Le vol
Unia est à présent dans la place. Discrètement, elle admire le décor : vu les moyens dont disposait le voleur, il a fait des miracles. En fait, il lui fait un peu pitié.
Au temps de leur puissance, les fées savaient envoûter tous les mortels qui mettaient le pied sur leur territoire, mais aujourd'hui il ne reste rien de cette magie, car les fées sont des créatures gaspilleuses, égocentriques et totalement incapables de se projeter dans l'avenir. Aujourd'hui, les seules proies qu'il leur reste sont les rêveurs déçus.
Dans le genre, Adrien était une cible parfaite. Et, maintenant qu'il est presque totalement en son pouvoir, la fée va l'utiliser, l'user, vampiriser ses sentiments comme elle a déjà vampirisé son esprit, sans se soucier de ce qu'il deviendra, sans même se demander ce qu'elle deviendra une fois qu'il en sera mort - alors qu'une fée sans admirateur humain n'existe tout simplement pas.
Oui, Unia a pitié du garçon. Il est plus âgé qu'elle, mais comme beaucoup d'autres il lui paraît si jeune... Si inexpérimenté, en tout cas.
Allons, avec un peu de chance, il ne mourra pas quand la boîte se refermera sur sa Reine. Une fois passé le premier choc, il devrait se remettre. Après, évidemment... enfin, tout ça ne la regarde pas.
Ceci dit, il est dorénavant initié. Malgré lui, mais initié.
Elle l'aidera peut-être...
Non, certainement pas. Il devra replonger dans la réalité. C'est triste, mais c'est comme ça. On ne peut pas libérer une fée sans se brûler les ailes, et il ne supporterait pas de la savoir enfermée à nouveau. Mieux vaut lui faire croire qu'il a rêvé ou qu'il est fou. Ce sera moins dur.
Comme tout est parfait dans le monde de la fée... Doux, sucré et brillant. Elle se gave d'amour et d'admiration jusqu'à en être malade, elle tente de nouvelles recettes, de nouveaux défis.
Elle rit, elle fait la folle, elle est enfin revenue à sa véritable place, le centre de l'univers. Après tout, le monde n'est-il pas un décor créé pour qu'elle s'y épanouisse, elle la plus belle de toutes les fleurs ?
Elle n'a plus qu'une peur, c'est le sommeil glacé de la boîte. Ca, non, elle ne le supporterait pas à nouveau. Ce froid tourbillon, c'est l'inverse exact de ce qu'elle vit, de ce que doit être la vie. Il la terrorise.
Le soleil est revenu. Ses rayons d'or inondent la peau claire de la créature. Elle inspire la lumière avec délice.
A l'autre bout du studio minuscule, sa nouvelle courtisane assomme avec un art consommé son chevalier-servant, avant de vérifier soigneusement que toutes les issues sont bouchées.
La fée se retourne, pleine d'espoir. Se pourrait-il que l'étrangère soit assez raffinée pour inventer d'elle-même un nouveau jeu ? Il faudra la remettre soigneusement à sa place, puis lui prendre son idée. Ce sera follement amusant.
Elle ne se rend compte de rien, jusqu'à ce qu'une coque d'argent pur se referme sur elle. Puis c'est le trou noir.
Un trou noir et profond. Adrien tente d'en émerger, mais il patauge, il n'a aucun appui. Il coule. Un rayon de soleil. Adrien le regarde. Peu à peu, il revient à la consience.
Il est toujours dans son studio. Il a une bosse grosse comme son poing. Il a un sale goût dans la bouche. Où peut-il trouver de l'alcool, là-dedans ? Faudrait faire les courses.
Il s'arrête net. Mais d'où lui vient cette idée saugrenue ? Il est l'heure du rite de la Toilette, non ? Peut-être même plus tard - mais pourquoi sa fée l'avait-elle laissé dormir aussi longtemps ?
C'est alors, comme un motif délicat de givre s'étalant sur une fenêtre, le doute s'insinue dans son esprit. Il cherche dans le Palais. Il cherche dans le Jardin. Il cherche sur la Terrasse. Il cherche dans son misérable atelier. Il cherche même dans les placards. Mais il doit se rendre à l'évidence.
Vide.
Sa fée a disparue.
SA FEE...
SA REINE...
Disparue.
Le hurlement d'Adrien ne suffit pas à contenir toute sa douleur, toute sa haine.
C'est sa vie entière qui a disparue.
C'est l'univers qui est parti.
Sans lui. Abandonné, Adrien, rejeté sur la lisière du monde, avec les autres rebuts. Non, il n'y en a même pas d'autres, il est seul, seul pour toujours, avec dans la bouche un goût atroce, le goût de sa propre mort. Il n'a pas d'espoir.
Il ouvre la fenêtre et saute.
Sa chute dure le reste de l'éternité...
Unia se tourne et se retourne dans son lit.
« Adrien, laisse-moi, ordonne-t-elle sèchement à son rêve.
‒ Pourquoi ? Il n'y a plus que toi qui m'écoute, lui répond le fantôme d'Adrien.
‒ Mais tu reviens tout le temps ! J'en ai marre, je suis fatiguée. Laisse-moi dormir !
‒ Cause toujours, tu m'intéresses.
Unia soupire. Voilà plusieurs mois que l'ancien voleur hante ses nuits. Si elle ne l'a toujours pas exorcisé, c'est parce qu'elle se sent coupable.
‒ Tu m'en veux toujours ?
Le spectre réfléchit.
‒ Non, en fait, plus tellement. J'étais complètement envoûté, je m'en rends compte à présent. Je suis devenu libre... Plus libre que je ne l'ai jamais été. Mine de rien, j'ai beaucoup appris.
‒ Alors pourquoi viens-tu chaque nuit ?
‒ Je suis seul. Je m'ennuie. Allez, raconte-moi ta journée. Tu as trouvé ton bijou défouri-machinchose ?
‒ Deferus Numerator. Non. Fausse piste.
‒ Et comment va ma fée ?
‒ Elle a un nom maintenant.
‒ Elle reste ma fée.
Unia grimace. Par moment, elle s'attache à son hôte invisible. A d'autres, comme maintenant, elle a envie de l'étrangler.
‒ Elle va bien. On lui envoie des ersatz d'amour et de jalousie. Elle tient bien le coup.
‒ Elle parle de moi ?
‒ Jamais.
‒ Elle est quand même salement dangereuse... » soupire Adrien avec un sourire nostalgique.
Un jour, il oubliera tout ça, son amour fou et impossible pour la fée, son envoûtement, sa déchéance, et il partira. Mais en attendant qu'il ait pansé toutes ses plaies, la magicienne refuse de le chasser. Elle apprécie d'avoir de la compagnie.
Elle aussi est condamnée à la solitude.
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