Le Réveil
Le réveil de mon téléphone sonne. C'est la bande originale de Star Wars, ma saga préférée. D'habitude, elle me met de bonne humeur et me réveille. Mais là, elle agresse mes tympans ainsi que mon cœur.
En un battement de paupières, l'image du ciel étoilé et de son beau visage s'estompe, laissant place au mur de ma chambre, couvert de posters.
Oui, ce n'était qu'un rêve.
Un merveilleux rêve.
Un rêve affreux.
Alors que j'ouvre mes yeux sur le poster de Nadal, en face de mon grand lit aux draps bleus, ils se posent sur le téléphone près de moi, qui continue de crier les célèbres notes de la superproduction de George Lucas. J'appuie sur « arrêter » et l'heure s'affiche : 6 h 30. C'est l'heure de se lever.
Mais autre chose s'affiche aussi.
Mon fond d'écran.
Moi, avec elle.
Mon chagrin éclate d'un coup, comme celui qui m'avait englouti hier, tard dans la soirée, quand j'ai appris la nouvelle. Celui qui a failli m'empêcher de dormir et de la voir pour la dernière fois, de lui parler.
Mon corps est secoué de sanglots qui m'enserrent le cœur.
Sur mon écran, je lis la date d'aujourd'hui : Jeudi 1 février 2024.
Hier s'est fini le mois de janvier.
Tout comme son existence.
Je n'arrive pas à reprendre mon souffle, tant je pleure, tant la douleur est extrême, tant le contact de son corps est encore présent, et tant il me manque.
Hier, nous avons partagé notre dernier cours de théâtre.
Hier, elle m'a confié ses doutes et ses angoisses.
Hier, elle a signé ce faisant sa propre perte.
Car hier, il a su que nous étions ensemble.
Hier, ça ne lui a pas du tout plu.
Hier, il ne s'est pas maîtrisé.
Hier, il l'a tuée.
Je regarde notre selfie sur le fond d'écran. Lui aussi date d'hier. Alors qu'elle m'avait conté son mal-être, j'ai voulu détendre l'atmosphère. Sur la photo, on nous voit tous deux, moi qui souris, un bras autour de son cou, et elle, hilare, ses yeux d'argent pétillants de joie. Ma blague était nulle, mais elle avait ri, de son doux rire d'enfant éternel, de rêveuse immortelle.
Sauf que la rêveuse est tombée des étoiles où elle était perchée.
Parce que je lui ai parlé, une fois.
Parce que j'ai voulu l'aider.
Trop tard.
Je jette violemment mon téléphone le plus loin possible avant de m'écrouler sur mes couvertures. Mes spasmes s'accentuent. Elle n'aurait pas dû mourir, elle qui avait la vie devant elle, elle qui avait un rêve à réaliser !
C'est de leur faute.
À ces enfoirés qui ont ruiné la vie d'une fille innocente !
Ce taré qui s'est fait recaler et tue pour se venger !
Ces raclures qui ne méritent plus d'exister !
Et à moi, qui n'aie pas su l'aider.
Tremblant, je me lève et avance vers la porte de ma chambre. Impossible d'aller plus loin.
Je ne veux pas quitter le cocon isolé de ma chambre.
Je ne veux pas affronter le regard de mes parents.
Je ne veux pas braver le monde extérieur.
Un monde sans elle, fade, triste.
Malgré tout ce qu'elle pensait, malgré son apparence fragile, elle était forte. C'était même la fille la plus forte que j'aie jamais connue. Elle avait beau souffrir, vivre dans la peur, elle revenait chaque jour au lycée en souriant. Ce sourire si beau qui m'a dupé mille fois...
Elle cachait ce qu'elle subissait pour ne pas inquiéter ses proches.
Elle affrontait la vie et ses obstacles, sans abandonner.
Ce n'est pas sa volonté qui craqua et se brisa.
C'est son corps qui ne pouvait plus résister.
J'ai songé à en finir, plus d'une fois, au cours de cette longue nuit, avant qu'elle ne hante mes rêves. Mais je ne peux pas. Comme elle, pour elle, je dois rester fort. Je dois continuer à vivre la tête haute. Pour montrer qu'il ne nous a pas eu, que, même si elle est morte, ça ne change rien.
Sauf que ça change tout.
Sauf que je ne suis pas fort.
Sauf que je n'ai pas eu la force de m'opposer à eux.
Mes larmes reviennent, je ne crois pas qu'elles soient vraiment parties. Mais je n'ai pas le choix.
Je suis debout, face à la fatalité, au chagrin, à l'horreur, au poids de ma culpabilité. Et derrière moi, et à côté, ils sont également là. Ils me suivront jusqu'à mon dernier souffle. Alors, à quoi bon rester dans cette pièce trop étroite, où j'ai tant de fois rêvé d'elle en secret ?
J'appuie sur la poignée, qui s'abaisse.
Je sors.
Après l'obscurité de ma chambre, la lumière du couloir assaille ma rétine. J'essuie mes yeux submergés, mais c'est peine perdue, car de nouveaux flots arrivent aussitôt. Comme si le simple fait d'exister me rappelait continuellement son absence, qu'elle n'existe plus.
Qu'elle existera toujours dans mon cœur meurtri.
Je descends lentement vers le salon. À chaque pas, j'ai l'impression de tomber. À chaque pas, je sens un peu plus les regards posés sur moi.
Mon père lève sa tête de son bol de céréales, et sa cuillère tinte contre le bord.
Ma mère, pas encore partie travailler, retient un cri et laisse tomber son téléphone.
Même Fitia, ma sœur de 5 ans, et le chien Tom se taisent.
Ils semblent avoir compris la tragédie qui vient de se produire.
— Salut chéri... risque ma mère, feignant la décontraction, mais sa voix est hésitante.
Je ne réponds pas. C'est inutile. De toute façon, je sais que ce qui sortirait de ma bouche ne serait pas très agréable. Comment ma mère peut-elle faire semblant, comme si rien n'était arrivé, comme si elle était toujours en vie ? Au moins, je remercie son absence de questions. Elle sait que j'ai mal, que la plaie est bien trop vive, alors elle me laisse tranquille pour le moment.
Je remarque alors que la télévision est déjà allumée, sur le journal du matin. Pour ne pas penser, je fixe l'écran, qui montre l'Hémicycle et diffuse les dernières propositions de lois à l'Assemblée. En temps normal, je n'y aurais guère prêté attention. En temps normal.
Le reportage se termine et l'image change pour annoncer le suivant.
Les mots de la présentatrice me heurtent de plein fouet.
— Passons maintenant à un drame qui s'est produit devant un petit lycée de la banlieue de Toulouse, hier soir. Aux alentours de 19 h, un professeur de l'établissement a découvert le corps sans vie et violemment blessé d'une adolescente de 16 ans qui y étudiait...
Mon cœur rate un battement, mais je suis hypnotisé par ce reportage. Par respect pour elle, je ne peux m'en détacher. Mes parents s'affolent et veulent changer la chaîne, mais ils ne trouvent pas la télécommande. Alors, je laisse les mots de la présentatrice, puis de la voix off me torturer l'esprit.
— ... Selon la police scientifique, la jeune Léane Chevalier aurait été frappée plusieurs fois à mains nues, avant d'être poussé sur la route et de se faire percuter par une voiture, qui n'aurait pas eu le temps de freiner. Le conducteur du véhicule, choqué, témoigne qu'un jeune homme l'y aurait volontairement bousculée après une sorte de dispute, sans qu'il n'ait vu son visage. Les caméras n'ont pas filmé la scène, mais on aperçoit à 18 h 43 quatre silhouettes fuyant sur la route principale, que l'on identifie comme des élèves du lycée en question, et même des camarades de classe de la jeune Léane. Son corps a été évacué et ses parents informés dans la demi-heure. Pour l'instant, la piste de l'homicide est à privilégier, mais en présence de mineurs, il reste pour le moment involontaire. Il faudrait, après une enquête approfondie, se questionner sur la santé psychologique des...
Ma mère zappe enfin et Fitia court devant ses dessins animés.
Je serre les poings.
Des larmes, de fureur cette fois, me viennent.
Je tremble.
— Natou, ça va ? Tu... tu veux en parler ?
Je hurle à pleins poumons.
Non, ça ne va pas !
Non, je ne veux pas en parler, car ce serait rendre la chose plus réelle !
Comment ça pourrait aller alors que le harcèlement et les agressions existent sur Terre ?
Léane est morte ! Elle est morte, partie !
Tuée parce qu'elle voulait faire ses propres choix !
Je prends une décision.
Toute ma vie, je me battrai contre la violence et les inégalités.
Je serai policier, psychiatre, avocat, juge, je ne sais pas encore.
Mais, problèmes psys ou pas, j'arrangerai les situations avant qu'elles ne dégénèrent.
Car il ne faut pas que ça se reproduise.
Il ne faut pas qu'une nouvelle Léane meure avant d'avoir réellement vécu.
Il ne faut pas oublier.
Je vengerai la mort de Léane, ma douce mais si forte guerrière des étoiles.
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