Acte I, Scène 4
Sennar, debout au milieu de la pièce, le visage couvert par ses mains.
Monna entre en scène.
Monna - Je veux écrire.
Silence.
Monna - Je veux écrire. Mais pas sur le monde. Il est trop morne, trop sombre, trop lassant. Il est vide de sens, aussi vide que moi-même. Et je ne veux pas écrire sur le Rien.
Silence.
Monna - Je veux écrire. Mais pas sur ma vie. Elle est trop moi. Et je ne veux pas écrire sur moi. Ce serai trop narcissique. Ce serai trop égoïste. Ce serai trop ennuyeux et ce serai trop. Tout court. Je ne veux pas faire de ma vie, ce qu'elle n'est pas. Je ne veux rien faire de ma vie. Je veux la laisser me découvrir, et l'apprendre. Je veux la laisser courir, et l'allumer. Je veux la laisser mourir, et me brûler.
Silence.
Sennar retire ses mains. Il tourne la tête vers Monna qui regarde devant elle.
Sennar - Tu veux écrire sur quoi alors ?
Monna - Je veux écrire. Mais pas sur le monde, mais pas sur ma vie, mais pas sur moi-même. Je veux écrire, un autre monde, une autre vie, et quelqu'un qui n'est pas moi. Je veux inventer un univers nouveau, où rien ne serai pareil, où tout serai différent. Je veux inventer des vies qui s'agitent, qui se percutent et qui glissent dans la gorge d'un démon que l'on appel Le Temps. Je veux inventer des êtres qui auraient un corps, un esprit et un cœur. Une âme unique, tellement unique qu'elle pourra prendre l'apparence de n'importe quelle âme en ce monde si laid. Je veux écrire mon monde.
Sennar - Fais attention, petite tête, tu risques de t'y perdre.
Monna - Non. Je ne m'égarerai pas. Je vivrai, là-bas. Et je les ferai vivre. De la pointe de ma plume, je veux dessiner ces visages semblables à tous les autres. Ces visages qui seront un monde pour chacun, pour chaque petite tête perdue dans le désert des sentiments.
Sennar - Toutes les petites têtes ?
Monna - Chacune d'entre elles. Je voudrai leur faire un abri, pour qu'elles ne tremblent pas dans les pupilles glaciales des regards. Je voudrai leur faire un habit, pour qu'elles n'aient pas peur de danser sous les larmes des aigris. Je voudrai leur faire une armure, pour qu'elles ne soient pas blessées par les cœurs en poignard. Je voudrai leur faire une serrure, pour qu'elles n'aient pas à cacher ce qui les encombre. Je voudrai leur faire un refuge, pour qu'elles aient un endroit où revenir quand le temps se fâche. Je voudrai leur faire une page, pour qu'elles écrivent un jour leur naufrage. Je voudrai leur mentir, rien qu'une fois je l'espère, pour qu'elles oublient leur quotidien amer. Je voudrai leur mentir, tant qu'elles croient encore aux contes de fée et aux fabuleux trésors. Je voudrai protéger dans le creux de mes mots, ces rêves d'enfants qui se sont enfuis trop tôt. Je voudrai garder dans mon âme, bien au chaud, ces feux brûlants, si fragiles, qu'on éteint avec une seule goutte d'eau.
Silence.
Monna - Je voudrai mentir, rien qu'une fois je l'espère, peut-être deux, si le monde reste amer.
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