Fort heureusement, les résidentes avaient droit à un moment de liberté : une fois par semaine, leur humanoïde était mis en révision pour une heure environ.

Ces minutes étaient précieuses, c'étaient les seules de paix totale avec les routines d'hygiène et les sorties dans le jardin.

Pour Lyssa, la maintenance de son androïde était le dimanche soir. Elle en profitait pour ouvrir la fenêtre de sa chambre qui était au dernier étage de la résidence, et pour grimper sur le toit.

La jeune fille avait réussi grâce au système de gouttière qui était juste à côté de sa fenêtre, à se hisser progressivement jusqu'en haut en appuyant ses pieds sur les briques inégales qui dépassaient par endroits.

C'était un bâtiment très grand et plutôt moderne. Même si l'intérieur prônait une ambiance authentique et ancienne, la bâtisse recouverte d'un toit plat restait en bon état.

Elle y retourna comme à son habitude ce soir là. Une fois en haut, la jeune fille inspira un bon coup. L'air lui paraissait d'autant plus pur que nulle part ailleurs dans la résidence. Elle ressentait agréablement la précieuse montée d'adrénaline provoquée par cette escalade.

À force d'escapades sur le toit, elle avait réussi à se créer un petit espace avec des boîtes en carton taillées en un petit fauteuil. Elle avait également construit un abri pour les jours de pluie, à partir d'une bâche en plastique qu'elle avait trouvée un an auparavant, un jour de nettoyage de la chapelle.

La jeune fille avait prétexté un besoin de matériel pour ses activités créatives, que 038 avait cru sans chercher à comprendre. La disparition de la bâche avait été simplement expliquée par un désastre artistique que Lyssa avait dû jeter un dimanche soir.

Elle prit place sur son petit fauteuil de fortune sur lequel elle avait installé un coussin, et sourit en repensant à cet épisode comique.

Sa sœur était au courant de ses manigances, mais n'avait jamais voulu se risquer à grimper sur le toit. Lyssa trouvait cela dommage. Mais d'un autre côté, elle était bien heureuse d'avoir son endroit à elle, un endroit qui faisait qu'elle et elle seule, pouvait savoir à quoi ça ressemblait, ailleurs.

Le week-end avait été long et morne. Elle avait quand même eu la chance d'accompagner Émilie dans le jardin pour regarder les nouvelles sculptures des buissons.

Ces sculptures étaient importantes, car c'étaient les seules représentations qui leur montraient un peu du monde extérieur, au-delà des enseignements de la Sainte École. Ils représentaient des créatures monstrueuses que personne n'avait vu ici.

Angela, N°256, racontait qu'elle en avait déjà aperçue une au fond du jardin. Selon cette résidente, il s'agissait d'une créature plutôt petite, à quatre pattes, recouverte de poils rayés, avec des yeux jaunes fendus en leur centre.

Personne ne crut Angela quand elle raconta son histoire. En plus, elle disparut à la suite de son récit deux jours entiers avant de revenir en niant sa découverte. Elle répétait qu'il s'agissait d'une hallucination ou d'un rêve qu'elle avait dû transposer à la réalité.

Lyssa savait que le domaine lui avait retourné le cerveau, et que ce qu'Angela avait vu était réel. Elle le savait, car le toit contenait des secrets présents avant son arrivée.

Elle ne vit jamais personne venir en même temps qu'elle sur le toit, ni aucune de ses affaires bouger. Mais quand elle arriva pour la première fois, elle trouva dans un creux bien à l'abri, des objets cachés.

Il y avait un petit livre d'images, un porte-clés et un objet qu'elle ne connaissait pas. Il était noir et rectangulaire avec un renfoncement en bas qui réagissait à la pression de son doigt, comme un bouton.

Elle avait beau étudier cet objet mystérieux, recouvert d'une couche de verre, elle ne comprit jamais son utilité.

À chaque fois qu'elle venait, elle vérifiait si les objets disparaissaient ou non, et depuis un terracycle qu'elle montait ici, elle ne les vit jamais bouger de place.

Ce qui l'intéressait particulièrement était le livre d'images. Il était coloré et enfantin, dans une langue qu'elle ne connaissait pas, avec des inscriptions totalement inconnues à ses yeux. Le mystère autour de cet ouvrage nourrissait ses rêves au quotidien.

Parmi les illustrations, elle avait retrouvé ce qui ressemblait à la créature qu'avait vue Angela : petite, poilue, avec des oreilles triangulaires, une queue et des yeux fendus. Un buisson avait été un jour taillé dans une forme qui ressemblait également à cet animal.

Lyssa s'était bien retenue d'en parler à qui que ce soit. Elle n'avait pas envie de subir deux journées de lavage de cerveau. La jeune fille préférait garder les choses pour elle.

De toute façon, elle savait qu'un jour, elle allait réussir à s'enfuir.

Depuis toujours, elle et sa soeur vivaient entre ces murs.

Lyssa avait deux terracycles de plus qu'Émilie, et n'avait aucun souvenir d'avant son sixième terracycle de vie.

La jeune fille gardait des sentiments, des émotions d'avant son arrivée au domaine. Des ressentis de colère, d'amour, de tristesse profonde et de trahison, dont elle ne comprenait pas la provenance.

Parfois, elle essayait de se convaincre qu'elle était née à Vesta, mais elle savait au fond d'elle que c'était faux.

On répétait sans cesse aux résidentes qu'elles avaient été choisies, que leurs parents les avaient confiées à la Sainte École pour faire honneur à Gabriel qui avait besoin de personnes de confiance à ses côtés.

Le domaine de Vesta se proclamait en effet comme le meilleur centre de construction morale et éducative des servantes d'Olympia, capitale du Système Terre.

Même si Lyssa n'avait jamais vu le monde extérieur au domaine, elle avait eu des cours d'histoire, de géographie, de littérature, de sciences et de savoir vivre pour parfaire son éducation et la préparer le mieux possible à sa mission prochaine de servante.

Olympia était le centre du monde. Elle était le lieu sacré où le Purificateur continuait de protéger et d'assurer prospérité et vie au Système Terre.

Les résidentes savaient très peu de choses à ce sujet, seulement ce qui leur était utile pour leur prochaine fonction.

Être une servante divine était un honneur mais également une mission très prestigieuse, dont seules les meilleures de la Sainte École pourraient prétendre un jour. Les autres seraient confiées à d'autres nobles et personnages indispensables à la vie d'Olympia et du Système Terre.

Le domaine de Vesta se trouvait assez éloigné d'Olympia, et ce pour la « soi-disant » protection des résidentes. Il se situait d'après les cours enseignés par les humanoïdes et les gérantes du domaine, dans le secteur Mars, à la limite de la frontière du Système.

Pour rejoindre Olympia d'ici, il fallait parvenir aux chemins de fer transversaux, passer les secteurs Cérès et Jupiter, avant d'atteindre les ascenseurs magnétiques qui emmenaient à la capitale.

Chaque secteur du Système avait été pensé stratégiquement pour maintenir l'harmonie :

Mars était la frontière militaire, juste avant la Barrière, qui avait un rôle de protection et de soutien. C'était en ce secteur qu'étaient formés les Sacrifiés.
Ces hommes et femmes étaient très respectés, et méfiés : ils avaient le droit d'ôter la vie pour protéger le peuple, chose qu'aucun autre humain du Système n'avait droit d'accomplir.

Cérès était un secteur très peu habité, principalement rempli de terres fertiles qui prodiguaient les ressources alimentaires sous la protection du Purificateur.

Le secteur Jupiter était plus complexe, Lyssa n'avait jamais vraiment compris son utilité. Il semblait que seules les personnes aux fonctions indispensables autres que la défense et les provisions étaient en ces lieux.

Quant à Olympia, elle survolait Jupiter, maintenue dans les airs par la puissance divine de Gabriel, comme il était dit dans les chants de messe du matin.

C'était tout ce que savaient les résidentes de Vesta sur le monde, du moins dans les grandes idées. Tout le reste selon Lyssa, n'était que du savoir inutile sur les dangers qui rôdent derrière la Barrière, l'interdiction de s'en approcher et tous les mythes qui circulaient sur Olympia et la vie de rêve qui les attendait.

Toutes avaient hâte de partir du domaine pour y vivre, mais Lyssa n'éprouvait pas les mêmes aspirations.

Elle souhaitait s'enfuir, loin, très loin de tout cela, même derrière la Barrière, s'il le fallait. La jeune fille ne voulait pas devenir servante pour servir ce monstre prétentieux qui se prenait pour un Dieu vivant.

Si ça n'avait tenu qu'à elle, cela ferait bien longtemps qu'elle se serait enfuie.

Malheureusement autour de Vesta, un mur de plus de trente mètres s'élevait pour empêcher quiconque de sortir. La seule issue était un grand portail noir, gardé en permanence par des humanoïdes dotés de radars infra-rouges pour empêcher de sortir et de rentrer sans autorisation.

En plus, Émilie ne voulait pas partir. Elle était impatiente de devenir une servante comme toutes les autres, vivre à Olympia dans un monde de rêve et de richesse, en servant Gabriel.

Lyssa continuait de vaquer au gré de ses pensées, tout en regardant l'horizon.

Elle arrivait du haut du bâtiment à voir juste au-dessus du mur, et observait au loin Hélios s'en aller derrière une grande plaine vide et aride, recouverte par les longs rayons orangés de la lumière du soir. Il était l'heure de rentrer.

Un jour, elle partirait. Elle le savait au fond d'elle-même. Et ce jour-là, elle saurait le goût de la liberté.

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◾Merci d'avoir lu ce premier chapitre du Système Terre ! J'espère qu'il vous aura plu. J'aimerais vous poser quelques questions si vous avez le temps ◾

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▪️ Remarques sur l'écriture ->

▪️ Remarques sur l'histoire/scénario ->

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