Chapitre 56 🎭
L'adrénaline du spectacle a du mal à redescendre. Il y a toujours ce pic d'agitation au fond de mon cœur. Ce n'est pas négatif. C'est bourré d'espoir. Cet esprit me suit alors que les conversations fusent, extatiques.
"J'ai oublié une de mes répliques à un moment, purée !" s'exclame Jimin. "J'ai improvisé mais je crois que ça s'est pas trop vu."
"Personne n'a remarqué." le rassure Soojin. "Et puis c'est l'art du théâtre, improviser."
Cette dernière enlève d'un coup sec deux élastiques qui attachaient ses cheveux en deux nattes. Ses mèches rouges se dénouent avec élégance, maintenant ondulées, jusqu'à retomber sur ses épaules. Je remarque Jimin perdre petit à petit son sourire, alors qu'il la fixe avec des yeux brillants.
"Vous avez tous fait du bon travail." affirme Taehyung.
Il essaie de garder une voix calme, celle du professeur, mais je vois bien à quel point il meurt d'envie de s'extasier.
Une fois nos déguisements respectifs enlevés et fourrés au fond de nos sacs, nous nous rassemblons dans le couloir. Quelques figurants passent ici et là, nous contournent, sortent dehors pour rejoindre leurs amis, nous balancent des compliments sur notre performance au passage.
Nous décidons de sortir également par la porte arrière du bâtiment, au bout du couloir. Dehors, l'air frais balaie mes cheveux en arrière et me fait soupirer de bien-être. Surtout après avoir passé autant de temps sous les projecteurs brûlants.
Je crois que c'est quelque chose dont je me souviendrai particulièrement, lorsque je regarderai en arrière et repenserai à ce jour : la chaleur des projecteurs. Je ne sais pas pourquoi ce détail en particulier.
Nous contournons le bâtiment et rejoignons l'autre côté, où le public sort par l'entrée principale. Les gens discutent vigoureusement.
Notre pièce va faire parler, je crois.
Quand j'aperçois mes parents sortir, ma grande sœur sur leur talon, mon cœur se ratatine sur lui même, comme pour se faire tout petit.
Puis mes sourcils se froncent d'étonnement.
Ils ne sont pas seuls.
Une dame est à côté de ma mère, et lui parle poliment, un sourire scotché aux lèvres. Elle a des cheveux teints en blond, des rides sur le coin des yeux, et des mains pleines de bagues aux pierres de toutes sortes.
Ma mère l'écoute avec un sourire concis, comme si elle ne savait pas vraiment où se mettre.
"Tiens, on dirait que ma mère s'est fait une nouvelle amie." s'exaspère Jimin. "Elle ne loupe jamais une occasion, c'est fou."
Oh.
C'est la mère de Jimin, alors.
J'observe la scène de loin, un léger sourire sur les lèvres. J'ai rarement vu mes parents interagir avec quelqu'un d'extérieur à notre famille. Un sentiment étrange creuse ma poitrine, un mélange de fierté et de mélancolie.
La mère de Jimin est une vraie pipelette. Elle ne s'arrête pas. Ma mère hoche la tête de temps en temps. Ses yeux bleus, que j'ai tant de fois vus couler, brillent de gêne mais aussi d'une curiosité touchante. Mon père est à ses côtés, et gère un peu mieux la situation, répondant quelquefois à la dame blonde.
Je veux voir ce qu'il en est de Sana, mais elle a disparu. Mes yeux la cherchent dans la foule, avant de réaliser qu'elle n'est qu'à quelques mètres de moi, et qu'elle cherche à me rejoindre.
Quand elle arrive à ma hauteur, elle m'adresse un sourire embarrassé. J'en fais de même, ne sachant pas à quoi m'attendre.
On se fixe un moment sans rien dire. Ça devient si silencieux que je détourne les yeux. Je vois sa poitrine se soulever ; elle prend une grande inspiration. Comme si ce qu'elle s'apprêtait à dire demandait de l'élan.
Ils sont comme ça, les mots, parfois.
Ils ont besoin qu'on les encourage avant qu'ils ne sortent.
"J'ai beaucoup aimé." lâche t-elle.
J'ose de nouveau la regarder.
"C'était touchant, ingénieux. Tu avais l'air... à l'aise, là où tu devais être. Je suis heureuse que... que tu te sois épanoui quelque part. C'était vraiment beau à regarder. Je crois que Maman n'a jamais autant pleuré, mais tu... enfin, tu sais comment elle est, je doute qu'elle en dise grand chose."
J'acquiesce doucement.
Je m'apprête à répliquer, mais elle est plus rapide que moi. Comme si elle avait répété ses paroles, et qu'elle récitait une poésie décousue sous la pression.
"Tu as changé beaucoup de choses, à la maison, même si ça prend du temps. Tu as été le plus courageux d'entre nous tous, dans cette histoire, et... je te remercie pour ça."
Je referme ma bouche, et joue seulement distraitement avec mon collier. Je crois qu'il n'y a rien à répondre. Dans ce genre de moment, il suffit parfois juste d'écouter.
"J-je... c'est précipité, je te dis tout ça parce que je ne suis pas sûre d'avoir le courage plus tard, et que je dois partir chez une amie juste après. Je... En réalité, je crois que l'amitié est un faible mot pour décrire ce qu'on est. Ça aussi, je voulais te le dire. Ah, c'est embarrassant... Enfin... Votre pièce m'a aussi touché ce soir, du coup, pour ça."
Mes yeux s'entrouvrent un peu plus.
Oh, je ne m'attendais pas à ça.
Elle angoisse à ma réaction. Je peux le sentir à sa façon d'attendre impatiemment un signe de ma part, à sa manie de ramener ses cheveux noirs sur les côtés de son visage.
"Oh, euh... je suis content pour toi."
Je le pense vraiment.
"Voilà, je... je vais y aller." conclut-elle.
Je hoche la tête. Elle s'apprête à s'éclipser, mais se retourne un instant, et me sourit un peu plus largement.
On dirait un sourire... complice.
Ça me fait chaud au coeur. Comme quelque chose de familier, avec lequel j'aurais dû grandir, mais que je n'ai malheureusement jamais connu. C'est tout nouveau, dans ma poitrine.
"J'espère que ce garçon te rend heureux aussi." me murmure-t-elle, en jetant un coup d'œil derrière moi, avant de partir pour de bon.
Ma main sur mon collier se fige. Puis soudain, un menton vient se poser sur mon épaule, par derrière.
"C'était qui, ça ?" me demande Taehyung.
"Ma soeur." je réponds, dans le vague, toujours renversé par ce qu'elle vient de me dire.
Il va me falloir du temps pour tout assimiler, mais je crois que nous sommes sur la bonne voie, elle et moi.
"Est-ce qu'on peut pardonner quelqu'un qui nous a ignoré toute notre enfance ?" je demande, d'une petite voix.
Taehyung perçoit l'émotion dans celle-ci.
"J'imagine que le pardon dépend seulement de toi. Et surtout de comment tu te sens. Sois égoïste, Jungkook. Si pardonner te fait du mal, alors tu n'es pas obligé de le faire. Si ça te fait du bien, alors fais-le. Et puis, on peut toujours continuer de bien s'entendre avec quelqu'un qu'on a jamais pardonné. Peut-être qu'au final, c'est plus sain de garder en tête les fautes, de toujours les sanctionner, mais de les laisser appartenir au passé."
Son menton se redresse et il me contourne pour me faire face.
Ses mots m'apaisent, comme toujours...
Je suis prêt à plonger dans son regard, mais soudain, mon prénom résonne plus loin, et je sors de notre bulle.
"Jungkook !"
Je cherche la source de ce cri, et mes yeux tombent sur Yoongi. L'appréhension autant que la hâte me broie les tripes.
Mais je crois qu'après être monté sur scène, on peut tout affronter.
Taehyung me lance un regard entendu, et je lui souris. Un instant, sa main se faufile sur ma hanche, et je frissonne.
"On se retrouve après, hm ? C'est la mère de Jimin qui nous emmène en voiture chez Hoseok, pour la soirée."
J'acquiesce, avant que ses doigts ne quittent ma peau et qu'il ne s'éclipse pour me laisser seul.
Yoongi marche d'un pas rapide jusqu'à moi, et je réalise qu'il est vraiment là, merde. Sa copine le suit, essayant de ne pas se prendre les épaules des gens qui stagnent devant l'entrée pour discuter.
Dès que Yoongi est assez proche, les mots s'embrouillent dans ma tête. Je tente de trouver quelque chose pour le saluer, mais mon esprit se vide, comme il a tendance à le faire quand je panique. Pourtant, je n'ai pas besoin de patauger dans l'angoisse trop longtemps, puisque Yoongi prend la situation en main.
Enfin, je ne sais pas si on peut réellement appeler ça prendre une situation en main.
Ses bras se lèvent pour tâter les miens, puis il appuie sur le bout de mon nez, l'écrasant. Je recule, surpris, alors qu'un rire s'échappe d'entre mes lèvres.
"Putain, mec, t'existes vraiment." constate t-il, rabaissant ses mains.
"Effectivement..." je réponds, amusé.
Quelques secondes s'écoulent sans que ni lui, ni moi, n'émettions un seul son. Il y a un temps de latence, où le silence prend une place qui creuse, et creuse dans mon cerveau. Je gratte pour tenter de trouver quoi dire, mais rien ne vient. Je suis droit comme un piquet, et ma bouche, qui reste légèrement entrouverte, doit refléter toute ma maladresse.
Je prends conscience, petit à petit, qu'il est bien devant moi, et que nous avons tout le loisir de vraiment nous voir ce soir. L'émotion me prend à la gorge, m'empêche de prononcer la moindre phrase cohérente. Yoongi, lui, affiche un sourire radieux. Et soudain, après un instant d'hésitation, ses bras s'entrouvrent.
Je n'attends pas une seule seconde de plus pour saisir ce qu'il me tend, et le prendre dans mes bras. Tandis qu'il me caresse le dos affectueusement, je pince mes lèvres dans son dos pour ne pas laisser l'eau monter trop haut.
Nous nous écartons, et je souris, cette fois-ci largement, comme si une barrière invisible dans mon esprit avait lâché.
"Je suis tellement content de te voir." je ne peux m'empêcher de lui confier.
"Moi aussi, Jungkook. On va profiter, ce soir, hein ?"
J'acquiesce. J'imagine que ça se voit, que je me retiens de pleurer. Mais je n'en ai pas honte. Et je crois que Yoongi est prêt à me mettre à l'aise. Il se rapproche, et prend un air équivoque.
"Alors c'est lui, Taehyung, l'heureux élu ?" me demande-t-il, en montrant d'un coup de tête l'endroit par lequel Taehyung est parti.
Sa manière de me poser des questions m'apaise. Ça me permet de m'appuyer sur une base dans notre conversation. Il n'est pas du tout différent de celui qu'il est en appel, et ça me rassure. C'est seulement plus dur de parler avec quelqu'un lorsqu'on peut mettre de la matière dessus. Un corps qui est bien là, en face de moi, et qui va percevoir absolument tout de ce que je suis et ne suis pas.
J'acquiesce, amusé.
"Je crois bien, oui..."
Je réalise ensuite la présence de sa copine. Elle me tend la main, poliment, et je la serre, maladroit.
"Jungkook, voici Miyeon, et Miyeon, voici Jungkook."
Nous nous saluons. Elle me sourit, j'en fais de même.
Mon attention se reporte sur Yoongi. Celui-ci passe un bras autour de mes épaules. Je le laisse faire, et le contact est étrangement naturel. Je me dis que si lui et moi n'avions pas une centaine de kilomètres entre nous, on ne se serait jamais quitté d'une semelle.
"J'ai enfin la confirmation que tu n'es pas un vieux pédophile étrange derrière ton écran."
Ça me fait bizarre d'entendre mon propre rire résonner.
"Tu pensais vraiment à cette possibilité ?" je m'indigne.
"Écoute, on sait jamais..."
Je ris de nouveau, puis il me libère de son bras. J'oublie les corps, la matière. J'oublie la gêne. Je crois que je veux juste me laisser aller, au moins pour ce soir.
"Tu es toujours ok pour venir à la soirée ? J'essaierai de passer le plus de temps avec toi, pour pas que tu te sentes de trop."
"T'inquiète pas, la sociabilisation, c'est mon truc." me rassure t-il. Puis il s'avance. "Je ne t'en voudrais pas si tu veux profiter de ton Taehyung."
Mes joues se teintent sûrement, alors que je lui tape le bras pour le faire taire. Il s'indigne et je m'en amuse.
"J'ai rêvé de faire ça tellement de fois en voc'." je soupire.
C'est à son tour de me mettre une tape dans l'épaule.
Et soudainement, l'appréhension est déjà loin derrière moi.
Et j'ai juste l'impression de retrouver un ami de longue date.
***
"Alors comme ça, c'est toi, Jungkook ?"
Je m'enfonce un peu plus dans la banquette arrière. Je hume l'odeur étrangère de la voiture dans laquelle je me trouve. Un mélange de poussière et de cumin. Des magazines traînent au sol, et une photo de famille pend au rétroviseur.
"Euh... Oui, c'est moi. Enchanté."
La voiture des parents de Jimin a sept places. Ses parents sont à l'avant. Jimin, Taehyung et moi sommes à l'arrière, alors que Yoongi et Miyeon sont installés sur les deux sièges dans le coffre. Nous avons convenu de les emmener aussi.
Les autres sont également avec leurs parents, dans leur propre voiture, en direction du sud de Gwangju. Je crois que Hoseok amène quelques connaissances de la danse avec lui, et Soojin a également embarqué des amis à elle, et Hinata, la fille qui a remplacé le rôle de Mina.
Seokjin est le seul à ne pas venir ; il a prétexté être trop vieux, et ne pas vouloir interférer dans notre groupe.
"Jimin m'a déjà parlé de toi, je suis contente d'enfin te voir. Et j'ai rencontré tes parents tout à l'heure, d'ailleurs ! Ils sont adorables. J'ai réussi à les faire accepter de venir à cette petite soirée, ça va être sympa !"
Mon cœur loupe un battement.
"Ils viennent ?" je m'empresse, peut-être trop vivement.
La mère de Jimin détourne un instant son attention de la route pour planter ses yeux dans les miens, à travers le rétroviseur.
"Ils ne t'ont pas dit ? Au début, ta maman me disait qu'elle avait peur de déranger, je crois, mais je lui ai dit que tous les parents des acteurs de la pièce étaient les bienvenus, et-"
"Maman." se plaint Jimin. "Me dis pas que tu l'as forcée !"
Cette dernière sourit chaleureusement.
"Pas le moins du monde, chéri."
Jimin lève les yeux au ciel, et se penche en avant pour capter mon regard, son torse forçant sur sa ceinture dans le mouvement.
"Quand elle a une nouvelle amie dans le viseur, tu peux t'assurer qu'elle la traînera partout, et qu'elle viendra prendre le thé tous les samedi."
"Mais non enfin, tu exagères toujours." gronde gentiment madame Park.
Je m'enfonce davantage dans mon siège. C'est assez comique, de voir mes propres parents se faire emporter par la tornade qu'a l'air d'être la mère de Jimin. Je ne peux empêcher un sourire d'éclater sur mon visage.
Je peux sentir les choses bouger, se déplacer. C'est peut-être rien, cette soirée à laquelle ils vont assister. Ou peut-être que c'est tout, justement. Le début d'un changement. Un changement qui les sortirait enfin d'un deuil et d'une multitude de regrets qu'ils traînent depuis des années, pour recommencer à apprécier le chaos comme je l'ai fais.
Le silence ne sera pas éternellement la solution.
Pour personne.
C'est rassurant, au début, de se terrer dedans.
Puis ça se retourne contre soi, et plus les jours passent, plus ça dévore les entrailles. Et quand il est trop tard, que le silence a évidé le coeur et que le vide a tu les émotions, il ne reste plus que l'ombre de soi même.
Je sens le contact de Taehyung à mes côtés, contre ma main qui repose entre nos deux sièges. Mon regard se baisse. Discrètement, son petit doigt trouve le mien, et ils s'enlacent, comme une promesse enfantine, une promesse d'un avenir qui avance enfin. Je perçois son geste comme un soutien silencieux.
Parce que malgré tout, il y a une part du silence qui ne dévore pas, qui déborde de vie.
Et cette nuance là, qui se trouve dans les petites attentions, dans la gêne qui annonce une grande amitié, dans l'accalmie qui n'attend que le chaos, dans les regards qui en disent bien plus que les mots, je la chéris précieusement.
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
COUCOUUU
On ne s'arrête pas ici vous en faites pas ehe, je publie de suite le prochain chapitre fishlshdks
De base ça devait faire un seul chapitre, mais j'ai décidé de le couper en deux parce qu'il était assez long !
Du coup c'est un double update 🕺
À tout de suite pour le chapitre 57 :) (Il me faut juste le temps de le corriger)
<3
-Elise-
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro