Chapitre 39 - Sérum de Parlotte
Les quatre amis avançaient lentement mais sûrement dans le conduit. Roméo n'avait en effet eu aucune difficulté à ouvrir la grille, à l'aide d'objets insignifiants mais bel et bien efficaces. L'obscurité était reine dans le couloir, qui ne devait pas faire plus de soixante centimètres de largeur, ce qui les forçait à le parcourir à plat ventre. Roméo menait la file et Céleste la terminait. Enfin, au bout d'une centaine de mètres parcourus, une lumière perça dans le conduit.
— Attendez ! murmura Roméo. Je vois quelque chose... Passez-moi la lampe torche.
Lætitia la lui tendit et le garçon dirigea le faisceau vers la paroi au-dessus de lui. Une échelle s'acheminait dans un couloir vertical dont l'extrémité était plongée dans le noir. Une faible lumière s'en échappait et baignait le conduit dans une ambiance tamisée. Il ne faisait aucun doute que leur voie vers la liberté se trouvait là-haut.
— Bon, eh bien... Allons-y !
Roméo posa ses deux mains sur les barreaux et se hissa, débutant son ascension, suivi de près par ses camarades. Au bout d'une dizaine de minutes, la file s'arrêta.
— C'est bon ! On a réussi ! Il y a une bouche d'égout ! Je m'en occupe... Attendez juste... Deux petites minutes...
Céleste attendit et au bout de quelques minutes qui semblèrent durer une éternité, la jeune fille entendit un déclic et la lumière envahit alors complètement le conduit. L'adolescente ferma les yeux, éblouie par cette soudaine luminosité. La file poursuivit son ascension et bientôt elle put respirer l'air frais de la brise matinale. Ils se trouvaient dans une petite ruelle déserte adjacente à la rue principale.
— Bon, fit Céleste en essuyant son front couvert de sueur. Désormais, nous devons trouver ces fameuses Abysses. Mais d'abord, nous devons masquer notre apparence. Si nous sommes reconnus, ils nous enfermerons à nouveau. De plus, nous disposons de très peu de temps avant qu'ils ne se rendent compte que la cellule brille par notre absence...
— Les capes ! s'écria Lætitia. Nos capes noires ! En rabattant la capuche jusque devant nos yeux, les gens n'y verront que du feu. Et nous pourrons être discrets au possible.
— Pas bête...
— Eh ! Attendez ! s'écria Roméo. Les sérums de Parlotte ! Comment a-t-on pu oublier ce que l'on a appris en cours de Pratique ?! Ils permettent de parler la langue de tout être vivant. Donc, nous pourrions parler la langue Aubaine !
***
Les quatre jeunes gens avançaient au milieu de la rue bondée, esquivant les passants pressés qui manquaient de les culbuter. Ils pénétrèrent dans un pub miteux où un nombre réduit d'habitants étaient attablés. Les Nocturnes s'approchèrent du comptoir derrière lequel un barman qui devait avoir la cinquantaine, une barbe noire et drue et des sourcils broussailleux, essuyait un verre à l'aide d'un torchon rongé par les mites et couvert de tâches.
— Allons-nous en d'ici, murmura Roméo.
— Non ! protesta Céleste en parlant tout aussi bas. C'est une chance inouïe de l'interroger ! Il n'y a que très peu de personnes dans le bar et vue sa fréquentation, nous n'aurions pas l'air trop suspect...
— 'Voulez quoi ? demanda le barman en les toisant d'un œil mauvais.
— Laissez-moi faire ! chuchota Lætitia.
Elle jeta un regard alentour et laissa tomber sa capuche, dévoilant ses boucles blondes qui tombèrent en cascade le long de son dos. Même ainsi vêtue, la jeune fille n'en était pas moins belle, avec son petit sourire espiègle et ses deux pommettes parsemées de tâches de rousseur.
— Oh ! Bonjour, monsieur... susurra-telle en papillonnant des paupières.
Amælie éclata aussitôt de rire, qu'elle camoufla heureusement sous une violente quinté de toux.
— 'Voulez quoi ? répéta l'homme d'un ton bourru.
— Alors voilà, poursuivit Lætitia de la voix la plus doucereuse qu'elle put, voyez-vous... Nous avons un exposé à effectuer pour l'école sur... Mmm... Excusez-moi, j'ai un trou de mémoire. Ce que je peux être tête en l'air ! s'exclama-t-elle avec un petit rire exagérément aiguë. Un lieu d'Aurora... Très célèbre, bien entendu... Mais aussi d'une dangerosité hors norme !
— 'Voulez parler des Abysses ?
— Ooooh ! Ouiiii ! C'est exaaaactement ça ! Et donc, afin de sortir du lot et d'offrir un exposé d'une originalité et d'une qualité véridique, nous avons eu une idée et, après maints débats et querelles, nous sommes parvenus à trouver un commun accord, et nous avons décidé d'interroger quelques habitants sur ce sujet sous forme... Euh... D'interview.
Le barman reposa lentement le verre encore sale et le torchon avant de regarder chacun des enfants tour à tour en fronçant les sourcils.
— Navré, mais je ne suis pas sûr de pouvoir vous dire quoi que ce soit... C'est un sujet délicat, vous savez, et je doute que vous parveniez à tirer les verres du nez des habitants de l'Aube...
— Oooh ! Quel dommage ! Tant pis, merci quand même !
Et la jeune fille déposa un petite pièce dorée sur le comptoir. Puis elle fit demi-tour en secouant ses longs cheveux d'or, une attention évidemment préméditée. Céleste se demandait avec perplexité comment la jeune fille était parvenue à obtenir de l'argent aubain lorsque la voix de l'homme résonna finalement dans le café.
— Attendez !
Il a succombé au charme de Lætitia, constata Céleste non sans satisfaction en revenant sur ses pas.
— Qu'est-ce que vous voulez savoir ? demanda le barman en soupirant.
Lætitia sourit de toutes ses dents et répondit :
— Premièrement, leur localisation...
***
— C'est ici, vous croyez ? demanda Roméo.
— Sans nul doute... répondit Céleste, d'une voix blanche.
Accroupis derrière un buisson privé de ses feuilles et brûlé de part et d'autre de ses branches, ils observaient avec appréhension ce qui constituerait la suite de leur aventure. Comme le leur avait décrit le barman, l'entrée des Abysses était tout ce qu'il y avait de plus apocalyptique. Devant eux s'étendait une étendue de sable noir et ardent, le paysage était brûlé, les arbres dépouillés de leurs feuilles et plus un souffle de vie ne venait contrer le vent chaud et violent qui soulevait des nuages de suie dans un bruit de soufflerie assourdissant. De petits monticules de terre s'élevait çà et là, tels des cratères miniatures d'où s'élevaient des volutes de fumées et de temps à autres des jais de lave. Une puanteur étouffante reignait, entre l'œuf pourri et la charogne en décomposition, le souffre les prenait à la gorge et rendait leur respiration hachée et difficile. Et, au milieu de ce paysage désolé, dévasté, ravagé, une large fissure entaillait le sol volcanique.
Céleste échangea un regard entendu avec ses amis et, tentant de maîtriser les tremblements de ses mains, elle se leva avec un regard décidé et ils se dirigèrent vers la cavité béante en courant comme si leur vie en dépendait. Une volée de marches descendait dans les entrailles d'Aurora, taillées à même la pierre et dans un état précaire. L'obscurité y était reine, aussi progressèrent-ils lentement, la lampe torche étant à court d'énergie.
Au bout d'une cinquantaine de mètres, une lumière apparut à leurs yeux à l'extrémité du couloir. En effet, celui-ci débouchait sur une grotte haute et profonde. Les quatre adolescents se trouvaient sur une corniche qui surplombait une étendue mouvante de lave en fusion. La jeune Pupille fut prise par une violente quinte de toux en respirant l'air chargé de poussière et de chaleur. Prise de vertige, elle détourna son regard du lac embrasé pour le tourner vers la paroi de pierre. Elle regretta aussitôt ce geste lorsque ses yeux tombèrent sur un squelette en haillons avachis dans une cavité. Un haut-le-cœur lui retourna l'estomac et elle se dépêcha de poursuivre son avancée.
Dépassée cette salle, ils arrivèrent dans une grotte bien plus petite que la précédente, sans particularité. Mis à part un panneau de bois sur lequel était inscrit d'une peinture blanche écaillée et difficile à déchiffrer :
« Sache, toi qui entre en ce lieu déchaîné, que ta sécurité ne repose désormais plus entre les mains de l'autorité aubaine. C'est en tes risques et périls que tu poursuis ton chemin où aucun retour n'est possible. »
Un frisson parcouru la colonne vertébrale de Céleste. L'aventure commençait.
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