ACTE I - Scène 5
Mardi 06 Octobre, 17 : 46
<Moral of the Story ~ Ashe>
Je suis dans mon lit, en train de visionner quelques épisodes de Friends. Enfin, visionner est un bien grand mot. Appuyée contre le mur de ma chambre, l'ordinateur sur mes genoux, mon esprit divague tandis que le fond sonore de la série et ses rires à chaque réplique résonnent dans la pièce.
Une dizaine de mouchoirs sales roulés en boule traînent un peu partout sur mon lit double et même sur le parquet de ma chambre. J'avais raison, j'étais bel et bien malade. Un rhume, a diagnostiqué ma mère en me certifiant d'un regard mi-compatissant mi-agacé car je ne l'écoute jamais lorsqu'elle me répète de plus me couvrir car tout de même, nous ne sommes plus en été ! Ce qui explique ma soudaine migraine de samedi après-midi. Je ne me suis pas assez couverte, j'ai choppé un rhume. Point barre. Le truc, c'est qu'il dure, ce rhume. Depuis samedi soir, je suis coincée au lit. Le midi, seule à la maison, je me prépare un truc vite fait en cuisine (« et n'oublies pas de te laver les mains avant et après », a rappelé ma mère) et le soir, mon père m'apporte une soupe ou des pâtes selon les jours. De toute façon, je ne mange pas grand-chose : je suis crevée et incapable d'avaler quoi que ce soit. Vu que j'ai la flemme de bosser, je procrastine en reportant à plus tard mon rattrapage des cours que ma classe fait l'effort de m'envoyer en photo sur notre groupe Instagram.
Le matin, je dors, je me réveille, pense à ma vie et me pose des questions inutiles à propos de mon existence et à ma place dans l'univers, ça fait mal à la tête, du coup je me rendors. Le midi, je m'emmitoufle dans un plaid tout doux et je vais grignoter des restes en regardant une série ou un film sur la télévision du salon. Et j'en ai vu passer, des merdes ! J'ai même regardé quelques films de Noël ultra clichés dont on devine la fin après trois minutes (du genre journaliste New-Yorkaise surbookée qui vient passer deux semaines dans son village d'enfance e là, surprise, son ancien voisin est devenu un bûcheron super canon qui va la reconnecter avec la magie de Noël ! Youpi ! Happy-ending.), alors qu'on est en octobre. J'ai également testé quelques épisodes de téléréalité du genre Les Anges ou Secret Story avant de me faire une raison : ces trucs ne sont définitivement pas faits pour moi. Ensuite, je m'endors pour digérer, et quand je me réveille en fin d'après-midi, je retourne dans ma chambre et fais semblant d'être productive pour ne pas me sentir inutile, ce que je suis. Du genre, je commence à ranger ma chambre, j'abandonne, je débute la lecture d'un article « ultra intéressant » que m'a envoyé mon père via WhatsApp depuis son bureau, je décroche dès la seconde ligne, je décide de m'asseoir à mon bureau afin de rattraper mes cours, j'ai la flemme, je retourne dans mon lit traîne sur les réseaux sociaux. Quand mes parents rentrent du boulot, je bouquine pour ne pas qu'ils me disent que je passe trop de temps sur les écrans, ce qui est vrai, ou que je dors trop, ce qui est vrai aussi. Mon père m'apporte une soupe, j'en avale trois cuillérées, je m'endors. Ouais, super programme, je n'ai jamais été plus productive.
Je crois que je fais tout ça pour m'empêcher de trop réfléchir. Hier, j'ai mis mon esprit au clair en deux-trois minutes : je suis malade, c'est la raison pour laquelle j'ai eu mal au ventre et à la tête samedi aprèm lorsque Zoé a parlé de Théo. Total hasard que ce soit arrivé à ce moment-là. De toute façon, il n'y a pas d'autres explications possibles. Sinon, effectivement, que je sois légèrement jalouse que Zoé discute avec un gars aussi charismatique que Théo, chose que je n'ai jamais eu la chance d'expérimenter, et j'aimerais tant que ça m'arrive aussi que je ne peux pas m'empêcher d'envier ma meilleure pote. Ou alors j'ai peur qu'elle m'abandonne comme une vieille chaussette dès qu'elle se sera mis en couple avec Théo, ressenti qu'il m'est déjà arrivé d'avoir, deux ans auparavant, lorsqu'elle sortait avec Josh. Bref, c'est pourquoi j'ai ressenti tout ça lorsqu'elle a prononcé son nom avec son large sourire communicatif et ses yeux brillants. Forcément.
Ce matin, j'ai fais quelques efforts sur ma présentation, et celle de ma chambre. Je me suis douchée, chose que je n'avais pas faite depuis samedi, et ai lavée mes boucles brunes avant de les brosser du mieux que j'ai pu. J'ai enfilé le plus beau pyjama que je possède, c'est-à-dire un jogging gris confortable ayant l'avantage d'être propre et un débardeur à fines bretelles. J'ai entortillé ma chevelure sombre dans un chignon haut perché et ne me suis pas maquillée, même si j'ai pris le temps d'appliquer un peu de correcteur sur les boutons qui étaient apparus sur mon visage (je blâme le chocolat avalé ces derniers jours, soit la seule nourriture que je finissais, et peut-être le frottement sur mon front de la laine du bonnet que j'enfonçais sur ma tête tous les jours pour cacher mes cheveux gras). J'ai même ouvert les fenêtres de ma chambre pour aérer la pièce, ai passé un rapide coup d'aspirateur et ai rangé les culottes sales traînant par terre. Pourquoi tant d'efforts ? Et bien, Zoé, dont j'ai ignoré les textos, messages WhatsApps ou DM sur Instagram ces deux derniers jours car j'avais peur de devoir lui expliquer quelque chose que moi-même je n'arrivais pas à expliquer (ah si, car tu étais malade et jalouse d'elle, faut que ça rentre là-dedans, Beth !) m'a prévenu par SMS ce matin qu'elle passerait chez moi après les cours pour vérifier que j'allais bien, car lundi, elle n'a pas pu le faire (Zoé a karaté le lundi soir). J'ai répondu à son message par un simple :
Moi : Je vais bien.
Zoé <3 : Alors pourquoi ça fait depuis dimanche que tu m'ignores ???
Moi : Je n'avais pas vu tes SMS, déso.
Zoé <3 : Certes, mais t'as au moins vu mes messages sur WhatsApp et insta. Tu sais, on peut voir quand quelqu'un a vu ton msg sans y répondre.
Je ne lui ai pas répondu. Et merde, je n'aurais pas du ouvrir ces notifications. Zoé a attendu une minute ou deux, peut-être en attente d'une réponse quelconque, puis a ajouté :
Zoé <3 : Bon, si tu choisis de m'ignorer, très bien, mais tu ne pourras pas le faire en face.
Zoé <3 : J'arrive vers 18h.
Logique, vu qu'on termine à dix-sept heures trente le mardi. J'ai réfléchi à son premier message, en me disant qu'effectivement, ce serait bizarre que je ne lui réponde pas dans la vraie vie (J'imagine la scène. Zoé : Bon, tu me réponds, oui ou non ? Moi : ... Zoé : Beth, tu ne vas pas rester silencieuse toute la journée. Moi : ... Plutôt étrange, il est vrai). C'est pourquoi, de un : je me suis douché et ai enfilé une tenue convenable, car je n'avais pas envie de ressembler à une guenon mal peignée qui empeste la sueur et « l'ado » (favorite expression de ma mère, puer l'ado) quand elle arrivera. De deux, j'ai nettoyé un minimum ma chambre, car je n'avais pas envie de l'accueillir, même avec moi qui sent la rose dedans, dans une pièce qui pue la sueur et l'ado. De trois, je me suis préparée à sortir à Zoé des : « Je suis désolé d'avoir ignoré tes messages, j'étais super malade, pardonne moi, ma meilleure amie de toujours » au lieu d'une version beaucoup plus honnête du type : « Je suis désolée, mais j'étais crevée et j'avais la flemme – et la trouille – de discuter avec toi, même par textos ». Bref, il est bientôt dix-huit heures et je suis prête.
J'attends l'arrivée de Zoé, affalée sur mon lit, pianotant sur mon téléphone. L'écran fissuré me dérange un peu pour voir correctement, mais je me balade tout de même sur Instagram pour voir si « l'incident cantine » datant à présent d'une semaine est toujours d'actualité. Apparemment plus tellement, le nombre de likes sur la vidéo est plutôt stable et je ne reçois plus de demandes d'abonnement ou de messages privés en masse. Les vidéos présentes sur le hashtag #monvrairire ont doublé cependant, et une petite trentaine de gens se filmant en train de rire à gorge déployée sont affichés sur mon écran. J'en regarde quelques unes, trouvant réconfortant, d'une certaine manière, d'entendre des gens rires. Parce que ça montre qu'ils sont heureux, tout d'abord, mais aussi car ils s'en foutent du jugement des autres et exposent sur la toile, à la vue de tous, qui ils sont vraiment. Ou du moins, ils font semblant de s'en foutre...
Soudain, j'entends résonner la sonnette de l'appartement au loin. Zoé est là.
***
<Can You Hold Me ~ NF>
Je repose mon portable en entendant la sonnerie retentir. J'entends Pogno, qui était dans le salon en train de regarder une espèce de série-dessin animé sur Netflix en attendant que les parents rentrent de leur boulot – un truc comme She-Ra and the princesses of power, je crois – faire pause à son épisode de She-Ra, sauter du canapé et ouvrir la porte d'entrée. Ouvrant l'oreille, je distingue des marmonnements échangés entre ma petite sœur et la voix de Zoé. J'imagine ma meilleure amie, un grand sourire aux lèvres, ébouriffer les cheveux courts de Pogno, lui demander comment ça se passe au collège, si elle a un amoureux – chose à laquelle Pogno répond probablement par un haussement d'épaules en disant que l'amour ne l'intéresse pas (entre sœurs, on se ressemble plus que l'on ne le voudrait). J'entends Zoé rire légèrement, et ce son me fait automatiquement sourire, même si j'ignore à quoi elle riait (probablement à une remarque sur l'inutilité de l'école ou des garçons déclarée par ma sœur sur un ton blasé). Puis enfin, j'écoute ma meilleure amie poser une question à Pogno, elle répondre par une phrase courte, et des pas faisant légèrement craquer le parquet de la maison se diriger jusqu'à ma chambre. Aussitôt, je réarrange une boucle s'étant échappée de mon chignon, replace correctement ma couette sur mon lit et prend le premier bouquin qui me tombe sur la main, Harry Potter et les reliques de la mort, pour me donner une contenance et pour ne pas que Zoé pense que je l'attendais en me tournant les pouces, ce que j'étais exactement en train de faire. C'est inutile, pourtant : Zoé me connaît, c'est ma meilleure amie depuis qu'on est toutes petites. Sans prendre la peine de toquer – lorsque je lui reproche cette habitude, elle hausse les épaules et sort la carte de : « On est meilleures potes, on n'a pas de secrets l'une pour l'autre, non ? » – Zoé ouvre brutalement la porte et s'installe sans façon à côté de moi sur mon lit double, me donnant à peine le temps de relever les yeux de mon livre dans une expression un peu étonnée, mais pas trop (Ah tiens, t'es déjà arrivée ? Je n'avais pas remarqué qu'il était déjà dix-huit heures !) (Mensonge).
Je referme mon livre et me tourne vers elle. Elle est toujours aussi belle, ses cheveux châtain-roux ébouriffés par le vent, les yeux légèrement rougis de la fatigue d'une journée de cours huit heures-dix-sept heures trente et le souffle court d'avoir couru, très certainement en retard en partant du lycée car M. Martinez, le prof d'anglais qu'on a pendant deux heures tous les mardis en fin de journée, la retenait en classe. Elle jette son sac à dos et sa veste dans un coin de la pièce, sans manières, puis se laisse tomber en arrière sur mon lit tandis que je l'observe sans rien dire, le tome 7 d'Harry Potter toujours dans les mains. Zoé se redresse sur ses coudes et jette un coup d'œil à la couverture du bouquin.
« Harry Potter et les reliques de la mort, hein ? Tu le re-relis ? »
J'acquiesce silencieusement.
« Tu l'as pas déjà relu il y a une semaine ? »
Je me fige. Grillée, Beth ! C'est donc pour ça qu'il était posé sur ma table de chevet... Je n'ai pas besoin de tourner la tête pour imaginer le sourire moqueur et insolent de Zoé à côté de moi.
« Si... je réponds en me tournant prudemment vers elle. Mais... C'est un super livre !
- C'est vrai, » Renchérit-elle en croisant ses bras sur sa poitrine, un rictus amusé au coin des lèvres.
J'aime bien la forme des lèvres de Zoé qu'elles prennent lorsqu'elle sourit de la sorte. Une minuscule fossette ombrage un creux de sa joue d'un côté, ses lèvres semblent plus pleines et elle accompagne souvent ce rictus par un petit jeu de ses sourcils épais qui est assez fascinant à regarder. Je secoue la tête. A quoi suis-je en train de penser ?
« Tu ne lisais absolument pas ce livre, si ?
- Non, » J'avoue misérablement.
Pourtant, mon expression embarrassée se transforme en un léger sourire lorsque Zoé se met à pouffer de façon adorable. Je l'observe simplement rire, la façon dont son visage s'éclaire et que son sourire s'agrandit, des petits plis apparaissant sur les côtés de ses yeux marron. La voyant ainsi réchauffe doucement mon cœur et je ne me sens plus si malade, soudainement. Avec elle à mes côtés, j'oublie mes maux : sa simple présence, son simple sourire me font sentir mieux, un peu comme un médicament. Pourtant, Zoé arrête de rire et reprend une expression plus sérieuse. Elle plonge son regard brun dans le mien, et je sens que je pourrais passer une éternité à observer toutes les petites taches noires parcourant ses iris, qui me rassurent elles aussi, d'une certaine façon. Toutes ces émotions et cette bulle réconfortante éclatent soudainement lorsque Zoé me demande de but en blanc :
« Pourquoi tu m'as ignoré ce week-end ? »
Et bam, le mal de ventre et de tête me percutent à nouveau comme des camions. Un millier de réponses me viennent à l'esprit, mais aucune d'entre elles ne me semble être la bonne. Parce que j'avais la trouille. Parce que je ne comprends pas mes propres sentiments. Parce que ça me fait mal d'essayer de les comprendre. Parce que j'étais figée par la peur, et que je ne suis qu'une pauvre fille dépourvue de courage qui n'aime pas l'affronter. Parce que je n'aime pas te savoir avec Théo et que je ne sais même pas pourquoi. Parce que je ne sais pas.
« Flemme. J'étais crevée, » J'explique dans un rire nerveux.
Zoé m'observe d'un air suspicieux, un sourcil levé. Elle me connaît depuis les couches, et on a –quasiment – pas de secrets l'une pour l'autre. Évidemment qu'elle ne me croit pas. Heureusement pour moi, elle décide d'ignorer mon mensonge, pensant sûrement que si je ne lui dis pas tout, je dois avoir une bonne raison. Ce n'est pas vrai, mais je suis heureuse qu'elle le croie.
« En fait, comment ça va, avec Théo ? »
Ces mots me brûlent les lèvres lorsque je les prononce, et c'est avec difficulté que je les crache hors de ma gorge, mais il fallait, primo : briser la tension, deuzio : poursuivre mon mensonge comme quoi rien ne me dérange dans la relation entre ma meilleure pote et ce gars qui, en plus d'être gentil et drôle, est beau gosse et populaire. Normalement, les deux ne vont jamais ensemble. (Moi, rageuse ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.) Je pensais que poser cette simple question serait la partie la plus douloureuse, mais non, apparemment, il y a pire : voir le visage de Zoé s'éclairer dans un immense sourire lorsque je prononce le nom de son crush, ses yeux étincelants, ne remarquant absolument pas la sincérité cruellement manquante à ma question.
« Oh, si tu savais ! Tout va super bien. Avec Théo, on a continué de discuter par messages tout le week-end, et samedi soir, on a parlé jusqu'à deux heures du mat'. D'ailleurs, ajoute-elle dans un rire, j'ai failli me faire prendre par ma mère qui venait boire à la cuisine et qui est passée par ma chambre pour vérifier si je dormais. J'ai dû cacher mon téléphone en vitesse sous mon oreiller et faire semblant de roupiller. Heureusement, elle n'a rien vu, mais j'ai eu chaud ! »
La façon dont elle prononce son nom me donne envie de gerber. Elle dit « Théo » comme si elle parlait d'un dieu ou de je ne sais quoi. Après, techniquement, le nom Théo vient du grec ancien théos qui veut dire dieu, mais ça, c'est une autre histoire.
« On a mangé tous ensemble, avec Emily, Clara et son groupe de potes, lundi midi, et pendant le cours de français, où on peut se voir de là où on est assis, j'avais l'impression qu'il me regardait... (Elle eut un petit frisson tout à fait exaspérant.) Et tu ne sais pas le mieux ! Hier soir, il m'a raccompagné du lycée jusqu'au gymnase où je fais mes cours de karaté, parce que c'est à côté de là où il vit. On a parlé d'un tas de choses et tu sais quoi ? On a plein de points en communs ! Il m'a aussi confié que le karaté était un de ces sports préférés mais qu'il n'a jamais eu le temps de vraiment essayer. »
Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il a sûrement menti, disant cela juste pour faire plaisir à Zoé. S'il aimait vraiment le karaté, il aurait au moins testé un cours ! Non ? Puis j'ai un pincement au cœur en pensant qu'avant, c'était moi qui accompagnait Zoé jusqu'à son cours de karaté, le lundi soir. On en profitait pour parler de la vie, c'était une habitude qu'on partageait et adorait toutes les deux, ce n'était pas grand-chose, mais ça éclairait mon lundi – surtout après les cours de maths si horripilants de Mme Lopez. Et j'ai soudainement peur que désormais, je sois remplacée par Théo, que ce soit lui qui l'accompagne tous les lundis au karaté, que Zoé m'oublie et m'abandonne comme elle l'a fait deux ans auparavant, qu'elle file tellement le parfait amour avec Théo qu'elle se rende compte qu'elle n'a plus besoin de moi dans sa vie, qu'elle n'a plus envie de moi dans sa vie. L'envie de vomir revient, plus forte que jamais. La souffrance que m'apporte de cette perspective s'infiltre dans mon cerveau, dans mes membres, envahit mon corps et mon esprit et la douleur mentale se transforme en douleur physique : j'ai mal partout, à la tête, à la gorge, au ventre, à la poitrine, aux muscles, aux tripes.
« Bref, ça se passe super bien, conclue Zoé avec un large sourire. Je suis super heureuse, je pense vraiment que ça pourrait aboutir quelque part ! Et, au final, t'avais raison. Il me plaisait bel et bien, » Affirme t-elle en m'adressant un clin d'œil taquin.
Oui, j'avais raison. Il lui plait. La douleur se fait trop forte et, sans le contrôler, je me plie légèrement sur moi-même, pressant une main contre mes lèvres pour m'empêcher de vomir, des larmes se multipliant dans mes yeux verts. Zoé remarque aussitôt mon état et, interloquée, elle se précipite vers moi, posant une main rassurante sur ma cuisse, me provoquant un long frisson qui ne fait rien pour arranger le bouleversement désagréable dans mon corps et mes pensées. Dans mon esprit se mêlent trop d'émotions que je ne saurais nommer pour la plupart, et cette sensation d'inconnu me terrifie. Ce mixage de sentiments me fait penser à un mauvais milk-shake qu'on m'aurait préparé et forcé à avaler jusqu'à la dernière goutte, où on aurait mélangé tous types d'ingrédients, bons ou mauvais, connus ou inconnus, sans vraiment se préoccuper de à quoi ressemblerait le final. Résultat des courses : tous ses sentiments mélangés donnent un rendu étrange, bourratif et écœurant, qui confuse mes sens et m'empêche de vraiment distinguer les goûts les uns des autres, mon cerveau et mon estomac ne réussissant à se mettre d'accord que sur un seul point : j'ai envie de gerber.
« Beth ? Est-ce que tu vas bien ? Beth, réponds moi, tu me fais peur, bordel ! »
La voix paniquée de Zoé me fait sortir de mon délire, et je relève légèrement la tête, sans pour autant enlever ma main de ma bouche. Ma meilleure amie est face à moi, une main sur mon dos, l'autre serrant toujours ma cuisse, et me scrute, l'inquiétude perçant dans ses iris noisette. Pourtant, elle semble se ressaisir et pénètre un regard plus déterminé dans mes yeux larmoyants.
« Si tu veux vomir, préviens-moi, je vais te chercher une bassine. »
Je secoue la tête brutalement. Non, je ne veux pas que Zoé me voit vomir, je ne veux pas qu'elle me voit au plus bas, je ne veux pas qu'elle constate à quel point je suis pathétique. C'est idiot, cependant : on se connait depuis qu'on est bébés, elle m'a vue pisser accroupie dans les bois, elle m'a vu me ramasser comme une conne dans la boue en jouant à la balle au prisonnier, elle m'a vu chialer comme jamais, les yeux écarlates, le visage ravagé par les larmes et la voix rauque, elle m'a vu dégueuler dans des toilettes, complètement déchirée. Elle a toujours été là pour me consoler, me relever où me tenir les cheveux. Elle m'a vu dans les pires situations auxquelles seules les meilleures amies assistent, mais pourtant, cette fois, je ne veux pas qu'elle me voit.
« Tout va bien, je mens contre ma paume.
- T'es sûre ? »
Elle se penche davantage vers moi, son visage à une dizaine de centimètres du mien, comme si elle pouvait trouver la vérité dans mes yeux verts. En même temps qu'elle se rapproche, sa main presse un peu plus ma cuisse. Une convulsion parcoure ma colonne vertébrale, mon cœur se met à battre plus fort et plus vite, mais je tente d'ignorer ce nouveau milk-shake d'émotions en remuant vigoureusement de la tête.
« Ca va, je t'assure. Je suis juste un peu fatiguée. »
Au prix d'un terrible effort, je sépare ma main de mon visage et esquisse ce qui se veut être un sourire rassurant. Malheureusement, mon étirement de lèvres ressemble davantage à une grimace.
« J'ai besoin d'un peu de sommeil, c'est tout, j'essaie de la convaincre. Tu peux partir ? »
Zoé fronce ses sourcils broussailleux. Elle me connaît par cœur, cependant, elle décide de me croire – une terrible décision, vraiment. Hochant lentement sa tête, suspicieuse, Zoé enlève ses mains de mon corps pour les reposer sur ses genoux. Mon cœur reprend un rythme normal, tout comme ma respiration qui s'était coupée sans que je le remarque.
« Très bien, elle souffle, comme pour elle-même. Je pars. Je laisse simplement tes cours sur ton bureau et j'y vais. »
J'acquiesce en silence. Sans qu'aucune phrase ne soit prononcée, Zoé se lève précautionneusement de mon lit deux places, prend son temps pour fouiller dans son sac à dos et en sortir les leçons et les photocopies, pose la liasse de papiers sur mon bureau de bois clair, sans cesser de me lancer des regards à la dérobée, comme pour vérifier si je vais bien – face à ces regards, j'hasarde des demi-sourires qui me font mal aux lèvres. Enfin, Zoé ramasse sa veste, m'accorde un dernier regard d'au revoir avant de s'éclipser hors de ma chambre, fermant lentement la porte derrière elle. L'oreille tendue, je l'entends marcher dans le couloir, saluer Pogno d'un ton faussement joyeux, puis pousser la porte d'entrée, se glisser hors de l'appartement en claquant la porte derrière elle. Une fois sûre de son départ, je tombe en arrière sur mon lit et me recroqueville sur moi-même, en position fœtale. Et c'est là, ayant pour seuls témoins de ce triste spectacle les étoiles commençant à briller derrière ma fenêtre, que je laisse les larmes couler.
***
<Photomaton ~ Jabberwocky>
Je me réveille suite à la sonnerie récurrente de mon portable. D'humeur massacrante par la soirée et par la frustration d'avoir été interrompue dans mon sommeil, je décroche sans même regarder le nom de mon interlocuteur, prête à l'engueuler un bon coup.
« Allô ? Je marmonne, la voix rauque.
- Woaw, t'as fumé ou quoi ? C'est quoi cette voix d'outre-tombe ? »
La voix amusée d'Edward ne réussit qu'à me renfrogner davantage.
« Ha, ha, ha. Très drôle, Eddie.
- Tu vas bien ? Tu t'es bourrée la gueule hier ? T'as fait un black-out et t'as eu une amnésie ?
- Pourquoi tu me dis tout ça ? Je gémis à travers le téléphone.
- Heu... Allô la Terre ! Beth, le mardi, on a théâtre ! »
Je pousse un long soupir.
« Je suis désolée, j'avais complètement oublié. Je suis malade depuis ce week-end, alors...
- Hein ? T'es malade ? Mais pourquoi tu ne nous as pas prévenus ?
- Ca aussi, j'avais oublié. »
Je lâche cette phrase dans un petit rire qui n'a rien d'authentique. Un grésillement étrange me parvient, et la voix d'Edward parait faible et lointaine, lorsqu'il lance une phrase à mes amis du théâtre. Un concert de gloussements – sûrement dus à une blague lancée par mon ami aux cheveux d'argent – et de soupirs de déception retentissent en fond, signe qu'Edward leur a expliqué ma situation. Une voix me crie « Bon rétablissement ! », et je reconnais celle sérieuse et conseillère de Fatouma. Edward reprend l'appareil.
« Désolé du boucan, tu les connais...
- Oh que oui, je ris légèrement. Un peu trop, d'ailleurs.
- Hey ! Ça veut dire quoi, ça ? proteste Léo.
- Bon, en tout cas, je suis content que ta voix soit cassée comme ça à cause de la maladie, poursuit Edward. Un instant, j'ai cru que tu t'étais mise à la cigarette, alors que tu m'as toujours répété que tu ne fumerais jamais.
- C'est toujours d'actualité.
- Tant mieux, fumer, c'est pas bon pour la planète ! Crie la voix de Lilly.
- Ni pour les poumons ! Renchérit Yun.
- Je sais ! Je leur rétorque dans un râle rauque. Et je ne fumerais jamais !
- Arrête d'hurler ! Hurle Edward à son tour. Et, les gars, n'écoutez pas cette conversation. C'est une discussion privée.
- T'as mis ton haut parleur, » Fait remarquer Willow.
Un « BIP » sonore se fait entendre. Je devine qu'Edward vient de désactiver son haut parleur.
« Bon, tu vas bien ? Tu n'es pas trop malade ? Je dois venir checker pour voir si tout va bien ? Tu penses à venir au théâtre vendredi ?
- Edward, j'ai une mère pour ces questions, merci. Et crois-moi, elle remplit très bien sa tâche.
- Je suis ton ami, j'ai le droit de m'inquiéter pour toi, tout de même ! T'es comme une petite sœur pour moi.
- Sympa ! On a, genre, quelques mois de différence...
- Ça me fait toujours quelques mois de plus. Bref, ça va pour toi ?
- Ça va. »
Je mens, encore et toujours. Mais là, je suis vraiment trop fatiguée pour expliquer la situation à Edward à travers mon téléphone. Un temps passe, il ne me répond toujours pas.
« Allô ? Je lance.
- Non, tu ne vas pas bien, prononce t-il lentement, d'un ton grave. Ca s'entend à ta voix. Ne joue pas ce jeu avec moi, Beth, je t'assure que tu vas perdre. Qu'est ce qui s'est passé ?
- Mais rien ! Je proteste, stupéfaite que mon état misérable se devine aussi facilement.
- Arrête de mentir ! Bon, si tu ne veux rien me dire maintenant, très bien. Mais samedi, tu me déballes tout. »
J'avais presque oublié que nous avions prévu une soirée Star Wars sushis-pizza de prévue samedi soir, dans mon appartement, avec juste Edward et moi. Je pousse un long soupir, capitulant :
« OK, très bien. Samedi, je t'explique ce qui se passe. »
Ce qui se passe de quoi ? Je l'ignore moi-même, et si je ne sais pas m'expliquer pourquoi je me sens aussi mal, comment pourrais-je l'expliquer à quelqu'un d'autre ?
« Génial, fait Edward, un peu plus enthousiaste. On se voit vendredi, du coup ?
- On se voit vendredi, je confirme d'un ton las, le ton joyeux de mon ami me faisant néanmoins doucement sourire.
- Super ! Dites au revoir à Beth, les gars ! »
Un nouveau « BIP » m'indique qu'Edward a remis son haut-parleur. Une cacophonie de « Au revoir ! » et de « A bientôt ! » lancés à tue-tête explose aussitôt dans mon oreille, comme si j'étais partie en voyage pour ne revenir que dans de longues semaines. Le son puissant de cet esclandre me fait grimacer – mais également rire légèrement.
« Salut, Beth ! » Conclue la voix égayée d'Edward avant qu'il ne raccroche, me laissant seule à nouveau.
Le silence revient. Je fixe l'écran de mon portable une poignée de secondes, puis je l'éteins, le repose sur ma table de chevet et me remets en boule bien au chaud sous ma couette pour me plonger à nouveau dans les bras de Morphée, l'esprit un peu plus léger cette fois.
***
Désolé d'être encore du retard :'( J'espère que le chapitre vous a plu, personnellement je l'aime bien ! Et merci pour les cent vues !! Je vous aime ❤️ Gros bisous,
Deamignis...
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