Chapitre 43 🎭
Je laisse le vide planer, comme pour absorber, intégrer tout ce qui vient d'être énoncé dans le noir de cette chambre. Ses confidences m'étouffent le cœur.
Si j'ai l'habitude de l'entendre beaucoup parler, il ne l'a jamais autant fait qu'aujourd'hui.
Je ne l'ai pas coupé, jamais. Je n'ai fait que tendre l'oreille, et serrer sa main dans la mienne lorsque je sentais que le sujet devenait trop dur pour lui.
Entendre tout ça est un coup de poing à mon âme, une envie encore plus pressante de le presser, de le sécuriser avec moi, dans mon petit monde que je ne pensais pourtant jamais partager il y a de ça quelques mois.
"Hyung..." est la seule chose que j'arrive à prononcer.
Il reste statique. Nous sommes toujours allongés. Ses doigts s'entremêlent encore aux miens. Ça fait si longtemps, que je pourrais confondre nos peaux. L'idée de nous séparer serait absurde, inconcevable, dénaturée.
Les informations volent et mes neurones s'affolent. Je ne pensais pas que toute cette situation, avec son père, avait pu aller aussi loin.
Aussi, je ne pensais pas qu'il avait pris conscience de mon existence, avant même notre premier échange.
Je ne pensais pas qu'il m'avait déjà entendu, à ce moment-là, bien avant que moi je ne m'intéresse à lui.
Mon coeur bat étrangement vite à cette idée.
La dernière chose qui afflue dans les recoins de mon esprit et qui ne veut pas me quitter, c'est sa révélation sur ma sœur. Sur Somi. Alors depuis tout ce temps, lui savait, alors que moi même n'était pas encore au courant. C'est si absurde...
Je ne lui en veux pas d'avoir fouillé. Pas quand j'ai pu moi même me le permettre, un soir, dans un des tiroirs de Sana. Et puis, je crois que je ne lui en veux pas parce que je suis certain que, dans n'importe quel univers, n'importe quelle dimension, il me serait impossible de le considérer autrement que profondément bon, intérieurement.
Taehyung est bon.
Moralement. Dans ses mots. Dans sa façon d'être.
Et puis Taehyung est bon.
À mes yeux. À travers ses regards à la dérobée qui me volent toujours mon oxygène. Ses doigts qui appellent toujours mon cœur, ma main, mes hanches, mon visage, mes cheveux. À travers la douceur et la confiance qui forment l'équilibre parfait dans chacun de ses mouvements, qui le rendent à la fois rassurant et parfaitement déstabilisant.
Un million de questions et de mots se battent à la barrière de mes lèvres. C'est inédit, cette façon dont je veux rebondir sur tant de choses.
"Hyung, je... Putain, j'ai tant de choses à dire que je ne sais plus quoi dire."
J'ai juré. Je crois bien que c'est la première fois de ma vie. Ça surprend Taehyung. Je le sens à un léger mouvement de son visage, vers le mien, qui a causé une caresse infime d'une mèche de ses cheveux contre mon cou.
"Tu n'as pas à répondre quoi que ce soit. Je voulais seulement te raconter. Je voulais seulement t'avouer cette part de moi que je hais, que je m'efforce toujours de cacher mais que j'ai envie de te donner. Parce que... Parce que tu m'as fait comprendre que l'on pouvait envier mes forces, mais qu'on pouvait aussi vouloir connaître mes faiblesses. C'est dans tes yeux, que je l'ai vu. Quand par exemple, tu me regardes et qu'une galaxie apparaît dans tes pupilles, où quand j'ai les épaules tendues et que tu cherches toujours à les presser pour me détendre. C'est tous ces petits détails qui me l'ont fait réaliser."
Mon visage pivote automatiquement vers le sien. Mon corps aussi, et alors je me retrouve à l'observer de côté. Parce qu'il m'est tout simplement impossible de fixer le plafond comme si de rien était après ce qu'il vient de me dire.
"Évidemment que je veux tes forces autant que tes faiblesses. Comment tu as pu en douter un seul instant ? Évidemment que je te préfère avec des nuances."
Il sourit. Il n'a pas quitté la tâche des yeux. Peut-être que ça l'aide vraiment. Parce que je sens que s'il la quittait, et me rendait mon regard appuyé, alors il fondrait en larmes. Ce qui ne serait pas mauvais, mais je ne veux pas le brusquer. Alors je le laisse s'évader dans ce trou noir imaginaire que nous avons créer.
J'espère qu'il est supermassif, si c'est pour accueillir nos pensées néfastes respectives.
Je crois qu'au fond, tous les deux, nous en avons beaucoup, de choses à dire. Nous avons seulement différentes manières de les exprimer.
"Tu sais ce que tu vas faire maintenant ? Pour ton père ? Et pour ta pièce de théâtre, je suis tellement désolé... C'est odieux d'avoir fait ça..."
"Je la réécrirai, cette pièce, et en mieux, même si ça me brise de savoir que j'ai perdu tout ce que j'avais, tout ce en quoi j'ai mis tellement de moi même... Et pour mon père, je vais attendre qu'il parte. Je ne veux plus qu'il fasse partie de ma vie. Cette réconciliation improvisée n'aurait jamais marché. Il faut que je me détache de tout ce qu'il a pu représenter pour moi. Même si ça va peut-être prendre du temps. Même si ça va être dur. Mais maintenant..."
Il prend une pause dans son monologue. Je continue de parcourir son visage de mes yeux. Un trait d'embarras se creuse au coin de ses yeux qu'il plisse. On dirait qu'il réfléchit à plein régime à ses paroles. Mais je ne l'ai jamais vu aussi relâché, aussi lui même, aussi détaché. Et je le vois bien, que la façon dont toute mon attention se porte sur lui, ça le perturbe un peu. Je crois que ça me plaît. Un sourire timide prend place au coin de mes lèvres.
"Maintenant quoi ?" je l'encourage doucement, caressant sa paume de ma main.
"Maintenant, il y a toi."
Je perds mon sourire. La caresse de mon pouce cesse. Un looping d'émotions s'opère dans tous les départements de ma matière grise.
J'ai vraiment envie de le serrer dans mes bras, là.
"Oh."
Il sourit.
"Oh ?"
L'amusement revient dans le creux de sa voix. Ça me fait un bien fou de le déceler à nouveau, après l'avoir entendue se briser et se déchirer sous mes oreilles impuissantes.
"Oui, oh."
Il rit.
Et bien que je ne sois pas drôle par intention, je voudrais encore le faire rire.
"J'imagine que mon père ne va pas rester longtemps après ce qu'il s'est passé ce soir." reprend-il, soudain plus sérieux. "Il retournera à Incheon demain matin au plus tard, j'en suis sûr. Et je me dis qu'après ça, peut-être que je pourrais tenter de... de réparer les choses avec ma mère, ou mes frères et ma soeur. Junghyun, je ne suis pas sûr de pouvoir le pardonner si facilement, mais les autres n'ont fait que suivre des directives inconscientes de mon père en s'éloignant de moi..."
"Je pense que ce n'est pas forcément à toi de tout prendre sur tes épaules comme ça. Mais si ça t'aiderait à te sentir mieux, alors c'est que tu prends la bonne décision."
Je le pense sincèrement. Tout ce qu'il entreprend, tout ce qu'il voudra faire à l'avenir, je voudrais m'assurer qu'il le fasse pour lui, et que ça ne lui apporte plus jamais la douleur qu'il a pu vivre.
Je décide de reprendre la parole en premier.
"Tu... Enfin- Alors comme ça, tu tentais déjà de me comprendre depuis si longtemps..."
"Si tu savais. Tu m'as donné du fil à retordre. J'avais beau t'analyser sous tous les rebords, jamais je n'arrivais à totalement trouver la source de ton comportement, de ton repli. Je n'aurais jamais cru qu'un jour je serais à tes côtés sur ton lit à te parler de tout ça... Et j'aurais encore moins cru voir ton nom sur la liste des inscrits au théâtre cette année. Ça m'a tant surpris, parce que c'était l'opposé de ce que tu étais, le théâtre. Pourtant, au final, ça te va si bien..."
Avant que je ne puisse rougir, je révèle ce que j'aurais dû lui dire depuis bien longtemps.
"Je dois t'avouer quelque chose, Hyung..."
Ses orbes quittent la tâche. Et lorsqu'elles viennent se mêler aux miennes, dans une collision affolante, je me dis que nous sommes deux galaxies qui nous faisons face. Et peut-être qu'à l'image de la Voie Lactée et d'Andromède, nous pourrions fusionner un jour.
"Je ne me suis jamais inscrit au théâtre." j'avoue sous les éclats de lune qui hachent nos visages.
"Comment ça ? C'était une erreur d'administration ?"
"N-non. Quelqu'un m'a inscrit à ma place."
Ses sourcils se froncent, alors je m'explique.
"C'est Heechul. Il m'a inscrit en début d'année, avec pour but de récolter tous mes mots à la représentation finale. Je... Je sais que c'est lui, il me l'a avoué plusieurs fois à chacune de ses intimidations. Roméo est à lui..."
Taehyung se redresse sur ses coudes. Je parcours les muscles de ses bras qui le soutiennent, afin d'éviter tout contact visuel.
"Roméo ne sera jamais à lui, Jungkook. Roméo, c'est toi. Tu es Roméo. Tu es mon Roméo. Putain, ce connard n'a vraiment rien à faire de sa vie pour aller dégoter une idée pareille !" s'emporte-t-il.
Tu es mon Roméo.
Frissons.
Et moi, tu es mon Julian, je rêve de lui répondre.
"Je ne lui en veux pas." je clame, ce qui a le don de le clouer sur place.
"Jungkook, tu ne peux pas lui pardonner comme ça et dire une chose pareille, il n'avait aucun droit de-"
"Je lui en veux pour beaucoup de choses. Je le déteste pour beaucoup de choses." je le coupe. "Mais pas pour ça."
Taehyung se rallonge, mais sur le côté cette fois ci, si bien que nous sommes pour de bon face à face, dans une position identique, tel deux miroirs qui se reflètent.
"Je ne lui en veux pas pour ça, parce qu'au fond, je vous ai tous rencontrés grâce à lui. Chaeyoung, Jimin, Soojin, Hoseok, Namjoon. Et je t'ai rencontré toi. Et jamais les mots n'ont coulé aussi facilement qu'en ta présence."
Le corps de Taehyung s'avance imperceptiblement, jusqu'à ce qu'une de ses jambes frôle la mienne. Ses yeux s'assombrissent pour laisser place à une profondeur que je lui vois rarement.
"Wow..." sourit-il. "Tu te rends compte de ce que tu me dis, Kook ?"
Non, je ne me rends pas compte. Je ne me rends pas compte que je peux avoir autant d'impact sur quelqu'un. Que mes mots, enfin libérés, puissent s'envoler pour se loger dans le cœur d'un autre. Et que cet autre puisse les chérir à ce point là.
L'atmosphère redescend lorsqu'un autre sujet me vient en tête. Celui de Jeon Somi. Je ne veux pas l'éviter. Pas ce soir. Pas quand Taehyung m'a avoué tout ce qu'il sait. Je réalise qu'il y a encore tant de choses que nous ne nous disons pas sur nous même, tant de choses à découvrir.
La nouveauté m'effrayait.
Mais avec Taehyung, elle ne sera plus jamais effrayante, je crois.
Elle est attirante.
"Tu as parlé de ma sœur, tout à l'heure."
"Oh, oui... Je suis désolé, je sais que j'aurais dû attendre que tu m'en parles par toi même, c'était idiot de te dire tout ça maintenant, mais j'étais emporté dans mon récit et dans le besoin urgent de juste vider mon sac, et puis je m'excuse aussi d'avoir fouillé dans les dossiers, je pensais vraiment pas tombé sur une information aussi importante, et puis, je ne sais même pas à quel point elle était importante pour toi ou quelles sont tes limites si on parle d'elle alors-"
"Hyung, je t'en supplie, arrête de t'excuser comme ça."
Ce côté de lui m'amuse. Et qu'est-ce que je me sens bien, là, l'épaule droite enfoncée dans le matelas et le regard rivé sur les expressions de son visage. C'est hors du temps, suspendu. Je ne serais pas même étonné de voir le reste du monde bouger au ralenti autour de nous. Les particules de poussières qui se soulèvent sous l'éclat de la lune le font, elles.
Je pourrais tout dire, ici. Tout dire et tout faire. Tout tenter et tout oser. Tout reconstruire et tout réparer. Je ne me suis jamais senti aussi à l'aise, et je me dis que cette nuit marque certainement un tournant dans notre relation.
"Tu ne pouvais pas savoir, non. Et justement, en fait... Je ne serais jamais venu t'en parler de ma propre initiative, parce que je n'étais pas au courant moi même. J'ai appris sa mort que récemment. Je n'avais que cinq ans, je ne me souviens de rien. Ça peut paraître absurde, mais jamais mes parents ou Sana ne m'en ont touché un mot. En fait, ils n'ont jamais touché un mot à propos de rien. Je crois que... que la mort de Somi leur a en quelque sorte retiré la parole. Et ça s'est répercuté sur moi, sans même que je n'en connaisse la raison."
J'ai conscience que tout ce que je dis peut être dur à assimiler. Moi-même, une boule vient se former au fond de mon ventre. Je ne me retiens pas de montrer mon trouble. De toute façon, je sais que mes yeux me trahissent.
Ce n'est pas rien.
Je viens d'apprendre la cause de sa mort, par la bouche de Taehyung, et ça me fait sacrément bizarre.
"Il n'y avait écrit que suicide... ?" je demande.
Le mot fatidique sonne faux, irréel, sortant d'entre mes lèvres. L'information a du mal à se frayer un chemin jusqu'à mon esprit, et je tente de calmer la douleur que je ressens en imaginant le sourire éclatant de Somi sur la photo volée, que je garde toujours précieusement dans ma chambre.
"Il n'y avait rien d'autre, pas un seul petit indice qui aurait pu donner la cause de son acte ?" je précise.
"Non, pas dans mes souvenirs. Tu voudrais comprendre pourquoi, pas vrai ?"
"Oui..."
"Ce n'est pas possible de l'entendre, raconté de la bouche de tes parents ?"
Je hausse les épaules, et mords ma lèvre inférieure, contrarié.
"Ils font des efforts. Ils évoluent petit à petit, mais ils ont passé tant d'années dans le silence que c'est encore si dur. Je ne pense pas qu'ils en soient capables pour l'instant."
"Et tu ne leur en veux pas ?"
"Bien sûr que si mais... j'essaie de ne pas trop y penser. J'essaie de faire changer les choses plutôt que de leur balancer toute ma rancune, je me dis que c'est mieux pour moi..."
"Tu es si pur, Jungkook." lâche Taehyung. "Tout de toi me fascine, comme cette façon que tu as de toujours être pour la douceur, même après être sorti d'un champ de bataille."
"Toi aussi, Hyung." je ne peux m'empêcher de rétorquer, touché par ses mots. "Même alors que tu souffrais intérieurement, tu m'as aidé et libéré de la cage de mon silence. C'est pas rien..."
Je veux lui dire pour Jin, lui avouer que celui-ci a connu Somi, mais je me retiens en pensant que ça fait trop d'un coup. Et puis, nous ne sommes pas là pour parler de moi, initialement. Alors je me redresse. Il me regarde faire.
"Qu'est-ce qui te remonterait le moral ?" je demande, soucieux.
Ma question est sérieuse. Il réfléchit, puis se redresse à son tour.
"Prendre une douche pour me calmer, puis... juste ta présence, je crois. Et peut-être un bon film."
J'acquiesce.
"Alors on fait ça !"
Je me lève, décidé à faire ce qu'il faut pour ne pas le laisser seul avec ses pensées débordantes. Mon entrain semble lui faire plaisir. Je me détourne, et m'occupe de fouiller dans mon placard pour saisir un change pour lui. Je veux prendre un bas, tout au fond, alors je me penche et avance ma tête dans l'étagère pour l'attraper. Mais au moment où mes doigts se referment dessus, des mains, que je n'ai pas vues venir, viennent chatouiller mes côtes. Je sursaute. Dans le mouvement, je me prends l'étagère du dessus dans le crâne. Je me retourne, outré, une paume sur le haut de ma tête, alors qu'un rire limpide s'échappe déjà par la porte de ma chambre.
"Qu'est-ce que-"
Je ne me laisse pas faire, amusé, et tente de le rattraper en embarquant avec moi les affaires sous mon bras. Une fois dans le couloir, je le vois fuir dans la salle de bain entrouverte, et refermer derrière lui. Je ris à mon tour, tentant de forcer la porte. Mais son corps doit faire barrage, de l'autre côté.
"T'as même pas tes affaires !" je lui lance. "Ouvre-moi ! Et franchement, tu me vois me venger et te chatouiller en retour ?"
"On sait pas." réplique t-il, un sourire au fond des cordes vocales. "Je suis sûr que t'es bien plus malveillant que ce que tu laisses paraître."
Je lève les yeux au ciel, alors que mon propre rire résonne à son tour.
Taehyung finit par m'ouvrir, tout en gardant ses distances, comme si j'allais me jeter sur lui pour prendre ma revanche. À la place, je dépose seulement un t-shirt et un jogging sur le bac à linge. Je lui montre comment fonctionne l'eau chaude de la douche ici, puis m'apprête à partir, mais une main contre ma hanche me retient, et me ramène à lui.
"Attends." fait-il.
Je fronce les sourcils, curieux. Puis il s'avance pour déposer ses lèvres contre les miennes. Le geste, inattendu, fait tomber mes bras le long de mon corps et fermer les yeux. Le contact est léger, volatile, et mes pulsations cardiaques tapent dans mon crâne. C'est presque un frôlement, et je me sens partir. Ça ne dure qu'un instant, quelques secondes peut-être, avant qu'il ne me lâche, et laisse une douce caresse le long de ma hanche. Je frissonne, surpris.
"C'est bon, tu peux y aller."
Les yeux écarquillés, je reste statique un moment avant de reprendre mes esprits, et de m'éloigner, à reculons.
"Euh... J-je serai dans ma chambre, quand tu auras fini, t-tu n'as qu'à me rejoindre, on regardera le film que tu veux."
J'ai juste le temps de le voir esquisser un sourire, fier de l'effet qu'il possède, avant que je ne ferme la porte et que je n'entende le verrou s'enclencher de l'autre côté. Je m'avance d'un pas, avant de me stopper dans le couloir, passant mon index et mon majeur sur mes lèvres.
Mon cerveau ne se remet en marche seulement lorsque je perçois l'eau couler dans la salle de bain, ainsi que la porte de Sana s'ouvrir. Je ne bouge plus. Je réalise que Taehyung et moi faisions beaucoup de bruit. Et l'idée qu'elle ait pu tout entendre me met drôlement mal à l'aise. Néanmoins, je tente de surpasser ce sentiment.
Je n'ai plus le droit de m'interdire de vivre dans la sonorité, pas après tous mes efforts.
Ma sœur se fige, elle aussi, lorsqu'elle capture mon regard à l'autre bout du couloir. Elle tient en main un pyjama, ainsi que diverses produits que je ne saurais pas identifier.
"Oh, euh...Taehyung est dans la salle de bain, alors si tu voulais y aller..."
Le temps s'étire. Et pourtant, elle répond.
"C'est pas grave, j'irai après."
Je m'attends à ce qu'elle fasse demi-tour pour s'enfermer entre ses quatre murs, comme toujours. Mais ce n'est pas le cas.
Elle reste là.
Je reste là.
Et aucun de nous ne se décide à entamer un pas. Dans mon dos, j'entends toujours l'eau éclater contre l'acrylique. Tout est bien plus bruyant, bien plus encombrant, lorsque deux êtres de silence se font face. C'est dans le vide que les décibels s'amplifient. C'est dans le vide que le son se déplace et se disperse aussi efficacement.
C'est peut-être pour cela que le silence entend tout.
Sana se racle la gorge. Je porte mon attention sur son visage, que je vois si rarement sortir de sa tanière. Son visage qui ressemble au mien, et à un autre aussi, dont le souvenir flotte entre nos murs.
"Jungkook..." commence t-elle.
Alors je n'ai pas rêvé. Elle a bien quelque chose à me dire. Je m'avance d'un pas, un minuscule pas, pour ne pas la brusquer. Elle baisse la tête avant d'enfin faire sortir quelques mots.
"Je voulais juste que tu saches... qu'un jour, je parlerai. De... de tout ça. Devant toi. Je suis désolée de ne pas savoir le faire tout de suite."
Je penche la tête sur le côté. Je n'aurais jamais cru entendre ça de sa part. Ça me surprend, autant que ça ravive une chaleureuse flamme d'espoir dans tout mon corps.
J'acquiesce, sans ajouter quoi que ce soit.
Elle comprend que je lui donne mon accord. Celui d'être assez patient pour attendre que ses vannes s'ouvrent. Alors elle s'incline légèrement, comme pour me remercier, et rentre à nouveau dans sa chambre.
Perturbé, je reste un moment sur le palier. Puis, dans un élan inexplicable, je décide de prendre la direction des escaliers, et de descendre d'un pas feutré. Ma conversation minime avec Sana m'en a donné le courage, je crois.
Une fois arrivé en bas, je laisse mes pas faire craquer les marches pour signifier ma présence. Ma mère et mon père sont tous les deux sur le canapé. Ils regardent la télé.
Dès qu'elle me voit, ma mère s'empare de la télécommande pour baisser le son. Moi, je prends mon courage à deux mains. Je ne veux rien d'autre qu'instaurer un contact, peut-être même une confiance mutuelle.
Alors je me lance.
"Je viens juste pour vous informer que Taehyung va rester là cette nuit. Et si jamais vous vous inquiétez, il va mieux et... on va regarder un film. Je ne sais pas encore quand il repartira, je vous dirai demain. Désolé si ça vous a surpris, et si ça t'a réveillé, maman..."
Je suis étonné de la facilité avec laquelle je m'exprime. Ça semble éveillé quelque chose en eux, puisqu'ils sont bien plus réceptifs à ma voix que d'habitude. Pourtant, je ne m'attends pas à une réponse. Je saisis la rambarde pour remonter, mais mon père me coupe dans mon élan.
"Jungkook."
On dirait qu'il a quelque chose à m'annoncer. Décidément, d'abord Sana, et maintenant lui... Ce serait mentir de dire que ça ne me réchauffe pas la poitrine.
Je leur fais face à nouveau, descends les quelques marches qui me séparent du carrelage du salon. Mes chaussettes refroidissent à son contact. Ma main s'accroche à mon collier comme à une bouée. Mon père ne prononce pas un mot, mais il échange un regard avec ma mère. Celle-ci acquiesce, d'un air entendu. L'incompréhension se lit dans ma façon de plisser les yeux, de serrer mon pendentif aussi fermement.
Mon père se lève alors. Il disparaît dans leur chambre, dont la porte est située dans le coin droit du salon. Je comprends de moins en moins. Il en ressort une minute plus tard, une boîte marron entre ses mains. Il me la tend. Je n'ose pas la saisir, confus.
"Ce sont des photos." m'annonce t-il.
Sa voix tremble. Ça me retourne le cœur.
"Regarde-les quand tu voudras, pour- fin... à défaut d'avoir des réponses de notre part."
"Merci..." je souffle.
Son acte me surprend d'autant plus lorsque j'aperçois ses yeux devenir humides. Oppressé par cette atmosphère morbide, je prends la boîte, et m'empresse de faire demi-tour pour remonter. L'air a du mal à passer. Je me faufile dans ma chambre et cache la boîte au fond d'un tiroir.
J'ai du mal à assimiler ce qu'il vient de se passer.
Du mal à saisir l'importance de la perche qu'ils viennent de me tendre.
Je suis essoufflé. J'ai la gorge nouée, les poumons compressés. Malgré ma curiosité débordante, il est hors de question que je regarde ça maintenant. Alors je ferme le tiroir, me promettant d'y revenir plus tard. J'essuie une larme solitaire, qui a voulu faire son bout de chemin jusqu'à mes lèvres, puis décide de me changer, troquant mon jean et mon pull pour une tenue de nuit. Au moment même où je termine, ma porte s'ouvre sur Taehyung.
La vision de mes propres vêtements sur son corps m'envoie une bouffée de chaleur tendre. Ma précédente panique s'évapore un peu, remplacée par une émotion attendrissante. Certaines de ses mèches ont encore une goutte d'eau étincelante à leur bout, prête à s'échouer sur le haut de son t-shirt déjà mouillé. Immédiatement, son odeur envahit la pièce. Je hume l'air, discrètement. Je reconnais le parfum.
Il a utilisé mon shampoing.
"Alors, qu'est-ce qu'on regarde ?" lance t-il.
Il dépose ses anciennes affaires au pied du lit.
Je ne me laisse pas distraire par ses iris pénétrants et sa main qu'il passe sans cesse dans ses cheveux pour les discipliner. À la place, j'attrape mon ordinateur sur mon bureau et me contente de m'allonger dans mon lit deux places, et de le déposer sur mes genoux.
"Tu as un film préféré, ou quelque chose que tu aimerais voir ?" je demande.
Il s'invite à son tour sous les draps. Sa senteur me parvient en décuplé. Elle me donne envie de me blottir contre lui. Je m'approche imperceptiblement, réduisant la distance entre nous. Bien que la peau de son bras ne soit pas en contact avec la mienne, je ressens la chaleur qui émane de son corps.
Ses bras se tendent par dessus mon corps pour atteindre le clavier d'ordinateur. Sa tête se penche vers la mienne.
"Je peux ?"
J'acquiesce, fuyant son regard, beaucoup trop proche, et alors il tape sur le clavier plusieurs mots.
Je souris en identifiant deux prénoms que je commence maintenant à bien connaître.
"Roméo + Juliette ?" je lis à voix haute.
"L'adaptation au cinéma de Baz Luhrmann. T'as jamais vu ? C'est une réinterprétation, mais dans un cadre beaucoup plus moderne. C'est dans le thème de notre pièce, en plus..."
Je secoue la tête.
"Non, je ne l'ai jamais vu. Je regarde pas tant de films." j'avoue.
C'est comme ça que nous nous retrouvons à regarder Roméo et Juliette en action, dans un élan de romantisme, de tragédie et de conflits familiaux. Je me dis que ces personnages nous ressemblent peut-être un peu.
Nous sommes en position semi-allongée, un coussin dans le dos, l'ordinateur en équilibre entre sa jambe droite et ma jambe gauche, ce qui fait que nous sommes bien plus proches. Mais ce n'est pas pour me déplaire. Surtout lorsque la fatigue l'emporte et que je finis par fermer les yeux sans le contrôler. Ma tête s'échoue contre son épaule.
Dans un demi-sommeil, je crois sentir une caresse dans mes cheveux, ainsi que mes émotions s'affoler. La respiration de Taehyung me calme, me berce.
Puis je m'endors sous les paroles de Roméo, faisant échos à mes propres répliques, qui s'envolent dans le brouillard engourdi de mon esprit.
"Permets-moi de rester. Permets-moi de rester ici pour la nuit ; et tu me laisseras rester toute la nuit."
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
Coucouuu ! Je voulais absolument faire un chapitre avec pas mal de dialogue après l'interlude de Tae. Ils en avaient besoin, et surtout, c'est la première fois qu'ils parlent vraiment autant entre eux aussi longtemps, aussi profondément, c'était nécessaire et j'espère que ça vous a plu :)
Qu'en avez vous pensé ? Le Taekook de plus en plus proches ? Sana ? La boîte marron ?
Oh mon dieu, retourner dans la tête de Jungkook est honnêtement INCROYABLE. Avec lui, les mots coulent tout seul. Réellement, je me pose, et ça sort toujours naturellement, comme si je le connaissais sur le bout des doigts, c'est si agréable
Sinon c'est les 11 ans de BTS aujourd'hui kgdkwbd voilà 🕺
Comme d'hab, je vous aime et à + <3
-Elise-
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