faute de palais sous la main, elle transforme à son idée le misérable studio d'Adrien. Pour cela, elle manifeste le goût d'une pie kleptomane.

Les murs sont tapissés de papier doré, ainsi que le sol et le plafond. Une bonne partie du mur est abattue pour permettre au soleil d'entrer davantage – mais sans effet, car les autres immeubles le cachent toujours.

De la soie et des bijoux de pacotille, en ferraille et en verre, jonchent les lieux. Au centre de la pièce, un "jardin" est aménagé à l'aide d'une baignoire, peinte en doré comme il se doit et remplie d'eau, de plusieurs plantes en pot remplacées au fur et à mesure qu'elles crèvent, et de quelques rochers brillants.

Hélas, pas en quartz et encore moins en diamant, mais recouverts d'assez de mica pour faire illusion. Et pour une fée, la vie n'était qu'une illusion, alors où est le problème ? En tout cas, le décor est là.

Et, au milieu, la fée organise la vie de sa Cour. Seul Adrien en fait partie, au départ, puis viennent s'y ajouter deux Barbie (dont l'une n'a qu'un bras), une statuette en plastique d'un monstre rigolo surnommé Lord Horrific, une poupée deux fois plus grande que la fée et un chaton.

Tout ce petit monde est déguisé à la manière des rois et des reines d'autrefois, chaton compris, car pour la fée la mode et le bon goût se sont arrêtés au Moyen-Age, et elle n'a pas l'intention de changer d'avis là-dessus.

Et, au milieu de la Cour, la Reine, c'est à dire la fée elle-même, préside et, plus que tout, se fait admirer. Adrien se charge des compliments au titre de chacun des membres de la Cour.

Il faut pour cela une adresse de langage que personne ne lui aurait attribué spontanément, lui le premier. Mais il progresse vite à la Cour de la Reine : chacune de ses moqueries lui perce le cœur, et il jure de ne pas s'y faire prendre à nouveau.

Il coud lui-même les vêtements de sa merveille et de la Cour, et ne lésine ni sur la soie, ni sur la dentelle, ni sur les perles en verre taillé qu'il fait passer pour des diamants. Il s'acharne à la rendre chaque jour encore plus belle que la veille, dans l'espoir qu'un matin il soit enfin récompensé de son labeur par un sourire de sa Reine. Il la couvre de bijoux qu'il fabrique à l'aide de fil de fer, de perles de verre, de pinces et de trésors de patience.

Et il observe scrupuleusement les rites qui rythment les journées. Le Lever de la Reine, le Petit Déjeuner, la Toilette, la Surprise du jour (un cadeau), l'heure de l'Art, le Dîner, le Bal, la Surprise du soir (un magnifique cadeau)...

Le dernier rite est, aux yeux de l'humain, le plus mystérieux. Il doit, peu avant le coucher, fermer les yeux et jouer à cache-cache. C'est toujours lui qui doit chercher, et toujours, il retrouve la fée sur sa boîte.

Il a finit par comprendre que le jeu n'est qu'un prétexte à ce qu'il ferme les yeux, le temps qu'elle fasse quelque chose avec son ancienne prison. Mais pourquoi lui ment-elle ? Elle sait pourtant très bien que, si elle lui ordonnait de fermer les yeux, il s'exécuterait sans même hésiter, des heures durant si besoin est.

Une fois retrouvée, la fée, l'air de rien, se laisse déshabiller et mettre au lit. Ce n'est que là qu'Adrien pouvait enfin la contempler à son aise. Endormie, elle est si belle...