Chapitre 39 🎭
J'essaie de l'ignorer.
J'essaie vraiment, de tout mon être. Mais c'est dur. Je ne fais que me distraire pour passer outre. Je déchiffre mes exercices de maths, fais le compte dans ma tête plutôt qu'à la calculatrice quand c'est possible. Je triture le coin de ma feuille, lui donnant cet aspect chiffonné. Je saisis mon collier lorsque ça devient trop intense.
J'essaie de l'ignorer.
Oui, j'essaie d'ignorer le regard ambré sur ma personne. Sur mon corps. Sur mes cheveux.
Sur mes mots.
Il se retourne une fois toutes les cinq minutes environ. Je le sais parce que je compte. Je fixe l'aiguille qui tourne sur l'horloge pendue au dessus de la tête du professeur. Cette aiguille m'agace. Elle ne fait pas tic-tac, elle ne claque pas, mais elle ne fait que glisser, lentement. Elle tourne sans jamais s'arrêter, sans tressauter, et ça ne fait que monter la pression. Je n'ai même pas le moyen de m'appuyer sur la détonation des secondes.
Une seule fois, j'intercepte l'ambre. Je n'ai pas fait exprès, j'ai seulement atterri dedans alors qu'il se retournait. Et j'ai vu dans ses pupilles quelque chose d'effrayant.
Je ne veux pas que le professeur s'arrête de parler. Je ne veux pas que le cours prenne fin. Je ne veux pas que la sonnerie retentisse jusqu'à m'assourdir. Je ne veux pas que les mathématiques me quittent aussi rapidement.
Mais l'aiguille, elle tourne, elle tourne, lentement, elle glisse, elle glisse, et elle ne s'arrête pas de glisser. J'aimerais lui hurler de s'arrêter, de prendre une pause. C'est injuste, tellement injuste. La boule dans mon ventre me remonte à la gorge.
Puis la sentence tombe alors que le hurlement strident de la fin de l'heure sonne.
Je ne sais pas si c'est la salle qui a une résonance particulièrement appuyée, ou si c'est juste dans ma tête. Parce que même après qu'elle se soit tue, je l'entends encore, à répétition. Elle fait écho d'un bout à l'autre de mon crâne.
Peut-être que mon cerveau tente de m'habituer par avance au bruit que je vais devoir supporter. La cacophonie qui va s'ensuivre. Parce que le regard de Heechul ne dément pas. Ni celui de ses deux camarades fétiches.
Je rassemble mes affaires. Il met du temps, beaucoup trop de temps à rassembler les siennes. Et je comprends qu'il m'attend.
Je ne sais pas si c'est à cause de mes cheveux blonds, ou juste parce que ça fait longtemps, mais je sens que la vague va être violente.
Elle ne m'emportera pas, je me répète inlassablement. Comme une comptine qui endort la méfiance d'un enfant.
Elle ne m'emportera pas, elle ne m'emportera pas, elle ne m'emportera pas. Mais un instant, je la vois m'emporter, je la vois m'enrouler et me prendre dans son tumulte. Mon corps ballote dans l'eau, et je ne trouve plus d'air, je ne fais que tourner sous la puissance de la houle, tourner, tourner, tourner, comme cette aiguille tout à l'heure. Il n'y a pas de pause. Et mes mots m'échappent, se perdent dans le chaos et je les vois s'égarer sous l'écume. J'ai la tête qui tourne.
Je range ma trousse. Mon cahier. Ma règle. Mon agenda. Et elle ne m'emportera pas.
J'en suis certain.
Je sors de la salle et m'engage dans le couloir. Je sens quelques pas précipités derrière moi. Je reconnais leur appartenance par le son. De toute façon, il ne restait plus qu'eux et le prof dans la salle, alors je n'ai pas besoin de mon ouïe pour comprendre.
Je trace ma route, ignorant les foulées qui se rapprochent, mais je finis par être rattrapé, et un bras passe autour de mon épaule. L'odeur de Heechul vient aussitôt agresser mes narines.
"Jungkookie ! Je m'attendais pas à ça de ta part, mais ça te va pas si mal, les cheveux blonds."
Un sourire s'entend dans sa tessiture. De l'extérieur, on pourrait presque croire qu'il est mon ami, et qu'il me complimente sincèrement. C'est sûrement ce que doit penser le professeur, en passant devant nous sans grande attention. Lorsqu'il descend les escaliers au fond du couloir, nous sommes définitivement seuls. Tout le monde est parti manger.
Et la peur me sort par la tête.
Je me dégage de son bras, et me contente de leur échapper. Je vois l'expression déterminée de mes trois tortionnaires, puis j'en remarque une autre, plus petite, plus discrète. Elle est à l'écart, mais elle est quand même là, et observe la scène sans un mot, les bras croisés sur sa poitrine et le menton haut.
Mina.
Quand je croise son regard, j'ai presque l'espoir qu'elle va me sortir de là. Mais c'est idiot. Je suis idiot. Elle ne fait que fuir le contact visuel.
Elle a honte.
Et c'est pitoyable.
"J'aurais pas cru que tu oserais." laisse tomber Junghwan. "Jennie, t'enregistres ?"
Je réalise que c'est vraiment sérieux quand je prends conscience qu'ils n'usent même plus de subtilité. Avant, ils élaboraient des plans plus techniques pour m'aborder. Maintenant, ils ne se cachent même plus, assumant pleinement qu'ils sont là rien que pour mes mots.
Je serre les poings.
"Tu sembles prendre un peu trop de plaisir à ce cours de théâtre, pas vrai ?" demande Heechul. Il s'approche bien trop, si bien que mon dos se colle au mur. Ses doigts passent sur une mèche de mes cheveux.
Je serre les poings.
"Tu prends un peu trop tes aises, pour quelqu'un qui est là par obligation... Je te rappelle que tout ce que tu diras sur scène me reviendra."
J'ai peur, je meurs de peur.
J'ai mal, je meurs de douleur.
Mais je suis en colère, je meurs de haine.
Et au fond, peut-être que je vis, et que je meurs de vivre.
"Tu sembles l'avoir oublié, alors je pense que ça peut être sympa de te remettre les idées en place."
Junghwan se pose près de moi. Il a des feuilles entre les mains. Je mets un temps avant d'identifier ce que c'est. Puis je prends réellement peur quand je reconnais un exemplaire de Roméo et Julian.
La version de Taehyung.
Je cherche immédiatement les yeux de Mina, mais ceux ci m'évitent.
"Puisque tu sembles si à l'aise, tu pourrais peut-être t'entraîner, et nous réciter tes répliques, hein ? C'est Roméo que tu joues, c'est ça ? Et bien regarde, ça commence juste ici." Heechul me montre ma toute première réplique, au début de la pièce, et je suis parcouru d'un frisson d'horreur. "Mais j'imagine que tu connais par coeur, n'est-ce pas ?"
Je déglutis, serre les poings plus fort encore.
Les larmes montent.
Ils attendent, tous. Ils attendent que je le fasse, pour récolter mes mots comme on collectionne un bien précieux. Mais je n'ai pas décidé d'être convoité, et je commence à avoir du mal à respirer.
La vague... elle ne m'emportera pas.
Je garde les lèvres closes. Si je prononce un seul des mots de Roméo, alors il sera sali jusqu'à la moelle, et je m'en voudrais bien trop.
Heechul peut toucher à ma parole. Il peut toucher à ma détresse. Il peut avoir du pouvoir sur beaucoup de choses, mais il ne pourra pas soutirer ça de moi.
Parce que le théâtre, je veux le protéger comme on sécurise la prunelle de ses yeux. Ces séances sont bien trop précieuses à mon âme pour les salir. Mes nouveaux amis sont bien trop importants pour que je me laisse emporter et que je récite la parole de Roméo pour ce groupe infame devant moi. Taehyung a mis trop de coeur à la réécriture de cette pièce pour que je la déclame sous la panique.
"Bon, j'aimerais bien avoir le temps de manger. Si tu pouvais te grouiller... Plus tu le fais rapidement, et plus on te laisse tranquille plus tôt. T'as des cordes vocales, fais nous pas croire que t'es muet tout à coup !"
"Je ne suis pas muet !"
Ma voix est sortie plus forte que prévu. Une larme déborde. Heechul la fixe, et la fureur dans ses yeux devient de plus en plus acérée.
"Tu compliques toujours tout, putain ! Il suffit juste que tu lises ! Tu sais pas lire ?"
Il s'approche, beaucoup trop. Tout m'accapare, attaque mes sens. Le parfum de ses mots m'envahit à m'en donner l'envie de dégueuler, ses gestes grossiers me font tourner l'oeil pour ne pas avoir à les affronter. Je déteste tout de lui. Ses yeux d'ambre, son attitude, ce qu'il renvoie, tout ce qui le compose. C'est à cet instant que je sais que je connais la haine, la vraie. Celle qui s'accroche si fort qu'il est dur de rester dans le même périmètre que l'être détesté. Rien que de plonger dans son regard me donne la nausée, me balance le besoin de me laver de ces mains qui tripotent mes cheveux, ou de son physique que j'aurais pourtant trouvé doux s'il ne renfermait pas un coeur putride.
Non. Je crois que je ne le déteste pas. Je crois même que c'est plus fort que la haine. Et je réalise.
C'est du dégout.
Heechul ne veut pas reculer, sa proximité m'horripile. J'étouffe. Je veux qu'il recule, qu'il fasse un pas en arrière.
J'étouffe, j'étouffe, j'étouffe.
Pitié, qu'il s'écarte.
"CONNARD !!"
Heechul recule brusquement, effaré.
Enfin, je respire enfin.
Ils me fixent, mais je ne coule pas. La haine me porte, m'aide à rester à la surface. Il faut seulement que je reste lucide.
"Je j-jouerai cette pièce. Je la jouerai. Et tous ces mots que je suis en train de te donner, tu n'as qu'à les prendre ! Qu'est-ce que ça me fait, au fond, hein ? Ce... ce que t'aimes, c'est pas ce jeu, ni ma parole, mais c'est l'intimidation. Alors si je te donne tous les mots que je veux, alors tu n'as plus aucun intérêt à venir me voir, pas vrai ?"
Je perçois le changement. Heechul et les autres sont pris par la surprise. Ils sont soudain bien plus petits, plus faciles à atteindre. Je comprends que je suis en train de trouver la corde sur laquelle tirer.
"C'est de ç-ça, que tu aurais peur, alors ?"
Je veux me baffer pour mes bégaiements, mais j'ai peur, si peur, et je n'arrive pas à faire autrement. Et puis, si mes mots sont comme ça, ils le sont. Qui suis-je pour les blâmer ? Les autres le font déjà bien assez à ma place.
"Mais les voilà, mes mots, et tu n'en auras sûrement jamais eu autant en un seul coup ! Mais est-ce que- Est-ce qu'ils auront encore de la valeur si tu ne dois plus m'intimider pour les avoir ?"
Je sursaute quand je sens une douleur vive sur ma pommette. Je dévie sur le côté, prêt à basculer sous la force du coup, mais me rattrape d'une main plaquée au mur. L'autre vient tenir mon visage, traversé d'une douleur lancinante. Les larmes ruissèlent. Je ne m'attendais pas à ça.
Je me redresse. Heechul semble prêt à réitérer si je dis quoi que ce soit de plus.
Je brûle de haine. Je brûle de vie.
"Tu les voulais mes mots, non !? Alors pourquoi maintenant tu me frappes pour que j'arrête de parler ? Ou c'est peut-être la véracité de ce que je dis qui te fait trop de mal !"
"Qu'est-ce que tu racontes ?!" s'emporte t-il.
Il s'apprête à lever le poing une deuxième fois, mais Junghwan le retient de justesse.
"Eh mec, calme toi. On va avoir des problèmes."
Junghwan garde les poignets de Heechul en otage pour l'empêcher de m'atteindre de nouveau, et c'est moi qui m'approche cette fois ci. J'ai du mal à rester pleinement éveillé. Ce qu'il se passe autour de moi est flou. Peut-être que le barrage cède trop violemment, trop d'un coup. Et si je pensais que la fin de mon barrage signerait la fin de mon mal être, je n'avais pas pensé aux dégats entrainés par un tel changement dans mon comportement. Mon corps a du mal à le supporter. Je le sens. Je vais fuir.
Mais avant, il faut juste que je dise une chose.
J'avance, jusqu'à être à la hauteur de ce garçon, qui un jour a été un ami que je pensais sincère, qui un jour a brisé mon coeur en mille morceaux lorsque j'ai découvert cette histoire de jeu ridicule.
"Heechul."
Son prénom, sorti de ma bouche, sonne mal, m'écorche les lèvres.
"Tu n'es pas un monstre, t-tu le sais. Tu es humain, et je suis sûr que la culpabilité te ronge, je t'ai assez connu pour le savoir. Sauf que ça te met en colère, et cette colère... tu la rejettes en faisant du mal aux autres. Çe te frustre, ça va finir par te pourrir, et m-moi... pendant ce temps, j'aurais avancé."
J'ai tout juste le temps de voir le choc et la rage se mélanger dans ces prunelles d'ambre que je rêve d'écraser, avant de prendre mes jambes à mon cou. Je n'ai plus rien à faire ici. Et j'ai peur de ne plus réussir à respirer. Ça me prend d'un coup, ce manque d'oxygène.
Il y en a partout autour de moi. L'air est là, tout juste là, bordel, mais il ne veut pas rentrer. Il faudrait que je rejoigne Chaeyoung, que j'aille manger, mais je ne veux pas, ne peux pas. Pas dans cet état là. Je ne sais pas quoi faire d'autre, je déambule, et je ne sais pas trop où aller.
Un pas devant l'autre, je sens que je ne vais pas tenir longtemps. Ça m'assaille, mes mots me retombent dessus en violentes rafales. Je sors d'un bâtiment, me traîne dans un autre. Je ne sais pas ce que je fais. Je fais passer le temps, j'essaie de contrôler ma respiration qui s'emballe, qui dérape, qui va mourir, dépérir. Une main sur mon coeur, je me demande s'il va exploser.
Cette fois ci, ça y est. Les morceaux vont se répandre autour de moi et je n'aurais rien pour les recoller.
C'est faux. C'est faux, je tente de me répéter.
J'ai fait ce qu'il fallait. J'ai eu la force de faire ce qu'il fallait, de dire ce qu'il fallait, et c'est seulement la retombée qui me met dans cet état là.
Jungkook, tu l'as fait.
En vérifiant qu'il n'y a personne, je me laisse tomber contre le mur d'un large couloir et amène mes mains à mon front pour faire taire la panique, sourde.
Je tente de sentir mon ventre se gonfler au rythme de mes respirations, mais l'air ne veut pas rentrer, les larmes m'aveuglent, et je me recroqueville sur moi même.
Des pas.
Des murmures.
"Eh, regarde, là..."
"Laissons le tranquille."
"Mais c'est pas Jungkook, tu sais, celui du jeu ?"
"Justement, laissons le tranquille."
Je ne respire plus.
Pitié, je veux respirer.
Encore des pas.
"Eh, c'est pas Jungkook là bas ?"
"Viens, c'est l'occasion parfaite pour aller lui parler !"
"T'es folle, je veux pas participer à ça moi."
"D'accord, d'accord... Mais faudrait peut-être l'aider quand même, il a pas l'air bien..."
"Laisse tomber, il vaut mieux pas qu'on nous voit avec lui."
La crise s'intensifie. J'ai envie de crier.
J'entends tout ! J'entends tout de ce que vous dîtes ! Vous pensez chuchoter, être à l'abris de mes oreilles, mais j'entends tout, j'entends toujours tout, ça me fatigue... Et cette ventilation, dans le couloir, pourquoi ne la coupent-ils pas ? Suis-je le seul à qui ça racle les tympans ? Ça fait un boucan pas possible.
Le bruit mange mon souffle, j'entends tout et je ne respire plus rien.
Des pas.
Encore. Encore.
"Jungkook ?"
Je ne relève pas la tête, mais mes yeux se rouvrent à la familiarité de ce timbre. Je prends conscience d'où j'ai atterri, de ce que je fais ici, de ce qui m'a mené ici.
Je vais mourir.
C'est la première chose à laquelle je pense, quand les pleurs me recouvrent tellement qu'ils m'empêchent de faire circuler l'air.
Cette fois ci, les pas se rapprochent au lieu de s'éloigner.
"Jungkook, eh ! Ça va ?"
Jimin.
Mais il n'y a pas que lui. Je l'ai senti. Même si j'ai la tête repliée sur mes jambes, je sais que Taehyung est là. Parce que j'ai reconnu le son de ses chaussures contre le carrelage, j'ai reconnu le froissement de ses vêtements, le bruit de la manche de son manteau qui s'élève lorsqu'il se passe une main dans les cheveux. J'ai presque reconnu son inspiration entrecoupée ; il m'a vu.
Je le sais d'autant plus alors que, sous ma respiration saccadée et mes pleurs qui s'effondrent sur mes joues et mes genoux, une main se glisse dans la mienne et des doigts s'entremêlent aux miens.
"Viens Jungkook, on va ailleurs."
Puis je le sens se pencher, me murmurer quelques mots au creux de mon oreille, qui ont le don de me distraire de ma peine. Il chuchote, si bas que ni Jimin ni personne d'autre que moi ne peut l'entendre, mais il sait.
"Juste tous les deux."
Il sait très bien que j'entends tout. Que ça ne sert à rien de m'encombrer de plus de sonorités encore.
Ce sont mes doigts, se refermant contre les siens, qui lui donnent mon accord.
**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*
Jungkook a enfin eu le courage de dire ce qu'il pensait à Heechul ! Même si la suite n'est pas aussi maitrisée, mais c'est normal... :(
Que pensez vous de la scène avec Heechul ? De Mina (👹) ? De ce qui va se passer maintenant que Jimin et surtout Taehyung ont retrouvé Jungkook dans cet état ? (Toujours ces questions j'adore avoir vos réponses à chaque fois kfjfldbfkd)
MERCI POUR LES 16K ET LES 2K DE VOTES WTF WTFFFF Je. Vous. Aime. 💗
-Elise-
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