La prisonnière
Elle est merveilleuse.
Adrien retient son souffle. Il est minuit, la nuit suivante, et il lui a fallu tout ce temps pour avoir le courage d'ouvrir la boîte.
Une statue de verre est attachée au fond par de minuscules chaînes métalliques, et c'est la plus merveilleuse chose qu'il ai jamais vu.
La prisonnière est belle de la beauté irréelle des anges et des fées. Le reflet de la lampe fait briller deux petits croissants de lumière pâle dans ses yeux. Les ombres du velours noir brodé d'argent qui tapisse le coffret font ressortir la pureté de ses traits.
Fine et délicate, elle paraît dormir. Elle est grande comme une main d'homme. Ses deux ailes de libellule scintillent. Ses cheveux semblent être un écrin de satin noir, destiné à encadrer le diamant de son visage.
Elle porte, aux poignets et aux chevilles, de lourds bracelets d'un métal sombre. C'est par ces bracelets qu'elle est attachée.
Jamais Adrien n'avait vu quelque chose d'aussi émouvant. Un sanglot se coince dans sa gorge. Pas étonnant que le vieux ait tout fait pour protéger son trésor. Parce que c'est un trésor, un vrai, la plus magnifique des pièces précieuses, la merveille qui jamais ne devrait passer entre les mains sales d'un receleur, et c'est pour ça que l'homme n'a pas de remord de l'avoir cachée. La pensée qu'un autre puisse voir son trésor le rend déjà furieux.
Son trésor. A lui. Personne d'autre que lui n'est capable d'apprécier à sa juste valeur. Tout autre regard que le sien serait une souillure. Elle est à lui. La sienne. Pour toujours.
Ainsi pense Adrien, qui ne s'aperçoit pas que les idées qui lui traversent l'esprit ont une allure étrangement sûre. Jamais il n'avait pensé de telles choses, ni pensé avec une telle intensité.
Mais bien sûr, il ne se rend compte de rien, tout obnubilé qu'il est par son trésor, sa merveille, sa fée. Et quand bien même... Ce ne sont que des pensées. Si elles sont dans sa tête, c'est qu'elles sont à lui. Forcément.
L'idée de libérer la fée entre dans son esprit sur des chaussons de velours, mais une fois installée, elle s'impose jusqu'à devenir une décision. Adrien a des outils, mais il hésite à s'en servir. La belle prisonnière de verre lui semble si fragile...
En même temps, il ne supporte pas l'idée que le métal continue à griffer sa peau tendre. Elle en souffre, il le sent au fond de son cœur. Avec mille précautions, Adrien entreprend de la délivrer.
On raconte que les enchantements les plus puissants sont incapables de tuer une fée, parce qu'elles sont elles-mêmes composées de magie. Mais beaucoup de choses peuvent les faire... disparaître. Pas comme si elles n'étaient plus là. Comme si elles n'avaient jamais existé.
Parmi ces choses, le pragmatisme humain. Sa ferme volonté de s'occuper d'affaires sérieuses plutôt que de regarder les étoiles. Parce que les affaires sérieuses, si on s'y prend bien, peuvent rapporter beaucoup, alors que les étoiles n'ont jamais rien offert à personne, rien qui se mange en tout cas.
Les fées ne sont pas comme les étoiles telles que les voient les enfants et les poètes. Elles ne sont pas gentilles ou méchantes, elles ne sont pas bienveillantes envers leurs admirateurs humains, elles ne sont pas là pour eux.
Ce sont les humains qui sont là pour elles. Elles n'ont pas de but, pas d'utilité, pas de mort. Elles se contentent d'exister. Et, par leur seule existence, elles peuvent accomplir plus que les hommes n'en ont jamais rêvé.
Le claquement des pinces résonne sinistrement dans le studio d'Adrien. Les stores baissés masquent la lumière naissante du jour. La lampe de bureau dessine une petite tache de lumière dans l'obscurité.
Un deuxième claquement résonne. On peut entendre son écho rejoindre celui du premier, dans la pièce trop vide et trop grande.
Plus rapproché du deuxième, un troisième claquement. Pendant quelques secondes, le silence n'est plus troublé que par le soupir angoissé de l'homme, qui s'éponge le front et se prépare à couper le dernier bracelet.
Avant, il la regarde longuement. Cette vision semble lui redonner du courage. Ses mains ne tremblent plus.
Un dernier claquement de pinces résonne dans la pièce sombre.
La fée est libérée.
Pour le meilleur et pour le pire.
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