Chapitre 12 - 1 Infiltration
Avant d'aller à la gare de la zone 13, Dante expliqua qu'il fallait d'abord passer par son hangar à l'extérieur de la ville, pour prendre ses affaires et leur moyen de locomotion. Ils marchèrent ainsi quelques minutes après l'épicerie, rejoignant un chemin de terre excentré. Celui-ci menait à un bâtiment assez vieux qui restait en bon état au-delà des traces de rouilles sur les murs.
En arrivant, Dante enleva de lourds cadenas reliés à des chaînes qui empêchaient quelconque intrusion. Il força, avec l'aide de son ami Hector, la grande porte principale en bois qui faisait presque la taille de toute la façade. L'ouverture laissait entrer la lumière dans la sombre grange qui semblait sortir d'un long sommeil. De petites particules de poussières se dispersaient après l'ouverture, disparaissant en sortant du rayon de soleil.
Au fur et à mesure que les hommes poussaient l'imposante porte, Lyssa commençait à deviner de nombreuses caisses de bois qui trônaient un peu partout. Il y avait également des outils et des couverturess, mais globalement le hangar faisait assez vide.
Ce qui attira particulièrement l'attention de la jeune fille, fut d'assez hautes formes recouvertes d'un drap, au milieu de la grande salle. Ces deux étranges silhouettes patientaient hors du temps.
Dante s'approcha et retira avec énergie le drap d'une des deux structures. Le tissu tomba au sol, laissant apparaître une machine que Lyssa n'avait jamais vue auparavant.
Elle était large et haute, de quatre jambes mécaniques et fières qui gardaient sa posture dressée. Des rouages au niveau des épaules reliaient un corps imposant imitant une créature quadrupède. Des plaques de cuivre un peu usées liaient le tout pour former un corps qui paraissait solide et une tête allongée s'ornait de deux globes noirs rappelant les yeux des androïdes de Vesta. Le cou de la machine se recouvrait d'une crête mécanique qui traversait un semblant d'oreilles pointues, tenues par quelques boulons. Sur le métal de l'engin, la lumière timide du soleil se reflétait en un reflet orangé.
Angela laissa échapper, stupéfaite :
- Oh la vache. C'est super impressionnant.
Dante fit un geste de la main comme pour contredire la jeune fille :
- C'est un vieux modèle. Pas de quoi en faire tout un plat.
La jeune fille questionna :
- C'est un Hipparion ?
L'homme passa un coup de chiffon énergique sur la structure de la machine, avant de pointer l'imposant objet face à lui :
- Ouais. Celui-là, c'était le mien pendant mon service. Et l'autre là, c'était celui d'Hector.
En accompagnant ses mots, il retira le drap de la deuxième forme. Une machine semblable à la première restait debout, imperturbable, mais présentait une architecture beaucoup plus arrondie que celle de Dante. Cela laissait deviner un meilleur aérodynamisme pour plus de rapidité.
Lyssa arrêta son regard sur de longs fils qui reliaient l'arrière de la machine à d'imposantes colonnes informatiques, sur lesquelles un petit voyant vert clignotait irrégulièrement.
Dante s'approcha et appuya sur le bouton juste à côté de la lumière verte, entraînant un bruit assez puissant semblable au vent dans les arbres un soir de tempête. Ce son fit sursauter Lyssa qui admirait de nombreux voyants s'allumer un à un tout le long des colonnes, suivis d'une illumination des vertèbres mécaniques des deux machines. Une brève lueur bleue sortit des yeux des deux Hipparions. Ceux-ci s'agitèrent, comme réveillés d'un long sommeil, secouant la tête avec énergie. Des bruits métalliques se répandaient dans la pièce alors que les deux engins s'activaient à l'unisson.
Hector s'avança :
- Et beh ! Ça fait longtemps que j't'ai pas vu mon p'ti Fulgur !
Il s'avança vers la machine, lui tapotant la carrosserie. Fulgur agita la tête plus énergiquement, comme pour répondre avec bonheur aux remarques de son ancien maître.
Dante continuait de dépoussiérer les automates avec un chiffon. Angela le questionna :
- Comment s'appelle le tiens ?
- Axio. On a beau savoir que ce sont des machines, on peut pas s'empêcher de les voir comme des êtres vivants.
En réponse à cette remarque, l'Hipparion de Dante agita plus fort la tête, laissant échapper un hennissement mécanique pré-enregistré. Il semblait approuver les dires de son propriétaire. Celui-ci poursuivit :
- Hector m'a donné Fulgur parce qu'il s'en servait plus. Et comme moi j'en ai besoin pour aller chercher des vivres, on a fait affaire. En échange, je vais lui acheter ce qu'il veut au marché de la gare pour sa taverne.
L'intéressé encore en train d'interagir avec son ancien destrier, soupira avec nostalgie :
- Par moments, il me manque quand même. Mais bon, j'saurais pas où le mettre. Au moins ici, il sert à quelque chose.
Dante commença à accrocher Axio sur une remorque cachée sous toutes les caisses en bois. Il fit de même avec Fulgur, qui se laissait faire en toute obéissance. Il décrocha les fils des deux machines, ce qui ne sembla pas déranger leur fonctionnement.
L'épicier agrippa encore quelques affaires avec l'aide de son ami et des deux jeunes filles. Quand tout fut fin prêt, il s'assit au-devant de la remorque en bois qui présentait un rebord fait pour le conducteur. Hector se mit avec les filles du côté des caisses où il restait encore quelques espaces pour s'installer.
- Bon, on est parti !
Après avoir refermé le hangar derrière eux, Hector s'exclama avec enthousiasme, laissant son ami lever les yeux au ciel de lassitude. Celui-ci soupira :
- N'empêche, dans quel plan tu m'embarques encore...
Il se retourna vers les jeunes filles, tout en maintenant de ses mains les sangles reliées aux Hipparions :
- J'ai préparé deux grands sacs en tissus pour vous. Vous pourrez vous cacher dedans en arrivant à la gare. Je vous ferai passer pour des sacs de farine.
L'épicier pointait deux sacs marrons en accompagnant son explication. Lyssa laissa échapper un sourire en coin à l'idée d'être comparée à un sac de farine, et remarqua que son amie avait la même réaction à cette annonce.
Le voyage se passait paisiblement. Le soleil tapait, donnant soif aux passagers qui vidèrent les gourdes une à une. Le tapotement régulier des sabots sur le chemin de terre berçait les deux jeunes filles déjà assommées par la chaleur. Hector savait que ses protégées ne devaient pas se laisser aux bras de Morphée dans ces conditions, et essaya tant bien que mal de faire la conversation :
- Vous voulez savoir comment Dante et Mona se sont rencontrés ?
Les deux amies levèrent la tête au milieu de leur torpeur naissante. L'interessé poussa un grognement d'agacement, et se défendit d'un ton sec :
- Raconte leur plutôt à quel point t'en pinces pour Irène.
Le tavernier écarquilla des yeux ronds de gêne, bougonnant dans sa barbe :
- Il n'y a rien à dire à ce sujet.
- Je suis certaine qu'il y a beaucoup à dire, vu ta réaction.
Angela fixait Hector de ses grands yeux bleus, en l'attente d'explications sur son histoire avec la mystérieuse femme de la forêt. Peut-être savait-il qui elle était vraiment ?
L'homme soupira douloureusement, se sentant contraint de raconter son histoire. Il se savait surveillé par Dante pour que son récit soit véridique, et remarqua dans les yeux des deux jeunes filles qu'elles n'allaient pas en démordre.
- Et bien, comment vous dire ça...
Hector se gratta l'arrière de la nuque, gêné. Il claqua la langue de mécontentement avant de commencer son histoire :
- Pour faire simple, Irène est venue un jour dans ma taverne. On a pas mal discuté, et elle prenait l'habitude d'venir me voir chaque semaine pour faire ses courses. Et puis un jour, c'est son robot qu'est venu à sa place, et depuis, j'l'ai plus jamais revue. C'était y'a deux terracycles j'dirais.
Dante secoua la tête :
- Tu changeras jamais toi. C'est trop en surface. Bon, laisse-moi faire.
Hector soupira avec frustration, avant de tourner le dos aux jeunes filles pour regarder vers la route. Dante lui tendit les rennes avant de pivoter vers les deux amies, satisfait.
- Alors, par où commencer...
L'homme imposant se tenait le menton d'un air pensif et moqueur. Hector se retourna légèrement pour lancer un coup d'oeil méfiant à son ami, sachant qu'il ne pouvait rien faire pour l'empêcher de raconter sa vie privée. Il soupira tout en secouant la tête. À quoi bon ?
- Hector et moi, on est arrivé il y a pas mal de temps à Phobos. Moi, j'avais Mona qui m'attendait déjà. Mais lui à cause de sa fierté et de sa timidité mal placée, il n'avait que sa pomme pour lui tenir compagnie.
Le concerné pesta dans un grognement :
- Ça va, t'as qu'à dire que j'te faisais pitié aussi et j'aurais tout gagné !
Dante s'esclaffa :
- Calme-toi mon vieux ! Je fais que raconter la vérité !
Personne ne lui répondit. Il prit ce silence pour une potentielle approbation, tout en envisageant le contraire, et continua son récit.
- Et donc au milieu des soirées de beuverie à la taverne, de quelques réunions de groupe pour essayer de maintenir la ville hors de l'eau, Irène a débarqué. Elle sortait de nulle part cette dame, avec ses habits classes et sa cape. Au début, je l'ai trouvée suspecte à vrai dire. Elle avait un air trop "noble". Mais ce nigaud s'en fichait, car le jour où elle est venue dans sa taverne, je l'ai rarement vu aussi silencieux.
Hector ne faisait pas un bruit comme pour illustrer les dires de son acolyte. Lyssa sentait un aura mécontent émaner du tavernier, mais ne put s'empêcher de sourire face à la situation. Elle trouvait cela mignon et le comprenait plus que ce qu'elle imaginait. La jeune fille jeta un coup d'oeil silencieux à Angela qui le lui rendit avec un sourire en coin, et sentit ses joues rougir.
- Elle revenait chaque semaine pour faire ses courses, en passant d'abord par chez moi avant de venir boire un coup à la taverne. Elle nous expliquait que c'était provisoire, car elle avait du mal à faire pousser ses cultures pour vivre en autarcie totale. Les semaines sont devenues des mois, et Irène, une amie pour nous tous. Je pense qu'elle donnait du chaud au coeur à tout le monde.
Dante arborait un air nostalgique qui accompagnait ses mots. Le ballotement régulier du chargement et le martèlement des sabots jouaient un bruit de fond calme et tranquille qui laissait exister la présence chaleureuse d'Irène dans les mots de son vieil ami. Lyssa comprenait très bien ce que voulait dire l'épicier : elle avait eu le même sentiment de plénitude en présence de la vieille dame.
- À force, même Hector s'est ouvert. Il riait aux éclats avec elle, lui offrait des verres gratos alors que même moi je dois payer pour les miens. Il demandait de temps en temps si on avait des nouvelles, quand elle comptait revenir... Et je pense qu'Irène semblait plutôt réceptive à tout ce cirque maladroit. C'était drôle à voir. Ça a duré deux trois terracycles, où on la voyait environ une fois par mois.
Le visage de Dante s'assombrit.
- Et puis Irène est venue une dernière fois, sans passer par l'épicerie. Elle est allée directement à la taverne avec un air si triste que toute la salle s'est tue avec l'émotion négative qu'elle dégageait.
L'épicier jeta un coup d'oeil à son ami qui fixait le loin en contrôlant ses émotions. Les deux jeunes filles ne voyaient que son dos, mais sentirent de la tristesse émaner de leur bienfaiteur.
- Elle n'a pas voulu nous dire ce qu'il y avait. Elle répétait sans cesse qu'elle venait nous dire au revoir, qu'elle ne pouvait plus revenir ici, et qu'elle était forcée de se taire. Me concernant, je suis persuadé qu'elle se cache ou que cet enfoiré d'Achos lui a fait des crasses. Elle nous a jamais parlé de son passé mais c'est une bonne personne. Je pense honnêtement qu'elle a dû avoir des problèmes avec des gens d'en haut.
-... C'est pas exactement ça à mon avis.
Hector avait pris la parole. On sentait dans le ton de sa voix rauque, une profonde lassitude accompagnée d'une douleur à peine masquée.
- J'pense qu'elle avait une mission importante justement, envoyé par les Olympiens. J'suis pourtant certain qu'elle n'aime pas ce que le Système est devenu. J'le sentais dans c'qu'elle pouvait nous dire.
Son ami se figea, les yeux écarquillés :
- T'avais des potentiels arguments sur le fait que c'était une Olympienne, et tu l'invitais à boire dans ta taverne ?
- Et si j'la croise, j'l'invite à nouveau.
Un silence mitigé leur répondit. Dante avait l'air à la fois compréhensif envers les sentiments du tavernier, et contrarié face à la confirmation de ses soupçons : Irène semblait bien venir d'Olympia. Il termina son récit en balayant l'atmosphère tendu de la main :
- Enfin bref. Pour finir cette histoire, Irène n'est plus jamais revenue. Hector a même essayé d'aller la voir mais elle refusait toute visite., Nous n'avons plus que des contacts très irréguliers avec son androïde quand il vient en ville. Elle sait qu'elle peut compter sur nous si elle a besoin, mais si venir ici la met en danger, je peux la comprendre.
Lyssa ne savait quoi ajouter. Elle et son amie avaient connaissance du fait qu'Irène était une Olympienne, et même plus, une ancienne Immortelle ayant fait partie du conseil. Mais il était évident que si Irène n'avait pas parlé de son statut à ses amis, cela ne relevait pas de leur devoir de le faire à sa place. Pourquoi Irène avait-elle eu si peu de frayeur en leur racontant son histoire ? Que risquait-elle de plus en se confiant à Hector ?
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