Chapitre 9 - Retrouvailles
Céleste descendit les gradins du magnifique auditorium, avec une lueur d'ébahissement pur brillant dans ses prunelles. Ils formaient un demi cercle autour de l'estrade, et le plafond, digne de celui d'une cathédrale, était entièrement recouvert de mosaïques sombres, bleutées et dorées, représentant des astres qui étaient inconnus de la jeune fille. Derrière la scène, une immense baie vitrée rendait compte de la magnificence du ciel étoilé. Sur l'estrade se trouvait un long bureau derrière lequel trois personnes étaient installées. Deux hommes, dont un sûrement très âgé, ainsi qu'une femme.
— Assieds-toi, je t'en prie ! l'invita cette dernière avec un sourire de compassion.
Céleste obtempéra sans oser discuter et s'installa sur une chaise en bois disposée face au trio, bien que son instinct lui souffla de désobéir. Après tout, plus vite cet instant serait passé, plus vite elle pourrait retrouver son père et son habitation. La jeune fille se tortilla, mal-à-l'aise. Elle avait la fort désagréable impression d'avoir été impliquée dans certains complots malsains et étranges, et d'être aujourd'hui jugée en conséquence de ses actes. Mais quels actes ?
— Nom, prénom, âge, domicile, classe, numéro, Pierre ?
Le plus jeune des deux hommes avait lancé cela d'une traite, avec sur son visage un air exaspéré et sarcastique, las et ennuyé. Céleste écarquilla les yeux alors que son cœur manquait un battement.
— Eh bien... C'est à dire que... Je..., bredouillait-elle, de la sueur perlant à son front, les yeux écarquillés.
— Voyons, Algaræ ! s'exclama soudainement le vieillard. Ne vois-tu pas que tu effraies la petite ? (Il poursuivit en se tournant vers la jeune fille, les coins de ses lèvres s'étirant en un sourire bienveillant.) Quel âge as-tu ? Seize ans ?
Céleste poussa un petit cri. Seize ans ? Elle s'était toujours estimée petite pour son âge, et les gens penchaient en général pour les douze ou treize ans. Mais seize ans... Jamais au grand jamais ! Jamais personne auparavant n'aurait pu pensé qu'elle était si âgée !
— Bien sûr que non ! dit-elle en fronçant les sourcils, reculant légèrement avec une inquiétude et une perplexité concernant leur santé mentale. J'en ai quatorze... Mais presque quinze ! ajouta fièrement la jeune fille après un instant de silence.
Ce fut cette fois-ci aux trois "juges" de s'exclamer.
— Je n'ai jamais vu une si jeune enfant posséder des Pupilles aussi puissantes ! fit le vieil homme avec ébahissement.
— Quelle Pierre ? demanda la femme.
— Je l'ignore, Melindæ, je l'ignore, répondit-il. Je n'ai jamais vu de telles iris !
— Le cristal.
Tous se retournèrent vers l'origine de cette intervention. La femme ayant répondu à leur interrogation leur tournait le dos, se tenant dans un fauteuil face à la baie vitrée.
Céleste aurait juré avoir déjà entendu cette voix quelque part.
Non ! se raisonna-t-elle. C'est impossible...
Elle sentit son cœur chavirer.
— En es-tu sûr, Lisæ ?
La jeune fille se sentit défaillir.
— Qui peut en être plus sûr que moi ? la voix de la femme tremblait légèrement.
Elle se leva et leur fit enfin face, ses joues pâles striées de larmes.
Alors Céleste se sentit sombrer dans de profondes abîmes, tombant de sa chaise et perdant, encore une fois, connaissance.
***
La jeune fille était perdue au milieu des brumes. Elle allait où ses pas la menaient, cherchant désespérément à sortir de cette nappe de brouillard. Elle ne voyait rien. Elle n'entendait rien. Mais surtout, elle ne comprenait rien. Le blizzard ne se lèverait-il donc jamais ? Cela non plus Céleste ne le savait guère. Elle aurait dû partir en quête de découverte, au lieu de quoi elle restait là, dans l'inconscience de cet angoissant brouillard. Elle commençait seulement à s'accoutumer à cette monotonie lorsque les choses empirèrent, et le coutumier et inexistant paysage se nuança. Au lieu de cet habituel sol neutre, le béton laissa place à des collines sablonneuses. Puis, plus étrange et incompréhensible encore, à une voûte étoilée. Quand Céleste sortirait-elle de cet état d'incompréhension ? La réponse vint à elle sous la forme d'une main. Une main émergeant du brouillard. La jeune fille s'y cramponna de toute ses forces, et sa mère la sortit enfin de ce terrible labyrinthe sans fin. Elles se trouvaient au milieu d'une prairie. Une simple prairie. Et c'était bien de simplicité dont Céleste avait besoin.
— Céleste ?
— Céleste !
— Céleste !
La jeune fille se réveilla en sursaut. Sa mère était là, assise sur son lit. Bien présente, bien vivante, en chaire et en os. L'adolescente était si hébétée qu'elle ne put articuler le moindre mot, laissant ses larmes l'inonder silencieusement.
— Maman ! se fut tout ce qu'elle parvint à dire, ou plutôt à hurler.
Céleste se jeta dans les bras de sa mère. Elle sanglota, le nez enfoui dans le creux de ses bras protecteurs. Après tout ce temps ! Trois ans ! Deux interminables années privée de sa mère ! C'était trop incroyable, trop merveilleux pour être réel. Et pourtant...
Mais l'instant d'émotion passé, la joie fit place à la colère.
— Tu... Tu étais là, pendant tout ce temps ? Ici ? Maman ! Comment as-tu pu faire ça ? J'ai presque quinze ans, figure-toi ! Tu m'as abandonnée alors que j'avais besoin de toi ! Tu ne peux même pas imaginer ce que j'ai vécu pendant ton absence ! Comment as-tu pu me faire une chose pareille ?!
Lise Wonderline ne dit rien. Elle se contentait d'écouter sa fille parler, sanglotant et bégayant toutes les injures qui lui venaient à l'esprit, furieuse d'avoir ainsi pu être délaissée, livrée à elle-même dans cette jungle qu'est le collège, en cet instant durant lequel elle avait le plus besoin d'une mère présente.
— Mais pourquoi as-tu fait ça, Maman ? Pourquoi ?
— Je vais tout t'expliquer.
« Je suis née ici, dans ce monde, cet univers, et j'y ai vécue durant toute mon enfance. Ce fût pendant une mission sur Terre que je rencontrais ton père, et avec lui, l'amour. Mon cœur était déchiré, et j'ai décidé de demeurer avec lui. Lorsque toi et... Oh, Céleste ! Pardonne-moi de t'avoir cacher autant de choses... Lorsque toi et... ta sœur êtes nées... »
À ces mots, la jeune fille sentit ses membres s'engourdir et sa tête bourdonner. Non, elle avait forcément mal-entendu... Car c'était impossible, tout à fait impossible... Mais, après tout, elle n'était guère au bout de ses surprises.
— Moi et ma sœur ?! fit Céleste d'une voix absente.
— ... Oui... Mais, je t'en prie, ne dis rien, je vais tout t'expliquer...
« Lorsque toi et ta sœur êtes née, j'ai compris que cela serait compliqué. Mais je ne pouvais me résoudre à me séparer de vous. Et lorsque tu avais à peine un an, Filæ fût enlevée. La douleur étant trop vive et trop présente pour ton père et moi, nous avons décidé de te cacher l'existence de ta sœur. Durant de nombreuses années, j'ai peiné, sans relâche, afin de la retrouver. C'est ainsi qu'un matin... Une piste. Mais cela fut d'autant plus dur pour moi de découvrir l'auteur de cette tragédie... Je n'ai rien dit à Éric de ce que j'avais découvert. L'Homme Noir. Le responsable de tous mes malheurs. De Filæ, il avait fait un démon... Ma propre fille élevée par l'ennemie. Et le pire dans tout cela, c'est qu'elle s'en est prise inconsciemment à toi.
« Le but de l'Homme Noir est de t'éliminer, Céleste. Tu es un obstacle, une embûche à sa conquête des mondes. C'est ta puissance qui te créât des ennuis. Il t'a fait tomber d'une falaise. Mais il en fallait plus pour se débarrasser de toi. Bien plus. Car tu ne possèdes pas que tes Pupilles, comme particularité. Tu as également en ta possession un don bien étrange, qui te permet de voyager entre les mondes nonobstant les Portes. C'est ce qui t'a permis de survivre à une telle chute. Tu as accidentellement pénétré à la Nuit. Mais, ton corps n'étant pas encore adapté aux changements gravitationnels, tu as perdu connaissance. La gravitation Nocturne à ralenti ta chute. Puis tu es revenue sur Terre, au moment même où tu touchais le sol. Ces brusques alternances gravitationnelles ont perturbé ton organisme et déclenché tes Pupilles en avance sur ton âge, cela arrivant plus fréquemment aux alentours de l'âge élémentaire — ou dix ans, si tu préfères. »
« Étant donné que je suis en "âge voyageur" — à partir de trente-neuf ans, l'on obtient une aura puissante capable de se déplacer à plus de mille kilomètres à l'heure — , n'importe qui peut me percevoir à des kilomètres à la ronde. C'est ainsi que l'Homme Noir a pu retrouver ta trace. Il fallait que je parte, ma Céleste. Pour te protéger. »
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