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ACTE I - Scène 8

Samedi 10 Octobre, 22 : 31

<Uma Thurman ~ Fall Out Boy>

« Oh. Mon. Dieu. Je n'arrive toujours pas à y croire, lâche Edward, en état de choc.

- JE SAIS ! » Je m'écris, les yeux écarquillés, tout en mordant énergiquement dans la dernière part de ma pizza végétarienne – effectivement froide, mais toujours aussi délicieuse.

Une heure environ s'est déroulée depuis ma tentative de drague avec la jolie blonde qui est venue nous livrer la pizza. Edward semblait – et semble toujours – sincèrement stupéfait de me voir réussir à obtenir son numéro, et je ne sais pas si je devrais me sentir fière ou vexée. Une dizaine de minutes après ce qu'Edward et moi appelleront désormais « Le défi Rachel », les sushis sont arrivés à leur tour, un peu près en même temps que ma mère qui rentrait du boulot. Elle est passée par ma chambre, a fait la bise a Edward, m'a embrassé sur le front, puis nous a souhaité une bonne fin de soirée avant de nous laisser manger en paix. Mon ami et moi nous sommes donc réinstallés sur mon lit pour finir Star Wars IV : Un nouvel espoir tout en mangeant nos plats respectifs (bouffe japonaise pour lui, bouffe italienne pour moi) agrémentés bien sûr de pop-corn (salés pour lui, sucrés pour moi). Le film est bientôt fini et nos plats aussi, nos ventres tellement remplis que le jean slim que j'avais eu la flemme de retirer après « Le défi Rachel » commençant à me serrer la taille. Pourtant, ne pouvant résister à la sublime pizza végie de chez Pizza Puce, je la finis sans regrets en avalant la dernière part.

« Et si c'était un faux numéro ? »

Je me retourne violemment vers Edward, ne cachant pas mon air offusqué. Depuis que nous avons relancé le film, il n'arrête pas d'énoncer des solutions alternatives qui impliquent que Rachel soit sourde, aveugle ou bien m'ait cédé son numéro pour que je cesse de l'embêter, des scénarios insinuant tous que Rachel ne désirait pas, en réalité, me donner son numéro.

« Tu suggères que je n'ai pas réussi à la draguer ? En plus, tu l'as vu comme moi, elle avait l'air super heureux de parler avec moi et vraiment embêtée lorsqu'elle a dû partir.

- J'avoue, concède Edward dans un soupir, que tu t'es plutôt bien débrouillée. Je veux dire, la position, la conversation, les compliments, je pensais vraiment que ça allait être une catastrophe...

- Merci ! Je réponds ironiquement.

- Mais au final, t'as cassé la baraque ! Franchement, je l'avoue, t'étais putain de sexy – et je n'aime même pas les meufs ! Sérieux, quand tu tripotais ta mèche de cheveux, quand tu te mordais la lèvre, quand tu lui faisais un clin d'œil, on aurait dit une autre personne. Où on t'a appris à draguer comme ça ? »

Je hausse les épaules, flattée par les compliments d'Edward.

« Je ne sais pas, dans les livres et les films, j'imagine. En fait, je me suis imaginé que j'étais sur scène, que je faisais du théâtre. Je me disais : tout ça est faux, du début à la fin, alors comment je pourrais me ridiculiser ? Je joue simplement un personnage interagissant avec un autre. »

Je tourne la tête vers Edward, qui a l'air pensif. Il finit par me dire, hésitant :

« Je comprends ce que tu veux dire. Moi aussi, le théâtre m'aide parfois dans la vie de tous les jours, car c'est toujours plus simple de vivre en se détachant de soi-même, interprétant un rôle. Mais je pense qu'on doit aussi arriver à faire la différence entre théâtre et réalité, savoir garder une frontière entre qui on est vraiment et notre personnage, sinon on se perd. Il faut aussi se souvenir que les situations et les personnes autour de toi, eux, sont réels, et qu'ils ont aussi des sentiments. »

Les paroles d'Edward me touchent et me déstabilisent, me faisant longuement réfléchir. Durant un temps, ni lui ni moi ne parlons, et seuls les bruits de nos respirations doublés de ceux des explosions de vaisseaux du film demeurent dans la pièce.

« Putain, je finis par soupirer en me laissant retomber contre le mur. Avec tout ce que tu me dis, je commence à me sentir mal pour Rachel. Peut-être que je devrais vraiment la rappeler, au final, pour lui proposer un rendez-vous... »

Edward pouffe.

« Oh, ne t'inquiètes pas pour ça. A mon avis, elle n'a même pas remarqué que tu la draguais.

- Qu'est ce que tu veux dire ? Je demande en fronçant les sourcils. J'étais assez démonstrative.

- J'ai vu, mais pour moi, c'est assez évident que Rachel est une de ces filles. Celles qui ne s'en rendent absolument pas compte quand quelqu'un les drague, et encore moins quand ce quelqu'un est une fille. Vu la façon dont elle te parlait ou t'a donné son numéro, je pense que pour elle, tu étais juste une lycéenne qui s'intéressait aux écoles d'ingénieurs et qui voulait se faire une pote.

- QUOI ? Je proteste en me redressant dramatiquement. Mais je n'arrêtais pas de lui faire des clins d'œil ou de me mordre la lèvre ! Mes avances étaient claires comme de l'eau de roche ! Et puis, se revoir autour d'un café, ça veut tout dire, non ?

- Ca dépend pour qui, répond Edward, l'air amusé de mon air mi-ahuri, mi-désespéré.

- RAAAAAAH ! » Je fais dans un râle pour me libérer de ma frustration.

J'étouffe mon cri de rage en plongeant mon visage dans mon bol de pop-corn sucré. Mauvaise idée : lorsque je relève la tête une seconde après, j'ai le menton, le front, les joues et même les cheveux maculés de miettes et de sucre, tous collants de beurre. Edward explose de rire à côté de moi. Vexée, je lui dégaine mes deux majeurs et essaye vainement d'enlever les graines de maïs perdues dans mes boucles. Mes doigts d'honneur ne font que le faire rire davantage, et il se perd dans un fou-rire inarrêtable – et terriblement offensant. Écarlate, le visage maculé de sucre et de beurre, j'essaie de le faire taire en l'étouffant avec mon oreiller.

« Tais-toi ! Mais tais-toi, ce n'est même pas drôle ! » Je supplie presque.

Rien à faire, mon copain est définitivement devenu fou. Poussant un soupir sonore, je me tourne vers mon ordinateur portable, tentant d'ignorer ses hoquets incontrôlés en me concentrant sur le film. Puis je me rends compte que le générique de fin se joue sur l'écran, Un nouvel espoir s'étant terminé sans même que nous le réalisions. L'iconique générique de Star Wars résonnant dans la chambre fait redoubler les hoquets et les spasmes du corps d'Edward. Mais quelque part, je trouve son rire attendrissant, et même communicatif. Son gloussement finit par me faire sourire, puis rigoler moi aussi, et je termine comme Edward, tordue dans une position impossible sur mon lit, riant comme une dingue à me tenir les côtes, le corps s'agitant dans des soubresauts qui me font me marrer encore davantage. Nos deux rires – ou hurlements de joie, à ce niveau – ne cesseront que lorsque mes parents feront irruption dans ma chambre pour nous demander de nous calmer, ce que nous finirons par faire, des sourires béats demeurant sur nos visages – avec pour moi du pop-corn en prime. Finalement, au lieu de lancer le deuxième volet de la saga de films, L'Empire contre-attaque, pour continuer notre marathon prévu, je propose à Edward de continuer notre « Action ou Vérité » de tout à l'heure. Il accepte avec joie, et nous le redémarrons donc, après avoir éteint et rangé l'ordinateur portable et débarrassé mon lit deux places de la nourriture restante.

« Ok. Action ou vérité ? Je commence, une idée derrière la tête.

- Action, choisit-il sans l'once d'une hésitation en me regardant droit dans les yeux.

Un sourire plein de malice se dessine sur mes lèvres pulpeuses.

« Super. Regarde un des clips de Yungblud avec moi. »

Il lève les yeux au ciel tandis que je ris de façon démoniaque. De toute façon, mon meilleur ami n'a pas le choix. Je dégaine le téléphone portable d'Edward, les nombreuses rayures du mien nous empêchant d'un visionnage optimal, et va rapidement sur Youtube pour taper le nom de mon chanteur préféré dans la barre de recherches. Le premier clip à s'afficher est sûrement le plus connu d'entre tous, Parents, mais aussi un de mes préférés, avec en plus une chanson absolument géniale. Je me mets en tailleur pour être plus confortable et mets le portable entre nous avant de lancer la vidéo, mon ami se rapprochant de moi pour mieux la regarder.

***

<mars ~ YUNGBLUD>

Yungblud apparaît à l'écran et commence à chanter. Le clip de Parents est construit en un enchaînement de plans différents montrant le chanteur en sous-vêtement dans son jardin, un fusil à l'épaule ; perché sur une fenêtre en tenant le cadran d'une horloge ; hurlant dans son micro dans une pièce étrange accompagné de son bassiste (ou de son guitariste, je ne sais pas faire la différence) ou encore allongé près d'une tombe. Le clip vidéo assez étrange est accompagné de paroles très trash et surprenantes et d'un rythme entraînant qui a raison de moi : je me mets aussitôt à danser sur place, bougeant ma tête et mes bras tout en chantant les paroles.

« La chanson est pas mal, concède Edward. Et le chanteur vachement sexy. »

Je hausse les épaules, ne m'étant jamais vraiment posée la question de si Yungblud était sexy ou non.

« Je veux dire, il doit sûrement être pas mal en temps normal, mais dans ce clip, il montre une confidence de dingue qui le rend encore plus beau. Avec son style, sa façon de chanter et de danser, ses expressions faciales, son eyeliner et son air je-m'en-fous-de-ce-que-vous-pensez-de-moi-je-profite-juste-de-ma-vie, il est juste à tomber. Il n'y a rien de plus sexy que la confiance en soi. »

Edward a déclaré cette dernière phrase comme s'il s'agissait d'un fait de culture générale connus de tous. Et je ne peux pas m'empêcher de songer qu'il a raison : même si le chanteur anglais n'est pas si mal au naturel, un jeune parmi tant d'autres, brun et aux yeux bleus, je dois dire que son eyeliner, son style décalé et assumé, sa voix si spéciale, sa mèche rose tranchant ses cheveux noirs et sa confidence naturelle participent grandement à son charme. Je suis d'accord avec Edward : la confiance en soi, c'est sexy. Presque aussitôt, en pensant à cette phrase, l'image d'Iris apparaît dans mon esprit. Iris souriant à tout va même si elle ne connaît personne, Iris s'intégrant au club du théâtre en un rien de temps, Iris osant poser des questions ou faire des remarques là où tous les autres se taisent, Iris, avec ses cheveux et ses lèvres écarlates...

Merde. A quoi je pense, là ? Rougissant légèrement, je chasse ces pensées pour me repencher sur le téléphone d'Edward. Le vidéoclip de Parents se termine et s'enchaîne automatiquement sur un autre clip de Yungblud. J'ouvre des yeux ronds comme des soucoupes en remarquant que je n'ai jamais vu auparavant ce clip d'une chanson prénommée « Mars ». Alors que la vidéo se charge, je checke sa date de sortie : elle a été publié il y a quelques heures seulement.

« Bon, on continue l' « Action ou Vérité » ou pas ? Râle Edward à mes côtés.

- Attend juste cinq minutes, steuplé, Eddie ! Je supplie en lui faisant des yeux de chien battu. Yungblud vient juste de sortir une de ses chansons il y a genre, trois heures. Je DOIS voir le clip ! »

Edward roule des yeux, mais accepte dans un soupir : puisqu'il a plutôt apprécié l'autre musique, ça ne le dérange pas d'en découvrir une autre de mon artiste favori. Avec un sourire de reconnaissance, je me tourne à nouveau vers l'écran de son Smartphone, où la vidéo démarre tout juste, et Edward se penche par-dessus mon épaule.

Le clip débute sur un plan qui montre Yungblud, habillé en blanc, cheveux tranchés de rouge, dans un look plus naturel que d'habitude, assis sur une chaise devant un fond gris. Il commence à chanter les premières phrases de la chanson que je n'ai jamais entendue, de sa voix si particulière et belle à la fois, qui peut me faire ressentir des dizaines d'émotions différentes dans un lapsus de quelques secondes. Puis le plan change sur une femme métisse, devant l'exact même décor que le chanteur, qui continue la chanson avec la voix de Yungblud, puis c'est au tour d'un adolescent brun, d'une femme blonde... Des personnes toutes différentes, leur seul similarité étant qu'ils sont tous habillés de noir, chantant ces paroles qui m'empoignent et me bouleversent. She was only seventeen / Had the saddest pair of eyes that you ever seen / / ... Puis le pré refrain démarre, en même temps que le chanteur et les autres acteurs prennent du bleu pour en appliquer sur leurs paupières, avant de se mettre à chanter presque désespérément, inlassablement, la même phrase qui constitue le refrain : « Is there any life on Mars? »

Le deuxième couplet commence, et en même temps qu'ils chantent, des mains et des bras apparaissent à l'écran, poussant les acteurs, leur tirant les cheveux, les frappant, les étranglant, leur attrapant le bras. Pourtant, tout en essayant de se débarrasser de ses mains tâchant de les entraver, ceux-ci continuent à chanter avec détermination. Plus la chanson continue, plus je me sens troublée par les paroles, par le ton, par le clip. Yeah, her mum and dad they couldn't understand / Why she couldn't turn it off become a better man / All this therapy eats away gently at the side of her mind that she never had... Ces phrases curieusement familières me font froncer doucement des sourcils. Puis c'est comme un déclic, lorsque je jette un coup d'œil à Edward qui semble aussi chamboulé que moi. Elle ne peut pas être elle-même quand elle est quelqu'un d'autre ; ses parents ne pouvaient pas comprendre pourquoi elle ne pouvait pas rester ainsi, devenir un homme meilleur ; toute cette thérapie qui la ronge doucement... Cette chanson est à propos d'une femme transgenre. En réalisant cela, je me rends compte à quel point mon éducation sur les personnes LGBTQ+ est médiocre, et cette chanson me donne encore plus envie de me renseigner à ce sujet. Mon cœur se serre à la pensée que même si je suis toujours là pour Edward et que j'essaie de le soutenir de mon mieux, je ne comprends pas le dixième de ce que mon ami peut ressentir. Toutes les années de silence qu'il a enduré, le courage qu'il lui a fallu rassembler pour faire son coming-out, la force qu'il doit rassembler pour faire face à la transphobie mondiale, la bravoure qu'il a de continuer sa transition malgré la haine. Edward est l'une des personnes les plus braves et les plus courageuses que je connaisse. Peut-être que c'est parce qu'il n'a pas le choix. Parfois, on est obligé de faire preuve de bravoure pour continuer à avancer malgré tout.

Do you feel like you're irrelevant? Yungblud et les autres acteurs chantent à présent cette phrase tout en se débattant avec les mains. Ils ont du sang sur leur visage et leurs vêtements, à force, mais continuent pourtant de le faire. D'autres couleurs étonnement vives, contrastant avec le désespoir se lisant dans leurs expressions, ont rejoint le bleu sur leurs visages : du blanc, du rose, du orange.

Puis c'est le refrain final. Le chanteur et tous les autres, le visage maculé de sang et de couleurs vives, gueulent, encore et encore, d'une voix si brisée et forte à la fois : Is there any life on Mars? Y a-t-il de la vie sur Mars ? Y a-t-il de la vie pour eux, de la vie moins horrible, de la vie plus décente, de la vie où chacun pourrait être accepté malgré ses différences ? Yungblud hurle de sa voix cassée, et les autres gueulent aussi avec sa voix, des tas d'émotions se mêlent sur leurs visages, la colère, la tristesse, la passion, le désespoir. Je réalise soudainement que je pleure et que mes joues sont trempées de larmes. L'instrumental ne se résume alors que par quelques notes de piano, et Yungblud persiste à crier « Is there any life on Mars? » d'une voix toujours aussi brisée au début de la phrase, puis qui se fait plus douce, presque suppliante, à la fin. Le dernier plan est celui montrant l'ado brun, une larme roulant sur sa joue, puis le clip se termine, me laissant immobile, transportée, mon souffle coupé et mon pouls battant à une vitesse folle.

Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, sans bouger, le téléphone toujours entre mes mains. Plusieurs minutes peut-être, voire plus. Pourtant, je n'ai pas le courage de me tourner vers Edward pour affronter son regard bleu électrique. Alors je reste ainsi, en tailleurs sur mon lit, mes yeux verts dans le vague fixant un point invisible. Mes yeux sont rougis et mes joues humides, même longtemps après avoir cessé de pleurer. Les larmes ont arrêté de couler, mais pas le flux de mes pensées, qui est si violent que j'ai du mal à analyser toutes les questions et émotions qui me traversent. Tout ce que je sais, c'est qu'à un moment donné, Edward a éteint la lumière de ma chambre et a dit d'une voix neutre – dont il m'a pourtant semblé percevoir un léger tremblement – qu'il était fatigué et qu'il serait temps d'aller se coucher. Plongée dans le noir, j'entends les draps de mon lit double se froisser et Edward se glisser sous la couette et les nombreux plaids. Je sais qu'il ne dort pas, même sans rien voir : sa respiration irrégulière et son immobilité suspecte le prouvent. Pourtant, je le rejoins sous la chabraque dans un geste automatique, tellement troublée que j'en oublie de me mettre en pyjama, d'enlever mes lentilles ou de me démaquiller.

Je n'essaye même pas de m'endormir ; je sais que je n'y parviendrais pas. J'ai trop de questions, trop de pensées, trop d'émotions perturbant mon corps et mon cerveau. Recroquevillée sous la couette, les yeux encore grands ouverts, je laisse les images du clip ou les paroles de la chanson tourner en boucle dans mon cerveau. Quelques centimètres plus loin, dos à moi, je sens qu'Edward fait la même chose, même s'il feint le sommeil pour éviter d'avoir à me confronter.

Je ne sais pas si c'est vrai, mais quelqu'un m'a dit un jour que le noir aide à se livrer, nous octroyant un courage qu'on n'aurait pas d'habitude. Le fait d'être entravé d'un sens, plongé dans l'obscurité, comme dans un monde parallèle qui n'aurait aucun lien avec notre existence, aide les langues à se délier et les cœurs à se soulager. C'est dans cette ambiance sombre et particulière, selon ce même quelqu'un, où naissent les conversations les plus sincères, les plus honnêtes, les plus vraies. Alors c'est peut-être le noir envahissant la chambre à cet instant qui facilite les choses et me pousse à parler. C'est peut-être l'obscurité tout autour de nous, nous enfermant dans un cocon moins difficile à affronter que la réalité, qui me fournit le courage de poser, d'une petite voix, cette question :

« Action ou Vérité ? »

***

<Lost Boy ~ Ruth B.>

Au début, silence radio. Mais en tendant l'oreille, j'analyse une légère accélération dans la respiration d'Edward, m'indiquant qu'il a bel et bien entendu ma phrase. Alors j'attends. Je ne forcerais pas Edward à répondre. S'il doit se confier à moi, ça doit être seulement car il en a envie et se sent prêt. Une minute passe, puis deux. Je commence à perdre espoir. Mais peut-être que, ce soir, l'obscurité a raison de lui, car, alors que je soupire en signe de défaite, je perçois un chuchotement, à peine audible, venant du côté d'Edward.

« Vérité... »

Je me fige en entendant ce mot, et une certaine fierté pour mon ami éclot dans ma poitrine. Les draps se froissent et je distingue la masse du corps d'Edward se tourner pour être face à moi. Ses yeux bleu électrique sont grands ouverts et brillent dans l'obscurité comme deux portes ouvertes sur ses pensées : lui aussi, il a oublié de retirer ses lentilles. Nous ne dormons quasiment jamais ensemble, et quand je le vois, il porte tout le temps ces lentilles bleu vif. A force de voir ses iris ainsi, j'en ai presque oublié la couleur originale. Je sais qu'ils étaient gris, mais je ne me rappelle plus exactement les nuances se mêlant et se caressant dans ses yeux, si c'était davantage un gris d'orage ou un gris clair, quelles lueurs passaient dans son regard selon ces pensées. A présent, j'ai l'habitude de ce bleu puissant et implacable, déstabilisant, toujours de la même couleur et de la même intensité, sans nuances. Je me surprends à penser que quelque part, ces lentilles sont comme une barrière protégeant Edward de la réalité. Grâce à elles, les gens ne peuvent jamais savoir à quoi il pense, ou presque, et cette couleur est comme une rempare impénétrable qui protège Edward de ses propres sentiments.

« Comment tu as su que t'étais transgenre ? J'ose demander dans murmure avant d'ajouter précipitamment : Tu n'es pas obligé de répondre ! »

J'ai envie de me taper le crâne contre le mur de ma chambre tellement ma remarque est pathétique. Bien évidemment qu'il n'est pas obligé de répondre, je ne vais pas le forcer ou le menacer non plus !

« Et toi, comment t'as su que t'étais cisgenre ? » Me rétorque aussitôt Edward.

Je sens bien qu'il utilise le sarcasme pour se protéger de ma question. Pourtant, je trouve ça juste, d'une certaine manière : je lui demande comment il a réalisé qu'il était un mec, il me demande comment j'ai réalisé que j'étais une fille. Une question pour une question. N'importe qui ne prendrait pas la demande au sérieux ; je pense que lui-même ne le fais pas. Pourtant, je décide d'y répondre sérieusement, prenant mon temps pour réfléchir à la question.

« Je ne sais pas, je finis par murmurer en regardant le plafond. J'imagine que la société m'a imposé un genre à la naissance par rapport à mon sexe, et qu'au final, ce genre assigné m'allait très bien. Je n'ai jamais été dérangée par les pronoms qu'on utilisait pour parler de moi ou le label de fille qui m'a été donné. Alors, j'imagine que c'est comme ça que j'ai su que j'étais cisgenre. »

Un léger silence poursuit mon monologue, puis :

« Bah moi, c'est un peu l'inverse, dit Edward à son tour, d'une voix très basse. La société m'a imposé le genre de fille à la naissance par rapport à mon sexe, mais ça ne m'a jamais vraiment plu. Dès la primaire, je répétais que j'avais envie d'être un garçon, de m'habiller comme eux, de jouer avec eux aux même jeux qu'eux, d'avoir les cheveux courts comme eux et un prénom masculin comme eux. Ma famille et mes profs disaient en riant que j'étais un « garçon manqué », et j'ai longtemps été persuadé que c'était ce que j'étais, sans soupçonner que c'était beaucoup plus profond que ça. »

Edward s'est tourné à nouveau et est à présent dans la même position que moi, allongé sur le dos, son regard fixant le plafond. Il me parle sans me regarder, comme si ça facilitais les choses.

« Je pense que c'est vers le mi-collège où la dysphorie est devenue plus forte, en même temps que la puberté a commencé pour moi. Je commençais à avoir des seins et des hanches, et je détestais ça. Je haïssais mon corps de fille pour me faire subir ces choses, et j'avais envie d'éclater en sanglots à chaque fois que je me regardais dans un miroir. Je me sentais étranger à mon propre corps. Alors, à partir de la cinquième, environ, j'ai commencé à ne porter que des vêtements larges qui cachaient mes formes. Alors que la plupart des filles de mon âge rembourraient leurs soutiens-gorges pour donner l'air d'avoir de plus gros seins, je portais des brassières les plus serrées possibles pour qu'on ne voit pas les miens, même si ça me faisait mal et me laissait des marques rouges sur le torse. A chaque fois qu'on m'appelait avec mon ancien prénom, ou qu'on utilisait des pronoms féminins pour me désigner, je me sentais mal à l'aise, ça me blessait comme des insultes. C'était horrible. Quand j'ai eu mes règles, en début troisième, j'ai pleuré pendant une semaine, même si mes menstruations ne me faisaient absolument pas mal. Au début, j'ai voulu le garder pour moi, faire comme si ça n'étais pas arrivé, que c'était juste un mauvais rêve. Mais il a bien fallu que je l'annonce à ma mère, pour qu'elle achète des protections hygiéniques. Je me suis senti cent fois pire après. Ma mère étais enchantée et n'arrêtais pas de répéter que j'étais devenue une vraie femme. Chaque fois que ce terme était prononcé me faisait comme un coup de couteau dans les côtes. J'avais envie de vomir mes tripes et de pleurer durant des heures. Je réalisais que c'était réel, que j'étais « une vraie femme », et que je n'avais aucune envie d'en être une – que je n'en étais pas une. »

Edward fait une légère pause. Tout comme la mienne, sa respiration s'est accélérée. Sa gorge semble serrée et sa voix tremblante, comme s'il se retenait de pleurer. Je me doute que revisiter ces souvenirs doit être tout sauf agréable pour lui. Alors, sans rien dire, dans le silence, je glisse ma main près de la sienne et entremêle nos doigts pour serrer fort sa main, comme pour lui rappeler que je suis là et lui donner la force de continuer.

« C'est après ça que mes parents ont remarqué qu'allais mal. Après l'épisode des menstruations, j'étais pâle, très souvent malade, je ne sortais quasiment jamais, je loupais les cours ou le théâtre car je me sentais trop mal. Je ne parlais plus à personne, à part peut-être à toi et à mes amis du théâtre, et je passais mes journées enfermé dans ma chambre. Mes notes se sont dégradées elles aussi : je ne faisais aucun effort de travail au collège et on m'a accordé le brevet de justesse, plus par pitié qu'autre chose. Les rares fois où je parlais avec mes parents, je me montrais agressif, et tout cela s'empirait lorsque j'avais mes règles. Mes parents ont décidé de m'envoyer chez un gynécologue, mais mes menstruations n'étaient pas douloureuses et je n'avais aucun problème, alors ils m'ont obligé à voir une psychologue, en seconde. »

Edward a un profond soupir. Sa main serre la mienne un peu plus fort.

« Quelque part, j'avais un peu pitié de mes parents. Je savais que je ne me montrais pas juste avec eux alors qu'ils n'étaient responsables de rien – ou presque. Alors j'ai fait un effort pour me livrer à la psychologue et expliquer comment je me sentais. Mais la première que j'ai vue me disait que c'était normal d'être confus à cet âge, de ne pas aimer son corps ou son prénom, car c'est là où on se pose des questions sur qui on est. Elle m'affirmait que tout allait bientôt revenir à la normale, qu'il fallait que j'apprenne à aimer mon corps comme il était, tout comme mon prénom et pronoms, que ça allait s'arranger. Bien sûr, ça n'en a rien fait, et je refusais à présent d'aller la voir. Alors mes parents m'ont fait voir une nouvelle psychologue. C'est elle qui m'a fait comprendre qui j'étais vraiment. Elle m'a parlé des personnes transgenres connues, de ce que c'était d'être trans, et m'a dit que si je me sentais aussi mal dans mon corps de fille, c'est que j'étais peut-être un garçon. Ca été une révélation pour moi. C'est comme si tout s'éclairait, tout s'expliquait, le terme me convenait parfaitement comme si je l'avais attendu des années. La psychologue m'a mis en contact avec d'autres personnes transgenres, des adolescents qui passaient par la même chose que moi et des adultes qui étaient désormais confiants et bien dans leur peau. Grâce à elle, j'ai commencé à aller mieux. Je reprenais des couleurs, étais moins malade, parlais de nouveau à mes amis et à ma famille, mes notes se sont améliorées. Je me suis mis au sport pour me muscler et libérer toutes mes pensées néfastes, je me suis coupé les cheveux courts et ai adopté un style qui me ressemblait plus, j'ai commencé à me bander la poitrine. Début première, j'ai fait mon coming-out à mes parents et mes amis, et j'ai choisi le prénom Edward avec l'aide de ma psy. J'ai eu beaucoup de chance, car ma famille m'a supporté de leur mieux, et vous aussi. Mes parents m'ont fait aller voir un médecin qui m'a diagnostiqué une dysphorie du genre et m'a permis de commencer à prendre des injections de testostérone. Ils m'ont beaucoup aidé, et m'aident toujours, tout le long de ma transition. Aujourd'hui, je suis entouré de personnes géniales qui me supportent quoi qu'il arrive et je n'ai jamais été aussi heureux. »

Même dans le noir, je parviens à distinguer ses yeux brillants fixés sur le plafond, tandis que je le regarde lui. Un sourire persiste sur son visage. Serrant sa main plus fort, je me penche alors vers lui afin de le prendre dans mes bras. D'abord surpris, Edward laisse finalement aller sa tête contre mon épaule, et nous restons ainsi durant de longues minutes.

« D'ailleurs, murmure Edward alors que nous nous séparons. J'ai hésité à te le dire, mais... dans un peu plus d'un mois, je vais faire une mammectomie, une opération chirurgicale du haut du corps m'enlever les seins. Je suis sûr de moi, comme je ne l'ai jamais été. Je sais que je veux aller jusqu'au bout de ma transition. J'en ai parlé à mes parents, et ils ont fixé le rendez-vous avec un chirurgien vers fin novembre. J'ai peur, mais je sais que c'est ce que je veux. Alors... »

Il hésite. De mon côté, je suis si émue que mes yeux se ré-humidifient aussitôt.

« Est-ce que tu pourras venir, toi aussi, avec ma famille ? Je ne te force à rien, bien sûr, mais j'aimerais que tu sois là pour moi pour venir me supporter.

- Bien sûr, j'affirme aussitôt, sans la moindre hésitation. Je serais toujours là pour toi, Edward, quoi qu'il arrive, et je supporterais toujours tes décisions. Tu es mon ami. Mon meilleur ami, même. J'ai envie d'être présente, d'ailleurs, d'être là pour toi. Alors, si c'est ce que tu souhaites, je serais là.

- Merci... » Lâche t-il dans un souffle.

Même si je ne peux pas le voir, je devine qu'il est touché. Un énorme sourire de fierté se dessine sur mon visage. Alors je me rapproche à nouveau de lui pour le serrer dans mes bras, encore une fois, et lui faire sentir toute ma fierté et tout mon amour pour lui, qui sont au-delà des mots.

***

J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, personnellement il me plaît beaucoup ! Je vois qu'il ya très peu de vues sur l'histoire pour l'instant alors n'hésitez pas à voter et partager si elle vous plaît❤️. Je vous aime tous ! Bises,

Deamignis...

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