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Interlude ¹ 🎬

« Louder than bombs, I break. » Louder than bombs - BTS

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Est-ce que j'aime le bruit ?

D'une manière, je le déteste, parce qu'il est tout ce qui m'a mené jusqu'ici. Mais d'une autre, je ne peux m'empêcher de l'aimer, parce qu'il a grandi avec moi. Comment détester un ami d'aussi longue date ? Un ami qui était le seul à nos côtés pendant longtemps ?

Trop longtemps.

À l'intérieur...

Je m'éteignais.

***

"Tu as bien pris ton sac ?"

Je hoche la tête vivement, désigne le sac sur mon dos, à l'effigie d'un petit chiot.

"Je l'ai !"

Mes yeux se lèvent pour observer cette figure que je ne me lasse pas de contempler. Quand je serai grand, je voudrais être comme lui ! Et je voudrais aussi voyager dans l'espace... ou alors aller tout au fond des océans ! Ma maman m'a raconté qu'on pouvait faire ça, ça s'appelle de la plongée.

"Alors en route, soldat !"

Je souris largement.

Je me tourne, et j'ai juste le temps de voir la tête de mon grand frère, Junghyun, dépasser d'une porte entrouverte. En voyant que je l'ai vu, il s'échappe en courant. Je me mords la lèvre. Je sais qu'il est un peu jaloux de mes sorties avec papa... Il me le dit quand on joue ensemble aux astronautes.

Mais je retrouve vite mon sourire. Comme toujours. Je saute sur le siège passager de la voiture. Papa me laisse m'assoir sans le truc qui fait que je suis en hauteur, mais il me dit de ne pas le répéter, sinon ça ferait enrager maman. Il imite la réaction qu'elle aurait, et ça me fait rire.

Je rigole beaucoup avec papa.

"On va voir quoi ?" je m'agite.

"La lune. Elle sera pleine, ce soir."

Je jette un coup d'oeil aux sièges arrières, sur lesquels repose le télescope de papa. Je croise mes bras contre mon torse.

"Je préfère les étoiles et les planètes."

Il m'ébouriffe les cheveux.

"Tu verras que la lune est belle aussi."

"D'accord... D'ailleurs à l'école jeudi on a travaillé sur l'espace ! On a vu les planètes. Je connaissais déjà tout, et la maîtresse était impressionnée. Je levais tout le temps la main. J'ai appris que y avait plus de millions de kilomètres entre chaque planète, mais c'est énorme, comment c'est possible, hein ? Et apparemment il y a des étoiles qui sont encore plus loin que des millions de kilomètres. C'est tellement grand ! À la récréation je voulais en parler avec mes copains mais eux ils voulaient faire un chat perché. Du coup j'ai joué au chat perché. Bon, c'était rigolo aussi. Sauf que Chen est tombé et il s'est fait mal, il a carrément dû allé à l'hôpital ! Il avait un plâtre vendredi, et on a tous écrit quelque chose dessus. J'ai dessiné des étoiles. Heureusement il va l'enlever dans trois semaines, j'aimerais pas être à sa place. Il est obligé de s'installer sur un banc quand on joue à chat ! Et on-"

"Tu t'arrêtes jamais, hein ?" me lance papa, avec amusement.

"Hein ?"

"De parler. Tu t'arrêtes jamais."

Je reste silencieux. On me le dit souvent. Mais j'adore ça, j'adore entendre ma voix sortir d'entre mes lèvres. J'adore raconter un tas d'histoires. Peut-être même que je préfère ça aux étoiles.

"Ça existe un métier où on parle ? Moi je veux faire ça toute ma vie !"

Papa rit.

"T'en as de ces idées ! Le plus important pour l'instant, c'est d'avoir des bonnes notes à l'école, ma petite étoile."

Je laisse mon regard filtrer la fenêtre, soucieux. Il faudra que je regarde sur internet si ça existe. Je demanderai à maman d'aller sur l'ordinateur en rentrant si elle ne dort pas.

Nous arrivons au bord de la grande plaine. C'est là où on va toujours. C'est en dehors de Gwangju, dans l'espace montagneux autour de la ville. Il y a une gigantesque plaine, on va au milieu, et on pose le télescope. Papa dit que c'est pour pas être dérangé par les lumières de la ville. Il installe le matériel et, du haut de mes huit ans, je l'aide, habitué.

Nous pointons le télescope vers l'objet qui nous intéresse ce soir ; la lune.

La nuit est tombée, et elle brille tant dans le ciel qu'elle en efface presque la présence des autres objets célestes, plus grands mais pourtant plus loin.

J'ai appris que la lune ne brillait pas, qu'elle n'avait jamais brillé. En réalité, elle s'appuie sur la lumière du soleil pour le faire. Elle copie-colle la lumière d'un autre pour s'éclairer. Papa me dit souvent que je suis une étoile, mais en réalité, c'est lui mon étoile. Et moi, je suis certain de n'être que la lune qui reflète son éclat.

Il s'occupe du grossissement. Ça, je ne sais pas encore faire, mais il m'a promis de m'apprendre quand je serai plus grand.

Je ne grandis pas assez vite à mon goût.

Je voudrais tout maintenant. Ma maîtresse dit que je suis rêveur. Je n'arrive jamais à savoir si c'est positif ou non. J'ai appris le mot ambitieux il y a pas longtemps. Moi, je dirais plutôt que je suis ambitieux.

"Viens voir ça." m'appelle papa.

Je place mon oeil face à l'oculaire. J'en reste bouche bée. Je n'ai jamais vu la lune d'aussi près. Elle est si nette que ça me fait sourire. Il y a plein de petits trous partout.

"Elle est blessée ?" je demande.

"Ce sont des cratères." m'informe papa.

Je l'écoute attentivement, les oreilles grandes ouvertes.

"Ça vient de l'impact de météorites et d'astéroides. Rassure toi, la lune n'a pas mal."

Je la contemple encore un long moment, captivé. Puis je m'éloigne, pour le laisser voir aussi.

Nous restons au moins une heure entière. Le temps passe, et nous observons aussi Jupiter, visible ce soir. C'est une de mes préférées. Quand j'en ai marre, je préfère observer les étoiles à même le sol. Ce sont elles qui m'intéressent le plus.

Parce qu'elles sont loin.

Si loin...

C'est grand.

Si grand...

Je suis bien, là, allongé dans l'herbe. Mais il se fait tard, et la fatigue rend mes paupières lourdes. Papa me tend sa main, je la prends. Même si c'est le week-end, je n'ai pas le droit de me coucher très très tard comme les grands.

"Allez ma petite étoile, on rentre."

Je me relève en m'appuyant sur lui. Mes yeux se ferment tout seuls. Papa me prend dans ses bras, et je m'endors doucement contre son épaule, sous le ballotement de ses pas qui nous ramènent à la voiture.

Le lendemain matin, je suis dans mes draps, couvert jusqu'au cou, mon doudou préféré au creux de mes doigts.

***

Je suis à mon bureau. Je tente de rédiger un devoir. Ma rentrée au collège n'a pas été aussi catastrophique que je le pensais. Par contre, il y a beaucoup plus de travail.

Je tente de me concentrer, mais j'ai du mal.

Papa vient de m'appeler sur le téléphone fixe. Il était furieux.

"Taehyung ! Tu devais récupérer Lisa à la sortie de l'école ce soir ! Comment ça se fait que je reçoive un appel de l'école qui me dit que ça fait quarante cinq minutes qu'elle attend dehors, dans le froid, que tu viennes ?! Tu te rends compte ?"

Je plisse les yeux pour faire taire cette pointe au fond de mon coeur.

Je déteste le décevoir.

Mais c'est de ma faute. J'ai complètement oublié. Je n'aurais pas dû oublier, je n'aurais vraiment pas dû, je sais même pas comment j'ai fais ! Mais j'ai oublié.

Je voudrais remonter le temps pour m'en souvenir, et ne pas le décevoir. Et Lisa, qui a attendu que j'arrive aussi longtemps, dans le froid... J'ai mal au coeur. C'est une sorte d'angoisse qui pique.

Je déteste vraiment le décevoir.

Je me déteste d'avoir oublié.

Je me déteste tellement.

J'entends la porte d'en bas s'ouvrir. Mes doigts se serrent autour de mon crayon. Je n'arrive pas à entendre ce qui se dit. Mais je sens les vibrations de pas, fâchés, qui montent les escaliers à une vitesse impressionante. Trois coups à ma porte me font sursauter.

"Taehyung !"

"Oui ?"

La porte s'ouvre. Je me retourne pour l'affronter. Je contemple ce que je redoutais le plus ; la déception dans son regard.

Il est tellement déçu.

Je me déteste.

"Je te l'ai rappelé hier, putain ! Je t'ai dit d'aller la chercher parce que je resterais plus tard au travail ! Est-ce que tu te rends compte de ta bêtise ?"

"J'ai juste oublié !" je me défends. "Je suis désolé, je sais vraiment pas comment j'ai fais pour pas m'en souvenir !"

Les disputes entre nous ne sont pas nouvelles, même si je les déteste. Papa est très gentil, il m'emmène tout le temps faire plein de choses, dont les sorties à la chasse aux planètes le samedi, et il m'appelle son étoile. Mais parfois, quand il est déçu, il élève la voix, et je me sens obligé de hurler en retour. Le lendemain, c'est toujours clôt, et il me sourit de nouveau. Parfois, il faut plusieurs jours, mais c'est plus rare.

"Qu'est-ce que tu faisais pendant ce temps, hein ?!"

"Je révisais le théâtre." je réponds. "Mais je suis desolé, je me rappelais vraiment pas !"

Cette année, j'ai commencé à faire du théâtre sur le temps du midi. Mon collège organise ça, et j'aime vraiment beaucoup. J'ai toujours aimé m'exprimer, parler, alors c'est l'occasion parfaite pour le faire. Jouer un rôle ne m'a jamais fait autant vibrer.

Papa s'approche à grands pas. Mes feuilles de répliques finissent entre ses mains. Du coin de l'oeil, je peux voir maman qui observe la scène à la porte, les traits durs.

"Je te confisque ça pour plusieurs jours, ça te monte complètement à la tête !"

"Ce n'est pas à cause de ça !" je crie à mon tour. "J'ai dit que j'avais juste oublié !"

"Plus le temps avance, et plus tu me déçois, Taehyung. Tu ferais mieux de faire profil bas."

Pas de mon étoile, aujourd'hui. Seulement mon prénom, aussi fade que ma gorge qui s'assèche sous le poids de ses mots.

Ne pars pas ! Je veux hurler. Je suis désolé, tellement désolé, ne pars pas.

Mais il sort.

J'entends ma mère au loin.

"Ne sois pas trop dur avec lui, ça arrive à tout le monde d'oublier."

Je cours fermer ma porte, puis reviens m'assoir à mon bureau. Une larme s'échappe et s'écrase contre mon cahier ouvert, éventré d'exercices qui deviennent flous. Aussi éventré que ma propre culpabilité qui me ronge.

Plus je grandis, plus je fais des choix, plus je fais les choses de travers, et plus j'ai l'impression de le décevoir.

Je grandis bien trop vite à mon goût.

***

"Papa !!" je m'exclame en me jetant dans ses bras.

Il me réceptionne, dépose un bisou sur mon front. Je lâche ma valise. Il la prend à ma place, me délarguant du poids trop lourd pour moi.

"Comment s'est passé ton voyage scolaire, ma petite étoile ?" me demande t-il.

"Je ne suis plus petit." je me plains, mais je plonge dans mon récit, radieux. "C'était trop bien ! On a fait du catamaran, du paddle, et on est même montés sur un voilier. Le meilleur c'était la chambre avec les copains, on a pas arrêté de rire, c'était trop cool."

Je ne mentionne pas le souvenir de ce baiser avec l'un de mes camarades de classe, dans le noir de la chambre, pendant que tous les autres dormaient. Ce souvenir me perturbe, je ne sais pas comment c'est arrivé. On était juste là, à discuter parce qu'on était trop excités du voyage pour réussir à s'endormir, et... et je ne sais pas ce qui nous a pris, mais on s'est embrassés. Ça a duré à peine une seconde, et je l'ai évité le lendemain. Je m'en veux un peu. Mais lui non plus n'avait pas l'air de vouloir en reparler.

La plupart de mes amis du collège ne parlent que de sortir avec des filles. À chaque fois, j'écoute distraitement, sans comprendre leur engouement.

"Je suis content pour toi. Un goûté à la boulangerie, pour fêter ton retour, ça te dit ?"

"Oui !"

J'oublie vite ce souvenir.

Je prends un éclair au café, ma pâtisserie préférée. Pendant que nous faisons la queue, mon oeil est attiré par de petites affiches à côté de la caisse. Il y en a une qui capte mon attention, sur laquelle est représenté un grand rideau rouge. En dessous y est inscrit quelques mots que je lis.

Recherche de trois acteurs, entre 10 et 15 ans, pour la troupe comédienne Hallyu Drama.

Je fronce les sourcils, lis le reste des informations -un lieu d'audition, des détails sur le physique à avoir-, et déchiffre le numéro de téléphone en dessous. Je ne peux pas demander à mon père d'inscrire le numéro ou de le prendre en photo : papa n'aime pas trop l'idée que je fasse du théâtre...

Alors rapidement, j'essaie de retenir les chiffres dans ma tête. Je les répète en boucle, avec la peur bleue de les oublier. Papa passe enfin en caisse, et paye. Je ferme les yeux et récite les numéros dans ma tête.

C'est bon, je les ai intégrés. Au théatre, j'ai l'habitude de retenir des répliques qui sont bien plus longues, alors ce n'est pas bien compliqué.

Sur le chemin jusqu'à la maison, je pense aux chiffres à répétition, encore et encore. Arrivé, je les écris dans mon petit calepin, sur lequel je note toutes mes idées.

Mon coeur bat à tout rompre.

Est-ce normal que mon coeur vibre autant à chaque fois que le théâtre est mentionné ? L'astronomie ne m'intéresse plus autant qu'avant. Est-ce normal de me plonger dans des pièces contemporaines à en perdre la tête, alors même que mon père me répète que ce n'est pas une activité digne de ce nom ?

Il a peut-être raison.

Mais je vibre...

Je vibre dès que je monte sur une scène, et je n'arrive pas à l'ignorer.

***

"C'est insensé, vous êtes bien trop jeune. Vous ne vous rendez pas encore compte de la responsabilité que cela engage."

Le directeur me fait face dans son bureau. Son demi-refus m'atteint, mais j'ai de l'ambition. Je sais que je vais réussir à le faire changer d'avis.

On peut tout faire des mots lorsqu'on les maîtrise. C'est le théâtre qui me l'a appris. Je ne me remercierais jamais assez d'avoir appelé cette troupe de théâtre ce soir là. J'ai décroché un entretien, dans lequel ils m'ont demandé de jouer une scène de la pièce qu'ils montaient. C'est ma mère qui a bien voulu m'accompagner après de longues négociations, parce qu'il me fallait l'autorisation d'un parent.

Mon père n'est pas venu. Il a été distant pendant un bon moment à la maison. L'éloignement créait un trou béant en moi, mais j'essayais de l'ignorer.

Tant est-il que j'ai été retenu.

Il fallait voir la tête de mon père, lorsqu'il a décroché le téléphone de la maison un soir, et qu'on lui a dit à l'autre bout du fil que j'étais pris pour jouer dans une des troupes de théâtre les plus en vogue de Corée, qui s'était créée il y a peu au coeur de Gwangju.

Je bouillonnais de joie, même si la déception dans les yeux de mon père m'a déchiré le coeur. Mais je savais jouer, maintenant, et je savais cacher tout ça. Même lorsqu'il a haussé le ton, que sa voix forte a recouvert tout mon bonheur pour le briser en petits morceaux éparses, j'ai gardé la tête haute.

"Putain, y a pas intérêt à ce que ça empiète sur tes cours !"

Ça le faisait. Je quittais le collège deux heures plus tôt le vendredi pour des répétitions. Mais c'etait une chance inespérée, je ne l'aurais jamais laissée passer.

Je me souviens encore de ce jour, de ses pas, lourds, vers moi, bouillants, et de ma mère qui le retient. Je me souviens aussi de mes frères et de ma soeur. Ils dévisageaient la scène. J'étais souvent le petit préféré de mon père, alors dès que je faisais une connerie, je voyais bien qu'au fond, ça les arrangeait qu'il s'énerve contre moi. Plus le temps avançait, et plus ils étaient distants, me mettant de côté dans leurs jeux et leurs activités.

Pas Seokjin, mon frère le plus âgé. Seokjin est venu dormir avec moi cette nuit là. Il a séché mes larmes. Il est le seul à avoir su qu'elles allaient apparaître.

Le seul à avoir su déchiffrer mon jeu.

Jouer. Voilà tout ce que j'étais. Et tout ce que je savais faire. Revêtir un rôle.

Le proviseur n'allait pas y échapper non plus.

"Personne ne sera obligé de se rendre à mon cours, ce sera précisé que c'est un élève comme moi qui le supervise, alors ceux qui viendront, viendront pour ce que ça vaut, et ce sera gagnant-gagnant. Il manque d'un professeur de théâtre pour l'option, alors même que ce lycée est réputé pour sa salle remarquable ! Imaginez un peu comme les élèves et parents d'élèves sont déçus."

Je reprends ma respiration.

Prendre son temps pour s'exprimer.

Le souffle, une des variables les plus importantes face au public. Je mesure ma parole, la forge de rythme et de fluidité pour en imprégner ma hardiesse de convaincre.

"Je peux le faire, je ne vous décevrai pas. J'ai déjà travaillé avec plusieurs compagnies. J'ai joué avec la troupe Hallyu Drama pour leur tournée sur la réadaptation du journal d'Anne Frank, je suis certain que vous en avez entendu parler. Je sais à quoi ressemble des cours de théâtre. Je sais comment on supervise une pièce. Je sais gérer la logistique. Je ne demande pas à être payé, je le fais simplement par passion. Des élèves sont venus dans ce lycée dans l'espoir de faire du théâtre, dont moi, et je ne veux pas laisser passer cette chance. Et donner des cours est ce à quoi j'aspire. Faites moi confiance."

Le proviseur me dévisage avec méfiance. Cependant, plus mes mots coulent, et plus la déstabilisation se peint sur son visage.

"On trouvera bien un remplaçant dans peu de temps. Peut-être pour l'année prochaine. Malgré la salle que nous avons, de nos jours, très peu d'élèves s'inscrivent chaque année, alors ce n'est pas notre priorité... Je perçois votre détermination, Taehyung, mais je serais fou d'accepter, vous comprenez ?"

"Mais cette année, il n'y a personne." je clame, patient. "Si vous n'acceptez pas, ce n'est pas si grave. Je ferai des cours de théâtre clandestinement, mais le manque de matériel et de soutien par les équipes éducatives se fera sentir."

J'assume mes propos au point de ne pas le lâcher des yeux, déterminé, le dos droit, sérieux. Le proviseur me dévisage, surpris, puis se met à rire.

"Vous n'êtes pas banal, vous. Puis-je vraiment vous faire confiance ? Qu'est-ce qui me dit que vous seriez qualifié pour le faire ?"

Je sors mon téléphone de ma poche pour chercher une vidéo en particulier. Il a forcément eu vent de cette pièce, audacieuse dans sa représentation de l'histoire de la jeune fille juive durant la seconde Guerre mondiale. Peut-on vraiment en représenter la réalité tragique ? Mais ça m'étonnerait qu'il soit allé la voir, ni même qu'il s'y soit intéressé.

Très bien, alors je vais lui montrer.

Je clique sur le bouton play, et lui tends mon téléphone. Dubitatif, il me le prend des mains, et baisse les yeux. Le son de ma propre voix, envahissant la pièce, ne me fait pas ciller. Je suis habitué à m'entendre.

Peut-être un peu trop.

Le proviseur me contemple sur scène, il y a quelques années, jouant le rôle de Peter van Daan, adolescent ayant entretenu une relation amicale et fusionnelle avec Anne.

Une fois l'extrait terminé, il met un temps avant de relever la tête. Quelque chose a changé dans l'atmosphère ambiante.

"C'est mon expérience. De la théorie à la pratique, je m'y connais. Je n'ai pas le niveau d'un professeur expérimenté, mais c'est mieux que pas de professeur du tout."

"Bon écoute Taehyung... Si j'entends une seule plainte venant de n'importe qui, plus de cours, c'est compris ?"

Je récupère mon téléphone, sans pouvoir cacher mon sourire grandissant.

"Alors vous acceptez ?"

Mes doigts se mettent à trembler autour de l'appareil que je serre de mes deux mains.

Un simple hochement de tête.

"Tu comprends que ça ne peut pas se faire comme ça, en un claquement de doigts. Je vais fixer un rendez vous pour voir comment on s'organise avec toi et le lycée, si tu es d'accord."

Je m'incline, le dos courbé.

"Merci, monsieur."

"Qu'est-ce que je suis en train d'accepter..." soupire t-il dans sa barbe.

"Ne vous faites aucun soucis..." je continue, ignorant sa remarque.

Je plonge mon regard dans le sien. Je ne suis pas du genre à faire les choses à moitié, et je veux qu'il le sache. Alors je prononce ces derniers mots avant de qu'il ne puisse me congédier.

"...j'y mettrai toute mon âme."

***

Mon dos s'appuie contre le mur de la salle de classe. Les clefs tintent contre les bagues à mes doigts. Je joue avec distraitement, tandis que mon autre main s'enfonce dans ma poche. Je ne suis pas censé ouvrir des salles de classe lorsque je n'en ai pas besoin. Si le proviseur l'apprenait, il me retirerait mes fonctions dans la minute. Mais voilà ; il ne le sait pas.

Le seul qui sait, c'est celui qui ouvre enfin la porte.

Immédiatement, nos yeux se rejoignent.

Aucuns mots.

Il ferme derrière lui, et se jette sur mes lèvres. Je pose les clefs sur la table à mes côtés en soupirant pour saisir ses hanches. Dans le mouvement, pressé, mon dos s'est collé au mur, mais je reprends rapidement le dessus en inversant nos positions. Je n'aime pas tant perdre le contrôle.

Je n'aime pas tant perdre tout court.

On s'embrasse longuement, langoureusement. Je m'appuie contre lui, le dévore. Je n'ai jamais vécu ça auparavant. Je me doutais déjà que je préférais les garçons, mais là, c'est au dessus de tout. Ce mec est absolument retournant. Sa langue, expérimentant la nouveauté avec la mienne, me fait serrer mes doigts contre ses côtes.

Il s'éloigne.

"Taehyung." prononce t-il.

Je le regarde, essoufflé par notre précédent baiser.

"Su-ho ?" je réponds avec un sourire.

Il fixe mes lèvres, et nous sommes attirés une fois de plus l'un à l'autre, inévitablement. Je tente des caresses sous son pull, alors que ses propres mains s'aventurent dans ma nuque et mon dos.

J'ai rencontré Su-ho au théâtre. Il est l'un des premiers à s'être inscrit pour suivre mon cours. Au début, quand l'annonce est passé sur le site du lycée, tout le monde était dubitatif, mais quelques élèves ont fini par me rejoindre. Et depuis, le bruit court. De plus en plus de gens me disent vouloir s'inscrire l'année prochaine. J'ai commencé à publier des vidéos et informations sur instagram. Le nombre d'abonnés augmente, c'est impressionnant. Certains se rappellent de moi, du temps où je jouais avec Hallyu Drama. Je ne pensais pas avoir autant marqué les gens avec mon rôle dans cette pièce.

Su-ho a donc été mon premier élève, et mon premier ami dans ce lycée. Avant que Jimin et Hoseok ne débarquent à mon cours également. Lors d'une soirée arrosée, ça a un peu dérapé... C'était la première fois que je buvais. Je ne m'attendais pas à ce que ça me fasse autant d'effet. Et je sentais le regard de Su-ho sur moi sans cesse. On a fini par s'embrasser au détour d'un couloir, cachés du reste.

Depuis, on se retrouve souvent en secret, rien que pour s'embrasser. Les sensations que ça me procure sont enivrantes. Mais c'est plus de l'expérimentation qu'autre chose. À chaque rencontre, une nouvelle manière de faire danser nos lèvres s'impose. On apprend, on se découvre, et j'ai un peu envie de l'aimer, au fond. De vivre le grand amour que tout le monde espère secrètement.

Mais voilà, ça ne vient pas.

Je ne peux pas le voir autrement qu'un ami.

***

"T'as entendu parler de ce qu'il se passe en ce moment ?"

Je relève la tête de mon calepin, sur lequel j'écris à toute vitesse les idées qui me viennent pour la pièce de fin d'année. J'ai opté pour un classique, du Marivaux. Je vais en faire une revisitation. Je ne me vois pas faire quelque chose sans y ajouter ma touche personnelle. J'espère juste que le proviseur ne sera pas trop en rage. Cette pensée me fait sourire.

"De quoi ?" je demande à Jimin.

"Sur insta, apparemment, il y a un compte qui a été fait, une sorte de jeu sur un élève de notre année. Tout le monde en parle."

"Un jeu ?" je fais, distraitement.

Mon crayon court sur le papier. Comment faire pour attirer des lycéens aller voir une pièce de théâtre...

Moderniser un classique, ce serait possible ?

"Oui, le compte s'appelle kooktalk, et le jeu est de faire parler le plus possible l'élève. Ça va beaucoup trop loin..."

"Hm." j'acquiesce.

Je gratte, gratte, gratte ma feuille, qui se remplit d'encre au fil de mes pensées et du trop plein de mots qui filent dans ma tête.

"Eh, Taetae, tu m'écoutes ?"

Je relève de nouveau la tête. Jimin me fixe, désabusé. Puis son regard dévie sur un point derrière moi, et ses yeux s'écarquillent.

"Sois discret, mais c'est lui, derrière toi."

"Lui de quoi ?" je fais, en me retournant lassement.

Je suis la direction du doigt de Jimin, et mes yeux tombent sur une silhouette, voûtée, qui traverse la cour du lycée. La lanière de son sac sur une épaule, les iris plongées au sol, des cheveux bruns barrant l'expression de son visage, il avance tel un automate, un pas devant l'autre.

"Lui du jeu...!" s'exaspère Jimin. "Les gens ne savent plus quoi inventer, il a l'air gentil comme tout, ça me brise le coeur."

Je l'écoute d'une oreille. Pas que ce qu'il me dit ne m'intéresse pas. Mais mon attention est soudain scotchée à ce garçon qui trace sa route.

Et c'est étrange.

Je plisse les yeux.

Il est là. Il est bien là, il marche. Et pourtant, c'est comme s'il pouvait disparaître. Sa façon de se déplacer, sans prendre la moindre place, ses pieds foulant le sol dans le silence, me font froncer les sourcils.

Je pensais avoir croisé tout le monde de notre niveau dans ce lycée, car j'aime observer les autres. Je les décrypte, découpe leurs agissements et leurs mots, afin de dresser leur portrait. Analyser le monde se relie à ma passion pour le théâtre, dans laquelle il faut façonner des personnages afin de rendre leurs réactions des plus réalistes.

Et pourtant, lui, je ne l'ai jamais vu, jamais entendu.

Ce qui me perturbe le plus, c'est que je n'arrive pas à le cerner. Habituellement, aucun détail ne m'échappe chez les autres. Parce que les autres hurlent. Parce que les autres sont bruyants. Les autres laissent des indices partout, même sans en prendre conscience, même dans leur démarche.

Mais ce garçon...

Il n'y a que du silence.

***

J'ai invité Su-ho aujourd'hui. On a l'habitude de se retrouver chez l'un et chez l'autre pour se découvrir un peu plus. Il y a même une fois où... il m'a touché, et je l'ai fait en retour. C'était agréable. Bien trop.

Je comprends maintenant pourquoi les filles ne m'ont jamais intéressé autant que pour les autres garçons de mon âge. Je l'ai compris aussi un jour en fouillant sur mon téléphone tard dans la nuit.

Lorsqu'il arrive, nous montons directement en haut. Sans même un mot échangé, ses lèvres rejoignent les miennes et nos mouvements précipités s'écroulent sur le matelas de mon lit. Ça va plus vite que d'habitude. Je peux sentir qu'il a envie de plus. Mon corps s'échauffe à cette pensée.

Notre attraction est purement physique. Jamais des mots comme couple ou petit ami ne nous ont traversé l'esprit. Et les mots, je les connais bien. Je sais ce qu'ils veulent dire et ce qu'ils engagent.

Su-ho est au dessus de moi, mais je n'aime pas ça. Je m'écarte, le regarde dans les yeux. Son souffle est erratique. Je retourne notre position. Il a compris avec le temps, que je détestais ne rien maîtriser. Il l'accepte, réceptif à mes baisers et mes caresses de plus en plus audacieuses.

Mais voilà, nous étions tant dans la précipitation et l'ardeur de la découverte, que je n'ai pas pris en compte un détail important. Un détail que je faisais toujours attention de respecter religieusement : fermer ma porte à clef.

À l'entente d'un cliquetis, je m'éloigne brusquement de Su-ho, le coeur compressé, des sueurs se formant dans ma tête. L'adrénaline de la honte que quelqu'un ait pu nous voir fait sa course dans mon corps. Je lève la tête, et aperçois mon père.

Le sourire auparavant plaqué sur son visage s'évanouit. La déception creuse son regard. Je prévois déjà la suite. Lorsqu'il affiche cet air, c'est qu'il a quelque chose à me reprocher, et que ce n'est jamais très agréable.

Et ça revient.

Ce piquement au coeur. Comme si on allait me lâcher sur le bord de la route, me laisser seul, me répéter à quel point je suis décevant, incapable, pas à la hauteur.

Ça revient.

Ce piquement au coeur. Cette douleur physique dans mes artères. Ma poitrine se gonfle de cette douleur. Je retiens les larmes. J'ai toujours envie de pleurer quand je le déçois.

Je me déteste.

Je n'ai pas le temps d'y réfléchir plus en profondeur, puisque la voix de mon héros s'effondre à mes pieds.

"Taehyung, il va falloir qu'on ait une petite discussion, toi et moi. Su-ho, rentre chez toi."

Ce dernier acquiesce, me jette un coup d'oeil compatissant. Il rassemble ses affaires, et fuit sans demander son reste. Je ne peux pas lui en vouloir. Et pourtant, une part de moi lui crie de rester, de ne pas me laisser solitaire face à lui.

"Je ne sais pas ce que tu me veux papa, mais je n'ai rien fait de mal." je me défends.

"Tu te fous de moi, pas vrai ? Dis moi que c'est une vaste blague !"

"Je comprends pas ! Pourquoi tu t'énerves ?! Qu'est-ce que j'ai fait encore ? J'ai oublié quelque chose ? J'ai mal fait quelque chose ?"

Je ne m'attends pas à cette réponse là.

"Ne fais pas comme si tu ne comprenais pas, Taehyung. Vous faisiez quoi ? Je vous ai vu."

Alors il est énervé parce que j'embrassais Su-ho ? Ça n'a aucun sens. Je suis grand, pourquoi je ne pourrais pas embrasser qui je veux ?

Je me voilais la face, je crois. Parce qu'au fond de moi, je ne pouvais pas concevoir que mon père, mon héros, mon étoile, puisse être aussi mauvais et se faire avoir par des préjugés stupides.

On en parlait jamais dans la famille, de la sexualité. Alors je ne pouvais pas savoir. Non, je ne pouvais pas prévoir tout ce que j'allais devoir entendre et endurer.

"Je n'ai jamais été aussi déçu." s'emporte t-il. "Enfin, Taehyung, qu'est-ce qui te prend ?! Où est passé ce petit garçon qui me rendait fier ? D'abord le théâtre, et maintenant ça ! Ce sont des choses qui ne se font pas, qui ne mènent à rien, qui ne vont que t'enfoncer dans la vie ! Que je ne te revois plus jamais avec lui, c'est compris ?"

"Ça ne changera pas !" je crie. "Tu ne comprends pas ! J'aime le théâtre, et j'ai aimé embrassé Su-ho, qu'est-ce que ça peut faire ?!"

Je n'aurais pas dû dire ça. Je parle trop. Je crie trop.

Parfois, ça fait mal. Et ça me coûte. Les yeux de mon héro se rétrécissent, au point où je commence à sentir le sang dans mes veines s'affoler.

"Taehyung."

Son ton est glacial, dénué d'empathie.

"Que je ne te revois plus jamais avec lui."

Je me fige. Je ne l'ai jamais vu aussi froid. Il me faut un temps avant d'assimiler ses paroles.

Non ! Je veux répondre.

"Oui." je murmure, honteux des pieds à la tête.

Quelque chose cloche chez moi. Quelque chose dérape en moi. Peut-être que si j'avais été plus normal, alors je ne l'aurais jamais déçu. Mais je n'arrive pas à être normal. C'est plus fort que moi, dès que quelque chose me fait vibrer, je plonge dedans. Mais peut-être que les gens se retiennent. Peut-être que les gens savent ce qui est bon ou non et ne cèdent pas à leurs envies.

Peut-être même que tout n'est qu'idylle, et que les gens font semblant d'être heureux avec ce qu'ils considèrent être bon d'être.

C'est vrai, quand j'y pense, je n'ai jamais vu un adulte pleinement heureux.

Et je m'en veux de vouloir l'être.

Mon père finit par se détourner, me laissant seul, moi et mes pensées dévorantes, moi et mes passions anormales, moi et mon attitude décevante, moi et mes préférences dérangeantes. Moi et moi, encore moi.

Je voudrais m'arracher.

Et malgré la haine qui s'instaure au fond de mon coeur, pour éclore à son égard, une part de moi appelle son héro. Une part de moi appelle son étoile, et lui prie de ne jamais m'abandonner, de ne jamais s'éteindre.

De ne jamais cesser de briller.

***

Papa ne m'a plus jamais appelé son étoile depuis ce jour.

Su-ho et moi nous sommes retrouvés à plusieurs reprises. Comme d'habitude, nous avons fini par nous sauter dessus. Je n'allais pas abandonner une sensation aussi exquise parce que mon père m'en interdisait. Et pourtant, chaque fois, un brin de culpabilité pointait. J'ai mis une certaine distance, entre lui et moi. Et il a bien vu, que quelque chose avait changé, dans ma façon de l'aborder.

Puis, sans que je ne comprenne pourquoi, Su-ho a commencé à me vouer une sorte de dégout. Un rejet de lui même, sûrement. Peut-être qu'à lui aussi, on lui a dit la même chose qu'à moi. Alors il a commencé à refuser mes baisers, puis à refuser de me parler. Ça fait plusieurs semaines qu'il n'est pas venu au théâtre, et je compte sur Seokjin pour le remplacer dans son rôle.

Seokjin est le seul à la maison qui comprend ma passion pour le théâtre.

L'éloignement de Su-ho a laissé un trou béant dans mon coeur. J'ai eu l'impression qu'une part de moi se détachait. Peut-être que je l'aimais beaucoup, finalement. Comme un ami de confiance.

Mais ce n'est pas si important. J'ai toujours Jimin, et mes autres amis du théâtre. Non, ce n'est jamais très grave, de toute façon.

Ce n'est jamais très grave, lorsqu'il s'agit de moi.

Mais je ne savais pas.

Que la peine reste de la peine même lorsqu'on se décide à la considérer comme illégitime.

C'est dans ces pensées que je me perds en arrivant au lycée. La seule chose qui me rend heureux, c'est qu'il y a théâtre ce soir. J'ai prévu un exercice d'improvisation. Je sais que Soojin adore ça. Je l'imagine déjà sourire et apporter sa touche d'humour et de sarcasme aux scénettes.

Je m'engage dans les couloirs afin de me rendre à ma classe. Je fixe droit devant moi, mais mon regard dévie inévitablement lorsque j'aperçois une silhouette dans ma vision périphérique.

Et je le vois.

Ce garçon.

Celui qui a avalé le silence.

Je le vois, pourtant, je ne l'entends pas.

Je ne l'ai jamais entendu jusqu'alors, et je me demande pourquoi l'idée de coller une voix à son visage m'étreint autant. Je pourrais aller sur le compte du jeu, et l'écouter dans quelques enregistrements vocaux qui ont été posté contre son gré. Mais je n'en ai jamais eu le courage.

Comme l'impression que ce ne serait pas vraiment l'entendre.

Que ce ne serait qu'une sonorité erronée.

Il est là, assis à l'opposé du couloir, à même le sol, les genoux repliés sur lui, face à une salle de classe. C'est d'abord ses cheveux bruns qui me sautent aux yeux, puis c'est son air défait, comme si on lui avait volé quelque chose. Son regard se fond sur le carrelage, ses doigts triturent son collier d'argent, et ses sourcils se froncent et se défroncent en continue, comme s'il réfléchissait à mille choses en même temps. Ses doigts ne font que tourner et tourner entre la chaîne d'argent, et ça m'énerve tant que je voudrais m'approcher pour l'empêcher de faire ce geste aussi stressant.

Mais à la place, je me détourne, peureux qu'il puisse me surprendre l'observer avec autant d'attention.

Il me perturbe.

Je n'arrive toujours pas à poser des mots sur l'analyse de son portrait.

***

Je déteste être chez moi. Pourtant, autour de moi, je vois Jimin, qui a hâte de rentrer après les cours, je vois Hoseok, qui raconte un million d'histoires avec ses parents. Mais moi, à la maison, il n'y a que du bruit.

Et le bruit, ça perce. Ça fait mal autant que ça conforte.

Le garçon au silence, est-ce qu'il aime rentrer à la maison, lui ?

Mon père ne m'apprécie plus. Je le vois bien, au fond de son regard. Même s'il tente de me porter de l'affection, ce n'est jamais sincère. Nos rendez-vous du samedi, face à la voûte céleste, n'ont pas cessé. Mais ce n'est plus pareil, puisque l'on échange que très peu, et que je me rends bien compte que ces sorties lui prennent de son précieux temps.

Et qu'est-ce que je donnerais tout pour retrouver son sourire fier, ses rides éclatantes au soleil lorsqu'il me faisait tournoyer dans les airs, enfant. Je donnerais tout pour retrouver cet endroit dans lequel j'aimais me blottir.

Comment cela a t-il pu déraper à ce point ?

Ça pèse si fort en moi que j'ai l'impression de porter le poids des étoiles en mon centre. C'est beau, une étoile.

Mais c'est lourd.

Je le déçois. Chaque seconde de ma vie, chaque mouvement de ma part, le répugne. Ce sont des détails qui le dévoilent, mais je ne suis pas aveugle, putain. Ses yeux qui se lèvent au ciel dès que j'entre dans la même pièce que lui, ses bonjour bien trop secs, ses gestes agacés lorsque je m'approche trop, lorsque je m'exprime trop. Son regard dur lorsque je tente de nouer des liens avec mes frères ou ma soeur. Surtout les plus jeunes. On dirait qu'il tente de me souffler, laisse les tranquille, je ne veux pas voir quelqu'un comme toi avec eux.

Et puis, les gestes sont devenus des mots, et alors la sonorité a éclaté entre nos murs.

"Ne fais pas ça comme ça, Taehyung ! Quel idiot tu fais, je ne t'ai pas élevé comme ça."

"Tu ne sortiras pas. Pas aujourd'hui, pas tant que tu n'as pas fini tes devoirs pour la semaine prochaine. Et retire ces bagues et ces boucles d'oreilles, merde."

"Arrête de jouer avec Lisa, je ne veux pas que tu t'occupes de son éducation."

"Te tiens pas comme ça, putain, tu m'agaces, à bouger de cette manière, là. Tu peux pas agir comme tout le monde ? Tu vas faire comment, en société, hein ? T'as déjà vu quelqu'un agir comme toi ? Tu n'étais pas comme ça, quand tu étais gamin ! Qu'est-ce que j'ai raté avec toi, hein ?"

C'est étrange, comme certains parents aiment leurs enfants dociles, jusqu'à ce qu'ils grandissent et deviennent des personnes à part entière.

Le problème, c'est que je suis une bombe. Et que je ne retiens jamais les explosions. Alors je réponds, je réponds, je réplique comme dans une pièce de théâtre vue et revue, à laquelle on connaît déjà la finalité. Et les gestes prennent l'assaut encore une fois.

Son épaule qui me pousse lorsqu'il passe à côté de moi, la façon dont il me sert à table, violemment, éclaboussant parfois le bord de mon assiette jusqu'à ma main qui la tient, ma porte qui s'ouvre sans prévenir lorsque j'ai fais quelque chose qui ne lui a pas plu.

Et moi, chaque fois, mon coeur hurle, il me fait mal jusqu'à taper dans ma tête. Je l'entends. Boum, boum, boum. Il éclate dans mes tempes, recouvre ma vision d'un rouge écarlate. Et alors je pleure. Je me cache, évidemment, mais chaque fois que la déception frappe de nouveau ses iris lorsqu'il les dépose sur moi, alors mon souffle se fait court et j'ai l'impression que je vais mourir.

Je fuis aux toilettes, ou dans la salle de bain, et alors je m'assois au sol et ma main droite se crispe contre ma poitrine, tandis que l'autre retient les sanglots ridicules que ma bouche produit.

Et plus la pointe au fond de moi me perce, et plus la lumière en mon centre croupit.

Je crois que le pire, c'est que ça se répercute partout ailleurs, avec n'importe qui. Un jour, un professeur m'a engueulé parce que j'écrivais dans mon calepin à la place de me concentrer sur son cours, et alors j'ai senti la pointe venir, comme elle le fait avec mon père. Après la sonnerie, je me suis réfugié dans une cabine des toilettes, sans attendre Jimin, et j'ai fondu. J'ai agrippé ma poitrine jusqu'à ce que ça parte.

Mais putain, personne ne réagit comme ça pour une simple remarque.

Je déteste les remarques. Elles sont synonymes de la pointe. Alors je vise la perfection dans tout ce que j'entreprends.

Je déteste être à la maison. Alors je sors. Je bois un peu. Je me retrouve dans des soirées étudiantes, avec des gens bien plus âgés que moi. Je me réveille à droite à gauche, et chaque fois, j'espère voir une fille dans mon lit, mais ce ne sont toujours que des corps masculins. Encore et encore.

Et alors une fois rentré...

"T'étais passé où ?! Jouer les dépravés je ne sais où, c'est ça ? Tu me dégoutes, putain. Taehyung, ressaisis toi !"

Déception dans son regard.

L'Étoile maudite, trop lourde en moi.

La fuite aux toilettes.

Et la crise.

Puis je sors encore.

Puis ça recommence.

Et alors je me dis que je vais finir par en crever.

***

J'essaie de me concentrer sur mon calepin, sur les répliques de Marivaux que je retranscris pour les moderniser, mais rien ne sort. J'ai l'habitude de me plonger dans mon travail, de me forcer à rester éveillé la nuit rien que pour voir les phrases se former et prendre vie dans ma tête, jusqu'à ce qu'elles s'étalent à la perfection tout autour de moi. Elles s'étendent dans une pluie de lettres et de mots, et ce n'est que lorsqu'elles me paraissent irréprochables que je peux aller me coucher.

Parce que j'aime que mon travail soit affiné à la perfection. Parce que je ne supporterais aucune remarque. Je ne supporterais pas la pointe dans mon coeur si elle s'attaquait au théâtre.

Et parce que je veux lui prouver. Que parler, écrire, mettre en scène, je peux en faire un métier. Et alors peut-être qu'un jour, il m'acceptera, il revisitera la vision qu'il a de moi, comme je revisite mes pièces pour qu'elles soient plus attrayantes.

Peut-être qu'un jour, il m'appellera de nouveau son étoile.

Mais le souvenir du week-end dernier me frappe en pleine réflexion.

Ça n'arrivera jamais. Pas après ça.

J'étais de sortie, comme toujours. J'étais éméché, et j'ai embrassé quelqu'un. Je ne me souviens même plus de son prénom. C'était une soirée organisée par un ami éloigné du lycée. Le genre de soirée qui grouille de gens, le genre de soirée où t'es invité car un invité d'un invité de l'hôte t'invite. Je n'avais pas pensé que Junghyun puisse y être aussi. Il m'a vu. Il a pris une vidéo, et est allé la rapporter à mon père.

Évidemment que je lui en veux, mais je suis sûr que mon frère aurait pu être une bonne personne, dans un autre univers. S'il n'avait pas été forgé par la vision de mon père, s'il n'avait pas été remonté contre moi par sa faute, et par son ancienne jalousie de lorsque nous étions enfants.

Depuis ce jour, il ne me faut que d'une respiration pour que mon père parte au quart de tour. Parfois, je voudrais ne plus inspirer, ne plus expirer, juste pour voir ce que ça fait.

Mais je ne sais pas me taire.

Lorsque je suis rentré, le lendemain de cette soirée, une violente dispute a éclaté. Je répliquais, je répliquais, mais j'avais l'impression de me battre contre un mur. Son ton froid me répétait un tas de paroles que je n'ai pas retenues, avalé par la colère, par la peine, la culpabilité aussi.

Je me concentre de nouveau sur mon stylo et ma page blanche.

Putain, je ne pourrai jamais dormir ce soir.

Il n'est pas si tard. Nous venons à peine de sortir de table, mais je sais que je suis capable de rester assis là, à mon bureau, pour encore des heures et des heures. Mes orbes passent en revue ma bibliothèque sur tout le long du mur. Je fixe les pièces de théâtre, tout à gauche, près de la porte. Certaines sont abimées tant je les ai lues, d'autres sont écorchées à cause de disputes trop violentes.

Mais ça ne fait rien.

Ça ne fait jamais rien.

Il y a pire. Minimaliser pour survivre.

Ça ne fait r-

Trois coups à la porte. Secs.

Je me fige.

"Oui ?" je crie au travers de la cloison.

Il ouvre, entre, et contemple mes feuilles remplies d'encre, éparpillées sur mon bureau. Quelques unes ont débordé et s'échouent sur le parquet. Il lève les yeux au ciel, soupire, et je fais tout pour garder mon calme.

"Viens."

Je fronce les sourcils à son ton antipathique. Je ne bouge pas d'un pouce.

"Putain, c'est la dernière chose que je fais pour toi, alors ne discute pas."

"Comment ça ?"

"Je t'emmène à la plaine. On en a parlé longuement avec maman, et elle veut qu'on partage ce dernier moment ensemble, et qu'on discute, toi et moi. Même si crois moi, ça ne me plaît pas plus qu'à toi."

Ce dernier moment...?

Mes doigts serrent mon crayon à plusieurs reprises, avant de le lâcher. J'ai un horrible pressentiment au creux de mon ventre. Je m'appuie au bureau pour me relever, et ne pipe pas un mot. J'attrape seulement ma veste pour me couvrir, et alors que je passe devant lui pour quitter ma chambre, je l'entends souffler dans sa barbe, d'une tessiture ironique. Je peux presque percevoir le haussement lassé de ses sourcils.

"Tss, t'es toujours aussi passionant..."

La pointe revient. Je fais tout pour l'empêcher de m'atteindre. Je ne sais pas encore ce qu'il attend de moi, ce qu'il va me dire ce soir, ni ce qu'il va m'annoncer, mais pour une fois, il n'a pas crié.

Pour une fois, peut-être qu'il est venu en paix.

C'est sûrement pour ça que j'accepte sa proposition, et que nous nous retrouvons tous les deux, assis, lui derrière le volant, et moi sur le siège passager.

Comme autrefois.

Pourtant, tant de choses ont changé.

Il n'est plus mon héros. Et je ne suis plus sa petite étoile.

Je fixe la vitre à ma droite. La nostalgie me dévore.

Dans la semi-pénombre, je laisse une seule larme couler le long de ma joue, encore insouciant de la quantité inimaginable qui s'écoulerait après cette soirée.


**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*

Heyy

Je sais que c'est cruel de couper là...

Ceci est la première partie de l'Interlude, car elle est trop longue et je l'ai séparée en deux. Celle ci fait déjà 8000 mots eh, je pensais pas autant écrire mais c'était nécessaire pour bien comprendre Taehyung

Je ne sais pas si vous avez remarqué, les premiers mots de cet interlude font référence au tout premier chapitre de SDTM :) Ça montre le contraste du Taekook ; à la fois similaires dans leur douleur mais opposés dans la source de celle ci

Que pensez vous de cette première partie de l'interlude de Taehyung ? De sa relation à sa famille, ses sentiments par rapport à ça ? Puis par rapport au "garçon au silence" 🤭 ?

Ça me fait trop mal d'écrire la souffrance de Taehyung ohlala, vivement la suite kdjdksb :(

À + ♥︎

-Elise-

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