Lara est la première à se vanter de ne rien savoir sur rien, mais en réalité elle sait reconnaître un travail délicat donc de valeur quand elle en voit un, et si celui-ci n'en est pas, c'est une bonne copie. Adrien ne sort plus, d'où peut-il bien tenir ça ?

La femme fait un geste vers la boîte. L'homme se lève et tente de l'en empêcher, toujours silencieusement. Elle le repousse sur la table qui tombe dans un fracas épouvantable.

« NON ! » hurle Adrien, comme si tout pouvait encore s'arrêter.

La fée s'est réveillée. Elle s'apprête même à protester vertement contre ce manque absolu à toutes les règles de l'étiquette, lorsqu'une pensée parvient à se frayer un chemin dans sa mignonne très petite tête : ce n'est pas un humain rêveur qui se trouve devant elle, c'est une humaine terre à terre, qui emporte le coffret ! Et elle qui ne peut rien faire...

Les yeux exorbités, elle regarde son monde s'écrouler, inexorablement...

Adrien se jette aux pieds de Lara. Il lui avoue tout. Le vol, le trésor, la fée, la fée surtout, la fée encore et toujours, il supplie son bourreau avec l'explication ultime, l'amour.

Jamais ses mots n'ont été aussi sûrs, aussi recherchés. Il ignorait lui-même qu'il en connaissait certains. La magie a mystérieusement prise sur lui, et il ne cherche pas, ne veut pas savoir d'où elle vient. Elle est là, voilà tout.

Mais il faut plus que de la magie de fée pour réduire à néant la volonté humaine. Il faut du solide. Du concret. Autre chose que des mots, ou alors, certains mots très précis accompagnant certains gestes très précis qu'Adrien avait su autrefois.

Il est plus que temps pour lui de les retrouver, la voleuse regagne déjà la porte, son butin serré contre elle, tout en estimant que cette fois-ci le petit cambrioleur a largement dépassé les limites de la folie. Elle allait claquer la porte sur un dernier geste obscène quand Adrien retrouve brusquement ses réflexes du passé.

« Lâche ça ou je te bute ! »

Formule magique, véritable sésame des rapports humains, l'expression ne vaut que si l'autre est en possession de la baguette adéquate. Dans le doute, Lara se retourne. Oh putain, se dit-elle, c'est une arme ça ?

De fait, l'engin que tient convulsivement Adrien aurait fait le bonheur d'une pie kleptomane. Il est peint en or, on a collé des paillettes et du verre coloré sur son canon, et il ressemble de façon dangereusement mortelle à un revolver armé, sans sécurité, et prêt à l'emploi. Entre les mains d'un dingue qui croit aux fées et joue à la poupée.

Une main en l'air, histoire de le calmer, l'autre tenant la fameuse boîte, Lara s'accroupit. Elle pose le coffret le plus délicatement possible sur le sol. Puis tourne les talons et détale sans demander son reste. Une mission facile comme elle ne veux jamais en revivre.

Une fois l'ennemi en déroute, la joie explose dans la Cour. Puis la Reine décide de mener, séance tenante, une importante cérémonie, qui célèbrera l'éclatante victoire de son champion.

Bien qu'improvisée, la fête est grandiose : Adrien a mis les bouchées doubles et les petits plats dans les grands pour célébrer cette première bataille menée contre les forces hostiles du Monde Extérieur. Il est très ému. Et, au moment où il s'y attend le moins, la Reine, sa Merveille, sa fée, fait faire silence et lui ordonne :

« Agenouille-toi.

Croyant à un nouveau jeu, l'homme s'exécute sans broncher.

« Nous, fée et Reine de cette Cour, avons constaté ta force et ta bravoure en ce combat titanesque, où pour nous sauvegarder tu brava l'immonde géante de ton seul regard, et mit ainsi l'ennemi en fuite, tel le chevalier devant le lion. Et nous avons été touché de ton compliment, car rien ne fait résonner le cœur d'un poème comme un combat herculéen de l'humble servant qui défend sa Dame, quand celle-ci ne lui accordera jamais un regard. C'est pourquoi, humble vagabond, dans ma grande bonté je t'accorde la permission de devenir mon chevalier-servant ! »

Les hourras de la foule se font un peu attendre, la stupéfaction ayant coupé le souffle du nouveau chevalier. Il relève la tête. Des larmes coulent sur ses joues. Jamais il n'aurait cru pouvoir être un jour aussi heureux. Depuis belle lurette il ne pense plus au nom de la fée ni à aucun de ses secrets. Il n'était plus que son servant, et aujourd'hui, enfin, il est son très humble et dévoué chevalier.

Pour toujours.