Chapitre 4 - Petit détail inattendu
M. Wonderline était inventoriste.
Depuis son plus jeune âge, il avait les inventaires pour passion. Qu'il s'agisse de celui des courses ou bien de celui de sa valise pour les vacances, tout lui plaisait. Qu'est-ce qui l'attirait tant dans cet art raffiné et méconnu ? Nul ne le sût jamais. Cette mystérieuse attirance demeurait incomprise de tous, et Éric ne s'en préoccupait guère. Il avait, de toute manière, un emploi du temps bien trop chargé et des affaires bien plus pressantes à régler.
Éric Wonderline avait toujours fait ses inventaires avec le plus grand soin. Il prenait le premier produit de la pile, cochait son nom dans son bloc-notes, et le reposait à un endroit précis, mesurant à l'angle et au millimètre près la place qu'il occupait alors.
Ses parents n'avaient cessé de lui répéter que ce loisir était inutile. C'était sûrement pour cela qu'Éric adorait qu'un produit manquât, que sa mère oubliât d'acheter du beurre au supermarché, ou encore qu'ils n'eussent pas pris assez de t-shirts pour ce week-end à Marseille.
Ces jours-là, Éric arrivait, triomphant, brandissant son petit carnet. Il pouvait alors prouver qu'il servait à quelque chose, qu'il n'était la pièce en trop du puzzle.
Et puis un beau jour, Éric quitta son petit village normand pour s'installer à Paris et poursuivre ses études. Il fut ensuite diplômé en tant qu'inventoriste.
Cela ne faisait qu'un an qu'il exerçait ce métier lorsqu'il rencontra Lise. Jamais auparavant une femme n'était parvenue à faire autant battre son cœur. Mais elle pourtant, ses cheveux blonds ondulants sur ses omoplates, sans cesse attachés en une queue de cheval tirée à quatre épingles, perdue dans des brumes indescriptibles, un air constamment triste et mystérieusement mélancolique sur le visage, parvenait à entraîner son organe vital dans une valse effrénée. Hélas, le travail lui volait tout son temps. Il fut un peu triste ce jour-là, laissant les inventaires derrière lui, mettant sa passion et son enthousiasme de côté. Mais l'amour qu'il éprouvait le consola bien vite.
Il suivit quelques études et obtint un poste de CPE au collège de la ville voisine.
Mais ce jour funeste arriva.
Lise disparut, le laissant seul avec leur unique enfant, qui n'avait qu'onze ans. Le bonheur qu'Éric avait connu s'envola, emportant avec lui les jours ensoleillés de trop courts étés.
Après cela, Éric s'installa à Paris avec Céleste, car leur petite maisonnette aveyronnaise regorgeait bien trop des sourires et parfois des larmes de sa femme. Il sombra dans le chagrin et s'en retourna vers ses inventaires.
— M. Wonderline ?
L'appel tira Éric de sa rêverie. Il tiqua nerveusement en se tournant vers son secrétaire.
— Qu'y a-t-il, Ludo ? soupira-t-il en s'affalant sur son bureau.
Des liasses de papiers étaient éparpillées autour de lui et, à ses pieds, de nombreux cartons attendaient d'être inventoriés. Il s'en voulait de laisser ainsi sa tristesse coutumière négliger le métier qu'il chérissait tant, mais celui-ci lui apparaissait désormais comme ayant un goût terne après les années de plaisir intense qu'il avait connues.
— Tu sais bien que je n'aime pas qu'on me dérange pendant que je travaille, Ludo !
— Excusez-moi, mais vous avez reçu un appel du collège. Votre fille n'est pas venue en cours cette après-midi, monsieur.
***
Éric se précipita vers les grilles du collège. « Non, non... pensa-t-il. Il y a déjà eu Lise, cela suffit ! » Il était passé chez lui mais sa fille ne s'y trouvait pas.
Il agita les portes en fer, mais personne ne vint lui ouvrir. Il grimpa donc au portail et atterrit de l'autre côté. Éric se mit à arpenter la cour de fond en comble.
C'est à ce moment qu'il la vit. Ou plutôt, qu'il l'entendit. Un bruit mat et sourd provenant d'un recoin sombre de la cour. Il s'avança prudemment, et le son lui parvint plus puissant. Il semblait émaner d'un mur en partie couvert de casiers bleus. Éric identifia alors l'origine du tambourinement.
— Céleste ? cria-t-il, la bouche collée au panneau du casier 311.
Un claquement lui répondit.
— Bon sang, jura-t-il dans sa barbe.
Un épais cadenas en condamnait l'accès.
C'est alors qu'un cadeau sembla tout droit tombé du ciel.
— Vous voulez de l'aide, M. Wonderline ?
L'adolescent s'arrêta juste derrière le père brûlant d'une fièvre angoissée, son sac sur une épaule.
— Oh, tu tombes à pic, mon garçon ! Tu n'as pas cours ?
— Je viens juste d'arriver en ville. Je suis nouveau au collège pour trois mois. Mon père a postulé pour un nouveau boulot qui l'oblige à suivre une formation à Paris. Alors je m'y installe provisoirement avant de retourner chez moi. Vous ne me reconnaissez pas ?
Éric haussa un sourcil anxieux.
— Je suis censé te connaître ?
— Mais je suis Thomas Marx, m'sieur ! Un ancien camarade de Céleste.
— Oh, eh bien, c'est super. Tu sais crocheter une serrure ?
Le garçon sembla hésiter.
— Je ne peux pas vous aider à commettre un délit, M. Wonderline...
— Mais je ne commets pas un délit, nom de Dieu ! Je libère ma fille qu'un psychopathe a enfermée dans ce casier !
Thomas recula d'un pas.
— Céleste ? Ah non, navré, mais ça ne va pas être possible. Je ne veux pas encore entrer dans la vie mouvementée de Céleste Wonderline.
— Alors tu ne vas rien faire et laisser ton amie étouffer dans ce casier ?!
— Je ne la qualifierais pas "d'amie", non...
— MAIS AGIS IMBÉCILE !!!
— Oui oui, ça vient...
Il sortit une épingle à cheveux de la poche de son manteau et l'introduisit dans la serrure. Mais comment diantre se fait-il qu'il possède une épingle à cheveux ? songea Éric.
— Tu fais ça souvent ? demanda M. Wonderline, un rien sceptique.
— Oh, plus souvent que vous ne le pensez !
Un déclic se fit entendre et le cadenas tomba au sol.
— Bon, bah, à plus, M. Wonderline !
Thomas Marx disparut dans la bâtisse, et Éric s'empressa de délivrer sa fille, qui se jeta dans les bras de son père en soufflant de soulagement.
— Oh Céleste ! Mais que s'est-il passé ? Qui t'a fait ça ?
La jeune fille ne répondit pas tout de suite. Elle venait tout juste d'apercevoir la petite plume noire qui reposait à ses pieds.
— Roseline Mayer, dit Céleste, si l'on peut encore l'appeler comme ça...
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