Devant la Maison du Mensonge. 

Il pleut. 

Monna et Ame sont debout, dos à dos. 

Monna - Dis-moi,  Ame. Qu'est-ce que le langage ? 

Ame - Le langage ? C'est le moyen que l'Homme a choisi pour échanger. 

Monna - Echanger quoi ? 

Ame - Leurs idées. Leurs rêves. Ce qu'ils aiment, ce qu'ils veulent, ce qu'ils savent, ce qu'ils offrent, ce qu'ils sont. 

Monna - Et pourquoi veulent-ils échanger tout ça ? 

Ame - Parce que ce sont des trésors. 

Monna - Ne sont-ils pas précieux, ces trésors ? 

Ame - Ils le sont. Mais seulement lorsqu'on les partages. 

Silence entrecoupé par le son de la pluie. 

Ame - Dis-moi, Monna. Qu'est-ce que le partage ? 

Monna - C'est donner, en recevant, ou prendre en offrant. C'est une chose bien étrange qu'ont inventé les Hommes, car ils ne peuvent vivre seuls. 

Ame - Pourquoi ? 

Monna - Parce qu'ils ont peur. Peur de la solitude, cette bête assoiffée d'ennui qui les ronge de l'intérieur, qui les prend par surprise et les abat à coup de silence. Ce silence dont les mains froides glissent sur leur peau, caressant avec une tendresse effroyable les plaies béantes de ces êtres sans consciences. Les Hommes craignent le silence. Ils le fuient et parlent, parlent pour couvrir son chant. Ils parlent pour ne rien dire, crient bien fort l'inutile, le futile, comme si le silence pouvait leur voler le vrai, cette douce vérité qu'ils se chuchotent à l'oreille. Alors ils continuent à parler et s'assourdissent eux-mêmes. Ils ne savent plus écouter et se perdent dans le mensonge, lui qui sait si bien garder les secrets, il est Père de tous les vices. Mais si le mensonge est une erreur, c'est que l'Homme l'a rendu fourbe, mauvais et beau-parleur, à lui avoir trop soufflé la détresse de leurs cœurs, ils l'ont aveuglé pour que jamais il ne les libères, ces vérités que l'on terre. 

Ame - Et toi ? Tu as peur du silence ? 

Monna - Moi ? Je ne sais pas. J'aime le silence. J'aime l'écouter chanter quand rien ne bouge, quand rien ne vit. Le silence de l'absence me parcours, me remplit. Il fait de moi ce que je suis. Ce silence sans intelligence qui dresse mes remparts, me réconforte dans mon erreur, m'apprend par cœur à me tenir bien à l'écart. Je le suis dans mes insomnies qui laissent sur mon visage leurs fards noirs. Je me déguise dans sa présence, je cherche à masquer mes absences. Et je ne parle jamais pour ne rien dire. J'écoute le silence. 

Silence. 

Monna baisse la tête. 

Monna - Mais au fond, je le sais bien, je suis comme eux, je suis comme moi. Je fuis ce que je ne veux pas. J'écoute le silence mais je me brise à toujours garder ma parole. Je deviens folle. Je compte les chances qu'il me reste, je sombre dans la paresse. Je me déteste. Je veux croire que seule, je suis bien, mais je pleure jusqu'au matin. Je veux tout garder pour moi, et les mensonges forcent mes choix, alors je parle de vérité, même si je me sens espionnée, je continue à parler fort. Je pense faire des efforts. Et je me noie dans ce silence qui fait de ma vie une absence, je me perds dans mes propres jeux. Je fais semblant d'aller mieux. Mais tout s'emmêle, tout s'abîme, et je ne parle plus qu'en rime, pour faire résonner dans ma mémoire, la poésie de mon histoire. Histoire bien trop démodée, car tant de gens s'y sont trompés, ils ont vécu comme moi, la nostalgie de " l'autrefois ", autrefois où jamais encore, je n'avais donné mon âme à ce silence mort ! 

Silence. 

Monna - Je passe ma vie à me mentir. Mais puis-je faire autrement ? Moi qui ai peur de ce silence, peur de l'absence qui me gagne, je me réfugie dans les bras de celui qui ne dira jamais que, seule je ne suis rien. Pas même un cri dans le lointain. Juste une parcelle de vide. Qui danse et qui se tait. 

Ame - Alors parle. Parle, jusqu'à ce que tu ne puisses plus rien dire. Parle. On verra bien où ça nous mène. 

Monna - Je ne peux plus parler, mes mots sont vides de sens, ma tête, vide de pensées. Je ne suis qu'absence. Je vis au passé. 

Ame - Essaye. Et si le silence est trop lourd, je parlerai avec toi. 

Monna - Mais que veux-tu que je dises ? 

Ame - Je ne sais pas. Ce que tu as envie. 

Monna - Je n'ai pas d'envie. 

Ame - Alors, dis ce que tu as. 

Monna - Je n'ai rien. 

Ame - Alors, dis ce que tu es. 

Monna - Je ne suis rien. 

Ame - Alors, dis ce que je suis. 

Monna -  Je n'y arrive pas !

Ame - Alors, mens. Raconte-moi une histoire. 

Silence. 

Monna relève la tête. 

Monna - Je suis La Menteuse. Mais ceci n'est pas mon histoire ...