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Chapitre 10 - Viana

Salès retourna dans la salle du banquet, où l'attention des présents était toute tournée vers deux chanteurs qui jouaient le conte de la cardabelle. C'était une rengaine très ancienne, souvent chantée à l'occasion des mariages et des fiançailles. Toutes les troupes de jongleurs la connaissaient.

Les voix de l'homme et de la femme se répondaient, tandis qu'un musicien frappait les cordes de son instrument. Les pages et les échansons s'étaient arrêtés de servir, les gardes caressaient pensivement le cou ou la cuisse de leur brune, et tous retenaient leur souffle. La chanteuse avait, non seulement dans sa voix, mais dans tous ses gestes, une grâce hypnotique. Alors qu'elle déroulait la vie de la Belle, assaillie par les avances d'un soldat et peinant chaque fois davantage à le repousser, elle touchait des notes fort hautes, et que nul n'avait jamais entendues avec autant de pureté ; puis, tout soudain, elle plongeait dans des gammes graves et dramatiques. Elle faisait frissonner les dames et terrifiait les hommes.

Le capitaine se glissa derrière le Baron et arriva, en toute discrétion, au-dessus de Flore. Il posa une main sur son épaule. Elle leva ses yeux sévères sur lui, courroucée d'être arrachée à cette communion de beauté ; mais reconnaissant son pair en âge, elle pinça les lèvres, gentiment, indiquant sa disponibilité. Alors, à voix basse, il chuchota pour elle seule ses arguments et ses projets. Elle ne montra pas de surprise à l'annonce de la grossesse de Viana, mais eût-elle eu de la colère, elle n'aurait pu se permettre un esclandre, en plein chant de la cardabelle. Elle négocia, elle fronça les sourcils à plusieurs reprises, puis ils parvinrent à un accord quasi muet. Le vieux capitaine pressa l'épaule de la matrone d'une main reconnaissante et se redressa. Le conte musical touchait alors à sa fin, la voie claire et vibrante de la chanteuse évoquant la belle jeune femme changée en fleur des montagnes. Astorg était là, à côté de Flore, tout absorbé dans la contemplation de la pâle Odile. Salès se pencha et glissa à son oreille :

« Sire, puissiez-vous me pardonner la liberté que je vais prendre. »

Avant qu'Astorg n'eût le temps de comprendre ce qu'avait dit Salès, la salle explosa en applaudissements et en vivats, et dans ce tumulte, le capitaine s'était faufilé vers les tables du bas. Astorg le vit prendre à parti Martì, mais il était impossible de savoir ce que les deux hommes se disaient ; il était évident, en revanche, que Martì n'en menait pas large face à son capitaine. Finalement, Salès quitta la salle et Astorg posa la main sur celle, tiède et blanche, de sa fiancée.

La mission que Salès s'était donnée dépassait de loin la remontrance administrée et la promesse arrachée à l'écuyer helvien. Il avait une autre promesse à recueillir, et encore bien des choses à orchestrer avant la fin de la soirée. Il retourna aux cuisines, où Viana leva vers lui ses yeux clairs comme l'eau, baignés de larmes et d'espoir.

« Avez-vous parlé à Flore ?

–Òc, viens.

Il lui prit la main, une main forte et douce qui sentait les roses. Il la guida hors des cuisines, en disant :

–Quelle que soit ta surprise, tu ne dois rien dire, tu dois me faire confiance. Et tu dois me jurer que jamais, jamais, tu ne diras à quiconque que Martì est le père de l'enfant.

Elle le regarda, égarée.

–Mais... Que...

–Promets, Viana. Promets que personne ne saura.

–Clarmonde jà le sait...

–Personne d'autre, alors. Promets au souffle, c'est important !

La jeune liseuse de rêves baissa la tête, et d'un geste machinal, rangea sous le couvert de son voile blanc une boucle brune qui avait quitté son abri. Elle inspira fortement et leva la main devant elle. Salès posa sa paume contre celle de la jeune femme, qui dit, d'une voix lourde de chagrin :

–Le souffle-esprit prenne de ma bouche ces mots : « Martì est père de mon enfant » et qu'ainsi jamais plus ils ne passent mes lèvres, ni éveillée, ni en sommeil. Le souffle seul désormais les connaît.

Salès sourit.

–C'est bien. Maintenant, oublie tes peines, et cesse de t'agiter, ce n'est pas bon dans ton état. Va t'asseoir à ma place à la table.

–Seigneur, je ne peux...

–Viens, je t'accompagne.

Il l'escorta jusqu'à la grande salle, où le seigneur de Pelena, ayant pour les appas rebondis d'Elisa Montejoie un attrait qui dépassait son désir de tenir rang et place, avait pris la chaise vacante de Salès pour mieux deviser avec la dame. Salès tira pour Viana la chaise qui en était restée libre et s'adressa à la dame qui était à côté, douairière de l'un des vassaux du Tournel :

–Dame Audrèa, je vous confie cette jeune personne, elle est un peu éprouvée. »

La dame reçut cette charge avec un mélange d'étonnement et d'importance. Elle poussa aimablement vers Viana une coupe de prunes séchées fourrés au massepain. Salès croisa le regard de son seigneur, mais il n'alla pas s'expliquer ; au lieu de quoi, il demanda à un page sa cape fourrée et sortit de la salle, prêt à affronter le froid de la cour.

Dans la salle, les conversations avaient repris, après le chant de la cardabelle. Ce chant, dont le sujet était bien connu, avait cela de singulier que chaque chanteur, chaque château, chaque village avait un air différent pour le chanter, dans les mots employés comme dans les notes choisies ; la variété des interprétations était encore renforcée par la diversité des chanteurs et de leur tessiture. Odile de Grèzes fut tant marquée par celle qui venait d'être donnée qu'après quelques commentaires échangés avec Astorg du Tournel, elle arracha Elisa Montejoie à ses roucoulades pour en discuter. Sur ce sujet, elle préférait de loin la conversation de son amie. Le Baron, délaissé par sa belle, se tourna vers Flore.

« Pourquoi Salès vous a-t-il dérangée ?

–Il ne m'a pas dérangée.

–Flore, vous n'avez rien mangé depuis.

–Mon corps a moins besoin de nourriture que mon esprit, mon sieur. Permettez que je me perde à nouveau dans mes pensées.

–L'heure est aux agapes, Flore, vous songerez plus tard !

–Oh non, jeune Astorg ! Même si vous oubliez de dominer votre esprit, même si votre cœur, si lourd d'amour soit-il, ne sait pas retenir votre corps, laissez-moi, à moi, le privilège de n'être en rien attirée par les plaisirs physiques.

D'autres qu'Astorg auraient saisi là l'occasion de railler la matrone qui, large de toute sa personne, avait assurément un bon coup de fourchette – on la savait friande de pigeon aux raisins et de gâteaux aux noisettes. Mais le Baron savait qu'aucun mot de Flore n'était anodin et crispa la main sur l'accoudoir de son siège.

–Ce qui s'est passé dans l'étouffoir était une erreur, dit-il d'une voix contrite, quasiment inaudible.

–Vous avez à cette erreur mis bien de l'ardeur.

–C'est une tradition terreflammes...

–Vous le direz à votre dame. Ce n'est pas moi qui suis trompée.

–Est-ce pour cela que vous avez cet air sévère ? Ça n'a rien à voir avec Salès ? Il est pourtant parti avec un bien curieux message.

–Il vous fera son ambassade en temps voulu ; vous savez bien que je garde toutes les confidences qui me sont faites. Nom d'une Picte, j'en perds l'appétit !

La liseuse de rêves s'était exclamée, tranchant avec les messes basses qu'ils faisaient jusqu'alors. Sa voix ne porta pas loin, dans le brouhaha, mais assez pour faire se redresser, surprises, les voisines du Baron. La noble Odile portait visible son indignation et se tint coite et rembrunie à partir de ce moment, donnant à Elisa Montejoie un prétexte pour attirer à nouveau vers elle le seigneur de Pelena. Ce faisant, la fantasque dame sauvait Viana d'une situation bien inconfortable : le seigneur de Pelena, ivre à rouler sous la table, insistait d'une voix forte pour tout connaître de la jeune femme, et lui ayant fait avouer son manque de bien et de position sociale, il s'étonnait désormais de sa présence si haut à table. Aucune protestation excédée de la dame Audrèa n'était parvenue à calmer ses questions indiscrètes ; Viana, mortifiée, n'arrivait même pas à ouvrir la bouche. Elles furent toutes deux soulagées quand Elisa Montejoie détourna vers elle l'attention du seigneur de Pelena. La façon dont elle avait procédé les scandalisa toutefois, car la jeune femme avait coincé dans son décolleté si singulier plusieurs morceaux de livèche confite, et défiait désormais le seigneur d'y plonger ou les doigts ou le nez. C'était défier l'épervier de fondre sur le lapereau.

–C'est une traînée, souffla dame Audrèa. Quelle amie pour notre future Baronne !

–Dame Odile est bien différente, murmura Viana. En vérité, elles sont aussi différentes que l'aristoloche et l'angélique.

–L'angélique ? Vous m'en direz tant !

–C'est une plante que maîtresse Flore fait pousser. Elle n'est pas originaire des causses, mais de plus loin. Un marchand lui a donné des graines. Elle pousse très bien et c'est un excellent tonique.

–Et l'aristoloche ?

–Plus rare, mais d'ici. Les papillons l'aiment beaucoup, et on en fait de bons somnifères.

–Vous savez de ces choses !

–Dame Audrèa, je ne serai jamais une noble dame, comme vous, mais je ne suis pas une femme de cuisine. Je serai... Enfin, j'apprends auprès de maîtresse Flore pour être après elle liseuse de rêves au Tournel.

–Mais voilà ce qui m'est familier chez vous ! J'ai souvent eu recours au savoir de Flore, mais je n'avais jamais pris garde à qui l'accompagnait. En vérité, il me semble que vous la servez depuis bien longtemps ?

–Mon père était le sénéchal du Tournel, et ma mère la liseuse de rêves au Tournel du Val. Elle guidait des âmes plus modestes que Flore...

–Il n'y a pas d'âmes plus modestes que d'autres, jeune fille, seulement des âmes accablées de plus ou moins d'obligations.

–Vous avez raison, dame Audrèa, j'ai honte de mes mots. Je suis désolée, je contrôle mieux mes propos d'ordinaire.

–Ce n'est rien, le seigneur Salès a dit que vous n'étiez pas tout à fait vous-même. Tenez, prenez du vin de noix, ça vous fera du bien.

La dame Audrèa avait fait signe à l'un des serviteurs, qui jeta un regard soupçonneux à Viana avant de la servir.

–Alors, vous disiez, vos parents ne sont donc pas nobles...

–Mes parents sont décédés ; mon sire père lors du sac du Tournel du Val par les routiers, il y a neuf ans, au début de la guerre ; mais j'étais depuis longtemps déjà auprès de Flore, car ma mère a été emportée par une fièvre voilà douze hivers. Flore est ce que j'ai de plus approchant d'une famille, désormais. J'espère un jour lui succéder.

–Et vous y arriverez, mon enfant ! Vous êtes sage et modeste, certaines devraient prendre exemple sur vous.

Comme le visage de la dame Audrèa était tourné vers le haut de la table, Viana se demanda si elle parlait d'Elisa Montejoie et Odile de Grèzes.

En cet instant, il y eut de l'animation au fond de la salle, et un murmure enfla peu à peu. Salès, de retour, avançait entre les tables, dans l'espace vide au milieu de la salle, là où d'ordinaire les jongleurs se produisaient et les serviteurs allaient et venaient. Il portait sa cape en loup sur l'épaule gauche et avait épinglé du symbole de Capio le revers, pour dégager son bras droit. Parce qu'il ne portait pas de gants, l'agrafe en forme de plume disputait à sa chevalière les éclats des torches. Salès était suivi de la garde de Capio, qui allait au pas, cérémonieuse et impressionnante. Tous ses membres étaient parmi les hommes les plus grands et les mieux bâtis du Tournel. Martì était avec eux, le seul qui n'avait pas le front haut et le menton fier. Au contraire, il baissait les yeux en marchant. À mesure que la procession s'approchait de la table haute, le silence se fit. Tous les yeux étaient sur le seigneur de Capio, qui s'arrêta face à Astorg le Jeune. Mais ce ne fut pas au Baron du Tournel qu'il s'adressa.

–Maîtresse Flore !

La liseuse de rêves se leva, le bout de ses doigts dignement appuyé sur la nappe.

–Salès de Capio ! Que puis-je à vos desseins ?

À ces mots, Viana frissonna, car elle comprit de quoi la suite serait faite. Ses mains se tordaient d'appréhension sous la table. Autour d'elle, d'autres personnes s'agitaient, murmuraient. On savait désormais juste assez de choses pour en être excité.

Salès posa devant Flore un sac de toile en disant :

–Voici des noix pour compenser la perte que je vous vais causer, car je veux vous prendre Viana et en faire ma femme.

Le murmure enfla dans la salle, certaines des servantes poussant de petits cris de surprise ; parmi les vassaux du Tournel, la question de l'identité de la jeune femme était sur toutes les lèvres, bien parce qu'elle leur était inconnue. Arturus du Tournel, lui, avait éclaté de rire.

–Restez calme, intima doucement dame Audrèa à Viana, qui remuait sur son siège et donnait l'impression de vouloir se lever et fuir.

–Salès, qu'est-ce...

Astorg le Jeune s'était levé, le front barré d'une ride d'incompréhension ; mais Odile posa la main sur son bras, et gouverné par la dame de son cœur, il reprit place dans son siège de chêne.

Le bas de la table, indiscipliné, applaudit et siffla, Tournellois gaillards et enhardis par l'alcool et le chamboulement de cette démarche. Le seigneur de Capio, premier vassal du Baron du Tournel, demandait la main d'une fille qui avait, tout au plus, un seizième de noble sang, et pas un sou de dot. Toute la salle semblait devenue folle, entre jubilation du peuple et stupéfaction des nobles gens.

–Salès de Capio, répondit Flore d'une voix forte, un sac de noix ne compensera pas la perte que vous voulez infliger à mon cœur. Jamais je ne vous laisserai Viana, dussé-je la cloîtrer pour le reste de ses jours !

Alors que Flore s'approchait de Viana, la forçait à se lever et la suivre, la dame Audrèa lui murmura :

–Et bien vous serez noble dame, finalement ! »

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