Chapitre 4 🎭
Le cours dure une heure et demi. Pendant tout ce temps, je me fonds dans mon siège, jusqu'à ce que je me sente presque faire parti du tissu en velour.
J'ai pu observé le jeu d'acteur de chacun d'eux, les activités, les exercices, les improvisations...
Je ne l'avouerai sûrement pas, mais ça m'a détendu. Rassuré, en quelque sorte. Même si ce qu'ils font me paraît insurmontable, c'est moins pire que ce que j'imaginais.
Cette grande salle renferme comme une bulle. Une grande bulle, douce et solide, qui enveloppe les gens, les mots, et les gestes. Sur scène, personne ne se juge. J'ai pu voir les paroles maladroites de Chaeyoung, les bourdes de la plupart d'entre eux. Mais ici, l'erreur n'est pas fatalité, elle est essentielle.
Néanmoins, je ne sais pas si j'y arriverai.
L'erreur n'est pas dangereuse pour eux, mais elle le reste pour moi.
De temps en temps, je vois Taehyung jetter un bref coup d'oeil à la salle, chercher dans le public, froncer les sourcils pour s'habituer au noir, et finir par abandonner. Là où je suis, il ne peut pas m'apercevoir, comme tous les autres. J'ai choisi un endroit qui me laisse le plaisir de fusionner avec les ténebres.
Il doit sûrement penser que je suis parti.
Mais ce n'est pas le cas.
Je suis discret, mais je les observe.
Et je crois qu'au fond, ça m'intéresse.
Soojin, en particulier, m'a impressionnée. Elle a une aisance sur scène qui la fait brûler de mille feux. Elle se moue et s'exprime avec une fluidité à s'en couper le souffle. Chaque fois qu'elle ouvre la bouche, je ne peux m'empêcher de fermer la mienne et de retenir ma respiration.
Les autres sont talentueux, mais pas autant.
Taehyung ? Il a participé aux petites activités, mais pas aux improvisations. Je ne l'ai pas réellement vu jouer. Un calepin dans les bras, un crayon sur l'oreille entre ses mèches bicolores, il passe son temps à griffoner des choses.
Des idées ? Des appréciations pour ses élèves ? Aucune idée.
Le temps s'écoule avec douceur, et j'ai arrêté de trifouiller mon collier depuis au moins vingt minutes, pour me concentrer pleinement sur l'improvisation en cours.
Jimin, Soojin, et les deux inséparables sont en jeu. Ils présentent une scènette qu'ils ont du préparer en cinq minutes sur un thème précis ; la royauté.
Soojin se transforme soudain en reine, Jimin en roi. Jackson est un fort chevalier et Mina une princesse au caractère trempé qu'il doit conquérir au dépend de ses parents.
Les tirades se succèdent, la situation part dans tous les sens, n'ayant plus trop de but précis. La représentation dure depuis au moins dix minutes, mais je suis captivé. Dans un coin, les autres observent, et Taehyung écrit à toute vitesse sur son petit bloc note, la mine concentrée et les yeux plissés.
Il m'impressionne.
Ils m'impressionnent, tous.
Comment leur arriver à la cheville ?
L'improvisation prend fin sur la mort soudaine du chevalier ; les parents ont découvert leur liaison et ont envoyé quelqu'un pour l'éliminer. La scène se ferme sur les pleurs de Mina.
Tout le monde applaudit.
Les yeux fixés sur la scène, ébahi, je me surprends à applaudir discrètement dans le noir. Je me suis sans même le vouloir approché du siège d'en face, décollant mon dos du dossier pour mieux observer.
"C'était super ! Je vous ai rarement vu aussi bien jouer ! Je sens que cette année notre représentation finale aura du succès." affirme Taehyung, en souriant de toutes ses dents. "Le cours est fini." il clôt.
Tous, satisfaits, se rejoignent en petits groupes pour parler dans les rires et la bonne humeur. La séance est terminée, mais il me semble que certains vont rester ici encore un moment.
Taehyung est le seul à ne rejoindre aucun groupe. En silence, il replace ses cheveux étranges correctement et attrape son crayon et son calepin d'une seule main. Il soulève l'autre au niveau de son front, en visière, et surplombe les places assises du regard.
Je me recroqueville sur moi même, et ne fais aucun bruit.
D'ici, je peux le voir, mais lui ne le peut pas. Et ça me va. Je veux pouvoir observer les autres quand bien même je veux disparaître à leurs yeux.
Une sensation désagréable se répand dans mon corps, se dispersant dans mes veines et mon coeur. J'aimerais lui parler, l'autoriser à me rejoindre, m'autoriser à exprimer à quel point les contempler m'a chamboulé, mais c'est impossible. Tellement impossible.
Invisible.
Je me dois d'être invisible.
Mes pointes de pied se font le plus discrètes possible et effleurent à peine le sol recouvert d'un douce moquette. Je retiens ma respiration alors que mon corps s'enfonce entre les rangées les plus sombres. Je trace mon chemin, le dos courbé et les yeux fuyants.
Quand je me retourne, il est déjà en train de vagabonder entre les sièges à ma recherche, mais je ne le laisserai pas m'atteindre.
Dans la pénombre, j'atteins enfin la porte de sortie arrière. Je l'entrouvre et m'y faufile. La lumière qui s'en dégage de l'extérieur a dû trahir ma présence, alors je m'empresse de fermer la porte, puis je m'engage dans un couloir inconnu. Il n'y a personne. Je me mets à courir, et tout juste quand je tourne à une intersection, j'entends la porte de la salle au loin s'ouvrir à la volée.
Impossible qu'il est vu de quel côté j'ai fui.
Je continue ma course. Les couloirs sont vides à cette heure si tardive, et le soleil prévoit sa disparition. Je suis comme lui, je fuis la nuit.
Mes émotions partent au quart de tour, sans raison apparente, devenant un flot ingérable et non identifiable.
J'ai à la fois envie de rire, de crier et de pleurer.
***
Je décide avant de quitter le lycée de passer brièvement aux casiers pour récupérer quelques manuels dont j'aurais besoin pour mes devoirs.
Mes mains ont arrêté de trembler, et je saisis mes clefs calmement. Le lycée est particulièrement apaisant lorsqu'il ne renferme aucune présence humaine. J'écoute le silence et l'apprécie.
Je dévérouille mon casier, mais avant même de l'ouvrir, je sens bien que quelque chose ne va pas. Un coin de papier dépasse sur un milimètre de l'interstice du compartiment.
Hors, je n'ai que des manuels bien rangés dans l'ordre alphabétique là dedans.
Il y a donc un intru, qui n'était pas là ce matin.
En tirant la portière, une feuille tombe au sol, et révèle une écriture grossière. Je reconnaisla calligraphie, et recule d'un pas, comme si un bout de papier pouvait m'attaquer.
Je suis plus fort qu'un bout de papier, bordel.
Je décide de le ramasser et me pose dos au casier pour lire.
Salut Jungkook !
Alors, ce premier cours de théâtre, pas mal, non ? ;)
Tu m'en diras des nouvelles. Je ne suis pas certain que ça t'ait plut, mais je vais t'expliquer.
Pour fêter ça, j'aimerais qu'on mange ensemble demain midi. Ça te dit ? Enfin, ce n'est pas vraiment une question. J'imagine que tu sais ce qui t'attend si tu ne viens pas.
Ça te dérange pas si Jennie et Junghwan viennent aussi, hein ? Ils m'ont dit qu'ils voulaient te voir. Ce sont mes amis, donc je ne peux pas prendre la part du gâteau tout seul tu comprends.
Je te conseille de ne pas te ramener la bouche sèche, t'auras besoin de parler.
Je te laisse,
Ton ami, Heechul. <3
Mon cerveau chauffe, mes membres bouillonnent, et je n'arrive plus à réfléchir correctement. Ma vue se brouille de colère, ou de larmes peut-être.
"Connard..." je souffle, serrant le morceau de papier de plus en plus fort dans le creux de ma main.
Puis je me mets à le déchirer hasardeusement, voulant lui faire subir le même sort que ses mots ont fait subir à ma personne.
Ses gentils paroles me souillent. Elles me salissent et elles m'énervent.
Profondément.
"CONNARD !!" je hurle, en jetant tous les morceaux déchiquetés au sol. Je l'ai fait avec tant d'élan que mon épaule droite me lance douloureusement.
Mon cri fend le silence et laisse planer un instant en suspens.
Un instant hors du temps, où tout semble en suspension, attendant de retomber violemment. Seule l'horloge murale est audible. Elle est à peine perceptible mais amplifiée par le vide causé par mon injure.
Tic, tac, tic, tac.
Un cliquetis à peine audible me fait sursauter. Je me retourne brusquement.
Chaeyoung se tient là, ses clefs de casier en main, à l'entrée du bâtiment, les yeux grands ouverts posés sur moi. Elle a l'air sous le choc, complètement déstabilisée. Elle ne bouge pas d'un milimètre, comme si j'allais lui sauter dessus.
La honte me submerge. Je ramasse les morceaux froissés au sol, les fourre dans ma poche. Je prends rapidement les manuels dont j'aurai besoin, ferme délicatement la porte de casier et sors du bâtiment sans un regard pour elle, alors qu'elle n'a toujours pas bougé.
Le trajet pour rentrer chez moi est dur. Ma gorge me fait mal et mes poumons encore plus. Je peine à respirer mais je tente de rester présentable sous le regard des passagers du bus.
Humilié, je me sens humilié.
***
"Je savais que tu viendrais, Jungkook-ah !"
Tu m'y obliges, je veux rétorquer.
"Comment tu vas ?"
Nous sommes dans les couloirs du lycée, tout juste après le dernier cours de la matinée. Il y a quelques minutes, j'étais en classe d'histoire et mon ventre se tordait à l'idée de cette rencontre.
Je hoche la tête.
"Oui ? Je t'ai pas demandé si tu allais bien ou non, je t'ai posé une question ouverte, là."
Je ne réponds pas. Je ne lui ferai pas ce plaisir.
Il n'y a plus personne dans les couloirs. Tous sont partis manger. Moi, je rangeais mes affaires avec une extrême lenteur dans la classe en espérant qu'ils ne m'attendraient pas.
Mais ce serait mal les connaître. Ils m'ont attendu.
Et me voilà avec eux, dans le couloir. Mais c'est étrange, car ils sont simplement là et nous n'avançons pas. Pourquoi n'allons-nous pas vers le self ? Je crois me souvenir qu'il voulait manger avec moi.
Jennie et Junghwan sont présents, comme prévu.
"C'était bien le théâtre ?" demande la fille brune.
Je hoche la tête.
Elle pouffe.
"Réctification ; comment c'était ?"
Coincé par sa question, je reste silencieux, essayant de trouver un échappatoire.
Heechul s'approche de moi, plus qu'agacé maintenant.
Les masques tombent.
"T'as pas lu ce que je t'ai écrit hier? De pas te ramener la bouche sèche. Tu vas me faire le plaisir de répondre, c'est quand même la base de la conversation humaine."
Le mien aussi.
Je secoue la tête.
Sa poigne saisit mon col, et je me retrouve plaqué au mur.
"Fais gaffe, Heechul..." murmure Junghwan, en jetant des coups d'oeil à droite et à gauche.
"Me dis pas ce que je dois faire ! Ce petit con ne veut pas parler. Pourtant j'ai tout fait Jungkook ! Qu'est-ce qu'il te faut de plus pour que t'ouvres ta putain de bouche ?!"
Le silence lui répond. Mais ça ne veut pas dire que je suis calme. Je suis pire qu'en ébullition. Les flammes me narguent et se jouent de moi.
Son visage s'approche du mien alors que mon t-shirt surélevé par sa main me lacère la gorge.
"De toute façon, tu sers plus à rien. J'ai déjà gagné d'avance cette année. Tu sais pourquoi ?"
Mes lèvres restent scellées. Alors sa poigne m'agrippe plus fermement, et la douleur déforme mon visage.
"Le théâtre." je finis par répondre, conscient que tout se terminera au plus vite si je me laisse aller à son courant.
Mais se faire prendre au courant, on en meurt.
Il y a un jeu qui se fait dans ce lycée. Bien qu'il ne soit ni moral ni légal, un jeu est inventé avant tout pour tuer l'ennuie, non ? Et qu'est-ce qu'on s'ennuie, au sein d'un campus comme le notre. Alors il faut bien s'occuper.
Il y a un jeu qui se fait dans ce lycée.
Le problème, c'est que j'en suis l'acteur principal.
"Exactement, t'es perspicace." crache t-il alors que la haine déforme son visage. "Tous les mots que tu prononceras à la représentation finale me reviendront entièrement. J'en ai discuté avec le maître du jeu. Tu sais que tous les moyens sont permis pour arriver à nos fins... Il a accepté mon idée, puisque je suis l'élément déclencheur de tout ça."
Je me débats pour m'échapper de sa prise, mais rien y fait. Je suis aussi efficace qu'un moucheron qui espère désespérement voler à nouveau après s'être pris dans une toile d'araignée.
L'araignée s'apprête à me manger.
Et personne ne vient sauver les moucherons. Ça sert à rien.
L'ennuie a été crevée au troisième mois de mon année de Seconde. Je ne parlais pas beaucoup, et je n'approchais personne. Je n'ai jamais eu d'amis au collège, je continuais simplement de suivre la vie qui m'était désignée. Mon silence a intrigué les autres élèves. On pensait que j'étais muet.
"Tu m'agaces. Rien que de voir ta gueule me donne envie de gerber sérieux."
Il me lâche enfin et je retombe au sol en toussant. Ma gorge me fait mal, mais ce n'est rien comparé à ses mots.
Un jour, quelqu'un a eu une idée. Une brillante idée. Les idées, ça tranche l'ennuie. "Celui qui arrive à le faire parler franchement j'lui paie un McDo." Je ne comprenais pas, mais soudain, j'étais devenu l'intérêt général. On venait me voir, on essayait de sympathiser avec moi, de me soutirer n'importe quoi.
Au début, je me faisais avoir. Je plongeais droit dans le piège. J'accordais mes mots à certains d'entre eux. Certains qui me donnaient l'impression d'être enfin quelqu'un.
Heechul en faisait partie.
"Finalement ça ne servira à rien que tu manges avec nous. Tu me coupes l'appétit."
Mais ensuite, j'ai appris pour le jeu. Depuis, celui ci s'était développé. Les règles étaient fixées et une organisation stricte s'était mise en place.
Mon objectif était de développer une amitié sincère, alors que le sien était de gagner.
Mon monde ne s'est pas effondré. Il s'est évaporé. Comme un mirage, une illusion à laquelle je m'étais tranquillement laissé bercer toute ma vie.
Il s'en va, Junghwan sur les talons. Jennie elle, s'accroupit pour être à ma hauteur. Elle me tend son téléphone devant mes pupilles, sur lequel j'apercois un enregistreur vocal.
"Deux points... C'est pas un joli score, ça. Tu feras mieux la prochaine fois, hein ?"
Elle s'éloigne tandis que j'ai du mal à reprendre ma respiration.
Je suis tombé sur un mystérieux compte Instagram, qui s'intitulait "kooktalk". Un super slogan, n'est-ce pas ? Ce compte décrivait toutes les règles du jeu, affichait publiquement en story les scores des participants.
Un mot = un point.
Le premier de l'année précédente ? Heechul. 8567 mots au compteur.
J'ai réalisé qu'il enregistrait vocalement toutes nos discussions, et qu'un mystérieux maître de jeu se servait des preuves vocales des participants pour comptabiliser leurs points.
Le gagnant n'est pas un simple gagnant. Il reçoit un prix, mais ça, on s'en fout. Ce qu'il reçoit, c'est la reconnaissance assurée. Le prix ultime, la coupe de leur rêve.
"Tous les coups sont permis." Voici la toute première phrase de la bio du compte instagram. M'envoyer au tableau pour faire un exercice, ça comptait. Me jetter la tête la première dans une flaque d'eau pour que je lâche une injure spontanée, ça comptait. M'obliger à faire un oral devant la classe, ça comptait. Tant que l'origine de mes mots venaient du participant, ça comptait.
Me faire jouer une pièce de théâtre devant l'entièreté du lycée, ça comptait.
J'apporte mes doigts à mon cou pour masser les zones douloureuses, et je ferme les yeux. Les fenêtres du couloir laissent de doux rayons de lumière caresser ma peau. J'entends la foule lointaine qui fait la queue pour aller manger, j'entends aussi les oiseaux et des pas délicats qui se rapprochent.
... des pas qui se rapprochent ?
Mes paupières se soulèvent et Chaeyoung est debout face à moi, un air ahuri dans le regard. Elle porte une longue robe à fleur qui la fait flotter. Elle me paraît presque comme un ange survenu de nulle part. Son visage est à contre jour, si bien qu'il ne forme qu'une vague ombre entourée de lumière.
Mais je ne sais que trop bien comme les apparences sont trompeuses.
"Est-ce que... tu vas bien ?"
Elle en a trop vu.
Je me relève, époussette mon pantalon et remets mes cheveux en place.
"Euh... Tu sais, vu qu'on est dans la même classe, et qu'on fait tous les deux théâtre, je me disais que... -"
"Garde ta gentillesse pour toi. Ça sert à rien de te casser la tête, tu n'as aucune chance de gagner."
Je m'apprête à partir mais elle me retient, ses doigts fins autour de mon poignet.
"... de gagner ?"
Je retire violemment mon bras.
"Fais pas l'innocente." je tranche.
Elle recule, s'éloigne comme si elle était en danger.
"Excuse moi..." elle murmure, la voix étranglée, avant de déguerpir aussi vite qu'elle est arrivée.
Mon coeur me fait soudain mal, et la culpabilité me torture.
Je l'ai blessée.
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
Jk n'est pas tout rose, rip Chaeyoung...
De base il devait pas être aussi impulsif mais mes personnages s'écrivent tout seul et au final je trouve que ça lui correspond bien pour ce qu'il vit.
Vous avez enfin les explications. Évidemment tout n'est pas dit, mais vous avez la base. Vous vous y attendiez? (Bon sûrement pas, un jeu comme ça c'est pas commun, d'ailleurs je pense vraiment avoir le cerveau torturé pour inventer ce genre de truc mdr)
-Elise-
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