ACTE III - Scène 23
Samedi 15 Mai, 18 : 09
<She ~ Hayley Kiyoko>
« Quelqu'un a vu mon mascara ?
- Bordel, Léo, t'as mouillé mon pantalon ! Qu'est ce que je suis censé faire maintenant ?
- Désolé...
- Putain, les mecs, arrêtez de vous disputer et cherchez plutôt mon mascara !
- Quelqu'un sait où est Willow ?
- Iel est probablement en retard, comme d'habitude avant les spectacles...
- Sérieusement ? La pièce démarre dans vingt minutes ! WILLOW !
- Ya plus de papier PQ dans les toilettes, t'as pas un mouchoir ?
- Si, mais j'en ai besoin pour la scène 4...
- Je m'en fiche de la scène 4, t'utiliseras ton T-shirt. Tu préfères que je me retienne et que je finisse par pisser sur scène ?
- Tout le monde, calmez-vous ! On vous entend depuis le public.
- Adam ! T'as pas vu Willow ?
- Iel a encore disparu ? C'est pas possible... Lilly, Fatouma, allez le.a cherchez, les autres, terminez d'installer les décors sur scène. On ne peut pas se permettre de commencer en retard comme la dernière fois !
- Mais j'ai perdu mon mascara et j'en ai besoin pour me maquiller !!
- Vous pensez que j'ai encore le temps d'aller chercher un snack à la buvette ?
- Merde, Léo, ce n'est pas le moment !
- TAISEZ-VOUS !!!! » Hurle Adam.
Nous cessons tous de parler et les loges s'absorbent dans le silence. Tous mes camarades du théâtre se sont immobilisés dans leurs tâches et fixent à présent Adam qui se tient devant nous, l'air d'être sur le point d'exploser. Notre prof de théâtre est quelqu'un de super doux et gentil quand il le veut, mais à chaque fin d'année, juste avant le spectacle, c'est la même chose : on stresse pour rien, on oublie notre texte, on perd des accessoires – ou des personnes –, bref, en un mot, c'est le chaos. Alors, à chaque fois, il doit hurler pour nous faire taire – et à raison : sans lui pour nous calmer de la façon brutale dix minutes avant chaque représentation, l'organisation déjà mauvaise de notre petite troupe serait réduite à néant. Nous en avons l'habitude, alors nous réagissons à peine, nous contentant de la fermer pour ne pas l'énerver davantage. Seule Iris, qui est à sa première année dans le club, a l'air étonnée par le ton violent de notre professeur, écarquillant ses yeux maquillés.
« Tout le monde se calme, reprend t-il plus doucement. Iris, prête ton mascara à Fatouma pour qu'elle puisse finir de se maquiller. Edward, ce n'est pas grave, c'est juste de l'eau, va sécher ton pantalon avec le sèche-mains des toilettes, la tâche va disparaître rapidement. Lilly, j'ai des mouchoirs dans ma sacoche, va en chercher au lieu de te servir dans les accessoires. Léo, rend-toi utile et va fouiller le théâtre pour retrouver Willow, tu iras à la buvette pendant l'entracte. Yun, Iris, Beth, aller aidez à installer les décors sur scène. Je ne veux voir personne ne rien faire ou hurler dans les loges. Go ! »
Nous hochons la tête et nous dispersons aussitôt sans avoir rien à redire. Avec le temps, nous savons qu'interrompre Adam dans ce genre de discours est la meilleure chose à ne pas faire, surtout quand il est autant sur les nerfs qu'à cet instant. Iris se faufile rapidement dans sa cabine et fouille dans sa trousse de toilette pour donner son tube de mascara à Fatouma, puis elle nous rejoint, Yun et moi, empruntant l'escalier qui mène les loges à la scène. Nous saisissons à deux une table qui traînait dans les coulisses et la transportons au centre des planches tandis que Yun attrape deux chaises pour les placer sur les côtés. Nous mettons en place les éléments du décor nécessaires à la scène 1, bientôt rejoints par Lilly sortant des toilettes et Fatouma qui a terminé son make-up. Alors que j'installe les couverts préalablement apportés sur la table, je remarque qu'Iris a l'air stressé, triturant ses doigts et jetant nerveusement des coups d'œil répétés en direction des lourds plis du rideau écarlate nous séparant du public. Finissant de placer couteaux et fourchettes, je me fragmente du groupe et m'approche d'Iris alors qu'elle est dos à moi.
« Heeeeyyy, » M'introduis-je en entrant dans son champ de vision.
Iris, qui était plongée dans ses pensées, sursaute en m'apercevant, ce qui me fait pouffer. Elle joint rapidement son rire au mien, même si elle semble toujours être ailleurs.
« Ca va ? Je l'interroge avec tact. Tu as l'air d'avoir le trac.
- Le trac ? Non, pas tellement, réponds t-elle avec honnêteté. Ce n'est pas la première fois que je monte sur scène, et dans mon groupe de théâtre à Paris, la salle était deux fois plus grande, alors...
- Et bien, merci, rétorqué-je sur un ton ironique.
- Non mais tu vois ce que je veux dire ! Se rattrape Iris en éclatant de rire.
- Je vois très bien ce que tu veux dire, et c'est vexant, élucidé-je en commençant à partir.
- Beth ! »
Iris me saisis par le bras pour me stopper sans pouvoir cesser de rire. Le son mélodieux sortant de sa bouche est si pur et communicatif que je ne peux empêcher mes lèvres de s'étirer dans un doux sourire. Iris me rapproche d'elle et se penche légèrement vers moi, nos visages à quelques centimètres l'un de l'autre. Mon sourire retombe, mon cœur tambourinant dans ma poitrine, mes pommettes se teintant d'un vermeil n'ayant rien à voir avec le blush appliqué avec soin sur mon visage. Finalement, Iris close ses paupières et effleure ses lèvres avec les miennes, me volant un baiser vif et tendre comme un bouton de rose. Un frisson, long et agréable, me parcoure l'échine, et, dans un réflexe, je viens nicher ma main dans sa nuque pour mieux répondre au baiser.
« Venez aider, les amoureuses, on ouvre les rideaux dans cinq minutes ! » Nous apostrophe Willow en passant à côté de nous, un carton débordant de costumes pour la pièce dans les bras.
Iris glousse contre mes lèvres, et nous nous séparons, enlaçant tout de même nos doigts pour rester ensemble. Je me tourne vers Willow qui disparaît dans les coulisses.
« T'étais pas censé avoir disparu, toi ? Lui lancé-je.
- T'aurais préféré, avoue ! Crie t-iel en retour.
- On l'a trouvé dehors en train de se rouler une cigarette, » Nous informe Léo en arrangeant un arbre en carton que nous avons peint la semaine dernière, lors d'un rendez-vous organisé pour la préparation des décors.
Je me tourne vers lui et écarquille les yeux, sifflant par automatisme. Léo porte une jupe noire et un tailleur rehaussé par le soutien-gorge que Fatouma lui a prêté, comme c'est sûrement elle dans la troupe à avoir la poitrine la plus généreuse. Il est perché sur des escarpins, une perruque brune ajustée sur son crâne et son visage magnifiquement maquillé par Kali, la femme d'Adam : en un mot, il est superbe... et interpréta fabuleusement la mère de Naïma, jouée par Iris, sur scène.
« Woaw ! S'exclame Iris, impressionnée, en découvrant à son tour la tenue. Super chic, Léo ! J'adore !
- Merci les filles, réponds t-il en balançant ses faux cheveux dans son dos et nous adressant un clin d'œil séducteur. Vous n'êtes pas mal non plus. »
Sur ces mots, il se dirige vers les loges en nous effectuant son plus beau déhanché. Nous applaudissons et rions, amusées par son comportement de diva. Nous sommes le samedi 15 mai et, comme vous vous en doutez, ce soir est la grande représentation de la pièce entièrement écrite par Adam et fortement inspirée de « Roméo et Juliette ». Ces huit derniers mois, nous avons travaillé dur pour apprendre notre texte jusqu'au bout des doigts et perfectionner notre jeu, et à présent, nous sommes prêts à interpréter ce remix de la bien célèbre pièce de Shakespeare lors du spectacle de fin d'année. Tous les costumes et décors ont été soigneusement choisis et préparés, le texte d'Adam est excellent et les comédiens sont au point, de plus, la répétition générale de cet après-midi s'est merveilleusement déroulée, sans aucun trou ou la moindre hésitation. Je ne vois sincèrement pas comment le spectacle pourrait mal tourner. Toute la troupe est un peu nerveux, bien sûr, surtout que la pièce aborde de nombreux sujets – racisme, homophobie – que nous savons peuvent fâcher. Mais ce soir, même si nous avons le trac, nous sommes tous heureux et confidents de monter sur scène pour interpréter ce remix de « Roméo et Juliette » devant nos parents et amis.
Je me retourne vers Iris, et constate que son regard s'est à nouveau dirigé vers les rideaux de velours plissés qui nous empêchent de voir le public. Les doigts de sa main libre pianotent inconsciemment contre le tissu de son jean noir.
« Iris, l'appelé-je doucement. Tu es sûre que tu vas bien ? Tu m'as l'air super stressée.
- Je te l'ai déjà dit, ce n'est pas mon premier spectacle, » Rétorque t-elle, sur la défensive.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi elle réagit comme de cette façon.
« Est-ce que c'est par rapport à tes parents ? Je souffle, inquiète. Tu vas jouer un personnage lesbien devant eux et tu as peur qu'ils aient une mauvaise réaction ?
- Et bien... Oui, en partie, avoue misérablement Iris en refusant de me regarder dans les yeux. Je ne sais pas si j'ai vraiment envie qu'ils l'apprennent, et j'ignore complètement comment ils vont réagir. J'avoue, cet inconnu me fait peur. Mais... Il y a une autre chose que je ne t'ai pas dite.
- Quoi ?
- Mon frère est dans l'audience, » Lâche t-elle de but en blanc.
Mes yeux s'arrondissent comme des ballons. Je suis stupéfaite.
« Comment ? Mais c'est génial ! » M'enthousiasmé-je.
Un sourire timide s'esquisse sur les traits maquillés d'Iris.
« Ouais. C'est juste que ça fait super longtemps que je ne l'ai pas vu, et par conséquent... J'ai un peu le trac. Je ne veux pas le décevoir. »
Je soupire. Sans réfléchir, je me dresse sur la pointe des pieds pour l'embrasser à nouveau, plus chastement cette fois. Ses joues en rosissent de surprise. Je me détache d'elle et attrape ses deux mains dans les miennes, traçant des cercles apaisants sur ses paumes avec mes pouces.
« Hey. Tout va bien se passer, OK ? Ton frère va être tellement ébahi par ton jeu d'acteur de malade qu'il en tombera de son siège, tu vas voir. Et pour tes parents, ne t'inquiète pas. Tout va bien se passer. Je sais que ta relation avec eux et un peu compliquée, mais s'ils t'aiment, ils t'accepteront comme tu es, et peut-être que ça vous permettra de vous rapprocher, qui sait ? Et sinon, tu peux toujours compter sur tes amis qui sont là pour toi, Louise, Dan, toute la troupe de théâtre... Et moi.
- Je sais, dit-elle en souriant doucement, les yeux brillants. Merci.
- Mais si tu ne veux vraiment pas le faire, on peut toujours annuler, hein ? Je rajoute précipitamment. On ne prévient pas Adam car il risque de nous tuer, on se barre de là et on va se cacher loin d'ici le temps que les tensions se calment. D'accord ? »
Iris éclate d'un rire sincère, libérant sa main droite pour chasser une larme d'émotion.
« C'est gentil de proposer, mais... non merci. Je vais le faire. Je peux le faire.
- Je sais que tu en es capable, mais est-ce que tu en as envie ? Questionné-je prudemment. Car c'est le plus important.
- Oui. (Iris acquiesce, souriante et déterminée.) Oui, j'en ai envie. »
Nous nous regardons un instant, mes yeux verts ancrés dans ses yeux sombres, nous fixant amoureusement. Iris et moi sortons ensemble depuis trois mois maintenant. Nous nous sommes mises en couple en février, lors d'un date où nous avions fais de l'escalade toute la journée dans un spot dans les montagnes conseillé par Lilly. Alors que nous mangions nos sandwiches et vidions nos gourdes d'eau, épuisées et en sueur, Iris m'a demandé si je voulais être sa petite amie. J'étais si ahurie que j'ai failli recracher l'eau que j'étais en train de boire à la bouteille. C'est vrai que cela faisait quelques mois déjà que nous flirtions régulièrement, s'embrassant de temps à autres et enchaînant les rendez-vous, restaurants, promenades dans la ville, cinémas et autres. Néanmoins, je n'avais jamais vraiment songé à me mettre en couple avec Iris, peut-être parce que je n'osais pas l'imaginer. Mais quand elle m'a demandé d'être sa petite amie, j'ai ressenti tellement de bonheur en moi que je n'ai pas hésité une seule seconde : j'ai accepté. Iris Siar est ma première petite amie et j'en suis terriblement heureuse. Certes, tous nos potes, en particulier Edward et nos camarades du théâtre, nous taquinent constamment à ce propos, mais leurs remarques sont plus espiègles que moqueuses. De plus, notre statut de petites amies et notre alchimie naturelle aident grandement à notre incarnation de Gabrielle et Naïma, le couple principal de la pièce. En bref, nous filons un amour simple et joyeux, encore un peu naïf, où nous essayons de ne pas nous prendre trop la tête et, pour l'instant, ça fonctionne plutôt bien.
Alors que nous nous regardons yeux dans les yeux, souriant avec tranquillité, je sens la dernière petite part de trac restée en moi s'envoler comme par magie. Je serais avec Iris sur scène et c'est tout ce qui compte. Soudain, Edward, habillé en jean et chemise à manches courtes, une casquette enfoncée sur ses cheveux blanc argenté, apparaît près de nous, interrompant notre moment.
« Oui, oui, on va aider, je m'agace en balayant sa remarque pas encore prononcée d'un geste de la main.
- En fait, ce n'était pas pour ça que je venais vous voir.
- Quoi ? Les rideaux ouvrent dans deux minutes ? Questionné-je en me tournant vers lui.
- Bah, à ce propos, répond-t-il en se grattant l'arrière du crâne, je pense que la pièce va commencer avec un quart d'heure de retard. Willow a re-disparu.
- Encore ?! S'étonne Iris.
- Ne vous inquiétez pas, on va le retrouver, ajoute t-il aussitôt. Il doit sûrement être en train de fumer dans les toilettes. C'est sa façon de déstresser avant les spectacles. Mais toi, Beth, dit-il en plantant ses yeux gris dans les miens, il y a quelqu'un qui souhaite te parler dans les coulisses. »
Je fronce les sourcils. Qui donc pourrait vouloir me parler avant le spectacle ? Le clin d'œil taquin qu'Edward m'attribue ne fait que me troubler davantage, mais je hausse les épaules, lâchant la main d'Iris pour me diriger vers l'arrière-scène.
Depuis son opération chirurgicale de novembre, Edward a de plus en plus espacé les jours où il mettait ses lentilles, alors qu'il les portait tout le temps auparavant. Il use encore ses lentilles bleu électrique, bien sûr, mais désormais, nous avons régulièrement la chance de voir ses vrais iris, sublimes, à la couleur grise et nuancée. Je dois avouer que je le préfère comme ça. Ses yeux bleu vif étaient durs et impénétrables, alors que maintenant, nous pouvons voir toutes les émotions passer dans son regard orageux. Ca le rend bien plus humain. Je pense que ça a un lien avec son opération, puisque depuis novembre dernier, il se montre plus confident et bien dans sa peau, chose qui me rend profondément heureuse. Par exemple, le mois dernier, nous sommes allés refaire une randonnée avec les membres du club de théâtre, où cette fois nous étions tous présents. Lorsque nous nous sommes arrêtés à un lac pour pique-niquer, il s'est déshabillé comme tout le monde et a sauté dans l'eau glaciale en premier, nous étonnant tous. Et quand nous séchions allongés sur la plage de galets, il exhibait sans honte son torse nu et les deux cicatrices ornant le dessous de sa poitrine. J'ai failli fondre en larmes tant j'étais émue, mais à la place, je me suis contentée de le serrer dans mes bras. Je suis tellement fière de tout le chemin qu'il a parcouru.
***
<We Made It ~ Louis Tomlinson>
Je pénètre dans les coulisses, et mes yeux verts s'écarquillent lorsque j'y trouve... Zoé. Nerveusement, ma meilleure amie regarde autour d'elle, fouillant les coulisses du regard, observant les costumes ou les décors pour les prochaines scènes éparpillés dans le petit espace. Je la rejoins, abasourdie et ne comprenant pas ce qu'elle fait là.
« Zoé ! Qu'est ce que tu fais ici ? » Lui lancé-je sans parvenir à cacher ma stupéfaction.
La concernée se tourne vers moi, et, en m'apercevant, un immense sourire se dessine sur son visage. Elle s'approche rapidement de moi et m'enlace, se penchant pour entourer ses bras autour de ma taille. Je la laisse faire, toujours interdite, répondant maladroitement à son étreinte. Au bout d'une ou deux secondes, elle se détache de moi, posant ses mains sur ses hanches.
« Bah alors, je n'ai pas le droit d'aller visiter ma meilleure amie avant son spectacle ? Demande t-elle sur un ton faussement blessé.
- Si, bien sûr que si... C'est juste que tu n'as jamais fait ça avant. »
Elle hausse les épaules. Comme d'habitude, Zoé est magnifique, même habillée simplement en shorts, baskets et débardeur. Ses cheveux ont poussé étonnement vite après sa boule à zéro radicale d'il y a quelques mois, et à présent, elle arbore une superbe coupe courte, ses cheveux châtain-roux en bataille sur le dessus et rasé derrière et sur les côtés. Mais surtout, c'est son sourire qui fait sa beauté : Zoé est heureuse et ça se voit.
Après la révélation de début novembre, nous nous sommes séparés un long moment, ayant toutes deux besoin de temps éloignées l'une de l'autre : elle pour assimiler mon aveu et moi pour oublier mes sentiments pour elle. Il m'a fallu un peu plus de temps que prévu, mais Iris, Edward et tous mes amis m'ont beaucoup aidé à passer à autre chose. Plus je tombais amoureuse d'Iris, moins je pensais à Zoé, et c'était mieux pour tout le monde. Je continuais à l'observer de loin, bien sûr, pour m'assurer qu'elle allait bien, mais globalement, Zoé était bien entourée elle aussi. Elle avait toujours Théo, évidemment, avec qui elle fêtera leurs six mois dans dix jours environ, plus Emily, Clara et d'autres lycéens que lui a présenté son petit-ami. Sa famille aussi la soutenait de leur mieux, surtout ses grands-parents, puisque sa mère se démenait avec les petits boulots, travaillant deux fois plus dur pour qu'elles puissent s'acheter un appartement. Elles ont fini par en trouver un petit qu'elles habitent depuis mars. Malgré les personnes qui la soutenaient, Zoé avait toujours besoin de sa meilleure amie, alors parfois, elle venait se confier à moi, généralement en m'appelant ou parfois en débarquant chez moi pour vider son sac. Notre relation était un peu étrange, mais elle nous convenait à toutes les deux, le temps que je me remette complètement d'elle et que nous puissions retourner à la normale. C'est en février, après que je me sois mise en couple avec Iris et que j'étais sûre que Zoé ne me manquait plus qu'en tant qu'amie, que j'ai recommencé à l'aborder naturellement, à sa plus grande surprise – et son plus grand ravissement. Petit à petit, nous nous sommes rapprochées prudemment pour retrouver notre relation de jadis – ou presque – qui nous avait tant manqué à l'une comme à l'autre. A présent, je ne pourrais pas être plus heureuse d'avoir retrouvé ma meilleure amie.
« Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, » Déclame sagement Zoé, observant les coulisses comme si elle n'en avait jamais vu auparavant.
Je lâche un petit rire.
« C'est vrai. Je suis touchée par ton attention, mais tu devrais retourner dans le public, tu risques de te faire prendre ton siège.
- Oh, ça va, ce n'est pas comme si la salle était remplie, réponds t-elle machinalement, toujours aussi cruellement franche, en chassant mon conseil d'un geste de la main.
- Sympa, grogné-je, lèvres pincées, trop bas pour qu'elle puisse m'entendre.
- Et puis au cas où, Théo garde ma place, » Poursuit Zoé en se penchant sur une table où sont affaissés textes, déguisements et sachets de chips, les mains derrière le dos comme un détective examinant la pièce à la recherche de preuves.
Ma mâchoire m'en tombe.
« Théo est ici ? T'es sérieuse ? »
Elle hoche la tête comme si tout était normal.
« Oui, bien sûr ! Je l'ai invité à aller voir la pièce avec moi. C'est mon copain après tout, il ne me refuse jamais rien. Ah, et au passage, j'ai aussi dit aux autres – Clara, Emily, Mark, Simon et Oliver – de venir. Ils sont dans l'audience à cet instant. Il y a aussi tes nouveaux potes, là, Dan et Louise... Mais eux, je ne les ai pas invité, ils se sont probablement pointés parce qu'Iris leur a dit de le faire.
- Mais... mais... Pourquoi ? Balbutié-je, ébahie.
- Pour te soutenir, enfin ! Plus il y a de monde, mieux c'est, non ? Et puis, on a payé l'entrée comme tout le monde. Sans nous, peut-être que l'année prochaine, vous n'auriez pas pu vous offrir de costumes pour votre spectacle ! Je pense que tu devrais me remercier.
- Bordel, Zoé, t'es complètement folle, soupiré-je en me pinçant l'arête du nez, exaspérée.
- Je sais, merci. C'est quoi, ce truc ? Ajoute t-elle en manipulant une petite télécommande, la scrutant avec curiosité. Je ne suis jamais allée dans des coulisses avant aujourd'hui.
- Touche pas ! C'est pour contrôler les rideaux et la bande-son.
- Oh, » Fait-elle simplement avant de reposer l'objet là où elle l'a trouvé.
Je souffle profondément. On ne fait pas meilleur que Zoé pour les plans foireux, et cette action est un parfait exemple de ce qu'elle est capable de faire quand elle est déterminée. Ca ne me dérange pas que mes amis viennent me voir jouer, bien sûr... Mais c'est quand même un peu gênant de savoir que ces personnes me regarderont du public, jugeant mon entière performance. Et puis, merde, elle aurait tout de même pu me prévenir !
« ON A RETROUVE WILLOW, LES RIDEAUX S'OUVRENT DANS DEUX MINUTES ! TOUT LE MONDE DANS LES COULISSES ! MAINTENANT ! » Gueule Adam depuis les loges.
Zoé dresse ses sourcils épais.
« Woaw, il est sacrément énervé, le type !
- Oui, c'est comme ça avant chaque spectacle, j'explique avec un sourire amusé face à la constatation très cash de ma meilleure amie. Mais tu l'as entendu, tu devrais probablement y aller.
- Tu as raison, se déplore t-elle. Bonne chance pour la pièce.
- En fait, avant une représentation théâtrale, on dit merde, » Je l'informe.
Zoé éclate de rire. L'entente de ce son vrai et joyeux me fait automatiquement sourire.
« Sérieusement ? Merde ?
- Ouais. Il y a quelques siècles, quand on utilisait encore des calèches et qu'on allait au théâtre, on les garait devant l'entrée, tu vois ? Je lui explique avec professionnalisme. Et donc, les chevaux qui les tiraient allaient forcément chier. Donc plus il y avait de merde devant le théâtre, plus il y avait de chevaux, donc de public venant assister à la pièce. Dans le vocabulaire du théâtre, « merde » veut donc dire espérons qu'il y a du monde, ou bonne chance.
- C'est marrant. Alors, merde, je suppose.
- Merci. Je te dirais bien toi aussi, mais vu que tu ne joues pas dans la pièce...
- Logique. Je devrais probablement y aller.
- Probablement, ouais.
- Ouais. »
Elle ne bouge pourtant pas, me regardant avec hésitation, un dilemme se jouant dans ses yeux noisette. Puis finalement, à mon grand étonnement, elle se jette dans mes bras, me serrant contre elle dans une embrassade forte et émotionnelle. Malgré mon ahurissement, je réponds au câlin, agrippant mes mains dans son dos pour l'étreindre avec plus d'intensité.
« Je t'aime, me glisse t-elle à l'oreille.
- Je t'aime aussi, » Lui soufflé-je en retour.
Elle se détache de moi au bout d'un petit moment, m'adressant un sourire embarrassé. Je suis déboussolée. C'est probablement la première fois qu'elle m'enlace avec autant de ferveur depuis que je lui ai avoué mes sentiments pour elle, et c'est certainement la première fois qu'elle me dit « je t'aime » depuis. Je suis abasourdie, bien sûr, mais je suis aussi tellement heureuse... Au fond de moi, j'avais peur que nous ne puissions jamais oublier toute cette histoire et revenir à la normale. Zoé vient de me prouver que j'avais tort par une simple étreinte et un assemblage de trois petits mots. Mon estomac se tort agréablement dans mon ventre, mon cœur bat à la chamade et je souris si fort que les muscles de mon visage me font mal. Je suis si comblée que je pourrais probablement fondre en larmes, mais je ne voudrais pas abîmer mon maquillage et ruiner le travail de Kali.
« Bonne pièce, alors, » Lance t-elle à toute la troupe qui s'est rassemblée dans les coulisses, mais son regard reste ancré dans le mien.
Puis elle dévale les escaliers menant aux loges, se dépêchant pour atteindre le public à temps.
« Bon, déclare Adam en tapant dans ses mains, interrompant le cours de mes pensées et mes yeux verts toujours fixés sur le fantôme de la silhouette de ma meilleure amie. Tout le monde est là. Parfait. Formez un cercle. »
Je secoue la tête pour vider mon esprit et revenir les pieds sur Terre, et fait quelques pas pour rejoindre mes camarades du groupe de théâtre ainsi qu'Adam dans la ronde. Je songerais à l'acte de Zoé plus tard, pour l'instant, toutes mes pensées doivent être dirigées vers le spectacle et uniquement le spectacle. Je me place entre Iris et Edward et place mes bras par-dessus leurs épaules, imitant tous les autres, se tenant comme une équipe de football avant un match.
« OK, les gars, commence t-il avec sérieux. On a bossé toute l'année pour faire cette pièce, vous avez été parfaits à la répétition générale, je sais que vous allez être parfaits ce soir. Mais surtout, pas de prise de tête, d'accord ? Pensez juste à vous-même, à vous amuser et à profiter de l'instant. Compris ? (Nous acquiesçons, déterminés.) Génial. Est-ce que vous êtes prêts ?
- Ouais ! On hurle en retour.
- EST-CE QUE VOUS ÊTES PRÊTS ?! Répète t-il, en criant cette fois.
- OUAIS !!
- Alors c'est parti, Beth, seule sur scène, acte 1, scène 1, go, go, go ! »
Le cœur battant, je me sépare du groupe et me précipite sur scène, l'adrénaline affluant dans mes veines comme une rivière d'émotions variées. J'arrive en milieu scène où une petite croix de scotch jaune m'attend, et me place en tailleur sur les planches de bois, là où la scène 1 du remix de « Roméo et Juliette » écrit par Adam débute. Au-dessus de moi, les projecteurs m'aveuglent, envahissant la scène de lumière dorée. Tout mon corps est tremblant d'excitation, de trac et d'impatience. Je perçois s'activer le grincement familier des rideaux s'ouvrant et le frottement des lourds plis de velours pourpre sur les planches, me dévoilant tous les spectateurs qui me fixent avec curiosité. La salle est plongée dans le noir et le silence. Je prends une seconde pour la scruter, repérant Zoé, Théo, Oliver, Emily, Clara, Mark et Simon vers le haut, Dan et Louise à leurs côtés, Kali avec Félicité au premier rang, mes parents et Pogno m'observant depuis leurs sièges au centre du public. Que des personnes qui m'ont inspiré et soutenu tout le long de ma vie, en particulier ces derniers mois, m'aidant à évoluer chacun à leur manière. Je ferme les yeux pour mieux me glisser dans la peau de Gabrielle, mon personnage. Je souffle profondément, inspirant et expirant pour me calmer et évacuer chaque once de nervosité hors de mon corps. Je suis prête.
Je rouvre mes paupières. Rien n'a changé. Je suis simplement une personne différente.
Le théâtre du cœur peut commencer.
Acte 1, scène 1.
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