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Finalement, Yoru avait réussi à convaincre Kyõka qu'il fallait qu'elle rentre chez elle. Il savait qu'elle n'était pas en état.
Arrivés devant la porte de sa maison, Kyõka lui proposa de rester dormir chez elle, ce qu'il refusa, en toute politesse.
- Yoru... le supplia-t-elle.
Et alors qu'il s'était juré de ne plus se laisser inviter chez elle, il se laissa tenter, et fini par accepter.
- Par contre, je n'ai pas vraiment prévu quelque chose à manger, donc... que dirais-tu des nems et du riz ? lui suggéra-t-elle.
- C'est très bien, ne t'embête pas. Je vais t'aider, lui dit Yoru, en enfilant un tablier.
Il fit chauffer le riz, et se brûla encore une fois, sans comprendre ce qu'il lui arrivait.
- Oh, tu t'es brûlé, viens là, lança Kyõka, et elle fit couler de l'eau sur son doigt, en fronçant les sourcils, devant son ami, qui n'avait aucune réaction face à la douleur.
Elle garda cela dans un coin de sa tête, et une fois le repas préparé, ils mangèrent, en discutant de ce qu'il leur passait par la tête.
- Yoru ? Tu préfères aller dormir, ou regarder un film ? lui proposa Kyõka, lorsqu'ils eurent fini de dîner.
Ce dernier secoua la tête de droite à gauche, et lui dit :
- Non, demain tu travailles. Tu dois aller dormir. Pas de film pour ce soir, petite maligne !
Elle sourit face à l'entente de ce surnom, et alla dans la salle de bain, pour se mettre en pyjama. Une fois revêtue de sa tenue de nuit, elle lança rapidement un "bonne nuit !" à son ami, et se mit au lit.
Kyõka souriait encore, lorsqu'elle se coucha. Elle n'arrivait pas à trouver le sommeil, et elle se demanda si Yoru, dans la pièce d'à côté, dormait aussi.
Et elle craqua. Son téléphone se retrouva dans sa main, puis elle envoya un message à Yoru -dont ils avaient échangé les numéros quelques nuits auparavant-, et attendit sa réponse.
Kyõka
Je n'arrive pas à dormir. Tu dors ?
Yoru
Non, je ne dors pas.
Kyõka
Tu peux venir ?
Yoru
J'arrive.
Kyõka
Prends ta couette :)
Elle posa son téléphone, et quelques minutes plus tard, la porte de sa chambre s'ouvrit, dans un fracas épouvantable, ce qui la fit sursauter.
Un rire lui échappa, lorsqu'elle vit Yoru, enroulé dans sa couette qui traînait derrière lui, et qui tentait de se frayer un chemin à travers la porte étroite.
- Purée, il y a trop d'obstacles, sur mon chemin. J'ai l'impression d'être le prince qui vient sauver la princesse, marmonna-t-il, en lâchant une injure de plus.
Kyõka rit de nouveau, quand elle l'entendit s'écraser au sol, dans une parole étouffée, avant d'insulter de nouveau sa couette.
Quand il fut levé, il s'affala sur le lit de son amie, et souffla un bon coup. Ce trajet l'avait définitivement épuisé.
Kyõka, quant à elle, n'osait pas dire quelque chose. Elle se retenait de rire, du mieux qu'elle le pouvait, et se tourna du côté opposé à Yoru, soudainement gênée. Et c'était vrai : elle n'avait jamais dormi avec un autre garçon que son ancien copain. Même pas avec ses amis. Et pourtant, c'était Yoru.
Yoru, le garçon qui l'avait trouvée dans la rue, en pleine nuit, regardant les étoiles.
Le garçon qui l'avait accompagnée chaque nuit, chez elle. Qui savait observer le ciel.
Le garçon qu'elle ne considérait ni comme un ami, ni comme une connaissance.
Non, c'était bien plus que cela.
Et elle avait honte de penser à cela. Elle avait l'impression de tromper Daisuke, alors qu'ils ne se fréquentaient plus. Pourquoi pensait-elle à cela, alors qu'elle était dans le même lit que Yoru ?
Doucement, elle sentait deux bras s'enrouler autour de sa taille, et un torse se coller contre son dos. Elle n'avait pas remarqué que Yoru était simplement vêtu d'un short.
Le cœur de Kyõka se mit à accélérer ses battements. Elle savait très bien pourquoi elle réagissait comme cela.
Elle voulu s'écarter, mais les bras de Yoru se resserrèrent autour d'elle. Elle se sentait bien ici, et elle fini par se retourner. Les yeux de Yoru l'attiraient tellement.
- On avait dit chacun sa couette, chuchota-t-elle, un vague sourire effleurant ses lèvres.
- Bonne nuit, Kyõka, lui répondit-il, et il enfouit son visage dans le cou de la jeune femme, qui eut brusquement chaud, lorsque le souffle de Yoru se fondit dans son cou.
Elle glissa un bras sur la hanche de son ami, posa l'autre entre leur deux corps -enfin, l'espace qu'il en restait-, et elle sentit la chaleur qui émanait de leurs poitrines.
Une sonnerie de téléphone retentit dans la petite chambre, brisant l'instant d'intimité qui s'était jusque-là formé.
Yoru se détacha d'elle, et sa main rencontra le téléphone de Kyõka, posé sur la table de nuit. Il la regarda, pour lui demander son autorisation, et, elle hocha la tête.
La jeune femme vit les yeux de Yoru s'agrandir, au fur et à mesure qu'il lisait le message, et elle hésitait à lui arracher son téléphone de ses mains. Yoru plaqua une main sur sa bouche. Il était choqué. Il n'arrivait pas à le croire.
Cette fois-ci, elle n'eut aucune hésitation, et le téléphone prit place au creux de sa paume. Elle parcourut les lignes des yeux, deux fois. Puis trois. Et quatre. Dix. Quinze.
Le téléphone n'était plus dans sa main. Le jeune homme le lui avait repris, et l'avait déposé sur l'endroit où il était à l'origine.
- Kyõka... murmura-t-il, et il la prit dans ses bras.
Elle ne le repoussa pas. Elle n'en avait pas la force. Tout ce qu'elle voulait faire, c'était pleurer, s'éloigner du reste du monde. Mourir avec les étoiles. Pleurer. Noyer sa douleur.
Yoru lui parlait. Elle ne savait pas ce qu'il lui disait. Elle n'entendait pas.
Sa mère était morte. Elle était morte, sans que Kyõka n'ait pu lui dire au revoir. Elle était morte, alors qu'elles s'étaient quittées sur une querelle insignifiante. Kyõka ne se le pardonnerait jamais. Jamais. Elle n'avait pas le droit de faire souffrir les autres comme cela.
- C'est de ma faute... souffla-t-elle, entre deux sanglots, contre son torse nu.
Il sentait les larmes de la jeune femme couler sur son buste, et cela le rendit triste. Il ne voulait que son bonheur, il ne supportait pas de la voir pleurer.
Ses mains faisant des arcs de cercles dans son dos, Kyõka laissait échapper sa douleur, de ne pas avoir été là pour sa mère. Puis, elle se calma, et se demanda ce qu'elle aurait pu faire de plus.
- Viens, lui dit Yoru, alors qu'elle s'était éloignée de lui, pour se moucher.
Elle secoua la tête de droite à gauche, lui répondant négativement.
- Yoru, je... tu peux rentrer, si tu le souhaites, lui lança-t-elle, en tentant de camoufler sa tristesse par un sourire forcé.
Il la regarda comme si elle avait dit quelque chose de mal, ahuri qu'elle ai pu lui proposer cela.
- Tu as vraiment pensé une seule seconde que j'allais te laisser seule dans cet état ? Tu pourrais faire une bêtise... souffla-t-il, non, je ne te laisserai pas.
Elle lui en était tellement reconnaissante, qu'elle s'effondra contre lui, presque vidée de toute sa joie d'être à ses côtés.
- Allez, il est l'heure de dormir, maintenant. Tu vas être fatiguée, demain, lui dit Yoru, alors qu'elle se calmait petit à petit.
Elle acquiesça, et retourna se coucher, puis Yoru s'affalait de l'autre côté du lit. De nouveau, l'espace entre eux, avait pris forme. Et ce fut encore Yoru qui le réduit.
Le jeune homme se colla contre le dos de Kyõka, et entoura sa fine taille de ses bras musclés.
- N'y pense pas trop, lui murmura-t-il, avant de lui souhaiter une nouvelle fois, une bonne nuit.
Et pourtant, elle essayait de l'écouter, mais elle n'y arrivait pas. Elle écoutait le cœur de Yoru, battre contre son dos. Elle voulait trouver une meilleure position, pour dormir, se retourner, encore et encore, mais elle n'osait pas le réveiller. Il semblait dormir profondément.
Alors, elle souleva délicatement le bras du jeune homme, qui reposait contre sa hanche, et le posa sur le lit, tandis qu'elle s'éclipsait de la pièce.
Kyõka s'asseyait sur une chaise dans la cuisine, et se prit la tête entre les mains. Pourquoi sa mère l'avait-elle quitté ? Pourquoi ?
Elle prépara un thé, pour tenter de bien finir sa nuit, même si elle savait qu'elle n'y arriverait pas. Les pensées se bousculaient dans son esprit. Elle secoua la tête, essayant de chasser toutes les images qui se superposaient dans cette dernière.
- Kyõka ? Qu'est-ce que tu fais... murmura Yoru, la voix légèrement enrouée par le sommeil, en s'approchant d'elle.
Elle leva brusquement la tête vers lui. Il la prit contre elle. Il savait qu'elle avait besoin de lui. Il savait aussi qu'il avait besoin d'elle.
Kyõka le repoussa doucement, de ses deux mains sur son torse, mais Yoru la devança :
- Laisse, j'y vais.
Yoru se rendit dans la cuisine, et éteignit la théière, mais involontairement, il toucha le verre de ses doigts, qui rougirent presque immédiatement, lorsqu'il lâcha un petit cri de douleur.
Cela faisait plusieurs fois que ça lui arrivait, ces derniers temps.
- Tu es inconscient ou quoi ? Fais attention, et arrête de te brûler, ça devient une habitude, chez toi, souffla Kyõka, en lui prenant la main, et en la passant sous un jet d'eau froide.
Il se contenta d'hausser les épaules, et la jeune femme le pinça au niveau de la hanche.
- Va t'asseoir. J'amène le thé, lui dit-elle, en le poussant vers la salle à manger.
Elle le rejoignit, peu de temps après, et se mit en face de lui.
- Bon, lâcha-t-elle, quand elle eut fini de verser le thé dans les tasses. Tu me racontes c'est quoi ton fichu problème ?
Yoru ouvrit grand les yeux de stupeur. Quel problème ? Si c'était celui qu'il avait en tête, il ne pouvait pas lui dire. Et comment aurait-elle pu s'en apercevoir ?
- C'est-à-dire ? lui demanda-t-il, alors, préférant nier la vérité.
- Tu ne sais pas mentir, Yoru. J'ai bien remarqué, que tu ne savais pas ce que ça voulait dire de se brûler, je doute que tu saches seulement ce qu'est la douleur. Alors, tu es quoi ? Tu n'es pas humain ? demande-t-elle, mi-curieuse, mi peureuse.
- Je suis parfaitement humain, Kyõka, murmure-t-il, en espérant qu'elle n'insiste pas.
- Alors... pourquoi tu es comme ça ?
Elle ne comprenait pas elle-même, comment aurait-elle pu lui expliquer ce qu'elle ressentait ?
Et, sans qu'il ne sache comment, ou pourquoi, il lui lança, doucement, comme s'il avait peur de la blesser :
- Avant... j'étais un esprit.
Il plaqua la main devant sa bouche. Venait-il vraiment de lui dire cela ? De lui avouer son plus grand secret ? Non, il avait dû rêver.
Et pourtant, quand il vit son amie écarquiller les yeux, il sut qu'il l'avait dit à voix haute, qu'il n'avait rien imaginé.
- Tu... tu... comment tu as fait, pour devenir humain ?
Ce fut la première question qu'elle lui posa. Elle ne semblait pas effrayé, et bien au contraire, elle semblait curieuse de savoir ce qu'il lui était arrivé.
Yoru hésitait. Devait-il lui dire la vérité ? Mais il serait incapable de lui mentir.
- Je ne peux pas t'en parler, dit-il, en baissant les yeux au sol.
Lorqu'il leva les yeux vers les siens, il s'aperçut qu'il l'avait blessée.
- Je croyais que les amis se disaient tout, chuchota-t-elle. J'ai sûrement dû me tromper.
- Kyõka... je ne suis pas sûr que tu es prête à entendre la vérité, et encore moins maintenant, lâcha-t-il.
- Tu peux tout me dire. Peu importe ce que c'est, tu le sais, ce ne sera pas pour autant que nous nous quitterons, sourit-elle, légèrement, voulant l'inciter à lui dire la vérité, à remplir la pièce manquante, du tableau "Yoru".
- D'accord... il souffla un bon coup, et lui raconta tout : sa vie d'avant, la solitude, le fait qu'il était invisible. Il évita la partie où il passait tout son temps à la regarder. Il lui avoua aussi son prénom d'esprit : Akiho, et ensuite, il pu lui expliquer comment il avait fait pour faire parti de la communauté des humains.
Alors qu'il voyait son visage ouvert, et compréhensif, il vit ce dernier changer d'expression, et elle recula doucement.
- Tu... tu as volé la vie d'un homme ! s'exclama-t-elle, cette fois-ci, vraiment surprise.
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