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Chapitre 5 - 2 Liberté

Les deux jeunes filles ramassèrent le peu d'affaires qu'elles avaient et décidèrent de continuer à longer la Barrière. Elles repérèrent la position de celle-ci par rapport au Soleil, et s'enfoncèrent dans la forêt. 

Les bruits insupportables s'étaient calmés. Tout était plus clair et rassurant que la veille au soir. 

Doucement, elles s'aventurèrent entre les grands arbres feuillus, enjambant les fleurs de toutes les couleurs qui tapissaient le sol. Lyssa reconnaissait certaines d'entre elles grâce à ses cours de sciences médicinales : un plant de jacinthe, de pâquerette, d'anémone... La jeune fille était émerveillée par tant de couleurs et de richesses. La nature était magnifique. 

Les rayons du soleil illuminaient le sol par endroits, révélant dans leur bandeau de lumière quelques poussières scintillantes. Des branches craquaient sous leur pas, précisant leur position à tous les petits animaux peureux qui auraient pu croiser leur route. 

Après quelques minutes de quiétude, Lyssa sentit remonter tout le flot de questions qu'elle gardait en elle depuis une quinzaine d'heures maintenant :

- Angela ?

Celle-ci pivota tout en continuant d'avancer, et sourit chaleureusement :

- Oui ?

- On peut parler de tout ce qu'il s'est passé ?

Angela acquiesça, laissant Lyssa poser ses questions, qui s'exécuta :

- Première chose, qu'est-ce qu'on est ? Je ne comprends vraiment rien, j'ai même l'impression que ce qu'il s'est passé dans le hangar n'était qu'un rêve. Et pourtant, je ne suis pas venue ici en me téléportant, j'ai bien volé sur ton dos.

- Honnêtement, j'en sais trop rien. On est appelée des Chimères apparemment. Mon frère est aussi une Chimère Aigle comme moi. Même si lui a connu nos parents et que moi je n'ai aucun souvenir d'eux, il ne m'a jamais rien dit. Parfois, il m'emmenait dans la forêt à côté de notre village, et se transformait pour me faire voler au-dessus des arbres. C'était tellement magique que j'espérais au fond de moi qu'un jour je serais semblable à lui. Si j'avais su que cette particularité allait m'enfermer dans une prison dorée, j'aurai ravalé mon souhait...

La jeune fille laissa échapper un ricanement ironique avant de poursuivre :

- Julian m'a expliqué qu'on est des êtres humains améliorés, que la nature vit en nous plus que pour n'importe quel autre homme. Il me répétait sans cesse que c'était un secret, et que si jamais j'avais des symptômes étranges, je me devais de lui en faire part. Mais c'était tout. Dans mon esprit d'enfant, je ne comprenais pas grand-chose à ce qu'il se passait. Alors j'écoutais mon grand frère sans me prendre la tête. J'aurais peut-être dû lui poser plus de questions...

Angela avait un regard nostalgique après ses explications. Elle continuait d'avancer doucement, les mains agrippant les sangles du sac à dos. Lyssa avait de la peine pour son amie et voulait l'aider.

- On fera de notre mieux pour trouver ton frère.

- Merci, Lili.

Lyssa s'étonna :

- Lili ?

- Oui, je trouve que ça te va bien. Alors désormais, je t'appellerai Lili. Nouveau départ, nouveau surnom !

- D'accord, Angie.

Les deux amies se mirent à rire, et Lyssa poursuivit le sujet initial de discussion :

- Pour en revenir aux Chimères... En ce qui me concerne, je ne sais pas trop à quoi j'ai pu ressembler. Je sais que j'avais des énormes pattes à la place des mains. J'étais recouverte de poils roux avec des rayures noires, et au lieu de crier, je grognais avec une espèce de rugissement étrange. Ça me terrifie, j'espère vraiment pouvoir redevenir normale...

- C'est peut-être une Chimère Tigre alors. J'avais quelques livres d'images sur les animaux quand j'étais petite au village, et ta description semble correspondre. Mais aujourd'hui les tigres ont disparu, alors c'est difficile de comparer. Quand à te faire redevenir normale, je ne sais pas si c'est possible, Lili. Je n'ai que très peu de connaissances sur le sujet, mais on travaillera ensemble pour que tu t'acceptes. Je pourrais t'apprendre comment te transformer ou contrôler tes sens.

Lyssa acquiesça doucement. 

Pour l'instant, elle préférait comprendre simplement. Elle n'aimait pas ce qu'elle devenait, et surtout les conséquences que sa nature pouvait avoir. 

La jeune fille ravala les mauvais souvenirs de la cage en verre qui s'imposèrent à son esprit, et poursuivit son questionnement pour changer de sujet.

- Revenons à ta vie à Vesta. Il y a plein de choses que je ne comprends vraiment pas. C'est peut-être normal, mais comment ça se fait que toi tu aies des souvenirs de ta vie d'avant, et qu'Émilie et moi, et la plupart des filles qui en parlaient, n'en ayons aucun ?

Le visage d'Angela s'assombrit.

- Tu sais, comme tu as pu t'en rendre compte, le domaine est beaucoup plus sombre qu'on ne le pense. Tu te souviens de la visite médicale d'entrée à la résidence ?

Lyssa se remémora très brièvement ce moment pas très agréable. Elle n'avait pas vraiment de souvenirs, seulement une émotion uniforme de mal-être. Angela continua :

- Normalement, avant la radio, ils te font boire un liquide opaque pour "mieux voir ton tube digestif". Je pense que ce liquide permet de contrôler la mémoire de ceux qui le boivent.

Lyssa était stupéfaite. 

Contrôler la mémoire ? Mais comment ? Et comment Angela avait-elle fait pour s'en rendre compte et l'éviter ? 

Son amie poursuivit son récit.

- Le mélange qu'on te fait boire est assez blanc et opaque, et mérite un mélange précis. Sauf que je n'étais pas spécialement contente d'être là ni d'ingurgiter cette chose, alors je me suis débattue et ai fait tomber le verre. Je ne sais pas s'ils se sont trompés dans les mélanges des différents constituants en voulant me resservir, mais le sérum d'oubli n'a pas marché sur moi. C'était peut-être à cause de mon âge aussi. Et donc, quand ils ont voulu m'implanter des nouveaux souvenirs en me montrant des images et en me faisant répéter des phrases sous hypnose, j'ai joué le jeu. Ils croient tous encore aujourd'hui que j'ai tout oublié.

Angela marqua une pause, laissant son amie digérer la nouvelle. Cette dernière était abasourdie. 

Elle avait donc tout oublié de sa vie d'avant, ses parents, tout, à cause de ces monstres ? 

Lyssa ressentait du dégoût, de la colère, de la tristesse, et encore plus d'inquiétudes pour sa petite soeur. 

Allaient-ils lui refaire subir la même chose pour qu'Émilie l'oublie elle, sa grande sœur ? 

Elle secoua la tête, ça ne servait à rien d'avoir ce genre de pensées, et continua son questionnement. 

La jeune fille demanda à Angela depuis quand elle pouvait se transformer et comment elle avait fait pour ne pas éveiller les soupçons.

- Alors ça, c'était vraiment une galère sans nom. Le terracycle dernier, il y a eu pleins de résidentes qui se sont éveillées d'un seul coup, au milieu de l'épidémie de grippe.

Lyssa se remémora cet épisode morbide qui avait entrainé la mort de quelques jeunes filles du onzième niveau. Elle et sa petite soeur avaient eu la chance de ne pas être infectées à ce moment-là. Angela poursuivit :

- Et moi, j'avais l'âge pour m'éveiller, mais j'étais simplement malade. Les symptômes des convalescentes et des jeunes filles en plein éveil étaient les mêmes. Ils ont torturé après coup toutes les résidentes qui avaient l'âge de s'éveiller, anticorps dans leur sang ou non. 

La jeune fille arborait un regard grave et compatissant. Elle continua : 

- En vérité, les résidentes qui ont soi-disant succombé à l'épidémie ne sont pas mortes. Je suis persuadée qu'elles étaient des Chimères, comme toi et moi, qui ont été transportées vers Jupiter pour subir plus d'expérimentations. Généralement d'ailleurs, toutes les filles qui sont "parties plus tôt que prévues à Olympia" sont à mon avis simplement des filles qui se sont éveillées, et qui ont été envoyées à Jupiter. 

Angela se retourna vers Lyssa, la regardant avec compréhension : 

- J'ai été torturée moi aussi, sans succès. Les gérantes ont essayé de me faire boire le liquide pour que j'oublie la séance de torture. Cette fois-ci, je n'avais pas tellement eu le choix que de l'ingurgiter. Mais encore une fois, il n'a pas fonctionné. C'était peut-être parce que je ne l'avais pas pris correctement la première fois. Je connaissais aussi les effets du sérum alors j'ai combattu du mieux que je pouvais pour ne pas oublier. L'ironie, c'est que je me suis éveillée une semaine après, et que tout le monde a pris ça pour une rechute de grippe. Je n'ai pas subi de nouveaux tests ou une nouvelle torture, j'ai simplement appris seule à me transformer pendant la douche le matin. Je crois avoir été assez discrète pour que 155 ne remarque rien. Mais ça me parait quand même étrange qu'il n'ait pas eu quelques doutes. Je le soupçonne d'avoir fermé les yeux volontairement.

Lyssa fit le lien entre les journées de torture de son amie et les deux jours où Angela avait disparu. Elle n'était pas en redressement pour les raisons que tout le monde pensait, ce jour-là. 

L'évocation de 155 lui fit penser à 038 :

- Tu sais 038...

La jeune fille inspira un bon coup.

- Avant qu'on se quitte, il m'a parlé du fait qu'il avait été ravi de me servir tout ce temps. Je crois qu'il se souvient de tout depuis le début.

Angela passa sa main dans les cheveux l'air gêné :

- Je suis tellement désolée, j'ai l'impression d'être au courant de choses que tu devrais savoir et pas moi. Tu sais, quand on est partis te chercher, 038 a été quelque peu bavard. Déjà pour commencer, c'est lui-même sans mon aide qui a pris l'initiative d'aller dans la salle des serveurs et de faire planter les androïdes.

Lyssa était stupéfaite. 038 avait pris une initiative pareille ? Pour la sauver ? Son coeur se serra encore plus quand elle pensa qu'il avait sans doute perdu la mémoire à l'heure actuelle. Elle était tellement reconnaissante. La jeune fille leva les yeux vers son amie qui continua :

- Et il m'a expliqué, car je m'en doutais un peu, que lorsque tu as mis le fil dans sa prise dorsale, tu n'as pas fait un redémarrage. Tu as simplement supprimé les programmes de restriction qui imposaient à 038 son comportement. Il était obligé de faire des rapports sur toi chaque semaine, de faire sa maintenance, de te surveiller, de ne rien nous dire sur le monde... C'était dans la programmation qu'il avait reçue en arrivant au domaine. Tu n'as pas effacé sa mémoire Lili, tu l'as simplement rendu libre.

La jeune fille était bouleversée par ces révélations. Son androïde lui avait sauvé la vie, parce qu'il le voulait, il se souvenait de tout. Il avait joué la comédie pour qu'elle ne se méfie de rien, pour qu'elle puisse être elle-même.

***

Cela faisait au moins deux bonnes heures que les deux amies marchaient dans la forêt, suivant toujours la Barrière. Pour être sûr de la direction, Angela s'était transformée quelques fois pour vérifier leur trajectoire. 

Au milieu de silences apaisants, elles discutèrent de sujets légers et graves. Elles abordèrent à la fois les différentes sensations que leur offrait la forêt, et le traumatisme qu'elles avaient encore toutes les deux face à la torture des gérantes. 

Angela précisa à quel point il avait été difficile pour elle de faire semblant après ça, d'aller en cours comme si de rien était, mais que son souhait de retrouver son frère était plus fort que tout. 

Elle n'avait jamais osé partir seule, ne sachant pas où aller, ou ce qu'il y avait dehors. C'est pourquoi elle avait eu l'idée de s'enfuir à la gare de Cérès et de retourner à son village voir si son frère y était.

Les deux jeunes filles analysèrent également l'existence même du domaine Vesta. 

Préparait-il réellement à la vie de servante ? Ou servait-il seulement de couverture à des expérimentations morbides ? 

Tout ce que Lyssa espérait, c'était que sa soeur ne s'éveille pas, qu'elle reste humaine pour pouvoir aller à Olympia et réaliser ses rêves.

À mesure qu'elles avançaient, les arbres commencèrent à laisser place à des prairies de plus en plus vastes. Les deux amies essayaient tant bien que mal de rester vers les arbres pour ne pas être visible.

En continuant leur chemin, toujours en longeant la Barrière, elles aperçurent au loin une petite maison de bois. 

De la fumée s'échappait de la cheminée : il y avait quelqu'un. 

Angela fit signe à Lyssa de reculer, il fallait retourner dans la forêt et faire le tour pour que personne ne les voit. Elles pivotèrent, lorsqu'elles entendirent des bruits de pas se diriger dans leur direction en provenance des feuillus, accompagnés d'une respiration haletante. 

Un animal doré sortit du bois. Angela reconnut un chien, et vit Lyssa se pétrifier de terreur. Elle rassura son amie :

- Les chiens ne sont pas réputés pour être méchant. Ce sont des animaux de compagnie.

Les jeunes filles virent l'animal s'avancer doucement vers elles avec prudence, avant de se mettre à aboyer. Lyssa se cacha derrière son amie qui ne semblait pas plus rassurée :

- Alors Brutus, tu as trouvé quelque chose ?

La voix venait d'une vieille dame qui suivait le chien de près. 

Celle-ci était habillée d'une robe en laine et d'un joli châle en dentelles qui recouvrait ses épaules. Ses cheveux blancs étaient tenus en un chignon, et ses yeux bleus reflétaient chaque rayon de soleil qui y entrait. Elle s'avança doucement vers les jeunes filles qui étaient pétrifiées, et laissa échapper un sourire lumineux :

- Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu de fugueuses par ici.

▪️▪️▪️

Merci d'avoir lu ce cinquième chapitre du Système Terre ! J'espère qu'il vous aura plu. J'aimerais vous poser quelques questions si vous avez le temps

▪️Que pensez vous des révélations sur l'enfance d'Angela ? ->

▪️Quelles questions vous posez-vous sur Julian ? ->

▪️Remarques sur l'écriture ->

▪️ Remarques sur l'histoire/scénario ->

Merci pour vos retours ! N'hésitez pas à voter ⭐ pour que l'histoire continue ! Pour le chapitre 6, tournez la page

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