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Chapitre 9 - 2 Hector

Hector passa derrière le bar, et prit un verre encore humide d'eau de rinçage. Il le frotta d'un torchon avant de vérifier d'un oeil aiguisé l'efficacité de son travail. Il acquiesça, satisfait, et s'adressa aux arrivantes :

- Qu'est-ce-que j'peux faire pour vous ?

Les deux jeunes filles étaient toujours dans l'entrée de la taverne, tandis que la fillette s'était hissée sur une chaise beaucoup trop grande pour elle.

Lyssa scrutait chaque détail de la pièce. Elle n'était pas bien grande, mais on arrivait à évaluer le contraste avec la rue. L'endroit était propre et bien tenu. Des tabourets et des tables de bois s'agençaient, laissant entendre un accueil nombreux. Sur les murs, quelques lampes éclairaient la pièce d'un rayonnement diffus. Le bar se tenait devant de nombreuses chopes vides qu'Hector nettoyait une par une.

- Irène nous a donné votre nom, nous cherchons...

Angela marqua une pause. Elle réalisa qu'elle ne connaissait rien de cet homme, ou de la petite fille qui l'écoutait attentivement.

Le tavernier lâcha un ricanement méprisant :

- 'Faites pas les timides, Irène est une bonne amie. Elle passait pas mal me voir avant. Si elle vous envoie, c'est que vous devez sacrément avoir besoin d'aide.

Lyssa était gênée. Cet homme avait raison, elles avaient besoin d'aide.

Mais comment demander sans paraître étrange où se trouvait le camp d'entrainement des Sacrifiés ?

Hector soupira, exaspéré par le silence de ses invitées.

Il indiqua à la petite :

- Gamine, va attendre dehors. Si t'es sage, j'te passe des bouts d'pains.

La petite prit une impulsion pour descendre de sa chaise, et toucha le sol sans un bruit avant de quitter la taverne. La dure vie lui avait apprise comment se comporter avec les gens qui lui voulaient du bien.

Hector vérifia d'un coup d'oeil que la fillette était bien dehors, avant de commencer :

- Bon, on va pas y aller par quatre chemins. Vu votre âge et votre dégaine, vous venez forcément de cette résidence de cinglés au Nord d'ici.

Les deux jeunes filles se regardèrent avec inquiétude :

Ça se voyait tant que ça d'où elles venaient ?

Il fallait se rendre à l'évidence. Deux jeunes filles encapuchonnées qui venaient du Nord du Secteur Mars : il est vrai qu'il n'y avait pas énormément de possibilités, surtout pour se rendre dans une ville aussi peu accueillante.

Lyssa répondit, intéressée :

- De cinglés vous dites ?

L'homme agita les mains, s'exprimant avec énergie :

- Ben, j'sais pas. J'y suis jamais allé. Mais tous les gens qui en parlent présentent ça comme une école louche qui prépare à la vie Olympienne. Donc pour moi, vous êtes des cinglées.

Les deux jeunes filles relevèrent qu'il ne semblait pas savoir les véritables évènements qui se passaient entre les murs de Vesta. De plus, cet homme osait qualifier les Olympiens de "cinglés". Irène avait raison : tous n'étaient pas d'accord avec le Système.

Était-il au courant de l'existence des Chimères ? De la véritable nature d'Irène ?

L'homme poursuivit, continuant de nettoyer les verres :

- Mais si c'est Irène qui vous envoie, vous devez avoir de bonnes raisons pour venir dans cette ville pas assez classe pour vous. Alors parlez, je balancerai à personne. Honnêtement, avec toutes mes magouilles, je risque plus gros que vous.

Lyssa avait une bonne intuition, semblable à celle qu'elle avait eu en rencontrant Irène. La jeune fille sentait que derrière son franc parler cet homme n'était pas un menteur.

Elle osa, voyant son amie toujours hésitante :

- Nous cherchons la direction vers le camp d'entrainement des nouvelles recrues.

L'homme se mit à rire :

- Mais qu'est-ce-que vous voulez faire là-bas ? Vous allez vous faire bouffer.

Angela regagna en confiance. Elle n'était plus intimidée par l'homme face à elle. La jeune fille voyait simplement l'opportunité qui se présentait : il semblait pouvoir les aider.

- Nous recherchons des indices sur mon frère. Il a été recruté il y a sept terracycles pour devenir Sacrifié, mais je n'ai aucune idée de sa zone d'affectation.

Hector acquiesça un air plus grave :

- Ma pauvre petite. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, mais t'as raison. Quitte à commencer par chercher quelque part, autant essayer d'avoir accès aux données du camp d'entrainement. Mais j'avais vu juste, vous êtes cinglées.

L'homme posa la chope qu'il venait de nettoyer, et accrocha le torchon à un tiroir.

- J'ai des cartes qui trainent dans un coin. J'm'en servais au camp d'entrainement pour établir des stratégies de défense.

Lyssa s'étonna innocemment :

- Vous avez été au camp d'entrainement ?

L'intéressé s'esclaffa :

- T'arrives à Phobos et tu sais même pas qui tu vas voir ? C'est une ville de rejetés, ici. On est tous des anciens Sacrifiés. Certains ont la chance de voir leur femme les rejoindre, mais beaucoup d'entre nous sont seuls.

Il jeta un regard vers les tonneaux derrière lui.

- Seuls, avec l'alcool pour oublier.

Il soupira

- J'ai été garde pour la zone 13, à deux heures de marche d'ici. Je m'ennuyais vachement, mais au moins j'étais tranquille. C'est justement dans cette zone qu'arrivent les nouvelles recrues.

Il se dirigea vers une petite porte à gauche du bar :

- Bougez-pas.

Après qu'il fut parti de la pièce, la fillette qui attendait dehors poussa le battant avec hésitation. Elle demanda d'une voix timide :

- C'est bon ? Je peux entrer maintenant ?

Les jeunes filles ne savaient pas quoi répondre. La petite prit le silence pour une affirmation, et entra tout sourire dans la taverne.

Elle se positionna devant Angela :

- Alors, je peux avoir ma pièce ?

L'intéressée s'agenouilla, et tendit l'objet convoité avec tendresse.

- Tiens, comme promis. Mais fais attention à elle ! Il ne faut pas la perdre.

La fillette acquiesça, tenant son poing fermement autour de son trésor.

Au même moment, Hector revint dans la pièce.

- Eh gamine ! J't'avais dit d'attendre dehors ! Si tu veux pas d'pain c'est pas grave.

La petite se figea d'angoisse face à la prestance du tavernier et courut vers la porte d'entrée.

L'homme soupira avec lassitude :

- Quelle pauvre petite. J'sais même pas comment elle fait pour être encore vivante. On essaye de l'aider mais la ville est bien pauvre, et je suis pas sa nounou non plus.

Après ces mots, il présenta une carte* aux jeunes filles. Elle était visiblement arrachée d'un manuscrit. L'homme commença à leur expliquer où se trouvait le camp d'entrainement depuis Phobos. Pour accompagner ses paroles, il écrivit au stylo rouge pour marquer les emplacements des lieux qu'il présentait.

- Bon désolé, c'est une vieille carte que j'avais faite au centre d'entrainement. On devait apprendre à s'repérer, et j'avoue que j'avais zéro sens de l'orientation.

Il pointa des zones de la carte pour accompagner ses explications, marquant d'une flèche le lieu du camp d'entrainement.

- Donc voilà, c'est à peu près là. Vous pourrez pas le louper, c'est dans une grande plaine. En général les camps de Sacrifiés sont construits sur des zones sèches pour laisser la nature tranquille. Donc y'a vraiment rien sur place, à part eux.

Lyssa scrutait la carte avec attention.
Elle reconnut grossièrement ce qu'on lui avait enseigné à la Sainte École, comprenant mieux où elles se trouvaient en ce moment.

- Tenez, je vous la donne. Ça traîne de toute façon, je sais pas quoi faire de tout ce b*rdel.

Angela s'avança. Il est vrai qu'elle voulait aller au camp d'entrainement, mais c'était très risqué.

Elle n'avait aucune idée de comment y entrer.

Dans un premier temps, la jeune fille avait pensé à utiliser sa forme chimérique, mais comment récolter des informations sous une telle forme ? D'autant plus que transformée, elle restait très imposante.

La seule solution était assez évidente : il fallait trouver un moyen de s'infiltrer.

La jeune fille osa :

- Est-ce-que vous avez une idée de comment nous pourrions entrer dans ce camp ?

Hector restait pensif, avant d'affirmer :

- J'ai quelques souvenirs du camp, mais c'était y'a un bail ! J'peux essayer de vous guider. Le mieux serait de vous faire passer pour des nouvelles recrues.

Il continua de chercher, pensant à voix haute :

- J'pense avoir une idée. J'ai un ami qui garde quelques armures en stock, j'ai moi-même encore la mienne qui traîne quelque part. 'Faudrait que j'vous le présente, il pourra vous passer la tenue des recrues. Il doit en avoir quelques-unes.

Lyssa prenait en compte chaque information. Cet homme continuait de les aider sans rien leur demander en retour. Elle osa :

- Sans rien en échange ?

Le tavernier répondit d'un air satisfait :

- Il parait que vous avez des jolis deniers d'or. Si vous m'en passez quelques-uns, j'vous sers bière à volonté pendant votre séjour ici ! J'ai même une petite chambre en haut si ça vous intéresse.

Devant la surprise des jeunes filles, il se reprit avec fierté :

- Vous faites pas d'films. C'est pour Irène que j'fais tout ça. J'vous connais pas vous.

Il croisa les bras :

- Vous la voulez cette chambre ou bien ?

Les deux jeunes filles acquiescèrent.

Angela sortit trois deniers d'or qui traînaient dans son sac, faisant attention de garder le reste des pièces.

Elle avait encore quelques deniers de bronze et d'argent, et plus qu'un denier d'or.

La jeune fille fit une moue en pensant au fait qu'elle avait réussi à gâcher leur argent en une journée. Il faudrait trouver un moyen d'en gagner quand elles seraient à court.

***

Les deux amies installèrent leurs affaires dans la petite chambre à l'étage de la taverne.

C'était une pièce modeste mais propre, au mur de bois comme le reste du bâtiment. Un parquet ancien grinçait sous chacun de leur pas. Quelques toiles d'araignées sans leur propriétaire se répartissaient ponctuellement sur le plafond traversé par des poutres imposantes. Un seul lit se tenait au milieu de la pièce, semblant pouvoir tout juste accueillir deux personnes de petite taille.

Elles allaient devoir se serrer.

Angela rougit immédiatement à cette pensée, imaginant passer la nuit à côté de son amie.

Elle n'allait pas réussir à s'endormir, c'était impossible.

Lyssa ne semblait pas dérangée par la situation. Elle se dirigea vers le côté gauche du lit pour poser son sac à dos qui contenait tout ce qui n'était pas alimentaire.

La pièce n'était pas poussiéreuse, elle semblait avoir été nettoyée récemment. En plus du lit, une petite table de chevet complétait le peu de place supplémentaire. Cette chambre était étroite, mais pas moins charmante.

Elles possédaient un toit pour la nuit.

Lyssa réalisa la chance qu'elles avaient depuis le départ de la résidence. Elle était étonnée de n'avoir vu aucun garde dans cette ville, mais celle-ci était tellement sous-peuplée qu'elle en comprit la raison.

Il ne fallait cependant pas s'éterniser, et rapidement aller en direction du camp d'entrainement. La jeune fille avait l'impression de se jeter dans la gueule du loup, mais il n'y avait pas d'autres moyens pour retrouver Julian.

Hector avait proposé aux deux amies d'aller voir son ami Dante le lendemain. C'était lui qui collectionnait les armures des anciens Sacrifiés dans le but de les revendre au plus offrant.

Le tavernier avait affirmé qu'il réussirait à leur obtenir un équipement chacune. De toutes façons, les deux jeunes filles n'avaient pas d'autres choix que de faire confiance à leur hôte.

Lyssa s'assit doucement sur le lit, avant de pivoter pour s'allonger de son côté. Elle fit bien attention de laisser de la place à Angela, qui restait debout, mal à l'aise.

Son amie se mit à rire :

- Aller, Angie ! C'est pas la mort de dormir à côté.

Celle-ci était aussi rouge qu'une pivoine, si bien que Lyssa s'en inquiéta :

- Quelque-chose ne va pas ? Tu as de la fièvre ?

Elle s'avança de l'autre côté du lit, tentant d'atteindre le front de son amie. Angela fit un geste sec de la main, pour repousser la main tendue vers elle.

- Non, ça va. Je suis juste un peu fatiguée.

Lyssa était étonnée par la réaction de son amie, et légèrement vexée. Elle essaya de rester compréhensive. Angela devait être inquiète face à la suite des évènements qui se profilaient.

Cette dernière se rendit compte de son geste :

- Excuse-moi, Lili. C'est juste que...

L'intéressée ne répondit pas, gardant le silence pour laisser son amie se confier.

- Tu te souviens des romans à l'eau de rose à la bibliothèque de Vesta ?

Lyssa haussa un sourcil.

Quel était le rapport ?

- Oui, mais je n'en ai jamais lu. Toutes ces histoires sur l'amour et les sentiments de deux personnes n'étaient rien d'autres que des mensonges pour nous donner encore plus d'espoir. J'étais assez lucide pour m'en rendre compte.

Angela s'était assise sur le côté du lit, dos à son amie. Elle regardait le sol, encaissant la réponse comme elle le pouvait. Son coeur battait à tout rompre.

À quoi est-ce qu'elle s'attendait ?

Elle essaya de se raisonner. Sa reconnaissance envers Lyssa, leur fuite et les dernières semaines étaient si intenses que son jugement devait être faussé. Ça devait être forcément ça.

Une femme ne pouvait former de paire qu'avec un homme, et ne sentir de sentiments que dans ce sens ; C'est ce qu'elle avait toujours entendu.

Lyssa s'inquiéta :

- Il y a quelqu'un ?

La jeune fille brune allongée sur le lit attendait la réponse de son amie qui ne sortait aucun mot.

Celle-ci hésita :

- Rien, laisse tomber. Je vais prendre l'air et parler un peu avec la petite si elle est encore là.

Lyssa ne comprit pas cette décision soudaine.

Avait-elle fait quelque chose de mal pour qu'elle ait besoin de s'éloigner ?

Elle remarqua :

- Mais il n'est pas prudent de sortir, Angie.

Celle-ci agrippa sa cape et ouvrit la porte, avant de répondre dans un soupir :

- Je serai prudente, ne t'en fais pas. 

*La carte dessinée prend en compte la montée des eaux, conséquence du réchauffement climatique. C'est pourquoi les côtes sont autant grignotées.

▪️▪️▪️

Merci d'avoir lu ce neuvième chapitre du Système Terre ! J'espère qu'il vous aura plu. J'aimerais vous poser quelques questions si vous avez le temps

▪️Que pensez-vous du personnage d'Hector ? ->

▪️Que pensez vous de l'évolution de la relation entre les deux amies ? ->

▪️Remarques sur l'écriture ->

▪️ Remarques sur l'histoire/scénario ->

Merci pour vos retours ! N'hésitez pas à voter ⭐ pour que l'histoire continue ! Le chapitre 10 sera publié avant jeudi 14 mai

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