Chapitre 12 - Incertitude bleutée
Lorsqu'Eltæ permit enfin à Céleste de pénétrer dans son bureau, celle-ci ne maîtrisait déjà plus l'atroce migraine qui la tenaillait. Cela avait commencé par un léger picotement au niveau de son front, avant que la douleur ne gagne en ampleur, et la brûlure était désormais si intense qu'elle avait l'impression qu'on lui pressait un fer à repasser sur le front. Chancelant, elle tituba jusqu'au bureau de bois et s'effondra sur une chaise. La tête lui tournait, et le ciel et la terre se confondaient en de méandres indescriptibles. La perspective n'existait plus, et le relief ne formait plus qu'un, une seule image mouvante et aussi plate que sur un écran de télévision. Elle songea avec amertume à son lit douillet et son matelas moelleux, n'aspirant plus à rien d'autre qu'à plonger sous ses édredons et à s'endormir pour l'éternité. Tout compte fait, elle se serait bien piqué le doigt sur un fuseau pour hiberner durant cent ans. Oui, le destin de la Belle au Bois Dormant était bien préférable au sien. Après tout, la génération future à la sienne serait probablement bien plus sympathique que celle du présent.
Mais pour cela faudrait-il déjà qu'elle se résigne à se séparer de ses parents. À cette pensée, l'image de son père força violemment les parois de sa mémoire. Elle faisait partie de ces souvenirs-ci que l'on désirerait oublier à tout pris, ceux que l'on range dans un coin de notre esprit pour espérer ne jamais les en ressortir, afin de les y abandonner à la poussière et aux vétilles de la vie comme de vieux jouets dans un grenier. Évidemment, c'était un combat perdu d'avance. Un chagrin immuable sembla alors s'emparer de tout le corps de Céleste, se propageant lentement dans ses veines, glaçant son sang et paralysant son cœur. Ce dernier au bord des lèvres, elle se recroquevilla sur elle-même, ramenant ses genoux contre sa poitrine, l'esprit plongée soudainement dans une hébétude surnaturelle, digne des plus fervents semeurs de rêve, ces pensées hétéroclites qui font de notre nuit un voyage angoissant dans les brumes vétustes du cauchemar.
Des perles roses et bleues s'installèrent alors en travers de son champ de vision, et Céleste sentit le monde autour d'elle chavirer alors que le sol se rapprochait à une vitesse angoissante de son visage.
— Ouh là ! lâcha la Grande Gardienne alors que son élève percutait le sol avec force. Pauvre enfant, tu ne m'as pas l'air bien en forme !
Elle se leva péniblement de son fauteuil et claudiqua jusqu'à la jeune fille, à qui elle tendit une main secourable. Celle-ci la saisit prudemment et fut ramenée sur ses jambes en moins de temps qu'il ne lui en fallut pour se demander comment une si vieille femme pouvait posséder autant de forces dans les bras.
— Voyons, il ne faut pas se mettre dans des états pareils ! Je ne t'ai pas fait venir dans mon bureau pour que tu y perdes connaissance, mais parce que ta mère est venue me parler de l'origine de ton trouble. Allons, rassieds-toi.
Céleste obéit sans mot dire, reprenant encore à peine ses esprits. À peine eut-elle posé son derrière sur sa chaise qu'Eltæ se mit à lui poser une myriade de questions parfaitement absurdes, allant de sa boisson préférée à un chiffre aléatoire entre sept et quatre-vingt-un. L'adolescente répondait docilement, interdite. Lorsque sa réponse avait franchie ses lèvres, la vieille femme se mettait à murmurer dans sa barbe des paroles inaudibles. Elle lui demanda également de lui conter dans les moindres détails son altercation avec le puits ensorcelé. La jeune fille ne put hélas que lui fournir de vagues renseignements, ses souvenirs restant très confus. La seule chose dont elle se souvenait précisément était la scène à laquelle elle avait assisté par le biais d'une eau trouble et profonde, et ce fut donc l'unique détail qu'elle put lui donner.
— Mais c'est... Faux, n'est-ce pas ? Ce que j'ai vu dans le puits ? Ça ne peut pas avoir eu réellement lieu, si ?
— Le Puits des Oubliés ne se trompe jamais, répondit sèchement la Grande Gardienne.
Ces paroles eurent sur Céleste l'effet d'un bulldozer qui venait de détruire toutes ses convictions. Ah non ! Non non non et non !
— Après toutes ces histoires fantaisistes – car, excusez-moi, mais l'existence d'un monde parallèle n'est pas le fait scientifiquement prouvé le plus commun – ne venez pas me parler de... Magie, ou je ne sais quoi ! Trop c'est trop ! C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase ! Je ne vois absolument pas comment un vulgaire puits pourrait ainsi nous révéler de telles choses ! J'étais bouleversée, j'ai sûrement eu une sorte de... d'hallucination, ou quelque chose dans le genre. Franchement, je ne sais pas à quoi vous jouez, tous, mais ça commence à ne plus me faire rire du tout.
— Premièrement, ce n'est pas un « vulgaire puits », c'est le Puits des Oubliés, une source aux propriétés magiques indénombrables. Ensuite, tu n'as pas été le sujet d'une hallucination mais plutôt d'une sorte de transe, d'après Lisæ. Et je suis parfaitement sérieuse, Cælestis.
— Vous vous moquez de moi ! Vous vous moquez tous de moi ! D'abord on m'enlève, puis on essaie de me faire gober une histoire d'univers parallèle ou de je-ne-sais-quoi, et enfin cette affaire d'institut pour malades mentaux avec ces psychopathes qui espèrent m'y séquestrer et m'amadouent en me vendant une vie en rose digne d'une émission de télé-réalité. Et la cerise sur le gâteau, c'est la merveilleuse Lise Wonderline, bien sûr ! Qui m'a abandonnée à mon triste sort et qui réapparaît du jour au lendemain comme si de rien n'était. Coucou ma chérie ! Tu m'as manquée ! Mais ce n'est pas de ma faute si je suis partie, non non non ! C'est celle d'un grand malade qui adorerait te tuer et qui a kidnappée ta sœur quand elle était bébé. Ah oui, parce que tu as une sœur, au fait ! J'avais complètement oublié de t'en parler ! Oups ! Je voulais te dire, je ne suis aaaabsolument pas partie par lâcheté, non, mais parce que ma magie surpuissante est détectable à des kilomètres. Mais c'est pas grave, ce qui compte c'est qu'on soit toutes les deux ensembles, aujourd'hui. Après tout, on s'en fiche un peu de ton père, non ? Sérieusement, vous vous êtes crus dans Harry Potter, ou bien plutôt dans Alice au Pays des Merveilles ? Tous ensembles vous fonderiez une joyeuse bande de cinglés, ma parole ! Mais vous voulez que je vous dise ? J'en ai assez, assez de toutes ces inventions de malades !
Elle inspira profondément, les lèvres serrées, pour tenter de calmer la fureur qui l'étreignait. Eltæ avait troqué sa mine indéchiffrable contre un air sincèrement... peiné.
— Écoute-moi, Céleste, dit-elle d'une voix sûre et claire. Bien que je ne puisse de toute évidence comprendre ce que tu ressens en ce moment-même, je suis tout de même capable d'en mesurer l'ampleur, et je te prie de m'excuser si je me suis montrée trop rude et rapide.
Céleste fronça les sourcils. Soit la vieille femme était une excellente comédienne, soit elle était sincère. Mais c'était bien la première fois que quelqu'un ne faisait pas preuve d'une feinte empathie, et surtout, s'excusait pour tous les changements perturbants qu'elle avait subis.
La jeune fille opina du chef, pas calmée pour un sou, et toujours brûlante de colère, mais déterminée à écouter jusqu'au bout ce qu'avait à lui dire la Grande Gardienne.
— Alors voilà..., poursuivit Eltæ. Pour commencer, as-tu déjà entendu parler de l'organisation du pouvoir à la Nuit ?
L'adolescente secoua la tête, négative, et son interlocutrice tiqua légèrement.
— Bon... Pour faire simple, il existe une catégorie Nocturne quelque peu... particulière ; vivant recluse sur une île éloignée de centaines et de centaines de kilomètres du continent : Seyna. Cette caste sociale est la plus élevée que l'on puisse trouver à la Nuit, et la plus privilégiée...
Je rêve ou cet univers merveilleux qu'ils ont tentés de me vendre est demeuré figé au seizième siècle ?
— Ces personnes-ci sont appelées les Magiciens...
Céleste ne put réprimer un ricanement méprisant. Et puis quoi, encore ?
— ... et possèdent des capacités magiques renommées et très privatisées. Ils forment en quelque sorte le Gouvernement nocturne, présidé par les trois Magiciennes qualifiées comme étant les plus douées et puissantes de leur génération : les Trois Stellæ. Mais ce que tu dois savoir, c'est que, si les décisions sont prises et les lois adoptées et promulguées à l'écart du reste du monde, sur l'île des Magiciens, une personne est chargée de les faire respecter et de servir de messager, de lien entre les Magiciens et la population. Cette personne, c'est moi. J'ai succédé à mon prédécesseur il y a deçà de nombreuses années. Il y a quelques décennies, les gouverneurs de l'époque ont pris la décision de mettre à porter de main de tout Grand Gardien ce qu'ils appelèrent le "Puits des Oubliés". Il devait nous servir à surveiller toute la Nuit à distance. Et, afin de réguler son utilisation et d'empêcher n'importe qui de s'en servir, ils y logèrent un fléau, un être maléfique et surnaturel appelé Profundis. Mais celui-ci existe depuis bien longtemps, et nul ne sait exactement ce dont il est porteur et ce qu'il est exactement. Cette créature est faite de volutes bleutées qui s'entremêlent, et ainsi, son visage se déforme en permanence, n'apportant rien de plus qu'une incertitude indéfinissable.
Céleste fronça les sourcils, plus intriguée qu'elle n'aurait désiré l'avouer.
— Très bien... Mais je ne comprends pas vraiment le rapport avec moi... ?
— J'y viens. Ce qu'il te faut ensuite savoir, Cælestis, c'est que les Magiciens ne sont pas les fondateurs du Puits, ni du Profundis, d'ailleurs.
— Je ne vois pas vraiment où vous voulez en venir, fit remarquer la jeune fille avec une perplexité croissante et une légère et singulière pointe d'appréhension.
— Le Puits des Oubliés est bien plus ancien, et sa création remonte à bien des siècles avant la naissance des Magiciens. Il serait probablement le fruit d'une magie ancienne et ignorée. Sa puissance est tellement démesurée que la conjecture la plus plausible est qu'il soit né à la croisée des mondes, là où le flux d'énergie qui coule dans nos veines et dans celles de toute molécule est le plus affluant. Il fut nommé "Puits" en raison de sa forme, mais nous ne sommes pas même certains que ce soit sa forme réelle.
— Mais comment serait-ce possible ? interrogea vivement l'adolescente, une curiosité étonnante luisant au tréfonds de ses prunelles. Pour que la matière ne possède pas de forme propre, il faut que les molécules qui la composent soient désordonnées, mais dans ce cas, elle prendrait la forme de la place qu'elle occupe. Or, si l'on s'en tient à votre logique, le Puits se serait matérialisé sans réelle prise en compte du lieu qu'il occupe.
— Tu ne dois pas oublier une chose, jeune fille : les lois physiques qui résident en ce monde ne sont pas les mêmes que sur Terre, bien qu'elles puissent demeurer assez semblables. Cependant, tu mets là le doigt sur un détail important : cela signifierait que les molécules qui composent le Puits des Oubliés seraient capables de s'ordonner et de se désordonner quand bon leur semble...
— Si cette conjecture se révèle correcte, alors il est tout bonnement impossible que l'objet soit réellement composé de pierre et d'eau, compléta Céleste en fronçant les sourcils. Je ne vois pourtant aucune sorte de molécules possédant une telle force d'autonomie.
— C'est pourquoi les mystères abyssaux de ce puits nous échappent encore, et que nous en venons à penser que les molécules dont il est composé sont issues d'un recoin de l'univers où l'énergie statique est extrêmement puissante...
— Bon sang ! jura la jeune fille en se frappant le front du plat de la main. La seule probabilité serait donc qu'il soit né de la création d'un univers, ou bien de la destruction d'un autre, car en suivant la logique scientifique que l'on étudie, la plus puissante source d'énergie au monde serait la mort d'un astre, ce qui engendre toujours la naissance d'un nombre indéfini d'étoiles et de planètes.
— Aurais-je affaire à une spécialiste ?
— Je suis relativement intéressée par le sujet. Vous permettez que je vous fasse part de mon hypothèse ?
Eltæ se renfonça dans son fauteuil, les mains croisées sur ses genoux indiquant qu'elle attendait la réflexion de son interlocutrice. Céleste, heureuse que leur discussion ait pris un tournant si passionnant et inattendu, et satisfaite d'enfin trouver en ce monde une personne apte à l'écouter, saisit un stylo dans le pot à crayon posé sur le bureau, ainsi qu'une feuille parcheminée, et se lança dans son diatribe :
— Si l'on y réfléchit bien, afin qu'un objet puisse se distordre et se rassembler ensuite – si cela est possible, bien sûr –, il faudrait qu'il soit parcouru d'un courant électrique intense, et, dans ce cas, constitué d'éléments conducteurs ou semi-conducteurs, tels que le silicium. Admettons par exemple qu'il soit sous l'action d'un rayonnement lumineux. Alors, ses électrons se déplaceraient d'un conducteur à l'autre, sans espoir de retour, créant une différence de potentiel entre les deux bornes, et ainsi provoquant une forte tension entre les porteurs de charges négatives et positives, à la manière de l'effet photovoltaïque. Vous me suivez ?
La Grande Gardienne acquiesça, les yeux pétillants devant l'entrain de l'adolescente, et fortement intéressée et impressionnée par ses réflexions.
— Eh bien, si l'on poursuit sur cette voie, on en convient qu'il existerait un matériau conducteur méconnu sans forme propre, comme un gaz particulier, ce qui peut paraître tout à fait inconcevable. Mais, admettons que ce matériau existe, il faudrait alors que ses molécules dispersées et désordonnées soient capables de se compacter et de se ranger, ce qui ne peut se faire que si sa température parvient en-dessous de zéro.
Tout en parlant, elle griffonnait des schémas tarabiscotés sur sa feuille de papier, qu'elle seule était apte à interpréter.
— Or, j'ai remarqué l'absence totale d'ampoules dans la salle où repose le Puits des Oubliés, ainsi que celle de fenêtres. Est-ce un pur hasard, une coïncidence fortuite ? En tout cas, je serais curieuse de voir ce qu'il se passerait si l'objet était exposé à la lumière. Est-ce que l'énergie électrique qui en résoudrait deviendrait-elle thermique et atteindrait-elle ainsi plus de cent-cinquante degrés ? Et, dans ce cas, le Puits se dissoudrait-il ainsi, sous nos yeux ? Est-ce que la pénombre serait suffisamment isolante pour qu'il se refroidisse et reprenne forme, à la manière d'une régénération instantanée ? Combien de temps prendrait-il alors pour acquérir à nouveau sa forme particulière, et, surtout, pourquoi et comment cette forme physique ?
Eltæ se passa une main dans les cheveux.
— Intéressant..., murmura-t-elle. En revanche, si tu n'y vois pas d'inconvénient, je préfèrerais que tu t'abstiennes d'effectuer cette expérience, car nous serions pour le moins embêtes si le Puits ne se réformait pas, ou bien s'il prenait des années à cela.
Céleste fit la moue, mais ne broncha pas.
— Bon..., fit-elle. C'était intéressant mais cela m'étonnerait que vous m'ayez convoquée pour m'écouter déblatérer sur mes hobbies. Sincèrement, qu'attendez-vous de moi, et que signifie toute cette histoire à dormir debout ?
La vieille femme poussa un long soupir qui semblait traduire un visible embêtement. Mais d'où était-il issu ? Cela demeurait un véritable mystère. Elle donnait l'impression de rechigner son devoir, ses explications, de tourner autour du pot et de tout faire pour l'éviter.
— Pour te mettre en garde, Cælestis Wonderline.
— Me mettre en garde contre quoi ?
— Contre ton destin. Céleste, ta mère va sûrement... Vouloir te faire comprendre certaines choses, et je te demanderais simplement de ne jamais, jamais, l'écouter.
— Pardon ?! Vous plaisantez, j'espère ? Vous ne m'expliquez strictement rien et me demandez simplement de ne pas écouter ce que ma propre mère a à me dire ? Et vous pensez que je vais vous obéir ? Enfin... Si vous vous décidiez à m'en dire d'avantage, peut-être évaluerais-je la question, mais pour cela faudrait-il déjà que vous possédiez des explications valables et...
— Très bien, la coupa la Grande Gardienne, le visage dur. Ce qu'il faut que tu saches, c'est que Lisæ est ambassadrice des Magiciens, elle détient un pouvoir important, et elle et ses... compatriotes ont été chargés de retrouver un enfant, un enfant capable de maîtriser le Puits des Oubliés mieux que quiconque. Cet enfant, c'est toi, et ta mère vient donc seulement de le découvrir. Entre autre, elle va faire son rapport aux Trois Stellæ et celles-ci pourront alors t'utiliser pour me remplacer...
— Vous remplacer ? demanda Céleste avec une perplexité grandissante. Et pourquoi donc feraient-elles cela ?
— Ça ne te regarde pas, répliqua durement et sèchement Eltæ. Mais tu ne dois pas accepter, Cælestis, c'est risqué, bien trop risqué... Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour me maintenir à mon poste et t'écarter le plus longtemps possible de ta destinée, mais celle-ci est inévitable, à moins bien sûr que tu ne tentes de la contrer...
— Attendez, attendez... Je rêve ou vous voulez me dissuader de vous succéder ? D'acquérir votre propre titre ?
— J'étais jeune et perdue, perdue dans un océan bien trop agité et grand, perdue parmi d'autres, semblable à tous, inintéressante. Quand on a décelé en moi une capacité sortant de l'ordinaire, j'ai sauté sur l'occasion d'acquérir de l'importance, de gagner en pouvoir, de me rapprocher des grandes régentes de notre monde. J'étais jeune, certes, mais également stupide et cupide, et j'ai appris à mes dépends qu'il vaut souvent mieux vivre modestement, en inconnu, et mourir pour ne subsister que dans l'esprit de nos proches.
— Mais dans ce cas pourquoi vous sacrifier pour que je mène cette existence ? Qu'est-ce qui me dit que vous ne me racontez pas tout ça uniquement dans l'espoir de conserver votre rôle encore quelque temps ?
— Rien. Prends le comme tu veux, ça m'est égale. Tout ce que je veux, c'est te protéger...
— Mais pourquoi ? Pourquoi feriez-vous cela ? Vous ne me connaissez pas ! Pourquoi mon avenir ne vous est-il pas égal ?
La vieille femme souffla et baissa les yeux, dans lesquels un éclat de tristesse semblait transparaître.
— Je te connais plus que tu ne le crois..., murmura-t-elle.
— P-pardon ? balbutia Céleste, confuse.
— Assez discuté ! conclût Eltæ en relevant la tête, laissant entrevoir un éclair de détermination derrière ses prunelles indéchiffrables. Je t'ai dis ce que je pensais, j'ai fait mon devoir, maintenant à toi de prendre en compte mon avertissement ou non... Fais-en ce que tu désires, ça m'est bien égal, de toute manière.
Sa réaction précédente laissait pourtant entendre tout le contraire...
***
La porte d'entrée claqua et Lisæ releva la tête en souriant, attablée dans la salle à manger.
— J'ai préparé des tartes au citron meringuées, je sais que tu en es friande, dit-elle en désignant fièrement la cloche de verre qui retenaient prisonnières une demie-douzaine de tartelettes dorées.
— Ah... Génial..., répondit Céleste en s'efforçant de sourire.
Elle piocha parmi les pâtisseries et croqua dans une tarte à pleines dents. Mais la saveur doucereuse du citron et de la meringue lui donnèrent la nausée à peine entrés en contact avec ses papilles.
Elle déglutit péniblement et adressa à nouveau un sourire factice à sa mère. Puis, priant silencieusement pour que son ton paraisse détaché, elle dit simplement en détachant bien chaque syllabe :
— Je me demandais... Par rapport à ce qu'il s'est passé tout à l'heure... Ce n'était rien de grave, n'est-ce pas ?
Les commissures des lèvres de Lise s'étirèrent à nouveau.
— Bien sûr que non, ma chérie. Eltæ t'en a parlé, si je ne m'abuse.
— Oh, euh... Oui, oui bien sûr... Mais c'était assez... vague, alors... Enfin, je me suis dit que tu étais sûrement la mieux placée pour m'expliquer précisément ce que cela signifie, répliqua habilement la jeune fille en léchant avec un écœurement qu'elle s'efforçait de taire ses doigts couverts de crème.
— Évidemment, mon ange, évidemment... Mais tout d'abord, je voudrais savoir : que t'a-t-elle dit exactement ?
Nous y voilà... Elle se méfie... Elle se doute de ce qu'a bien pu me dire cette dénommée Eltæ..., songea l'adolescente. Elle hésitait, puis, sa rancoeur encore présente envers cette femme qui l'avait abandonnée aux griffes de ses démons y étant sûrement pour quelque chose, elle se décida sans toutefois y réfléchir longuement à se ranger du côté de la mystérieuse vieillarde.
— Oh, pas grand chose, mentit-elle. Elle m'a simplement expliqué la fonction du Puits et l'organisation politique nocturne, mais j'avoue avoir eu du mal à cerner exactement le rapport avec moi-même...
— Très bien. Ce n'est pas très compliqué, Céleste. Je suis terriblement fière de toi, ma grande, et, je dois l'avouer, un peu jalouse, rit-elle.
Sa fille s'efforça alors de laisser échapper un feint éclat de rire, légèrement tendue et anxieuse.
— Tu possèdes un don inné, qui fait de toi une personne extraordinaire. Ah là là, le nombre d'enfants qui rêveraient d'être à ta place ! Cette capacité unique fait de toi – excuse-moi si je suis un peu rapide, mais je ne peux attendre une seconde de plus pour te faire part de cette extraordinaire découverte ! – la future Grande Gardienne nocturne !
— Ah...
Ça y est. Le verdict était tombé, et pour l'instant, la Grande Gardienne ne s'était pas méprise sur la réaction de Lisæ, bien que les intentions de cette dernière demeurent encore très floues.
— Et si... Et si je n'en avais pas envie ? tenta l'adolescente.
— Pas envie ?! Mais, Céleste... Attends une seconde... Eltæ t'a dit autre chose, trésor ? Tu sais, tu ne dois pas l'écouter, elle n'a plus toute sa tête et...
— NON ! Non..., dit-elle plus posément. Simplement, j'aurais préféré être... J'ai toujours rêvé de devenir écrivaine de science-fiction, inventa-t-elle du tac au tac en se basant sur sa passion pour la technologie et la physique ainsi que pour l'écriture.
Sa mère se détendit et laissa même échapper quelques éclats de rire.
— Oh, mais chérie, être Grande Gardienne ne t'empêchera en rien d'écrire des romans de science-fiction si cela te chante ! Tu pourras...
— Oui, mais non ! Non ! Je ne veux pas devenir... Grande Gardienne, ou je-ne-sais-quoi ! Ma petite vie tranquille me convient parfaitement !
— Céleste...
— De toute façon, je ne compte pas rester ici longtemps. J'achève mon marché avec cet homme étrange, je passe quelques jours dans son Académie de psychopathes et je rentre chez moi.
— C'est ici chez toi, Céleste...
— Non ! Chez moi, c'est sur Terre, dans mon petit village tranquille avec papa...
— Ton père n'est plus...
— Mais je m'en fiche ! hurla Céleste, la voix tremblante, le cœur palpitant, sentant les larmes affluer. Qu'est-ce que tu attends pour appeler la police ? Qu'est-ce que tu attends pour le faire ? Pourquoi veux-tu ainsi m'empêcher de le revoir ? Pourquoi faut-il que tu gâches toujours tout ? Pourquoi ?
— Je ne peux pas... On ne peut pas...
Alors qu'un sanglot lui déchirait la poitrine, l'adolescente s'enfuit vers les escaliers, refusant de lui offrir le spectacle de ses larmes. Lise ne mériterait rien tant qu'elle ne cesserait pas de lui mentir.
— Céleste, attends ! Laisse-moi t'expliquer ! Je ne veux que ton bien et ton bonheur, ma chérie ! Rien de plus ! Promets-moi d'y réfléchir, il n'existe pas de plus beau destin que...
— Mon bonheur et mon destin sont auprès de mes amis et de mon père, et ne seront jamais – jamais, tu m'entends ? –, ici !
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