Prologue
Une femme sursautait. Alors qu'elle marchait dans la rue, une tasse apparaissait devant elle. Elle cherchait autour d'elle une quelconque présence humaine, mais la rue était vide. Elle était seule, avec une tasse qui flottait dans l'air, à quelques centimètres de son nez. Une tasse pleine de café.
Elle cru que cela était son imagination, alors elle secoua la tête, comme pour effacer cette tasse, voulant absolument que tout cela ne soit qu'un rêve, ou une simple hallucination de son esprit.
- Prenez-la, lui souffla-t-on de nulle part.
Elle sursauta de nouveau, et cette fois, elle n'avait pas rêvé ; personne n'était à proximité d'elle, et pourtant, elle était sûre d'avoir entendu quelqu'un lui dire de saisir cette tasse. Devait-elle la prendre ? Devait-elle partir en courant, comme n'importe qui l'aurait fait ?
Quelle était cette présence qu'elle sentait à ses côtés ? Était-ce réel ? Elle choisit de ne pas croire ce qui se présentait sous ses yeux, et fit demi-tour, son panier à la main.
- Ne me dites pas ce que je dois faire, siffla-t-elle entre ses dents, la mâchoire serrée, autant de peur que de curiosité.
Et elle n'entendit plus cette voix, ainsi, la tasse disparut. Ceci était forcément un rêve, ce ne pouvait pas être réel. À qui pourrait-elle le raconter si ce qu'elle avait vu était vrai ? Personne ne la croirait. Pourtant... même si la majorité de son esprit pensait que ce n'était qu'une illusion, l'autre minorité y croyait pour de bon. Elle n'avait pas rêvé, point.
Elle continuait de marcher sur le trottoir, sans croiser un seul autre piéton, et sur le coup, elle se demanda si elle n'avait pas atterri dans un autre monde. Les rues étaient vides, les vitrines des magasins, fermées par un store, ne laissant aucun rayon de soleil y pénétrer, et aucun enfant ne courrait dans la rue, comme d'habitude.
- Tu ne comprendras jamais le sens de la vie, si tu continues de te morfondre comme cela. Alors, lèves-toi, et trouves ce qui te fera vibrer, ce qui te donnera le bonheur, ce qui te fera vivre, lui murmura de nouveau la voix.
Et cette fois, une difformité s'approcha d'elle, un sourire déformé ornant ce qui lui servait de visage, et elle s'arrêta devant la femme.
- Ou vous vivrez toujours seule dans le pire des malheurs, la voix termina la phrase précédente.
La forme sombre, s'avança lentement vers elle, sans qu'elle ne puisse faire un seul pas pour s'enfuir ou se défendre, et le noir l'envahit, pour ne laisser place qu'à la peur. Elle ne sentait plus son corps trembler, ses dents claquer, et ses yeux lui piquer. Non elle ne sentait pas cela. Elle sentait bien pire. Elle sentait qu'elle n'avait plus la force de vivre. Ses forces commençaient à l'abandonner. Elle se sentait partir. Pourquoi ? Pourquoi cela arrivait-il à elle ? Elle n'en avait pas la raison.
Son cœur vibrant au ralenti, semblait sur le point d'exploser.
- Vous avez donc choisi.
Elle n'arrivait pas à parler. Il fallait qu'elle se réveille. Qu'elle se réveille dans les bras de son homme, et qu'elle se dise que cela n'avait été qu'un mauvais rêve.
- La mort.
Elle essaya de crier. Aucun son ne sorti de sa bouche.
Alors elle essaya de bouger. Aucun de ses membres ne fit l'effort de bouger.
Elle essaya aussi de pleurer. Aucune larme ne franchit la barrière de ses yeux.
Elle avait mal. Mal partout. Mais surtout à un endroit précis. À son cœur. Personne n'aurait pu comprendre sa douleur, hormis une seule personne.
La réalité la frappa de plein fouet. Il ne reviendra pas. Il ne l'aimera pas de nouveau. Peut-être ne l'avait-il jamais aimée. Peut-être n'avait-elle été qu'un jeu. Qu'une femme d'un soir. Qu'une amie.
Elle se sentait terriblement seule. Elle avait envie de quitter cette vie. De quitter cette vie qui n'était plus rien sans lui.
- Maman, voulait-elle appeler.
C'est à cet instant qu'elle s'éveilla. Elle s'assit. Se passa une main sur ses longs cheveux trempés de sueur. Elle avait terriblement chaud. Avait-elle de la fièvre ? Elle posa sa main sur son front. Elle était brûlante.
Elle soupira. Tout son corps tremblait. Elle souleva la couette, et se leva du lit. C'est là qu'elle entendit les légers ronflements qui faisaient légèrement vibrer la pièce. Elle se retourna, lentement, sans vraiment savoir à quoi s'attendre.
Son homme était présent à ses côtés. Il dormait d'un sommeil qui semblait profond, un bras glissé derrière la tête, l'autre sur son torse nu. Il ne l'avait pas quitté. Elle avait seulement rêvé. Elle sourit, soulagée, et sorti de la chambre. Elle lui parlera demain.
Elle se fît un café, et fourra ses écouteurs dans ses oreilles. La musique lui permettait de penser à autre chose, de ne plus avoir peur, de lui montrer qu'elle était forte, qu'elle pouvait tout vaincre. Parce qu'en réalité, ce n'était pas si simple.
Une main se posa sur son épaule, et ses yeux se fermèrent. Non, elle ne devait pas pleurer. Elle devait être forte.
- Tu as fait un cauchemar ? Elle entendit à travers ses écouteurs.
Elle ne voulait pas lui parler. Elle ne voulait parler à personne. Garder ça pour elle, comme elle le faisait toujours pour ne pas inquiéter ses proches.
- Parle-moi.
Ses souvenirs revinrent. Alors sa voix claqua dans la petite cuisine :
- Non.
Elle ne le vit pas hausser les sourcils, de surprise. Jamais elle n'avait refusé de lui parler, en dehors du début de leur relation. Mais il avait compris la raison.
- Je reste ton ami, tu pourras toujours te confier à moi, il lui dit, doucement. En attendant, ne bois pas de café maintenant, tu ne pourras plus te rendormir, après.
Tout son corps lui hurlait de se jeter dans ses bras. Mais il ne fallait pas. Elle devait être forte. Toujours forte.
- Tu ne comprends pas. Ce que cela fait. Tu ne comprends pas ce que c'est de ne pas pouvoir pleurer, alors que j'en meurs d'envie. Tu ne comprends pas où j'ai mal ! Tu ne peux pas comprendre ! J'ai mal, ici ! Ici ! lui cria-t-elle, en se tournant vers lui, et en lui pointant son cœur du bout de l'index.
Elle avait coupé sa musique. Posé son téléphone sur la table. Brusquement. Elle bu son café brûlant cul-sec. Devant lui, devant son regard noir de reproches.
- Stop. Tu arrêtes ton petit manège. Ça suffit, rétorqua-t-il, sur un ton qui ne présageait rien de bon.
- Lâche-moi ! hurla-t-elle, et elle se reprit : Ne me touche pas. Plus jamais. Je ne dors pas là cette nuit. Laisse-moi. Oublie-moi. Je ne peux pas continuer à vivre avec toi. Cette maison... c'est trop.
Il hocha la tête, les mains dans les poches de son jogging. Il comprenait. Enfin, il essayait de comprendre. Après tout, il lui avait fait du mal, il ne pouvait pas l'empêcher de partir.
Il s'assit à côté d'elle. Lui pris la main.
- Raconte-moi ton cauchemar.
Parce qu'il savait. Il la connaissait mieux que quiconque, sans pour autant le savoir. Mais elle, elle le savait. Elle le savait qu'il était pour elle, qu'il était l'homme dont elle avait besoin, dont elle avait toujours rêvé. Alors, elle lui raconta tout, d'abord la tasse, la voix, sa solitude, et ensuite la forme noire qui lui disait que seule la mort était sa possibilité de vivre.
Et pas une seule fois, elle ne craqua. Mais une seule fois, leurs regards se croisèrent. Une seule fois son regard descendit sur le torse musclé de son homme. De son ami. Une seule fois, il perçu la peur dans les yeux de son amie. Et il n'hésita pas. Deux secondes plus tard, elle était serrée contre son torse, par ses deux bras musclés. Elle retint ses larmes du plus fort qu'elle le pu.
- Tu as toujours le droit de pleurer, lui souffla-t-il, à l'oreille.
Elle ne répondit pas. Son cauchemar la hantait. Elle aurait dû l'oublier, oublier cette forme affreuse qui lui enserrait la gorge, jusqu'à ce que plus d'air ne puisse passer, mais elle n'y arrivait pas. C'était dur. Trop dur.
- Allez, viens, on retourne dormir, lui dit-il, en caressant ses cheveux.
Il se leva, après elle, et retourna dans la chambre. Il fut surpris lorsqu'il remarqua qu'elle ne l'avait pas suivi. Il retourna sur ses pas, et ce qu'il vit depuis l'encadrement de la porte de la cuisine le pétrifia sur place.
Elle était là. Plus belle, plus resplendissante que n'importe quelle autre femme, qu'il rencontrerait.
Elle pleurait. Elle sanglotait. Mais elle tenait surtout un couteau dans sa main. Un couteau qui serait bientôt teinté de sang s'il n'agissait pas dans l'immédiat.
- Tu n'as toujours pas compris... murmura-t-elle, de nouveau.
Et les yeux de l'homme s'arrondirent. Il se souvint. Il voulait oublier. Oublier lorsqu'il l'avait surprise dans la salle de bain, en train de ramasser un objet précipitamment pour pas qu'il ne le voit. Oublier le test de grossesse, posé près des toilettes. Oublier les rendez-vous à l'hôpital, pour une soi-disant grosse fièvre. Comment avait-il fait pour être aussi aveugle ?
- Tu es enceinte ! s'exclama-t-il, sous le choc.
Elle se tourna vers lui. Le visage ravagé par la douleur. Elle souffrait, c'était indéniable. C'était évident, cela sautait aux yeux. La lame du couteau posée à plat devant elle.
- Il va mourir. Il est déjà mort. Tu ne m'aimes plus. Tu ne comprends pas. Je n'ai plus rien ! cria-t-elle, et cette fois, les larmes coulèrent franchement sur ses joues.
Un voile de douleur traversa le regard de l'homme. Il baissa les yeux.
- Je t'aime encore. Simplement pas comme tu le veux. Mais je serais toujours là pour toi. Si tu as besoin de moi, je suis là. Ne l'oublie pas, soupira-t-il, et je ne veux pas que tu m'oublies.
Elle se demanda comment il pouvait dire une chose pareille. Bien sûr que non, elle ne l'oublierait pas. Elle en était bien incapable.
- Je t'aime, murmura-t-elle, pour la dernière fois.
Il sourit doucement, et la prit dans ses bras.
- Je t'accompagnerais pour tes prochains rendez-vous à l'hôpital. Je serais là.
Elle ne voulait pas lui répéter. Elle le savait. Son bébé était mort.
Quelques mois plus tard, alors qu'ils vivaient toujours ensemble, sans pour autant se toucher, ou s'embrasser, le dernier rendez-vous prévu à l'hôpital avant la naissance de l'enfant. Le ventre de la mère s'était arrondi.
On les fit entrer dans une petite chambre, toute blanche, et l'infirmière leur souriait, tandis que plusieurs personnes s'affairaient à examiner la future mère.
Quelques minutes plus tard, un premier bilan pouvait apparaître, et on leur fit part des résultats. Le bébé était en très bonne santé, et ne présentait aucun signe de déformation osseuse ou cérébrale, comme les tous premiers examens l'avaient prédit.
Les futurs parents s'étaient souris discrètement, alors que l'infirmière rangeait le matériel, et commençait à nettoyer la pièce.
Ils sortirent de la chambre, et se postèrent à l'accueil. Un homme les y accueillit. Ils souhaitaient savoir s'ils pouvaient passer les prochaines nuit dans ce bâtiment, et une réponse négative leur parvint.
Ils rentrèrent alors chez eux, et c'est quelques jours plus tard que les premières contractions se montrèrent : l'enfant souhaitait naître.
Ils furent très bien accueillis à l'hôpital, et une sage-femme, ainsi qu'une infirmière les prirent en charge. On demande à l'homme s'il souhaitait venir assister ; il demanda l'autorisation à la future mère. Elle hocha la tête en sa direction : elle acceptait.
Tout le long de l'accouchement, l'homme sera la main de la mère, et lui murmura des mots doux, des mots que l'on se dit pour encourager un ami. Pas sa femme. Un ami.
Quand soudain, des exclamations parurent, du côté de la sage-femme et de l'infirmière. Leur bébé était né !
Alors pourquoi ne souriaient-elles pas ?
L'homme se releva, et il se figea. L'enfant, à présent tenu par la sage-femme, ne pleurait pas. Une sombre fumée noire entourait son faible petit corps.
Il s'estompait dans l'air présent de la pièce. Il disparaissait progressivement.
L'homme sentait la mère tirer sur la manche de sa veste. Il ne pouvait pas bouger. Il ne pouvait pas tourner la tête vers elle. Il ne pouvait pas la regarder. Ne pouvait pas affronter son regard.
Cinq minutes après la naissance, l'enfant avait disparu. Il n'existait plus. Il était mort.
La mère le savait. Elle savait qu'il allait mourir. Elle n'avait pas oublié son cauchemar.
Tout avait été prédit. Tout. Y compris leur mort.
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