Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 19 - Néomaye Picte

Des joutes à pied étaient organisées devant les thermes de Mimata, faisant s'affronter tour à tour des fermiers, des bergers ou des nobles, et même des chiens et des coqs, chacun dans la discipline de sa condition. Ainsi voyait-on des combats à l'épée pour les petits vassaux des Grèzes et des combats au bâton pour les bergers. Des courses de chien étaient également organisées, et un prix était remis au bélier qui avait les plus grosses cornes. Un dais bleu était dressé pour le Comte et ses proches au pied des thermes, surplombant ce faisant toute la place et protégeant ces notables du vent et des intempéries ; toutefois, à l'exception d'une pluie soudaine et rapidement passée en début de matinée, le ciel se montrait clément. L'air était doux et les nuages épars.

Lorsque le Comte arriva, Néomaye Picte l'accueillit avec des viandes rôties et de l'eau de sa source. Elle fit de ses mains mouillées un signe sur son front, puis sur celui d'Asia, et se tourna vers Salès, qui pencha la tête respectueusement et reçut, lui aussi, ce signe de l'eau picte. Il n'était pas de cette foi mais ne voyait dans ce geste aucune offense au souffle-esprit. Il remarqua, alors qu'il était incliné devant la prêtresse, qu'elle allait nus pieds, des pieds sombres et gracieux, ourlés de rose, qui émergeaient de sa toge blanche.

En relevant la tête, le regard de Salès glissa sur la silhouette enserrée de ce simple drap de lin, fin à l'extrême, singulièrement drapé sous la poitrine menue de la prêtresse. Ses épaules et son cou étaient nus et ne donnaient pas l'apparence d'être touchés par la fraîcheur de l'air - ou plutôt donnaient-ils l'impression d'être lisses, froids et humides comme l'est le dos d'une grenouille verte, et ils étaient sombres comme les pierres volcaniques qu'on plongeait dans les bains de ses termes. Ses épaules étaient caressées par une chevelure courte, si on la comparait à celle des autres femmes du pays - mais elle n'était pas du pays, disait-on. Tressés sur le dessus de la tête, ils s'épanouissaient sur sa nuque, fins, souples, aériens comme la toison cardée d'un mouton noir.

Alors il finit par la voir tout entière. Tout en Néomaye Picte était mystérieux. Son faciès était sans âge, tour à tour jeune ou vieux, et sans doute était-on trompé à ce sujet parce qu'elle portait une grande quantité de couleurs sur le visage. Le contraste avec la couleur de sa peau était saisissait : sa lèvre était fine et peinte de pourpre, ses joues scintillaient comme la nacre et ses paupières étaient comme les ailes poudrées d'un papillon chamarré, changeant de teinte au gré de la lumière et des mouvements. Tout l'arc entre la pupille et le sourcil était ainsi peint, aussi richement que les enluminures du Livre des Rêves. Il arrivait que les femmes gabalitaines se maquillassent les joues ou les lèvres de purée de mûre et de cire d'abeille, quand elles avaient le teint pâle, mais c'était le seul artifice que Salès leur connaissait ; et quoique n'ayant pas grande science des femmes, si elles usaient d'autres subterfuges, elles avaient l'habileté de faire passer leurs efforts pour simple beauté de nature. C'était une toute autre affaire que cette Néomaye Picte. Ce fut à ce moment seulement que Salès se demanda comment, depuis des décennies qu'il respirait sur cette terre, pendant toute sa vie, pas une seule fois il n'avait vu la prêtresse, même de loin... Car d'aussi loin qu'on était sur la place, on reconnaissait Néomaye Picte à sa stature noire, que la finesse de sa robe révélait tout entière, et à ses yeux fardés, au milieu desquels brillait une intense pupille noire. Elle n'avait pas son pareil dans tout le pays, ou même dans les pays voisins. Il était facile de comprendre la révérence qu'elle suscitait : qui d'autre que les dieux avaient pu envoyer sur terre une telle créature ? Comme la place des thermes toute entière retenait respectueusement son souffle, le capitaine songea que pour le peuple aussi, c'était une rare occasion. Cette déférence nimbait cette frêle femme d'une aura mystique.

Pour le Comte, toutefois, c'était différent. Passées les salutations cérémonielles, il saisit la main de la prêtresse comme il l'aurait fait d'une vieille amie et l'assit à côté de lui avec une prévenance extrême. Alors il prit place à son tour et commença à manger avec appétit la viande qui était devant lui.

Salès remarqua qu'il transmettait à la petite Asia la peau de son poulet, ce qui faisait briller de joie les yeux de l'enfant. C'était un bon père, assurément, qui connaissait les péchés mignons de son engeance. Ayant lui aussi gagné son siège, le capitaine du Tournel considéra l'assemblée qui présidait sous le dais, face à la lice. Ils avaient rejoint un certain nombre de personnes qui étaient déjà là, certaines ayant sans doute passé la matinée à patronner les jeux qui se déroulaient sous leurs yeux. Trop de femmes, trop peu d'hommes, comme dans tout le pays où la guerre prenait son tribut. Il y avait ainsi Odile de Grèzes, la sœur du Comte dans un bliaud vert sombre. À son côté siégeait Enimie d'Hacher l'Ancienne, leur mère, la Comtesse douairière et veuve d'Amalricus de Grèzes, enveloppée dans un manteau bleu bordé de fourrure d'écureuil gris, la chevelure auburn piégée dans un touret tout blanc. Enfin, tout au bord de l'estrade, touchant presque la toile du dais, était assise Daufina de Pierre, la veuve encore jeune de leur oncle Garin le Perçant, Comte de Grèzes avant Amalricus, à qui elle n'avait su faire un enfant. Elle portait un air défait et une cotte partie de noir et de blanc, et sur sa chevelure précocement grise, deux ailes noires encadraient un couvre-chef de velours. Elisa Montejoie, qui n'était finalement ni noble ni détentrice d'aucun pouvoir, n'était pas là ; mais l'absence que Salès ne put manquer de remarquer était celle, trop évidente, de la Comtesse actuelle, Eufrasia du Tournel. Et plus douloureuse encore que cette absence était la présence de Néomaye Picte sur le siège vacant de la Comtesse, car c'était souligner encore plus vivement qui gouvernait à Mimata, en ces temps où Eufrasia du Tournel manquait à ses devoirs.

Sur un banc, en retrait, se trouvaient le prévôt du palais, des pages et les demoiselles Asia et Nérelle, qui, s'étant retrouvées après l'interlude matinal, échangeaient désormais à voix basse en se gavant de côtelettes. Ce fut une autre voix, pourtant, qui fit tourner la tête au seigneur de Capio.

« Vous avez pris femme récemment, n'est-ce pas ?

Néomaye Picte s'était penchée vers lui. Salès réalisa que la prêtresse n'avait jusque-là pas prononcé un seul son, et la découverte de sa voix relança le mystère. C'était une voix jeune et fluette, une voix éternelle et cristalline ; une voix légère et évidente. Elle faisait oublier la femme ; elle parlait des cieux. Salès, pourtant, se raidit, car il avait appris à lutter contre les apparences, si charmeuses fussent-elles.

-Sire Garin vous l'a dit ?

-Oh, non ! Mais il y a des choses que je sais. Je les vois.

-Vous les voyez ?

Elle hocha la tête.

-Chacun de nous peut voir dans le fond des fontaines.

-Parfois un diable se cache dans la fontaine, et fait voir des choses trompeuses.

-Cela n'arrive pas à qui a le cœur assez pur et des intentions honnêtes.

-Les deux ne sont-ils pas équivalents ?

-Même un homme vicieux peut parfois former un projet honnête ; mais il faut les deux pour que l'eau vous parle.

-Vous me pardonnerez, dame Picte, mais...

-Appelez-moi Néomaye Picte, je vous en prie.

-Et bien... Je n'ai pas besoin d'eau pour savoir qui a épousé qui, et...

-Votre épouse est enceinte, n'est-ce pas ?

Salès fronça le sourcil et cessa de regarder la prêtresse. Son regard glissa vers Odile de Grèzes, puis se concentra sur la joute à pied qui commençait, entre deux liges du Comte de Grèzes. Les deux hommes présentaient leurs armes au Comte qui leva sa corne d'uros à leur attention, et, l'espace d'un instant, Néomaye Picte elle-même donna l'impression de n'exister que pour bénir les deux glaives. Mais dès que le combat commença, Salès murmura :

-Ce fait est d'une notoriété moindre, mais il n'y a rien dans cette notion qu'une âme perspicace ayant rencontré mon épouse n'eût pu deviner.

Un sourire étira les fines lèvres de la prêtresse.

-Vous avez une ride sur le front, quand vous êtes contrarié ; et votre contrariété dit tellement de choses, seigneur de Capio ! »

À partir de ce moment, Salès compta les heures avant son départ de Mimata. Il avait fini par tout détester de cette grande ville où il avait pourtant, jadis, eu plaisir à se promener ; il détestait le Comte de Grèzes qui le faisait languir sur les termes définitifs du contrat nuptial ; il détestait les rêves maussades qu'il en faisait et qui étaient impuissants à le guider ; il détestait ne pouvoir deviser avec son seigneur sur la suite à tenir - ils avaient convenu de ne rien dire par des pigeons, qui pouvaient se perdre, par hasard ou par malice - ; il détestait savoir son épouse seule dans un château qu'elle ne connaissait pas, quand il aurait dû lui en apprendre tous les secrets ; il détestait ces thermes au luxe tapageur et cette foule aveugle qui s'y pressait ; il détestait surtout Néomaye Picte et sa voix enfantine ; il détestait enfin Odile de Grèzes, Elisa Montejoie, et même Eufrasia du Tournel, dont l'absence laissait le Comte à la merci de la prêtresse. En dépit du préjugé favorable qui l'auréolait, Salès se méfiait de cette femme. On avait beau dire que Néomaye Picte était là avant le monde, qu'elle n'avait pas d'âge et qu'ayant été là depuis leurs aïeux, elle était une mère pour tous, pour Salès, c'était une femme, une femme vulgaire qui se présentait devant la foule en chainse transparente, si bien qu'il n'y avait de son intimité plus rien à deviner, une femme qui grimait son visage et jouait avec le cœur des gens. Lui apprendrait-on qu'elle écartait les jambes pour le Comte, il n'en serait pas surpris ; seul l'amour du Comte pour sa Comtesse, dont il avait été témoin, le rassurait sur ce point.

Malgré son impatience, Salès dut encore subir deux jours de foire, durant lesquels il faussa compagnie au Comte, et un banquet de clôture, auquel il ne put se soustraire, car il était prévu d'annoncer formellement la noce à venir au début des agapes ; il était donc plus que jamais l'invité d'honneur de la table comtale.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro