Chapitre 5 - 1 Liberté
La forêt était si grande, si belle sous la lumière bleutée. Les deux jeunes filles étaient stupéfaites face à cette splendeur imparfaite. Le temps était limpide, le ciel parsemé de quelques nuages timides et l'air doux malgré l'heure tardive. La lune était si pure et puissante qu'elle arrivait à éclairer comme en plein jour, permettant d'y voir clair.
Elles volèrent ainsi, profitant du calme et vérifiant en même temps que personne ne les suivait.
Angela sous sa forme chimérique avait confiance en ses sens aigus de chasseuse. Étrangement, les androïdes qui avaient essayés de les suivre abandonnèrent rapidement pour le plus grand bonheur des deux amies.
Angela remarqua que malgré sa force particulière sous sa forme de rapace, le poids de Lyssa se faisait sentir. Elle fatiguait et commençait à envisager de se poser ; Cela faisait au moins une demi-heure qu'elles longeaient la Barrière en volant au-dessus de la forêt, sans voir aucune habitation ou vie humaine.
L'aigle plana encore quelques minutes et remarqua une petite surface sans arbres qui pouvait lui permettre d'atterrir.
La jeune fille secoua la tête pour prévenir son amie, puis ouvrit grand ses ailes dorées. Elle contrôla le jeu du vent sur ses plumes, ce qui lui permit de perdre de l'altitude en douceur. Après un dernier battement, ses serres se posèrent délicatement sur le sol.
Lyssa se précipita pour descendre.
Angela encore transformée regardait son amie de ses yeux perçants, attendant qu'elle lui donne le sac à dos. Lyssa s'exécuta et se retourna.
Une trentaine de secondes s'écoulèrent avant que la jeune fille n'entende :
- J'ai le dos en compote ! J'en peux plus, je suis épuisée ...
Angela avait repris forme humaine et portait des vêtements de sport dans le même genre que ceux de Lyssa. Il aurait été idiot de garder l'uniforme du domaine en pleine fuite.
- Je n'en reviens pas Lyssa, on est dehors ! On est libres, on est sorties ! Tu te rends compte ?
L'intéressée était mitigée. L'adrénaline avait laissé place à beaucoup de confusions : de la fatigue, de la douleur physique, morale... En bref : de l'épuisement.
- Je ne réalise pas vraiment, je suis encore un peu sonnée.
- Oui, je comprends totalement. Pour l'instant, on va essayer de trouver un endroit pour dormir. Cette plaine est beaucoup trop visible, on ferait mieux d'aller dans la forêt. J'espère qu'il n'y a pas trop d'animaux sauvages dans le coin.
Lyssa n'avait jamais vu d'animaux de sa vie : Des créatures vivantes autres que des humains qui pouvaient arborer différentes formes. Le domaine de Vesta empêchait toute intrusion animale, même celles d'oiseaux par le haut du mur.
La jeune fille était donc terrifiée à l'idée de croiser une bête sauvage, mais elle se dirigea avec son amie vers la forêt peuplée d'immenses arbres vêtus de feuilles charnues. Celles-ci ne laissaient pas vraiment passer la lumière au niveau du sol. Il y régnait donc une ambiance très sombre et paisible.
Les deux amies n'étaient pas très rassurées car la seule source lumineuse était celle de la Lune. Mais après quelques instants, Lyssa commença à discerner de plus en plus nettement les formes, et à entendre très clairement les bruits. Le moindre son la faisait sursauter, si bien qu'Angela s'en inquiéta :
- Ça va ? Tu as vu quelque chose ?
La jeune fille ne répondit pas. Elle était trop occupée à analyser ce flux d'informations qui s'imposait à elle.
Lyssa n'arrivait pas à contrôler ce qu'elle entendait, ni à se focaliser sur un bruit en particulier. Les paroles de son amie se mélangeaient à tous ces sons : des craquements de branches, la brise dans les feuilles, la course d'un animal et la respiration d'un autre :
Elle entendait tout.
Sa migraine la rattrapa, la forçant à fermer les yeux de douleur.
D'un coup, le bruit s'étouffa.
Elle rouvrit les yeux, et sentit qu'Angela lui avait recouvert les oreilles de ses mains. Les sons se calmèrent progressivement, jusqu'à devenir très faibles, et supportables.
Son amie abaissa les bras et demanda doucement :
- Lyssa, est-ce que tu veux qu'on trouve un coin dans la plaine pour dormir ? On peut monter la garde à tour de rôle.
La jeune fille acquiesça faiblement. Cette forêt l'angoissait, et tous ces bruits allaient la rendre folle pendant une nuit entière.
Les deux amies rebroussèrent chemin et se posèrent contre un arbre dans un coin de la plaine.
Angela sortit deux polaires qui leur avaient servi l'hiver pendant les cours de sport, et en tendit une à Lyssa.
- On a de la chance que la nuit soit douce. On est encore dans la saison chaude, mais si jamais tu as froid, j'ai prévu ça. Personnellement, je vais m'en servir comme oreiller.
- Tu as pris quoi d'autre dans le sac ?
- Alors le téléphone et le boîtier, le porte-clés, le petit livre, des affaires de rechange pour nous deux, ta montre, de l'eau et pleins de morceaux de pain que 038 a réussi à chopper dans les cuisines.
En accompagnant sa description, Angela ouvrit en grand le sac à dos et montra le contenu à son amie. Une dizaine de morceaux de pain était empilée au-dessus des autres objets. Lyssa demanda :
- Comment tu as fait pour récupérer les objets ?
- C'était pas bien compliqué. Après que le robot de service t'ait emportée, Émilie est allée récupérer tout ce qu'il y avait là-haut avec l'aide de 038. Elle a réussi à convaincre son androïde de la laisser faire, je ne sais pas trop comment.
Lyssa était étonnée : Émilie avait osé monter sur le toit pour ses affaires et celles d'Angela. Sa petite soeur avait beaucoup plus de ressources qu'elle ne le pensait.
Encore face au sac ouvert, elle questionna de nouveau :
- Et tu penses qu'on peut tenir combien de jours avec ça ?
- Alors pas beaucoup, mais je peux chasser et on pourra faire cuire de la viande. Pour l'instant, il faut éviter de faire du feu pour ne pas se faire repérer. Mais dans quelques jours ça devrait être bon.
Angela marqua une longue pause, et osa finalement :
- Si jamais ça ne va pas cette nuit, n'hésite pas à me prévenir. Je vais monter la garde la première. Je te réveillerai si jamais je ne tiens plus debout pour que tu prennes la relève, si ça te va. On parlera plus de tout ce qu'il s'est passé demain. Il faut que tu dormes.
Lyssa s'exécuta. Elle installa sa polaire en guise d'oreiller sur le sol, et ferma les yeux.
***
Au petit matin, le soleil chauffa les joues et caressa les paupières des deux jeunes filles.
Lyssa ouvrit péniblement les yeux :
Elle avait passé une nuit atroce.
En plus du manque de confort dont elle avait l'habitude, les bruits incessants de la nuit avaient résonné sans cesse dans sa tête.
La jeune fille ne comprenait pas pourquoi elle entendait aussi bien tout ce qui l'entourait, car elle était persuadée que beaucoup de sons provenaient de loin. Bizarrement, plus le jour arriva, plus les bruits se calmèrent. Le matin fut donc difficile pour Lyssa qui n'arrivait pas à dormir en plein jour.
Tant pis, elle avait quand même assez récupéré pour avoir une discussion sérieuse. Elle avait beaucoup de questions à poser.
Pendant la nuit, la surveillance fut principalement assurée par Angela, qui avait répété sans cesse qu'elle n'était pas fatiguée.
Doucement, Lyssa se redressa et remarqua que son amie était assise contre l'arbre, les yeux fermés : Angela avait dû s'endormir en montant la garde.
Lyssa se leva doucement, et s'étira.
Il devait être très tôt. Le soleil apparaissait doucement de derrière les arbres et l'herbe était encore humide de la rosée du matin.
Elle se dirigea vers le sac en faisant le moins de bruit possible dans le but de récupérer sa montre.
En ouvrant la fermeture éclair, son amie s'agita, et remarqua d'une voix rauque :
- Oh ... Tu es réveillée ...
Angela se frotta les yeux ; elle avait l'air exténuée. Lyssa était confuse :
- Pardon ! Je ne voulais pas te réveiller, rendors-toi.
- Ça va, je ne devrais pas passer la journée à dormir. Il faut qu'on avance pour qu'ils ne nous rattrapent pas.
- Oui, mais tu as veillé toute la nuit...
Angela prit un air paniqué :
- Mais oui tu as raison ! Je me suis endormie en montant la garde ! J'ai failli nous mettre en danger... Je suis désolée.
Lyssa sourit :
- Mais non, ne t'en fais pas. J'entendais absolument tout ce qu'il se passait autour de nous et même plus loin de toute façon...
Son amie la regarda d'un air interrogateur avant de se lever et de faire quelques mouvements pour se dégourdir les jambes. Elle murmura :
- On est libre, Lyssa.
Celle-ci sentit la brise lui agiter ses cheveux bruns comme pour confirmer les dires d'Angela.
L'odeur de l'herbe fraiche, la chaleur du soleil sur sa peau, la sensation de calme sans obligations ni stress permanent... Oui, elles étaient libres.
Pour combien de temps ? Elle ne le savait pas. La jeune fille continuait simplement d'apprécier le moment présent, tout en gardant une douleur au coeur en pensant à sa soeur et à 038 qui étaient maintenant derrière elle.
Lyssa soupira douloureusement. Il fallait se concentrer et continuer d'aller de l'avant. Elle proposa donc :
- On devrait peut-être commencer à avancer dans la forêt. À vrai dire, maintenant qu'on est dehors, je ne sais pas trop où aller. Personnellement, ça m'irait de vivre dans les bois. C'est comme si mon instinct me disait que j'étais faite pour rester ici.
Angela baissa les yeux. Son amie sut déchiffrer la douleur sur son visage, et osa doucement :
- Écoute, je dois t'avouer quelque chose.
Elle fit une pause, et se lança :
- Mon seul souhait est de retrouver mon frère.
La jeune fille se tourna vers Lyssa, qui la regardait d'un air interrogateur et compréhensif. Angela poursuivit :
- On a été séparés quand j'avais dix terracycles. Mon frère et moi avons toujours vécu ensemble, il a onze terracycles de plus que moi. Je n'ai aucun souvenir de nos parents qui nous ont abandonnés à ma naissance. Du coup, on a grandi dans un petit village, le village Chloris, à l'ouest du secteur Cérès vers le secteur Neptune.
Lyssa haussa un sourcil :
- Le secteur maritime ?
- C'est ça. On était plutôt heureux là-bas. Le village nous avait recueilli. Chaque habitant s'occupait de nous à tour de rôle car tout le monde se connaissait, mais j'avais de la chance car Julian était là pour moi en permanence. Il travaillait au village dans une boulangerie, et moi je jouais avec les autres enfants.
Le visage d'Angela s'assombrit :
- Et un jour, le recrutement des Sacrifiés est venu. Chaque village devait donner au moins dix jeunes hommes en âge de combattre, avec en échange une grande somme d'argent. Tous les habitants étaient très pauvres, alors mon frère est parti dans l'optique d'offrir une vie meilleure à tous ces gens qui nous avaient élevés.
Angela s'était assise pour conter son récit, et regardait le vide avec émotion. Lyssa posa la main sur l'épaule de son amie :
- Et toi alors ?
- Julian faisait confiance aux villageois pour bien me prendre en charge. Mais après son départ, la doyenne du village s'est inquiétée. Elle a donc parlé à un officier chargé de la protection du village et il a assuré qu'ils allaient s'occuper de moi. Je ne sais pas trop comment, mais peu après ça, je suis arrivée à Vesta. Je ne sais pas ce qu'est devenu mon frère depuis. Je ne sais même pas s'il est vivant. Tout ce que je sais, c'est que les Sacrifiés se trouvent dans le secteur Mars, donc mon frère doit forcément y être. Du coup, mon but est de le retrouver, quoi qu'il en coûte. Je veux savoir s'il est toujours en vie.
La jeune fille arborait un regard déterminé, et se tourna vers les yeux bleus de Lyssa qui l'écoutait avec compassion :
- Donc la question est de savoir si j'y vais toute seule, ou si tu acceptes de m'accompagner.
L'intéressée était étonnée par la demande. Elle regarda les yeux verts d'Angela qui scintillaient de caractère.
Lyssa avait toujours voulu la liberté, rien de plus. Mais rester seule toute sa vie n'était pas non plus dans ses plans. Et si elle n'était pas là pour protéger et aider son amie, qui le ferait ?
Elle pensa à sa petite soeur. Lyssa savait au fond d'elle que si elle avait pu trouver un moyen pour convaincre Émilie de venir, elle n'aurait pas hésité une seule seconde.
La jeune fille regarda son amie avec un sourire en coin :
- Il faut bien que quelqu'un t'aide à finir tout ce stock de morceaux de pain...
Le visage d'Angela s'illumina et elle sauta au cou de Lyssa en la remerciant un million de fois.
Après de longues secondes, elle se redressa, l'air gênée, et décida :
- On y va ? J'ai un regain d'énergie grâce à toi.
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