De l'autre côté
Sa première pensée fut de constater qu'il n'avait plus mal. C'était la dernière chose qu'il avait ressenti en fermant les yeux, cette douleur à la tête. Il se concentra un instant. D'où venait cette douleur ? Ah oui, il s'était cogné la tête contre la vitre de sa portière. L'autre voiture, le gars avait grillé le stop et il lui était entré dedans. Le choc avait été violent, une chance qu'il s'en soit sorti. Ce con avait intérêt d'être mort parce que sinon, il allait avoir de sérieux ennuis !
Il ouvrit les yeux, les clignant pour ne pas être ébloui par la lumière. Mais rien. Son ciel était sombre. C'était la nuit sans doute. La lumière de sa chambre d'hôpital ne pouvait être qu'éteinte. Quelque chose pourtant attira son attention. Un bruit. Non, c'était plutôt un gémissement. Il tourna la tête.
Il se redressa brusquement en constatant qu'il ne se trouvait pas dans un lit d'hôpital. Il était par terre, à même le sol rocheux. Son regard explora un moment les environs. Tout n'était que pierre baigné dans une étrange clarté obscure. Mais alors où était-il et d'où venaient les lamentations qu'il entendait ? Il passa sa main sur sa tête. Rien, pas de sang, pas de bandage, aucune blessure. Non c'était impossible ! Il était certain d'avoir heurté la vitre ! Il se souvenait très bien du choc, de la violente douleur...
Alors, il serait... mort.
C'était donc ça, la mort ? Il s'était attendu à autre chose. A quoi ? Il ne savait pas trop. Il avait déjà entendu des histoires de lumière et de parents morts qui délivraient un message, mais il n'y avait pas vraiment fait attention. Ça ne l'intéressait pas plus que ça.
Il fit quelques pas, il lui semblait que les lamentations venaient de là-bas. Il s'arrêta brusquement. Devant lui, en contrebas, un fleuve immense traversait la vallée. Plus loin, sur l'autre rive, il apercevait à peine une route ou un chemin qui s'engageait entre les rochers. Au milieu du cours d'eau, il crut apercevoir une barque ou un truc du genre s'approchant de la rive où il se trouvait. Les lamentations venaient de là, de ces silhouettes aussi semblables les unes aux autres. Tant de monde et une seule embarcation pour traverser. Pas étonnant qu'ils se lamentaient, vu l'attente !
Une fois en bas, il se faufila parmi les ombres. Comment savoir quand viendrait son tour d'embarquer ? Mais il s'avança tout de même. Le bateau approchait et il était curieux de voir qui le manœuvrait. Lentement, l'embarcation toucha la rive. Debout à l'arrière, le dos voûté par son labeur, le batelier était enveloppé dans une cape noire dont la large capuche cachait entièrement son visage. Il restait immobile à attendre mais personne ne montait dans sa barque.
- Tu montes ou tu restes là, toi-aussi ? demanda une voix irréelle.
Lui ? C'était à lui que s'adressait le batelier ? Mais ce n'était pas son tour ! Et tous les autres alors ? Pourquoi n'embarquaient-ils pas ? Ils continuaient simplement de se lamenter. Mais peu importait au passeur qui montait. D'ailleurs s'il n'embarquait pas, il n'avait aucune raison de rester là. Déjà le batelier posait sa rame sur la rive pour éloigner son embarcation.
- Je monte !
Il s'apprêta à embarquer lorsque le passeur releva la tête au son de cette voix étrangement familière. Leurs regards se croisèrent. Un bleu perdu sur un jaune égaré.
- Rhadamanthe...
Allan était mort. Le choc avait été trop violent et sa tête s'était fracassée contre la vitre de sa portière. Les secours avaient fait leur possible pour le maintenir en vie jusqu'à l'hôpital. Pour rien finalement, Allan était mort dans l'ambulance. Et malgré les efforts, son cœur avait refusé de repartir. Pourtant le cœur d'Allan était repartit tout seul, presque deux heures après l'annonce officiel de sa mort. Cent vingt minutes pendant lesquels le cerveau blessé d'Allan n'avait pas été irrigué. Les médecins s'étaient attendus à des séquelles importantes. Mais rien. Un vrai miracle ! Alors inévitablement, certains médecins lui avaient posé des questions sur sa mort. Avait-il vu quelque chose ? Sa quoi s'était étonné Allan en détaillant des pieds à la tête cet étranger. Son Expérience de Mort Imminente. Son cœur s'était arrêté pendant un sacré moment et l'étranger voulait avoir des détails sur ce qu'Allan avait vu de l'autre côté. Mais le miraculé l'envoya paître. Il n'avait que faire de ses théories à la noix.
Plus d'un mois s'était écoulé et si Allan avait bien quitté l'hôpital, il n'avait pas pour autant repris son travail. Il ne comprenait pas pourquoi d'ailleurs il ne pouvait pas retourner travailler à la banque. Sa blessure à la tête était guérie donc Allan pouvait retourner travailler. Mais le médecin, non les médecins ne voulaient pas. Pour un prétexte idiot selon lui, parce que tous les examens étaient bons.
Alors Allan passait une partie de son temps à lire et l'autre à maudire les médecins qui l'empêchaient de reprendre une vie normale.
- Allan. Allan.
L'homme en question s'était levé pour se poster droit comme un i devant la fenêtre. Assis derrière son bureau, son médecin se saisit de son stylo pour remplir une prolongation.
- Vous comprenez pourquoi je ne peux pas vous laisser reprendre votre travail.
Non, Allan ne comprenait pas. Il allait bien. Sa blessure à la tête était totalement guérie et en plus il n'avait aucune séquelle ! Un miracle dont il entendait régulièrement parler ! Toutes ses fonctions étaient intactes. Physique, psychique, cognitive et il en passait. Il avait passé toute une batterie d'examens et de tests pour que les médecins s'en assurent. Alors non, il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas reprendre son travail.
- Comment vous appelez-vous ? lui demanda simplement le praticien en posant son stylo pour regarder son patient.
Le miraculé détailla le médecin. Un long moment. Son nom. Il lui demandait quel était son nom. Mais c'était facile ! Super facile même ! Son nom, c'était... Allan s'apprêta à réponde spontanément mais rien ne lui vient à l'esprit. Il avait un nom, il en était sûr. C'était...
- Vous le connaissez parfaitement, mon nom ! Alors pourquoi me le demander avec autant d'insistance ? rétorqua le patient, agacé par ce petit détail.
Seulement voilà, Allan était incapable de se souvenir de son nom. Il était parfaitement capable de donner le nom d'autres personnes. Tous ses souvenirs étaient intacts. Sauf celui-là. Il était devenu un anonyme pour lui-même. Même en voyant son nom écrit, il ne faisait pas le rapprochement avec lui. Et tant qu'il en serait ainsi, il ne pourrait pas reprendre son travail.
Il finit par poser son livre sur la table basse. Dix minutes que quelqu'un frappait avec obstination à la porte de son appartement. Puisqu'il insistait, il allait être bien reçu, ce colporteur à la manque !
Allan ouvrit la porte un peu brusquement mais il n'eut pas le temps de placer un mot. Son visiteur avait déjà monopolisé la parole.
- Allan Stwehall ? commença-t-il en lui tendant la main. On s'est raté à l'hôpital. Rajiv Marēkō N'Yāya. Je voudrais vraiment parler avec vous de votre E.M.I.
L'étranger. D'où ? Allan ne savait pas exactement. Du continent asiatique sans aucun doute mais qui n'était pas en Angleterre depuis bien longtemps. Il parlait bien anglais mais avec un fort accent. Allan détailla un moment cet homme en se demandant s'il ne s'était pas trompé de personne.
- Je ne connais aucune Emi.
Silence de la part de l'étranger qui cherchait de quoi parlait son interlocuteur. Puis enfin, il sembla réaliser.
- Je ne parle pas d'une personne mais de l'expérience que vous avez vécue.
- J'ai juste eu un accident, rétorqua sèchement Allan en s'apprêtant à fermer la porte alors qu'il réalisait où il avait déjà vu cet importun. Comme ça peut arriver à n'importe qui.
Et ils ne s'étaient pas « raté » à l'hôpital, Allan l'avait envoyé paître.
- Mais tout le monde n'en meure pas, répondit l'étranger en empêchant la porte de se refermer, pendant deux heures...
Les deux hommes se fixèrent un long moment. Allan n'avait aucune envie de parler de ce qui s'était passé pendant ce laps de temps. D'ailleurs, il ne s'était rien passé, juste un drôle de rêve. Mais l'autre insista.
- La plupart des gens voit une lumière. Ces gens-là ne m'intéressent pas. Ce sont les autres qui m'intéressent, ceux qui voient l'obscurité.
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