Dans la Maison du Mensonge. 

Monna est assise sur une chaise. Le décor est toujours blanc. 

Le sol, les murs, le plafond, ont une teinte rouge cendrée. 

Ame entre en scène. Il porte un manteau noir. 

Monna - Et bien, que fais-tu là Ame ? Ne devrais-tu pas être en train de te préparer pour jouer le rôle que je t'ai attribué ? 

Silence. 

Ame marche jusqu'à Monna et attend. 

Ils se dévisagent quelques instants. 

Monna -  Parle ! Puisque l'impatience te brûle les yeux. 

Ame - Apprend-moi à vivre. 

Monna - Non, je ne t'apprendrais pas.

Ame - Pourquoi ?

Monna - Parce que tu n'es pas fais pour la vie.  

Ame - Alors, apprend-moi à mourir. 

Monna - Non, je ne t'apprendrais rien. 

Ame - Pourquoi ? 

Monna - Parce que tu ne peux pas mourir. 

Ame - C'est faux ! 

Monna - Ame, si tu ne peux pas vivre, tu ne peux pas mourir.

Ame - Je ne comprends pas ! Pourquoi ne puis-je pas vivre ? 

Monna - Parce que tu n'es  pas. Tout simplement. Tu n'existes pas. 

Silence. 

Ame - Mais alors, si je n'existe pas, que suis-je ? 

Monna - Ame. Ne vois-tu pas ? Tu n'es qu'un objet. Sans cœur, sans âme. Une marionnette aux fils d'acier que nul ne peut briser. Un corps sans esprit. Une vie sans mort. Tu n'es rien. Un vide immense, bien plus profond que la vie, bien plus léger que la mort. Une absence infinie de chaleur, un brasier sans braises, un feu sans flammes, un destin sans chemin. Tu es une porte fermée, tu n'as pas de serrure, il n'y a pas de clef. Tu es mur de pierre millénaire, une frontière entre la vie et la mort, mais qui n'est ni l'un, ni l'autre. Tu es ce que l'on appel parfois, un songe, une idée, quelque chose d'instable, d'éphémère. Tu es une poussière ou bien un désert tout entier. Rien ne t'empêche d'être les deux à la fois. Tu peux devenir lac ou ruisseau, océan ou étang, plaine ou forêt, ciel ou terre, lune ou soleil. Tu peux être un tout. Mais à la fin, tu n'es plus rien. Tu es un monde à toi tout seul, mais lorsque l'histoire se termine, tu t'éclipses derrière ces pages. Comprends-tu Ame ? Tu es le Rien. La seule chose en cette univers de misère capable de défier la mort. Mais ce pouvoir, tu l'obtiens en perdant la vie. 

Ame - Pourtant, je n'en ai pas fait le choix. 

Monna - C'est moi qui l'ai fait pour toi. Ame, tu es ma marionnette. Mon songe. Tu es mon monde à moi. Tu es ce que je suis.

Silence. 

Monna - Je ne t'apprendrai pas la vie, Ame. Je t'apprendrai ton rôle. 

Ame -  Je ne veux pas d'un rôle. 

Monna - Tu as été créé pour jouer. Jouer ton rôle, celui que j'ai écris pour toi. 

Ame -  Je ne veux pas de ce rôle. 

Monna - Alors que veux-tu ? 

Ame - Je veux vivre. 

Monna - Vivre ? La vie, ça fait mal. La vie, c'est un combat perpétuel pour devenir quelqu'un. Cependant, moi, je ne suis personne. Et être personne, c'est vivre dans la haine et le mépris. Un cauchemars éternel duquel on ne se réveille pas. 

Ame - Sommes-nous obligés de devenir quelqu'un ? 

Monna - A l'origine, non. Mais l'Homme n'a jamais respecté ses serments, il n'a jamais choisi de vivre dans la simplicité, en harmonie. L'Homme, n'a jamais voulu le bonheur. Voilà, pourquoi il ne l'a jamais trouvé. Parce qu'il ne le cherchait pas. 

Ame - Qui est cet homme ? 

Monna - L'Homme ? C'est moi, c'est les autres. Ces autres que je fuis. L'Homme, c'est cette ombre qui me suit. La tâche de sang qui assombrit le ciel. La dureté de la terre. L'Homme, c'est le monstre qui se cache sous mon lit. J'ai peur de l'Homme. C'est pour ça que je l'écris. 

Ame - Tu écris l'Homme ? 

Monna - Oui. J'écris l'Homme, dans toute sa splendeur, dans toute son horreur. J'écris l'Homme avec mépris, avec colère, avec dépit. J'écris l'Homme pour oublier que je le suis. Que je suis cet Homme qui se cherche et se détruit. Cet Homme qui fut créé, non pas par les dieux, non pas par les diables, il vient de la pourriture qui encombrait la planète. Tu ne trouves pas que cette ordure à un peu trop d'arrogance ? C'est la prétention des ignorants. Pourtant, l'Homme devrait être un sage, puisqu'il est le seul sur cette terre à savoir que tôt ou tard, il sera mort. 

Silence. 

Monna - Si je ne t'apprends pas la vie, c'est pour que jamais, tu ne connaisses la mort. La plus grande tragédie de l'être humain, c'est qu'il sait avant même de naître, qu'un jour, ce sera la fin. Sa  fin. L'Homme connaît la mort mieux que la vie. C'est là son plus grand défaut. 

Ame - Pourquoi dis-tu "Homme" ? 

Monna - Certains, pour plus d'égalité, préfèrent dire : humain. Moi, je dis "Homme", même si je suis une femme, car c'est bien ce mot qui défini le mieux la véritable complexité de cet être trop signifiant. 

Humains du grec "Hominem"

Observateurs aux avis Opposés 

Méprisables et habiles Manipulateurs

Menteurs timides et Maladroits

Etres tourmentés par leurs doutes Ephémères. 

Ame - Tu n'aimes pas les Hommes ? 

Monna - Ils sont mauvais, ils cherchent toujours ce qu'ils ne désirent pas et gâchent leur vie à faire semblant de poursuivre un bonheur invisible, en négligeant leur véritable raison de vivre. Oui, je les déteste. Mais je suis un Homme. Je suis un être humain. Et tôt ou tard, je me rendrais compte que, moi aussi, je cours après un rêve inexistant, oubliant derrière moi mon propre bonheur. Nous sommes tous pareils. Compliqués, et sévères, les uns, les autres. Nous jugeons nos semblables sans même penser à nous préoccuper de nous même. Mais, nous n'y pouvons rien. Nous sommes condamnés, de par notre nature, à être esclave du temps et à le perdre involontairement. Alors, malgré tous ses travers et les erreurs qu'il a commises, j'aime l'être humain. J'aime les Hommes. Car je suis l'une des leurs. 

Ame - Et moi, tu m'aimes ? 

Elle rit, s'approche et lui prend la main. 

Monna - Toi Ame. Toi qui ne peut pas vivre, qui ne connaîtra jamais la mort. Toi qui n'as pas de cœur, pas de conscience. Toi qui ne connais pas les tourments de l'être humain. Tu es différent. Tu es bien mieux que nous. Tu es quelqu'un d'idéal, un être que l'on a construit de toute pièce, en suivant notre désir. Tu es une œuvre d'art, tu es une sculpture faîte dans le plus beau, le plus honnête des marbres. Toi Ame, tu n'es pas un Homme. 

Ame - Alors que suis-je !

Monna - Un personnage. Mon personnage.