Passion
10 novembre 2017
Quand je me suis inscrite à une école d'art, j'avais plein de peurs. Et si je ne supportais pas la critique continue de ce que j'aime ? Et si je craquais sous la pression de la prépa ? Et si je ne me faisais pas d'amis ? Et si j'étais la plus nulle de ma classe ? Heureusement, après ce premier trimestre, je peux dire que toutes ces peurs étaient infondées. Après seulement une semaine d'acclimatisation, le rythme s'installe (même s'il est intensif, on s'y habitue), j'ai des amis que j'ai l'impression d'avoir connus depuis des années, et je demande même des critiques supplémentaires. Je ne suis pas la "plus nulle" de ma classe, et même si je l'étais, ce ne serait pas grave parce que le niveau est tellement élevé que "plus nulle" est un terme relatif. Simplement d'être dans la classe est déjà un point de fierté.
Pourquoi je dis tout ça ?
Parce que ma plus grande peur, c'était que le dessin ne soit pas ma passion.
"Mais qu'est-ce que tu dis là ?" je vous vois me questionner. "Tu dessines tout le temps, tes artbooks sont remplis."
C'est vrai, mais jusque-là le dessin a toujours été un hobby combiné avec la création de mondes, de personnages, l'écriture. Le dessins partageait son temps avec l'équitation, la danse, le chant... C'était un hobby, un hobby que j'aimais bien, mais ça restait un hobby.
Un hobby, c'est fragile, on peut le faire un moment, puis y perdre goût, arrêter un moment puis revenir dessus. Ca ne brûle pas, c'est un passe-temps. Ma peur venait du fait que c'était possible à mes yeux que le dessin soit un hobby qui se soit pris un boost d'égo, qui se prenait pour une passion mais qui dans le ressenti ne l'était pas.
La preuve pour moi était que lorsque j'ai pris les requests cet été, j'ai eu du mal à me motiver à les faire, et beaucoup n'ont carrément pas eu ce qu'ils m'ont demandé (je suis désolée pour les cinq personnes qui n'ont pas reçu leurs demandes). Je ne voulais dessiner que ce qui m'inspirait... Bah, il allait forcément y avoir des sujets qui ne m'inspireraient pas en prépa... Qu'allais-je faire si ces sujets étaient remarquablement plus pourris que les autres ? Surtout que parmi les choses qui ne m'inspiraient que moyennement il y avait le réalisme, et mon ennemi juré la gouache, et vu qu'il y avait des gouaches sur la liste de matériel, je savais que je n'allais pas y échapper.
Et si en arrivant dans l'école, ma pseudo-passion s'éteignait sous les coups des travaux sans motivation ni âme ? Qu'allais-je faire ? Je m'étais tant battue pour en arriver là, comment allais-je faire si je n'aimais plus ?
A ma grande joie, je sais que je n'aurai pas à répondre à cette question. Pourquoi ? Ce n'est pas parce que les travaux m'inspirent plus que ce à quoi je m'attendais, ni le fait qu'il s'avère que dessiner en groupe est la chose qui me plait le plus au monde (bien que ces deux aspects jouent aussi pas mal), c'est le fait que pendant mon temps libre, je me suis vue faire mes devoirs, et puis, quand je me donne une pause, je continue de dessiner autre chose.
Jamais je n'aurais cru ça possible pour moi, parce que jusque-là j'avais toujours eu besoin d'alterner les périodes où j'écrivais et les périodes où je dessinais pour éviter de me fatiguer. Maintenant je peux enchaîner 4h de devoirs avec 1h de dessin perso, et le pire c'est qu'en passant de l'un à l'autre, j'ai l'impression de faire autre chose.
Ça m'a rappelé ce qu'a dit mon prof de philo l'année dernière. Il connaissait un homme qui était architecte pour une compagnie. Il travaillait de longues heures à calculer des mesures, à dessiner des façades, à préconiser des matériaux, et quand il rentrait le soir, il avait besoin de se détendre, alors il s'installait paisiblement devant la télé, un ordinateur portable sur les genoux. Un jour, l'homme revoit mon prof, l'architecte a un grand sourire au visage. On lui demande quel bonheur il a eu pour tirer une tête comme ça. L'architecte répond : "j'ai entré ma maison dans un concours et j'ai gagné ! On va construire ma maison en vrai !"
C'est alors que le professeur est perplexe : les maisons que concevait l'architecte allaient tous être construits vu qu'ils étaient conçus pour l'entreprise. L'architecte secoue sa tête : les soirs où il était devant la télé, sur l'ordinateur il créait une nouvelle maison, une maison sans contraintes budgétaires, sans deadline, sans autre souci que la possibilité que ça puisse exister et l'imagination de la personne.
Mon prof avait conclu que cet architecte était mu par une passion inéteignable.
Et c'est ça que je reconnais enfin. A l'époque j'avais jugé la vie de l'architecte plutôt monotone vu qu'il ne faisait vraiment qu'une seule activité, mais maintenant je m'y identifie.
Ce feu qui brûle, cette envie de créer quelque chose dont on puisse être fiers, même si ce n'est que pour un jour, une heure... Comme un aimant on est tiré vers la feuille blanche pour la rendre plus belle qu'elle ne l'était avant, voilà le but. Et ce feu qui brûle devient un inferno lorsque nous sommes privés de cette activité contre notre gré, et on souffre de ne pouvoir reprendre le crayon.
Dans cet aspect-là, la passion est vraiment la sœur de l'addiction. Comme le cliché des jumelles, l'une est pieuse, l'autre est maléfique.
Alors pour tous ceux qui ne sont pas sûrs d'avoir une passion, le seul moyen de savoir vraiment lorsqu'on a un doute, c'est de la mettre à l'épreuve. Cependant, une passion mûrit, une passion se construit, et si ce que vous aimez n'est pas encore une passion à vos yeux, rien ne dit qu'elle ne le sera pas dans le futur. La passion n'est pas non plus forcément la chose qu'il vous plairait de faire tout le temps, mais elle reste forte, cette envie inexplicable de faire quelque chose, et ce manque lorsque cela est impossible. Une passion peut être n'importe quoi, j'ai une amie passionnée par les maths, une autre par l'étude du droit, une autre par la psychologie...
N'ayez pas peur de vivre vos passions pleinement, et surtout, surtout, n'en ayez jamais honte.
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