Chapitre 46 🎭
Mes jambes me démangent.
Ça doit bien faire une heure que je suis allongé, enfoncé dans mon lit. J'ai relevé la couette sur la moitié gauche de mon corps seulement, jusqu'au cou, alors que la partie droite reste à l'air libre. Je me blottis contre le tissu frais, fixant mon sac à l'autre bout de la pièce, près de ma porte. Un objet rectangulaire y pointe le bout de son nez.
Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'espère que Taehyung aimera ce que je compte lui offrir.
À la pensée de Taehyung, mes jambes se replient sur elles-mêmes, puis, n'y tenant plus, je balance les draps sur le côté pour m'extirper, me lever et marcher dans la pièce. Je ne tiens pas en place. Il faut que je me calme. Il sera là d'une minute à l'autre.
J'en suis à mon soixante douzième pas lorsque la sonnette retentit. J'attrape mon sac pour l'enfiler sur une de mes épaules. Je dévale les escaliers pour être le premier à atteindre la porte. De toute façon, ce n'est pas comme si mes parents allaient se déplacer. Je leur ai dit que j'attendais quelqu'un, et que j'étais de sortie ce soir. Ils me laissent gérer. Même si j'aurais aimé voir un peu plus d'intérêt au fond de leur regard.
Peu importe.
Je fais pivoter la poignée de la porte, puis ouvre. Le visage de Taehyung m'apparaît en premier. Immédiatement, un détail me frappe, et me cloue sur place. Il a refait ses mèches blondes. Celles qui étaient aussi éclatantes en début d'année et qui avaient perdu de leur éclat au fur et à mesure des mois. J'ai l'irrépressible envie d'en saisir une entre mes doigts. J'entame un geste mais me retiens au dernier moment.
"Salut, Jungkook."
Je mets quelques secondes à répondre. Juste le temps de détailler son pull marron café un peu trop grand pour lui, classique, qui retombe au début de ses cuisses, enfermées dans un pantalon noir serré. Comme toujours, des accessoires viennent embellir sa tenue ; un collier minimaliste autour de son cou, ou des boucles d'oreilles que je perçois comme à l'effigie de deux étoiles limpides.
"Salut, Hyung."
Il sourit. Je souris en retour, ne sachant plus trop comment agir.
Comment se fait-il que ça me fasse encore cet effet là ?
Je me détourne pour enfiler mes baskets et attraper un gros pull au cas où le temps se rafraîchit. Puis je me souviens de ma carte de bus, laissée en plan sur mon bureau, dans ma chambre.
"On aura besoin de prendre le bus ?" je demande.
Taehyung secoue la tête, avant de pointer du menton quelque chose qui repose contre le petit muret devant ma maison.
Un vélo.
"Hyung, je... je n'ai pas de vélo, moi." j'avoue.
J'en avais un, lorsque j'étais enfant, pour rejoindre les quelques amis que je réussissais à me faire. À partir du collège, je n'en ai plus jamais eu besoin. J'ai grandi. Et mes parents n'ont jamais pensé à m'en racheter un.
"C'est pas grave." me rassure t-il. "T'as qu'à monter avec moi. Je faisais tout le temps ça avec Seokjin. Tu peux te mettre sur le porte bagage."
"T'es sûr ?" je fais, peu rassuré.
Il acquiesce, plus sérieux, comme pour me faire céder. Je suis incapable de lui résister, et malgré ma peur de tomber, j'accepte.
Je récupère mon sac, me faufile en dehors de la maison. J'aurais peut-être dû adresser un mot à mes parents. Mais avant que je n'ai pu me retourner pour le faire, j'entends une voix derrière moi.
"Amusez vous bien."
C'est une voix pas tout à fait à l'aise, qui tente d'approcher un terrain qui a du mal à lui correspondre. La voix de mon père. Je lui fais face avant de murmurer un faible merci. Il se tient dans l'entrebâillement menant au salon, l'air de ne pas trop savoir comment agir, ni quoi dire. Même si ses yeux sont d'un vide qui me fait penser à un gouffre infini, ses mots me portent de l'attention et me réchauffent le cœur.
Je lui souris, et finis par m'éclipser avec Taehyung. Je ferme la porte derrière moi, empêchant mes yeux de s'humidifier face à l'effort de mon père. Taehyung le remarque peut-être, mais ne fait aucun commentaire.
Nous nous dirigeons vers le vélo, avachi contre le muret. Taehyung le soulève et l'enfourche. Je détaille un instant le ciel gris pâle au-dessus de nous. Pas un morceau de bleu à l'horizon. Seulement ce gris opaque et terne qui jette un filtre sur la ville. J'aime ce genre de temps orageux. On se sent couvert, en sécurité.
Taehyung me présente l'arrière de son vélo. Peu sûr de moi, je m'installe de côté sur le porte bagage. Taehyung pivote sa tête pour me regarder.
"T'es bien installé ?" me demande-t-il, alors que je tiens fermement les bords du porte bagage sous moi.
J'acquiesce, mais Taehyung fronce les sourcils. Je n'ai pas le temps de le voir venir que mes deux poignets se font attraper et ramener en avant, afin que mes bras entourent sa taille et que mes mains s'échouent l'une contre l'autre au devant, contre son ventre. Je suis certain que mes joues se teintent.
"Je n'osais pas." j'avoue lorsqu'il commence à pédaler.
Je l'entends rire.
"J'ai vu ça."
Ça me fait largement sourire, et je me dis que je ne peux pas être plus chanceux, de me retrouver là, fermement accroché à Taehyung, à l'arrière de son vélo, la légère brise sifflant à mes oreilles, en direction d'un lieu qui m'est encore inconnu.
C'est exaltant.
Pendant tout le trajet, j'essaie de faire abstraction de la sensation bien trop agréable de le tenir en étau ainsi. Mes bras se resserrent un peu plus à chaque virage. Je suis réellement effrayé à l'idée de perdre mon appui et de tomber, mais je crois que j'utilise aussi un peu cette excuse pour me rapprocher encore. Mon visage n'est plus qu'à quelques centimètres de ses cheveux, et je ne me retiens pas de respirer par le nez pour sentir chaque bribe de son odeur parvenir à mes narines.
Mes mains ont la fâcheuse tendance à être invariablement gelées. Je me sens alors comme enveloppé, tandis que la chaleur qui s'émane du corps de Taehyung les attiédit.
Aucun de nous ne prend la parole. Ce n'est pas dérangeant. Le silence, avec Taehyung, n'a jamais été dérangeant. Il m'a toujours emmitouflé dans un cocon qui me donne cette impression de flottement, d'un arrêt dans le temps ou d'un état de semi-conscience. J'en suis presque à laisser reposer ma tête contre son épaule lorsque nous arrivons à destination, dans un garage à vélo ouvert, en plein milieu de la ville.
Je le lâche à contre-coeur, et descends. Taehyung applique l'antivol.
J'ai beau examiner tout autour de moi, je ne vois vraiment pas où est-ce qu'il veut m'emmener. Surtout pour un cours particulier. Mes yeux parcourent chaque recoin de la rue dans laquelle nous sommes.
"Arrête de chercher comme ça." s'amuse t-il. "C'est un peu plus loin."
Un millier de questions et de suppositions me traversent l'esprit. Mais ce que je découvre est bien loin de tout ce que j'ai pu imaginer. Au détour de la rue, nous tournons à droite, et alors s'offre à moi un spectacle intriguant. Une longue queue, qui se fait engloutir par un bâtiment imposant, s'étale sur une vingtaine de mètres. Je plisse les yeux pour lire l'inscription au-dessus de l'architecture ; Asia Culture Complex.
"Ne me dis pas que-"
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que Taehyung me prend la main pour nous placer à l'arrière de la file. Je le toise, plein d'incompréhension, ce qui semble l'amuser davantage. Une de ses mains plonge dans sa poche, et je suis le mouvement des yeux. Il en sort deux morceaux de papiers que je ne mets pas longtemps à identifier.
"Des tickets...?"
Il se passe une main dans les cheveux. Je suis un instant hypnotisé par son front dégagé, les mèches brunes et blondes qui se font écarteler par ses doigts, puis qui retombent mollement contre son front, presque jusqu'à ses orbes, aux pupilles profondes et lumineuses, qui elles, détaillent ma réaction.
Oh mon dieu.
Je mets un temps avant de réagir, sous le choc. Taehyung me tend un des tickets, que je détaille minutieusement. Sur celui-ci est indiqué le nom d'une pièce de théâtre, dont je n'ai jamais entendu parler. "Juste la fin du monde", de Jean-Luc Lagarce, interprétée par le metteur en scène Lee Ji-hoon.
Il m'emmène voir une pièce de théâtre.
"Je me suis dit que ça pourrait faire l'objet d'un cours particulier. Voir des comédiens professionnels, ça pourrait t'aider. Il ne suffit pas de jouer pour être un bon acteur, mais aussi d'être curieux sur ce qui se fait ailleurs, d'observer le jeu des autres pour en extraire le meilleur."
Mes doigts chancellent autour du ticket alors que mes émotions prennent le dessus. Je relève mon regard pour le planter dans celui de Taehyung. Je ne réfléchis même pas avant de laisser couler mes prochains mots.
"S'il n'y avait pas autant de monde autour... j-je crois que je t'aurais embrassé."
Ma voix est plus basse, de peur de se faire entendre par d'autres oreilles, mais Taehyung n'a aucun mal à capter mes vibrations, comme toujours. Il semble d'abord surpris, puis il sourit, alors que je peux percevoir ses pupilles trembler.
La queue avance, et nous nous retrouvons bientôt devant les guichets. Une fois cela fait, nous suivons la foule pour entrer dans la grande salle de spectacle.
C'est différent de celle du lycée. Ici, pas de balcons, ni de velours rouges ou de fioritures dorées sur les murs. Seulement des sièges noirs et une scène qui l'est tout autant. L'espace est moderne, mais ce qui me fait écarquiller les yeux, c'est la grandeur. Le plafond est haut, et il y a tant de places dans le public que je me demande combien de personnes il peut accueillir.
Je suis Taehyung et nous nous glissons dans les premières rangées, au milieu, là où les numéros sur nos tickets sont indiqués.
Une fois assis, nous assistons à l'effervescence du public qui déambule dans tous les sens pour trouver sa place, et à la centaine de discussions qui s'élèvent autour de nous.
Taehyung ne fait pas exception aux éclats de voix. Je me concentre sur la sienne.
Seulement sur la sienne.
Il faut que je filtre, ou bien je vais commencer à angoisser.
"J'ai choisi cette pièce parce que je l'aime beaucoup." s'explique t-il, et je peux voir ce rubis de passion au fond de ses orbes. "Quand j'ai vu qu'elle allait être jouée ici, j'étais obligé de venir avec toi. Ça parle d'un jeune homme, Louis, qui n'est plus venu rendre visite à sa famille depuis des années. Mais il apprend qu'il va mourir dans peu de temps, et alors il va se sentir obligé de revenir chez eux pour l'annoncer. Tu verras, c'est assez particulier, mais ce que j'aime tellement avec cette pièce, c'est qu'elle montre cette difficulté à communiquer avec les autres, surtout avec des membres de sa propre famille."
J'acquiesce, imprimant son monologue dans ma tête. Son ardeur à m'expliquer les choses me fait sourire discrètement.
"On est ici pour regarder la pièce, certes, mais c'est aussi un cours particulier."
En disant cela, il pivote sur le côté pour me fixer, et je suis soudain déstabilisé.
"Je vais te demander d'observer le jeu des acteurs, et d'en analyser le moindre détail. La moindre expression. Le moindre geste. Le moindre regard. Je veux que cette pièce t'apprenne quelque chose. Tu feras ça ?"
Je commence par acquiescer, vieille habitude, mais finis par lâcher un oui oral, qui se fond dans le bruit ambiant.
Je commence à avoir du mal à rester fixe, dans ma position, alors que Taehyung me regarde sans aucune considération, sans aucune modération. C'est la lumière, qui s'éteint soudainement, qui nous force à nous installer correctement sur nos sièges.
Je suis époustouflé face au silence soudain qui envahit la pièce. Plus un bruit ne perce le vide. Les seules vibrations qui me parviennent, ce sont les souffles impatients, pleins d'appréhension, et quelques pas derrière le grand rideau noir. Mon propre cœur commence à s'emballer, couvert de cette ambiance si particulière. Cette attente aussi alléchante. Ce moment précis où les rideaux s'écartent pour laisser place à une histoire, interprétée par le corps et l'âme.
Je repousse légèrement mon émerveillement pour laisser la place à mon côté analytique de se frayer un chemin.
Un décor apparaît. Il représente l'intérieur d'une maison, une table à manger, des fauteuils, un canapé et quelques meubles. Tout est très sombre, tout est très sobre. Un ciel nuageux plane au derrière, sur un écran géant. Ça me rappelle celui que j'observais tout à l'heure, sur le vélo de Taehyung. Au milieu de tout ça se tient un personnage, seul. Un homme à la chemise propre, aux chaussures cirées et une mallette à la main.
Immédiatement, l'expression de son visage me frappe. Il n'a pas encore commencé à parler que l'on peut déjà deviner une panoplie de ce qu'il ressent. Il y a un mélange de peur, d'appréhension, de confiance, et de réticence.
"Plus tard, l'année d'après, j'allais mourir à mon tour." expose-t-il.
Sa première réplique me fout des frissons dans le dos.
"J'ai près de trente quatre ans maintenant, et c'est à cet âge que je mourrai."
Un long monologue s'ensuit, durant lequel le personnage de Louis, je le comprends, explique la fin inévitable qui l'attend et son désir de renouer un tant soit peu avec sa famille avant de partir.
Puis les personnages de la famille se présentent sur la scène à leur tour, débarquent tous avec une attitude différente. Je perçois leurs traits de caractère à leur seule manière de se tenir. Antoine, le frère, est plutôt franc, impulsif, du genre à agir avant de réfléchir. Suzanne, la sœur, est sûre d'elle, sait où se placer, et a l'air hautaine, ou amusée, je n'arrive pas à le savoir. Catherine, la conjointe d'Antoine, est réservée. Elle tente de bien faire, de bien dire, sans pour autant que ce soit toujours concluant. Puis il y a la mère, accueillante et plus sage.
Des discussions s'entretiennent entre tous. Les retrouvailles se font avec maladresse, beaucoup de maladresse. Je suis impressionné par le jeu des acteurs, que j'observe avec minutie. Une dizaine de minutes s'écoulent, durant lesquelles je suis absorbé par ce qui se dit, se clame ou s'exclame sur scène. Je remarque que, plus le temps avance, et plus le temps est orageux au derrière des fenêtres du décor.
Je suis focalisé sur la pièce, envahi par des sentiments contradictoires. J'en oublie presque tout autour de moi, jusqu'à ce que je sente du mouvement à mes côtés, et soudain, une main contre ma cuisse, près de mon genoux. Je refrène un sursaut, face au contact inattendu. Dans le noir de la pièce, alors que j'examine les acteurs avec moins de concentration cette fois ci, je peux sentir l'emplacement de chacun des doigts de Taehyung, ainsi que de sa paume.
Je déglutis, incapable d'ignorer ce détail, cette liaison précise entre sa peau et mon vêtement. Comment peut-il se permettre de me demander d'analyser le jeu des personnages dans ces conditions ? Pour le moment, je ne peux qu'être attentif à cette main qui réchauffe ma cuisse, et qui m'envoie une décharge d'adrénaline dans tout le corps.
Je tourne mon visage pour contempler Taehyung dans la semi-pénombre. Il continue de regarder la scène, comme si de rien était. Mais je le vois bien, son sourire, au coin de ses lèvres. Pourtant, il ne m'accorde pas une seule attention visuelle. Il s'approche de moi sans pour autant quitter des yeux les comédiens, et chuchote :
"Concentre-toi sur la pièce, Jungkook."
Je suis troublé par son audace, et par la honte qui m'assaille de m'être fait prendre sur le fait, à le contempler de manière aussi éhontée au lieu de me focaliser sur la scène. Taehyung se replace, droit sur son siège, sans se départir de ce sourire qui attire inévitablement mon regard. Mais je suis sa directive, et me concentre de nouveau sur la pièce.
Du moins, j'essaie.
C'est plus compliqué lorsque sa paume remonte un peu le long de ma cuisse. Un frisson dévastateur m'attaque, et je me retiens de laisser tomber ma tête en arrière, contre le dossier en tissu noir. Mes muscles semblent soudain m'abandonner. Son toucher ne m'est pas anodin, ne l'a jamais été. Je sais comme il me rend faible et instantanément plus sensible.
Sa paume remonte encore un peu. Je tressaille, avant de poser ma propre main sur la sienne, mes doigts s'agrippant aux siens pour stopper son ascension. Je serre fort, et je peux voir dans ma vision périphérique que ma réaction l'amuse.
La respiration plus courte, j'ose m'avancer vers lui pour murmurer :
"C'est cruel, Hyung, de me demander de me concentrer." j'avance timidement, serrant toujours sa main dans la mienne, sur ma cuisse, pour l'empêcher d'entamer tout autre mouvement qui me ferait définitivement perdre le contrôle. "J'imagine que ça ne fait pas parti du cours particulier." j'ajoute, encore plus bas.
Je sais qu'à un niveau de décibel aussi bas, il n'y a que lui qui puisse m'entendre. Et puis, dans le noir jeté sur le public, nous sommes soudain seuls au monde.
"Tu penses ?" susurre-t-il à mon oreille.
Des fourmillements courent le long de ma peau. Son pouce entame des caresses très lentes contre ma cuisse, et la sensation est bien trop tendre pour que je l'en empêche, même si ça me fait perdre la tête.
Le ton monte sur scène et nous sort brutalement de notre bulle. Je suis forcé de reporter mon attention sur la pièce lorsque Taehyung en fait de même.
Je tente de me défaire de la sensation de ma main sur la sienne, pour capter à nouveau les dialogues qui se jouent devant nous. Les répliques s'enchaînent autant que les reproches. On ne sait pas quoi dire, on ne sait pas quoi faire. Ce qui entraîne un nombre incalculable de malentendus. Malentendus, qui, je finis par le comprendre, est à la source de tous les problèmes au sein de cette famille.
Le manque de communication est à la racine de tout.
La douleur des non-dits.
Le déchirement d'un conflit qui ne mène à rien.
Je suis concentré sur le personnage de Louis. Il jette régulièrement des coups d'œil vers les coulisses, comme s'il regrettait d'être venu, se voyait partir à tout instant. De surface, il paraît confiant, mais il ne l'est plus lorsqu'on s'adonne aux détails.
C'est dingue, de parvenir à retranscrire autant de choses rien qu'avec l'usage d'expressions corporelles.
Et puis, Louis me rappelle beaucoup Taehyung.
Il a la même manière de se tenir correctement, de redresser les épaules pour briser les faiblesses qui tentent d'apparaître à la surface. La même passion pour l'écriture, pour la nécessité d'écrire. Suzanne le lui fait remarquer ; "Si tu en avais, soudain, l'obligation ou le désir, tu saurais écrire, te servir de ça pour te sortir d'un mauvais pas ou avancer." La même ambition, le même perfectionnisme qui cache une peur profonde de décevoir.
Louis entame un de ses monologues, seul au devant de la scène, qui raconte ses peurs, alors que les membres de sa famille sont figés à l'arrière, comme pour représenter un trou dans le temps. Lors de ces monologues, les épaules de Louis s'affaissent. Il montre enfin son vrai visage, et à quel point la situation le touche. Sa voix lâche, tombe dans un abysse insondable. Elle n'est plus décorée par les nombreux enjolivements qui cachaient ses véritables émotions.
Et c'est là que je comprends pourquoi Taehyung aime tant cette pièce.
"Je me suis éveillé, calmement, paisible, avec cette pensée étrange et claire, que mes parents, et les gens encore, tous les autres, dans ma vie, les gens les plus proches de moi, que mes parents et tous ceux que j'approche ou qui s'approchèrent de moi, mon père aussi par le passé, ma mère, mon frère là aujourd'hui, et ma soeur encore, que tout le monde, après s'être fait une certaine idée de moi, un jour ou l'autre ne m'aime plus, ne m'aima plus..."
Le ton de Louis est saccadé, autant que sa prise de parole qui ressasse une ancienne peur enfouie, une peur qui dévaste tout dans la relation à l'autre ; celle de l'abandon.
À mes côtés, je réalise que Taehyung s'est rigidifié. Sa main, sous la mienne, est sur le qui-vive, moins détendue. Je me mords les lèvres, et la tiens plus fort entre mes doigts. Pas assez pour détourner son attention, mais assez pour lui montrer.
Lui montrer que j'ai compris que ça le touchait, d'une manière indicible, et qu'il pouvait s'en sentir légitime.
"... Comme par découragement, comme par lassitude de moi, qu'on m'abandonna toujours car je demande l'abandon."
Le style d'écriture de Lagarce, qui est fait de répétitions et de secousses, rend l'effroi de Louis encore plus palpable.
"Qu'on m'abandonna toujours, peu à peu, à moi même, à ma solitude au milieu des autres, parce qu'on ne saurait m'atteindre, me toucher, et qu'il faut renoncer. Et on renonce à moi, ils renoncèrent à moi, tous."
À ce moment précis, la main de Taehyung se retourne sur ma cuisse. Sa paume est à présent face au plafond, contre la mienne. Je me demande s'il pense à sa famille. Son père, qui a cessé de l'aimer au moment où il a commencé à s'affirmer. Sa mère, qui a gardé le silence sur les abus psychologiques de son mari. Ou ses frères et sœurs, qui ont décidé de se ranger du camp opposé, au point de l'exclure des activités familiales.
"Je compris que cette absence d'amour dont je me plains et qui toujours fut pour moi l'unique raison de mes lâchetés, sans que jamais jusqu'alors je ne la voie, que cette absence d'amour fit toujours plus souffrir les autres que moi."
Au plus profond de moi, je prie pour que ce ne soit pas ce que Taehyung pense de lui-même. Qu'il ne s'imagine pas responsable des douleurs des autres, quand bien même il est celui qui a le plus encaissé dans son histoire. J'aimerais lui murmurer qu'il n'a pas à porter un tel fardeau d'accusation sur les épaules. Mais à la place, je peux seulement passer à mon tour délicatement mon pouce contre sa peau, retraçant le relief des plis de sa main.
Le monologue prend fin, laissant planer une atmosphère lourde dans la salle. Le personnage de Louis est interprété de manière si touchante et résonnante... Je me demande combien se sont reconnus en ses mots, ce soir.
Les autres acteurs reviennent à la vie après leur immobilité, et la réunion familiale reprend. Comme si rien ne s'était passé. Comme si nous ne venions pas de nous immiscer dans les pensées les plus sombres et accablantes du protagoniste.
Le reste de la pièce s'écoule dans une lenteur que j'apprécie. Je me surprends à apprécier les répliques, délibérément maladroites, vacillantes.
Le rideau se referme sur une famille éclatée mais pourtant toujours reliée et soudée, un secret gardé de la part de Louis, qu'il n'a pas eu le courage de confier, et le temps orageux, à l'arrière-plan, qui crache des éclairs affolants.
Un long silence s'installe. De la pure déconnexion de la part des spectateurs. Moi même, j'ai du mal à revenir à la réalité, alors que de faibles applaudissements retentissent. Ils se font de plus en plus sonores, puis finissent par éclater entre les murs du théâtre.
Les rideaux s'ouvrent à nouveau pour laisser les acteurs se réunirent en une ligne bien droite, et s'incliner tous ensemble, le sourire aux lèvres. Celui qui jouait Louis affiche un air radieux, fier et essoufflé par sa prestation. Je suis étonné de ne quasiment pas reconnaître les traits de son visage, ainsi défait de tout personnage. Lorsqu'il jouait, il était si... différent, ailleurs. Une véritable transformation.
Taehyung se glisse à mon oreille pour me parler par dessus les acclamations :
"Celui qui jouait Louis, c'est aussi le metteur en scène, Lee Ji-hoon. Je suis déjà venu voir sa troupe plusieurs fois ici. Il est impressionnant. Ce serait mon rêve, de devenir comme lui..."
Je suis surpris par la certitude avec laquelle je pense que ce sera le cas.
Une fierté immense s'empare de moi à cette idée, et je découvre la sensation de voir quelqu'un que l'on aime sur le point d'accomplir ses rêves. L'ambition de Taehyung ne me laisse aucun doute sur son avenir.
Les comédiens reviennent trois fois sur scène pour faire leur révérence et emplir la salle d'applaudissements et de sifflements. Puis Lee Ji-hoon en personne prend la parole, afin de remercier ses camarades et toute l'équipe technique. Enfin, ils disparaissent pour de bon, laissant la scène étrangement vide de présence.
Petit à petit, les spectateurs se lèvent et rejoignent la sortie, tout au fond de la salle. Une marée de gens se déplacent dans ce sens. Taehyung et moi faisons de même, passant dans la rangée de sièges pour rejoindre l'allée principale.
Mais lorsque nous arrivons au couloir central, Taehyung prend la direction opposée de la foule. Je m'empresse de le rejoindre, dérouté.
Qu'est-ce qu'il fait ?
Il s'assure que je le suive bien en jetant un regard par dessus son épaule, mais j'ai du mal à me frayer un chemin entre la masse grouillante de spectateurs. Mon épaule cogne contre une vieille dame. Je m'excuse promptement. Je finis par arriver à la hauteur de Taehyung.
"Qu'est-ce que tu fais, Hyung ? La sortie n'est pas par là !"
Il me lance un clin d'oeil, avant de me glisser discrètement :
"On va s'infiltrer dans les coulisses."
S'infiltrer dans les coulisses..., je répète dans ma tête, faisant monter l'information à mon cerveau.
Attendez.
Quoi ?!
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
Hellooo !
Taehyung est dingue, oui 🕴
Je m'excuse pour l'heure (très) tardive à laquelle je post 😔
Je tiens à préciser que c'est normal si beaucoup de pièces et d'auteur.es français.es sont mentionné.es dans cette histoire. Dans la réécriture, l'histoire se passera en France, donc c'est pour ça ! Parce que bon, Juste la fin du monde de Lagarce ne serait sûrement pas jouée en Corée avec autant de public mdr...
De base, le cours particulier devait faire un seul chapitre, mais il était trop long donc je l'ai coupé en deux ! J'espère que le prochain chapitre vous plaira 👀, j'ai hâte de poursuivre leur date (nan mais à ce stade faut pas se voiler la face c'est clairement un date ils sont cramés 😀...)
Qu'avez vous pensé de ce chapitre ? :)
À +, merci pour votre soutien <3
-Elise-
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