Bip... bip... bip...

     Céleste était allongée sous des draps légers. Elle portait un masque à oxygène et pouvait sentir le tuyau d'une perfusion sortir de son bras. Elle ne pouvait ouvrir les paupières tant elles étaient engourdies.

     Bip... bip... bip...

     Lentement, Céleste parvint à entrouvrir les paupières.

     Paradis ou enfer ?

     Son cœur s'accéléra.

     Impossible.

     Improbable.

     Elle vivait. Elle avait survécu.

     Céleste était euphorique.

     Mais son rire se transforma bien vite en une violente quinte de toux. Le bruit alerta une infirmière qui s'approcha vivement du lit de la petite fille.

    — Holà ! Doucement ! fit la jeune femme d'une voix réconfortante.

     Céleste avait la fort désagréable impression que sa tête était plongée dans d'épaisses limbes qui engourdissaient son esprit. Elle avait beau réfléchir intensément, elle ne parvenait pas à se remémorer les instants précédents sa perte de connaissance. Elle n'était pas tombée, tout de même ? C'était impossible, elle savait, elle lui avait dit qu'elle en était capable. Mais pourquoi mentirait-elle ?

     L'infirmière l'aidait à se redresser lorsque l'on frappa à la porte.

    — Tu as de la visite, on dirait ! dit la femme en se dirigeant vers l'entrée de la chambre.

     Les parents de Céleste entrèrent, aussi blêmes que la face visible de la Lune par nuit claire. Leur visage inquiet se mua en une expression de surprise à la vue de leur petite fille.

    — Mais, s'exclama son père en se précipitant vers le lit de sa fille, tes... Tes yeux... Non... Comment... ?   

     Céleste regarda dans le miroir qui lui faisait face. Elle ne remarqua d'abord pas la différence, mais le détail lui apparut aussi soudainement qu'une gifle magistrale : ses yeux avaient troqué leur teinte châtaigne pour une couleur gris pâle.

    — Que lui avez-vous fait ?! cria son père en direction de l'infirmière, la voix tremblante, la gorge nouée d'incompréhension.

     Ce fut en cet instant que la fillette commença à paniquer. Les larmes qui creusaient des rigoles sur les joues de son paternel amenèrent les siennes à couler, dévalant sur sa peau pâle, sur sa face bourdonnante. La terreur sourde qui se peignait peu à peu sur les traits de son père lui donna le tournis, comme si le monde se mettait à tournoyer à la vitesse d'une toupie. Elle eut envie de se jeter sur lui, de le prendre dans ses bras, qu'il la prenne dans ses bras, la console, lui murmure des paroles réconfortantes dans ses cheveux drus et emmêlés, qu'il la rassure, qu'il fasse ce que font tous les papas de la Terre — du moins, c'est ce que la partie naïve et optimiste de son esprit pensait.

     Mais il n'en fit rien.

     Quant à sa mère, elle ne dit pas un mot devant l'air effaré de sa fille, l'incrédulité de la soignante et l'agressivité de son mari.    

     Alors Céleste la regarda droit dans les yeux.

     Et là, une vision.

     Une terrible vérité.

     Cela suffit pour que les ténèbres l'avalent à nouveau. Séquelle de son futur tourment et des miettes de son ignorance passée, la seule part qui en valait vraiment la peine au fin fond de l'esprit de la fillette sembla s'évaporer, disparaître, s'envoler vers des contrées lointaines et inconnues. Mais pourtant, ce que Céleste ignorait, c'est que la partie naïve et optimiste de son cœur ne l'avait pas abandonnée. Avec espoir, elle demeurait à ses côtés, camouflée, endormie, et n'attendant qu'à être réveillée.